Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2002-181(EI)

ENTRE :

MADELEINE LAFLAMME,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

GABRIEL GÉHU ET JEAN-MARC GÉHU,

intervenants.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 29 octobre 2002 à Matane (Québec)

 

Devant : L'honorable juge suppléant S.J. Savoie

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Gilles Thériault

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

 

Représentant des intervenants :

Gabriel Géhu

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 28e jour de mars 2003.

 

 

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI126

Date : 20030328

Dossier : 2002-181(EI)

ENTRE :

MADELEINE LAFLAMME,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

GABRIEL GÉHU ET JEAN-MARC GÉHU,

intervenants.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie, C.C.I.

 

[1]     Cet appel a été entendu à Matane (Québec), le 29 octobre 2002.

 

[2]     L'appelante a porté en appel la décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») selon laquelle l'emploi qu'elle occupait auprès de Gabriel Géhu et Jean‑Marc Géhu (le « payeur ») durant la période du 1er juillet au 4 août 2001 n'était pas assurable, inter alia, parce qu'un contrat de travail semblable n'aurait pas été conclu entre elle et le payeur s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux. Le Ministre précisait, en outre, que cet emploi ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services.

 

[3]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel :

 

a)         Gabriel Géhu et Jean-Marc Géhu étaient co‑propriétaires d'un bateau de pêche de 42 pieds le « Linda Daniel »;

 

b)         Gabriel Géhu et Jean-Marc Géhu étaient associés à parts égales dans une entreprise de pêche au crabe et au turbot;

 

c)         l'appelante est la conjointe de Gabriel Géhu et la mère de Jean‑Marc Géhu;

 

d)         la période de pêche du crabe était le mois de mai et celle du turbot s'étendait du mois de juillet à septembre;

 

e)         le payeur vendait le crabe à Pêcherie B.S.R. Inc. et le turbot à la Poissonnerie Blanchette;

 

f)          l'appelante a été engagée comme aide-pêcheur pour les deux périodes de pêche;

 

g)         l'appelante n'a pas travaillé la semaine du 22 au 28 juillet 2001;

 

h)         durant la période en litige, les tâches de l'appelante consistaient à préparer les sandwichs de l'équipage et à éviscérer le poisson;

 

i)          Poissonnerie Blanchette émettait les relevés de paie en fonction des informations transmises par le payeur;

 

j)          selon les relevés de paie de Poissonnerie Blanchette, l'appelante recevait une rémunération fixe de 450 $ par semaine;

 

k)         le 17 octobre 2001, dans sa déclaration à un représentant de l'intimé, l'appelante déclarait que, pendant la période en litige, soit pendant la pêche au turbot, ils étaient trois personnes sur le bateau : l'appelante, son mari Gabriel Géhu et son fils Jean‑Marc Géhu alors que selon les relevés de paie de Poissonnerie Blanchette, durant les semaines finissant les 7, 14 et 21 juillet 2001, il y avait un quatrième membre d'équipage soit Jean‑Claude Géhu;

 

l)          selon les relevés de paie de Poissonnerie Blanchette, le salaire de Jean‑Claude Géhu variait  de 157 $ à 450 $ par semaine alors que celui de l'appelante était fixe;

 

m)        durant une partie de la période en litige, l'appelante travaillait comme aide cuisinière pour un autre employeur, soit le Relais Chic-Choc St-Octave Inc.;

 

n)         le 9 juillet 2001, le Relais Chic-Choc St-Octave Inc. émettait un relevé d'emploi à l'appelante pour la période du 29 juin 2001 au 7 juillet 2001 qui indiquait un total de 53.25 heures assurables et une rémunération totale de 387,66 $;

 

o)         l'appelante ne pouvait pas travailler simultanément chez deux employeurs;

 

p)         le 28 août 2001, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante pour la période du 1er juillet 2001 au 4 août 2001 qui indiquait un total de 230 heures assurables et une rémunération totale de 1 800 $ répartie sur quatre semaines;

 

q)         le relevé d'emploi de l'appelante n'est pas conforme à la réalité quant à la période réellement travaillée, ni quant au nombre d'heures assurables;

 

r)          le 25 septembre 2001, dans sa déclaration à un représentant de l'intimé, l'appelante déclarait avoir travaillé deux semaines sur le bateau sans être payée car il n'y avait pas suffisamment de prises;

 

s)         le 18 octobre 2001, dans sa déclaration à un représentant de l'intimé, l'appelante déclarait donner un coup de main bénévole durant l'hiver 2000‑2001 en aidant le payeur à peinturer le bateau;

 

t)          le 18 octobre 2001, dans sa déclaration à un représentant de l'intimé, Gabriel Géhu déclarait que l'appelante lui donnait un coup de main pour l'entretien du bateau durant l'hiver;

 

u)         le 18 octobre 2001, dans sa déclaration à un représentant de l'intimé, Gabriel Géhu déclarait que l'appelante s'occupait aussi de la correspondance et du classement des papiers du payeur;

 

v)         l'appelante rendait des services au payeur avant et après la période en litige sans rémunération déclarée;

 

w)        la période prétendument travaillée par l'appelante ne correspondait pas avec la période réellement travaillée.

 

[4]     L'appelante a admis les présomptions du Ministre énoncées aux alinéas a) à c), e) à g), i), j), m) à p) et r) à v); elle a nié celles énoncées aux alinéas q) et w) et nié telles que rédigées celles énoncées aux alinéas d), h), k) et l).

 

[5]     Il faut préciser au départ que l'ensemble de la preuve n'a pas confirmé les allégations de l'appelante portant sur les présomptions du Ministre sauf en ce qui concerne ses tâches décrites à l'alinéa h), auxquelles il faut ajouter, à celles qui y sont décrites, qu'elle aidait à la levée des filets avec le treuil, aidait à mettre les prises en cale et enlevait le crabe des filets.   Quant aux autres présomptions du Ministre mises en doute par l'appelante, elles ont été établies par la preuve orale recueillie et la documentation produite à l'audition, dont les relevés de paie, les déclarations statutaires, les rapports des poissonneries, etc.

 

[6]     Le litige, en l'espèce, a pris naissance lorsque Développement des ressources humaines Canada (DRHC) s'est aperçu que deux relevés d'emploi avaient été émis au nom de l'appelante pour la même période, dont la période en litige : l'un provenant du Relais Chic-Choc et l'autre du payeur.

 

[7]     L'appelante et le payeur ont admis l'ambiguïté; ils invoquent une erreur commise par le Relais Chic-Choc ou le payeur. Cependant, ils n'ont pu présenter aucun document ou autre élément de preuve pour corroborer leur version et appuyer leur prétention. Les déclarations recueillies attestent que l'appelante a travaillé du 29 juin au 7 juillet 2001 au Relais Chic-Choc St-Octave Inc. Selon le rapport sur un appel (pièce I-3), préparé par March Tremblay, agent des appels auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, Caroline Tremblay, lors de conversations téléphoniques, a été formelle quant à la période d'emploi de la travailleuse. Elle a même précisé les quarts de travail de l'appelante ainsi que ses heures de travail à chaque jour, ainsi que sa rémunération.

 

[8]     L'enquête de l'agent des appels a révélé que l'appelante, pendant la période du 29 juin au 7 juillet 2001, lorsqu'au service du Relais Chic-Choc St‑Octave Inc. était supervisée par madame Micheline Sergerie Lavoie. Le talon de paie de l'appelante pour cette période d'emploi au Relais Chic-Choc démontre qu'elle aurait été payée le 12 juillet.

 

[9]     En présentant sa demande de prestations d'assurance-emploi au DRHC, l'appelante a fourni un relevé d'emploi émis par le payeur pour services rendus au payeur entre le 1er juillet et le 4 août 2001 (pièce A-1).

 

[10]    La preuve a révélé que les relevés de paie des pêcheurs à bord du « Linda Daniel » étaient préparés pour la période en litige par la Poissonnerie Blanchette selon les informations que lui fournissait Gabriel Géhu, mais le personnel de la poissonnerie ne vérifiait pas qui était à bord du bateau.

 

[11]    Les soupçons du Ministre ont été éveillés davantage en constatant des contradictions dans les déclarations de l'appelante en ce qui a trait, par exemple, à l'endroit où elle préparait les repas pour les membres de l'équipage, le silence total sur l'emploi d'un quatrième pêcheur à bord, pendant la période en litige, qui exécutait les mêmes fonctions qu'elle pour une rémunération inférieure. L'appelante a affirmé, en outre, qu'elle n'avait pas la mémoire des dates.

 

[12]    Le Ministre a fait la preuve que le relevé d'emploi de l'appelante n'était pas conforme à la réalité quant à la période réellement travaillée et au nombre d'heures assurables. En outre, la période prétendument travaillée par l'appelante ne correspond pas à la période réellement travaillée.

 

[13]    Le « rapport de la paie pêcheur » de la Poissonnerie Blanchette (pièce A‑3), pour la période en litige, a été préparé suivant les données fournies par Gabriel Géhu, le mari de l'appelante et Jean‑Marc Géhu, fils de l'appelante.

 

[14]    La Cour se retrouve en présence d'un scénario invraisemblable qui tend à établir que l'appelante était à l'emploi de deux entreprises en même temps, soit au Relais Chic‑Choc comme aide-cuisinière et sur le bateau « Linda Daniel » comme aide-pêcheur pendant la période du 1er juillet au 4 août 2001.

 

[15]    L'information se rapportant à l'emploi de l'appelante au Relais Chic-Choc  et pour le payeur provient des employés respectifs. Lorsque l'on considère la source de ces informations, il convient de se poser des questions quant au lieu de travail de l'appelante. Il est vrai que cette Cour n'a pas à trancher cette question, mais il faut se rappeler que l'appelante et le payeur ont été incapables d'expliquer l'invraisemblance de cette situation sauf pour alléguer, sans plus, que l'un ou l'autre des employeurs aurait commis une erreur.

 

[16]    Il est à noter que la preuve présentée par l'entreprise Relais Chic-Choc St‑Octave Inc. a été claire, objective, transparente et sans ambiguïté. Malheureusement, cette Cour ne peut en dire autant de la preuve globale présentée par l'appelante. Cette Cour, dans son appréciation de la preuve de l'appelante, a tenu compte, inter alia, des facteurs suivants :

 

1.       L'appelante a admis aux enquêteurs qu'elle n'avait pas la mémoire des dates;

 

2.       aucune preuve n'a été apportée par l'appelante ou le payeur pour corroborer leur prétention qu'une erreur avait été commise par le Relais Chic‑Choc ou le payeur;

 

3.       l'appelante et le payeur ont fait une fausse déclaration quant au nombre des membres de l'équipage du bateau « Linda Daniel » pendant la période en litige;

 

4.       la preuve a révélé qu'à travail égal, Jean-Claude Géhu recevait une rémunération inférieure à celle de l'appelante;

 

5.       l'appelante a admis avoir fait du travail bénévole pour le payeur pendant certaines semaines.

 

[17]    Ce constat ne peut que porter cette Cour à conclure que la preuve présentée par l'appelante a été, en grande mesure, calculée et intéressée, pour ne pas dire suspecte.

 

[18]    Le Ministre a d'abord justifié sa décision selon les dispositions des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) suivants de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi ») :

 

(2)        N'est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i)          l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

(3)        Pour l’application de l’alinéa (2)i):

 

[...]

 

b)         l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[19]    Il convient donc de se pencher sur la légalité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre sous l'alinéa 5(3)b) de la Loi en regard des circonstances décrites, telles la rétribution versée, la durée, la nature et l'importance du travail accompli par l'appelante.

 

[20]    La preuve a établi que l'appelante recevait une rémunération hebdomadaire de 450 $, alors que Jean-Claude Géhu, qui exécutait les mêmes tâches aux mêmes conditions, recevait une rémunération inférieure pour cette même période.

 

[21]    Par ailleurs, l'appelante bénéficiait des mêmes conditions d'emploi que les autres employés du payeur.

 

[22]    La preuve a révélé que l'appelante aurait travaillé à deux endroits différents au cours de la même période. La preuve apportée supporte davantage son emploi au Relais Chic-Choc, parce qu'elle est corroborée par les documents produits et par le témoignage de plusieurs personnes indépendantes et désintéressées et non liées à l'appelante.

 

[23]    Selon les indications obtenues par le Ministre, la travailleuse aurait eu suffisamment d'heures pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi puisqu'elle avait accumulé 521,25 heures. Toutefois, elle avait besoin de toutes ses semaines de travail afin d'atteindre le plateau des 490 heures de travail et ainsi obtenir un meilleur taux de prestations. Ainsi, chaque semaine d'emploi de la période en litige était importante.

 

[24]    La preuve apportée par l'appelante a soutenu sa prétention que son emploi était nécessaire à l'entreprise du payeur. Toutefois, elle s'est limitée à prouver que trois personnes étaient requises pour les opérations sur le bateau, alors que les documents provenant de la Poissonnerie Blanchette ont clairement démontré que l'équipage était composé de non pas trois, mais quatre personnes, et c'est cette quatrième personne, voire Jean-Claude Géhu qui avait été embauché pour trois des quatre semaines de la période en litige.

 

[25]    L'appelante demande à cette Cour de casser la décision du Ministre. La compétence et le rôle de cette Cour dans une affaire comme celle-ci ont été décrits par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Jencan Ltd. [1998] 1 C.F. 187. Cette cause, fréquemment citée, représente l'état du droit en la matière. Au paragraphe 29 de cette cause, le juge en chef Isaac posait la question de la façon suivante :

 

...La question cruciale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en modifiant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii). Cette disposition confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de présumer que des « personnes liées » n'ont pas de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage s'il est d'avis que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

 

[26]    Poursuivant son analyse, le juge Isaac s'exprimait en ces termes :

 

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

 

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

 

[27]    La Cour d'appel fédérale a tenu des propos similaires sous la plume du juge Décary, dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministre du Revenu National et al. (178 N.R. 361).

 

[28]    Au paragraphe 33 de l'arrêt Jencan précité, le juge en chef Isaac continuait son étude et précisait ce qui suit :

 

...La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions...

 

[29]    Le juge en chef Isaac, au paragraphe 37 de l'arrêt Jencan, décrit le pouvoir de cette Cour en pareilles circonstances, en ces termes :

 

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii)—en examinant le bien-fondé de cette dernière—lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre: (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

 

[30]    Il faut reconnaître que cette Cour est liée, selon la doctrine du stare decisis, par l'autorité de la Cour d'appel fédérale. L'arrêt Jencan précise que :

 

...la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances ... a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir...

 

[31]    En regard de ce qui précède, en particulier la preuve recueillie, les admissions de l'appelante, les hypothèses de faits du Ministre non réfutées, les contradictions entre la preuve à l'audition et les déclarations précédentes, cette Cour ne voit aucunement le bien-fondé de son intervention.

 

[32]    En outre, cette Cour est d'avis que le Ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, selon les paragraphes 5(3) et 93(3) de la Loi sur l'assurance‑emploi, a respecté les exigences de la loi en tenant compte de toutes les circonstances entourant l'emploi de l'appelante, tel que dicté dans l'arrêt Jencan précité.

 

[33]    L'appelante avait le fardeau de prouver sa cause et pouvait amener d'autres éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le Ministre pour justifier sa décision; elle ne l'a pas fait.

 

[34]    Cette Cour doit donc conclure que, compte tenu de toutes les circonstances, il était raisonnable pour le Ministre de décider que l'appelante et le payeur n'auraient pas conclu un contrat à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance‑emploi.

 

[35]    En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 28e jour de mars 2003.

 

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI126

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-181(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Madeleine Laflamme et M.R.N. et

Gabriel Géhu et Jean-Marc Géhu

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Matane (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 29 octobre 2002

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge suppléant S.J. Savoie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 mars 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Me Gilles Thériault

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

Pour les intervenants :

Gabriel Géhu

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Gilles Thériault

 

Étude :

Centre Communautaire Juridique Bas Saint‑Laurent

Sainte-Anne-des-Monts (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

Pour les intervenants :

 

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.