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Dossier : 2002-731(EI)

ENTRE :

ÉRIC BISSONNETTE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

2840-4366 QUÉBEC INC.,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 février 2003 à Sherbrooke (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelant :

Richard Benoit

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

 

 

Représentant de l'intervenante :

Jacques Bissonnette

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

L'appel de la détermination du ministre du Revenu national pour la période du 22 octobre au 3 novembre 2001 est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

 

 

 

« François Angers »

J.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI270

Date : 20030414

Dossier : 2002-731(EI)

 

ENTRE :

 

ÉRIC BISSONNETTE,

appelant,

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

2840-4366 QUÉBEC INC.

intervenante.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une décision par laquelle le ministre de Revenu national (le « ministre ») a déclaré que l'emploi de l'appelant pour le payeur 2840‑4366 Québec Inc. (ci‑après « 2840 ») durant la période du 20 octobre au 3 novembre 2001 n'était pas assurable parce que l'emploi ne satisfaisait pas aux exigences d'un contrat de louage de services. Il n'existait pas de relation employeur-employé entre le payeur et l'appelant et un tel contrat n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre l'appelant et le payeur durant la période; le ministre était d'avis que les modalités et les conditions de l'emploi ne se conformaient pas aux dispositions de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi »).

 

[2]     En rendant sa décision, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes qui ont été admises par l'appelant et l'intervenante, sauf les deux derniers :

 

a)         Le payeur, constitué en société le 18 septembre 1998, exploitait une entreprise de transport en vrac et faisait de l'excavation.

 

b)         M. Jacques Bissonnette, père de l'appelant, était l'unique actionnaire du payeur.

 

c)         En 2001, l'appelant a travaillé pour le payeur du 14 mai au 12 octobre comme chauffeur de bélier mécanique.

 

d)         Durant cette période, il travaillait 40 heures par semaine à 12 $ de l'heure; il a été mis à pied pour manque de travail.

 

e)         Le 18 octobre 2001, l'appelant a reçu un relevé d'emploi du payeur indiquant qu'il avait accumulé 797,5 heures de travail et une rémunération assurable totalisant 9 570 $ durant la période de 14 mai au 12 octobre 2001.

 

f)          Le 24 octobre 2001, l'appelant déposait une demande d'assurance-emploi en remplissant un questionnaire indiquant qu'il était sans travail en date du 24 octobre 2001.

 

g)         Le 30 octobre 2001, Développement des Ressources humaines du Canada (DRHC) informait l'appelant qu'il lui manquait 112 heures de travail pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance-emploi.

 

h)         Le 7 novembre 2001, l'appelant présentait une 2ième demande de prestations avec un 2ième relevé d'emploi du payeur.

 

i)          Le 2ième relevé d'emploi, daté du 1er novembre 2001, indiquait 112 heures de travail et une rémunération assurable de 1 344 $ durant la période du 22 octobre au 3 novembre 2001 (période en litige).

 

j)          L'appelant aurait prétendument été rappelé par le payeur pour faire la vérification et la réparation d'un « loader » nouvellement acquis alors qu'il avait déclaré être sans travail le 24 octobre 2001.

 


k)         L'appelant prétend qu'il travaillait généralement seul au garage du payeur; qu'il était entièrement libre de ses heures de travail et qu'il aurait fait 2 semaines de 56 heures de travail et ce, sans que ses heures ne soient comptabilisées par le payeur.

 

l)          Durant ses prétendues 2 semaines de travail, l'appelant aurait été rémunéré en argent liquide et aurait accumulé exactement 112 heures de travail, soit le nombre exact d'heures requis pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance-emploi.

 

m)        Le 22 novembre 2001, lors d'une entrevue entre l'agent de l'agence (ADRC) et Mme Gisèle Couture, mère de l'appelant, cette dernière mentionnait: « n'eut été du fait que l'appelant avait besoin d'heures pour son assurance-emploi, il n'aurait probablement pas travaillé ».

 

[3]     Jacques Bissonnette est le propriétaire unique de deux entreprises, dont 2840. En 2001, il a embauché son fils Éric, l'appelant, jusqu'au 12 octobre. La mise à pied a été effectuée à cette date au motif qu'il y avait un manque de travail.

 

[4]     Le 16 octobre 2001, le payeur a signé un contrat d'achat pour une chargeuse d'occasion. Le contrat était sujet à ce que le payeur puisse obtenir le financement pour payer l'achat. Ayant acheté la chargeuse « telle quelle », le payeur savait qu'elle nécessitait des réparations. Il en a pris possession deux ou trois jours plus tard; Jacques Bissonnette a alors informé son fils qu'il pourrait la réparer et, en même temps, effectuer des réparations à un fardier et changer le moteur d'une camionnette. Selon Jacques Bissonnette, il n'existait pas de système pour vérifier les heures de travail de ses employés et il se fiait à eux pour calculer leurs heures de travail. Il en était de même pour son fils. Il reconnaît que son fils n'a pas de certificat de qualification de mécanicien, mais il dit qu'il a certaines connaissances. Si son fils n'avait pas fait ce travail, il aurait embauché un mécanicien.

 

[5]     Selon Jacques Bissonnette, son fils avait déjà la moitié des heures de travail nécessaires lorsqu'il a appris qu'il lui en manquait 112. La lettre du ministre a été envoyée le 30 octobre et reçue le 1er novembre et son fils a terminé de travailler le 3 novembre.

 

[6]     En contre‑interrogatoire, monsieur Bissonnette a maintenu qu'il ne savait pas quel travail il devrait donner à son fils, et ce, malgré qu'il ait acheté la chargeuse le 16 octobre et signé un contrat de financement le 19 octobre. Il déclare avoir pris possession de la chargeuse le 25 octobre et que son fils a été réembauché le 22 octobre. Lorsqu'on lui a présenté ces anomalies, il a dit ne pas être certain des dates, par exemple lorsqu'il a témoigné que son fils avait cessé de travailler le 18 octobre alors que le relevé d'emploi indique le 12 octobre.

 

[7]     La mère de l'appelant a également témoigné. Elle fait la comptabilité pour les deux sociétés de son conjoint. Elle a témoigné ne pas avoir déclaré à l'agent d'enquête André Laroche que son conjoint et elle avaient décidés d'embaucher leur fils pendant les heures de travail nécessaires pour qu'il ait droit aux prestations. Elle soutient que son fils a commencé à travailler avant qu'il sache qu'il lui manquait des heures pour avoir droit aux prestations. Elle reconnaît qu'il y a une erreur au relevé d'emploi de son fils : le relevé indique que le premier jour de travail était le 22 octobre alors qu'il s'agit en fait du 23 octobre. Elle reconnaît aussi avoir fait des erreurs dans le livre de paye, erreurs qu'elle a corrigées avec du liquide correcteur et qui était dus au fait que son fils est revenu travailler.

 

[8]     En contre‑interrogatoire, elle répète qu'elle n'a pas fait le commentaire concernant l'embauche de son fils à l'agent d'enquête André Laroche parce que ce n'est pas elle qui embauche. Elle reconnaît les factures de certains achats faits en septembre 2001, dont certaines sont signées par l'appelant, pour des matériaux servant au travail de l'appelant durant la période en litige, notamment le bois servant à réparer le fardier.

 

[9]     L'appelant témoigne avoir fini son emploi le 12 octobre 2001. Il a obtenu son relevé d'emploi le 18 octobre, a été réembauché le 23 octobre et a déposé sa demande d'assurance‑emploi le 24 octobre. Sur la demande de prestations (F-5), il a répondu « non » à la question 20, c'est-à-dire s'il travaillait actuellement, alors que c'était faux. Il explique s'être trompé. Il a aussi fait une autre erreur au même document, qu'il a cependant corrigée avant de soumettre sa demande.

 

[10]    L'appelant a témoigné qu'il travaillait au moment où il a fait sa demande. Les heures de travail étant différentes durant la période en litige, il s'est rendu au bureau de l'assurance-emploi durant ses heures de travail et il se serait fait dire par un représentant qu'il était admissible à l'assurance‑emploi. Il est ensuite retourné à son travail. Cependant, le 2 novembre, il a été informé qu'il n'avait pas suffisamment d'heures de travail. Il a terminé son travail le lendemain, soit le 3 novembre. Il soutient que lorsqu'il a présenté sa deuxième demande de prestations, il croyait qu'il lui manquait une demi‑heure pour avoir droit aux prestations.

 

[11]    En contre‑interrogatoire, il a reconnu s'être trompé de date lorsqu'il a témoigné avoir commencé à travailler le 23 octobre. Sa déclaration statutaire et le relevé d'emploi indiquent le 22 octobre et il travaillait depuis deux jours. Sa demande d'assurance‑emploi est datée du 24 octobre 2001. La lettre qu'il a reçue le 2 novembre mentionne qu'il avait fait 798 heures de travail et non 797,5 heures.

 

[12]    André Laroche est l'enquêteur qui a rencontré l'appelant, sa mère et son père le 22 novembre 2001. Il les a interviewés séparément et c'est à l'occasion de l'entrevue avec sa mère que cette dernière a déclaré que l'appelant est allé voir elle et son conjoint pour leur faire part de son manque d'heures de travail pour avoir droit à des prestations. Ils ont alors décidé de lui faire faire ces heures de travail. Durant la même entrevue, elle a déclaré que l'appelant avait été mis à pied pour manque de travail et d'argent pour le payer. Si son fils n'avait pas eu besoin des 112 heures, les tâches que l'appelant a accomplies auraient été reportées et faites par son conjoint pendant l'hiver.

 

[13]    Madame Louise Savard, agent des appels pour l'agence, a témoigné avoir eu des conversations téléphoniques avec l'appelant et ses deux parents. Lors de sa conversation avec l'appelant, ce dernier a mentionné avoir repris le travail le 23 octobre 2001. Lors de sa conversation avec Jacques Bissonnette, ce dernier lui a déclaré avoir acheté tôt les matériaux nécessaires aux travaux effectués par l'appelant durant la période en litige : il lui fallait commander d'avance le bois nécessaire aux réparations parce que la scierie qui le lui fournissait était fermée l'hiver. Une vérification de ce fait a indiqué le contraire, selon madame Savard. Elle termine son témoignage en repassant les faits qui l'ont amené à recommander la non‑assurabilité de l'emploi, dont les deux semaines de 56 heures alors que l'appelant travaillait habituellement 40 et qu'il n'avait pu finir le travail à la camionnette.

 

[14]    La question en litige se résume à déterminer si l'emploi pendant la période du 22 octobre au 3 novembre 2001, et qui comprend 112 heures de travail, est assurable selon les dispositions de la Loi. Il incombe à l'appelant de démontrer selon la prépondérance des probabilités que son contrat d'emploi est assurable et qu'il existe un véritable contrat de louage de services.

 

[15]    En l'espèce, la série d'incidents et les circonstances menant au nouvel emploi de l'appelant laissent facilement croire que le tout a été organisé afin qu'il ait droit à des prestations d'assurance‑emploi. Il est tout d'abord mis à pied en raison d'un manque de travail le 12 octobre 2001. Il est réembauché le 22 pour réparer une camionnette et remplacer les morceaux de bois du fardier, qui avaient été achetés il y a près d'un mois. Ce travail était à faire au moment de sa mise à pied, car la chargeuse n'avait pas encore été achetée. Le 24 octobre, l'appelant complète une demande de prestations d'assurance‑emploi et déclare ne pas travailler à ce moment‑là. Pourtant, il travaille depuis le 22 octobre, selon le relevé d'emploi. En Cour, il témoigne avoir repris le travail le 23 octobre; dans sa déclaration, il dit le 22 octobre. De plus, il ne corrige pas l'erreur dans sa réponse à la question de savoir s'il travaille actuellement dans la demande de prestations, alors qu'il prend le temps de corriger une autre réponse.

 

[16]    Le payeur, par l'entremise du père de l'appelant, achète une chargeuse le 16 octobre. Même si l'achat est effectué sous réserve du financement, il sait à ce moment‑là que la chargeuse a besoin de réparations. Pourtant, il donne un relevé d'emploi à son fils le 18 octobre. Il devait savoir à ce moment qu'il y aurait des réparations à faire à la chargeuse et il savait aussi qu'il y avait des réparations à effectuer à la camionnette et au fardier depuis septembre, en raison de l'achat de matériaux tels que peinture et bois.

 

[17]    Le deuxième relevé d'emploi contient exactement le nombre d'heures requis. Le travail a été effectué sans contrôle par le payeur relativement au nombre d'heures de travail effectuées par l'appelant. Non seulement il a un horaire de travail différent de celui pendant sa première période d'emploi, soit 56 heures par semaine au lieu de 40, mais le travail qu'il effectue est différent car maintenant il fait du travail de mécanicien alors qu'il ne détient pas le certificat de qualification. D'ailleurs, la preuve a révélé qu'il n'a pas complété le travail mécanique qu'il avait commencé à faire à une camionnette pour cette raison.

 

[18]    Il me paraît évident ici que la réponse spontanée de madame Couture à monsieur Laroche au sujet des vrais motifs pour avoir réembauché l'appelant, c'est-à-dire pour qu'il ait droit à des prestations, est véridique, tout comme le commentaire au sujet du fait qu'il s'agissait de travaux qu'un mécanicien ou que son conjoint aurait normalement effectués.

 

[19]    La correction du livre de paye est un autre effort qui semble indiquer qu'on tente de réparer les pots cassés. Comment peut-on expliquer qu'il fallait précisément deux semaines de 56 heures pour effectuer les réparations à l'équipement, et en même temps qu'il s'agit justement du nombre d'heures qu'il faut pour avoir droit à des prestations?

 

[20]    Dans Laverdière c. M.R.N., [1999] A.C.I. no 124 (Q.L.), le juge Tardif de cette Cour a affirmé que « toute entente ou arrangement prévoyant des modalités de paiement de la rétribution non pas en fonction du temps ou de la période d'exécution du travail rémunéré, mais en fonction de d'autres objectifs, tel tirer avantage des dispositions de la Loi, vicie la qualité du contrat de louage de services. » La Loi n'assure que les véritables contrats de louage de services.

 

[21]    La preuve présentée par l'appelant et les invraisemblances dans les témoignages et les documents déposés m'amènent à conclure que le contrat d'emploi en litige était un arrangement pur et simple dans le but de permettre à l'appelant d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi et en conséquence, il ne satisfait pas aux exigences d'un véritable contrat de louage de services. Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

 

 

 

 

 

« François Angers »

J.C.C.I.


 

RÉFÉRENCE :

2003CCI270

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-731(EI)

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ÉRIC BISSONNETTE

et Le ministre du Revenu national

et 2849-4366 Québec Inc.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE

3 février 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :

14 avril 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Richard Benoit

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

 

Pour l'intervenante :

Jacques Bissonnette

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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