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Dossier : 2002‑912(EI)

ENTRE :

S & F PHILIP HOLDINGS LTD. OP SOOKE HARBOUR,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de S & F Philip Holdings Ltd. Op Sooke Harbour (2002‑913(CPP)) le 5 février 2003 à Victoria (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :

Me George F. Jones

 

Avocate de l’intimé :

Me Amy Francis

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 7e jour de juin 2003.

 

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22jour de mars 2004.

 

 

 

 

Louise‑Marie LeBlanc, traductrice


 

 

 

 

 

Référence : 2003CCI384

Date : 20030607

Dossiers : 2002‑912(EI)

2002‑913(CPP)

ENTRE :

S & F PHILIP HOLDINGS LTD. OP SOOKE HARBOUR,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

 

[1]     L’appelante interjette appel à l’encontre de deux décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») datées du 25 janvier 2002 visant la modification d’une cotisation établie antérieurement pour l’année d’imposition 1998 et la confirmation de la cotisation établie pour l’année 1999 en ce qu’elles ont trait aux travailleurs désignés. Les décisions avaient été rendues conformément au paragraphe 93(3) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et au paragraphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le Règlement sur l’assurance‑emploi) ainsi qu’à l’article 12 et au paragraphe 27.2(3) du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), respectivement. Dans lesdites décisions, le ministre a établi que certains montants cotisés aux fins de cotisations d’assurance‑emploi et de contributions au Régime de pensions du Canada (RPC) étaient liés à des services fournis à l’appelante au cours des années d’imposition 1998 et 1999 par les personnes dont les noms apparaissent à l’annexe A jointe à chaque Réponse à l’avis d’appel (Réponse).

 

 

 

 

[2]     Les avocats ont consenti à ce que les deux appels soient entendus sur preuve commune. La question en litige dans les présents appels consiste à savoir si les pourboires constituent une partie des salaires assurables et/ou ouvrant droit à pension des travailleurs qui occupaient un emploi pour l’appelante pendant les années 1998 et/ou 1999. On désigne également l’appelante sous les noms de Sooke Harbour House ou de Harbour House.

 

[3]     Frédérique Philip a témoigné qu’elle est directrice et représentante de la corporation appelante qui exploite Sooke Harbour House et en est propriétaire. Il s’agit d’un hôtel de villégiature de 28 chambres hautement coté et d’un restaurant de réputation internationale, qui, lorsqu’ils ont été achetés en 1979, n’étaient qu’un gîte touristique de cinq chambres. Le complexe hôtelier est situé à Sooke sur l’île de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Mme Philip a déclaré que Harbour House n’employait tout d’abord que quatre personnes, mais que maintenant le personnel compte environ 80 employés occupant des postes dans tous les secteurs des installations, y compris l’administration, la réception, l’entretien paysager, le service ménager, la cuisine et les services alimentaires. Les seuls travailleurs visés par la question en litige sont ceux qui travaillaient à la salle à manger et ceux qui avaient fourni des services directement liés à la salle à manger. Mme Philip a déclaré que les pourboires constituent des montants laissés librement aux employés par les clients de Harbour House. Au cours des premières années, les pourboires étaient principalement offerts sous forme d’argent que les bénéficiaires gardaient sans aucune participation ou intervention de l’appelante. Plus tard, on a commencé à utiliser abondamment les cartes de crédit et les cartes de débit, et les clients ont commencé à ajouter les pourboires au total de leurs factures en chargeant la somme totale sur leur carte de crédit ou en utilisant la carte de débit de leur compte bancaire. Par conséquent, Mme Philip a expliqué que Harbour House avait dû traiter les bordereaux de carte de crédit de façon à pouvoir remettre aux serveurs l’argent que les invités avaient voulu leur laisser, mais qui était maintenant inclus dans le total de la facture portée à leur carte de crédit. Mme Philip a déclaré que les travailleurs, au cours d’un bon nombre d’années, avaient établi une entente relativement à la distribution des pourboires afin de tenir compte de la contribution indirecte des personnes qui travaillaient comme débarrasseurs, plongeurs, chefs de cuisine et d’autres membres du personnel de la cuisine. Selon le système établi, tous les pourboires, peu importe à qui ils avaient été laissés, étaient placés dans un pot aux fins de distribution, selon certains pourcentages, entre toutes les personnes qui faisaient partie de l’équipe des services alimentaires. Mme Philip a déclaré que tous les travailleurs avaient accepté que Harbour House retienne 10 p. 100 du montant total des pourboires accumulés pour couvrir les dépenses engagées pour les commissions que versent les commerçants et/ou les frais de transaction que chargent les compagnies émettrices de cartes de crédit pour faciliter une opération financière effectuée avec une certaine carte de crédit ainsi que pour compenser le travail supplémentaire que représentait le partage du montant des pourboires indiqués sur les factures des repas et la distribution subséquente de la partie appropriée aux employés qui y avaient droit. Mme Philip a déclaré que Harbour House avait reçu une copie d’une lettre, la pièce A‑1, datée du 4 novembre 1999 provenant de l’Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires par laquelle elle a appris que la loi provinciale interdisait à un employeur de déduire des pourboires des employés les frais d’administration des cartes de crédit. Par la suite, Harbour House a distribué le montant total des pourboires accumulés entre les travailleurs. Mme Philip a expliqué que la méthode utilisée maintenant par Harbour House consiste à calculer, à la fin de la soirée, le montant total des pourboires laissés par les clients de la salle à manger et à placer cette somme dans un tiroir qu’un serveur – choisi par l’équipe des serveurs à titre de représentant – vient chercher, repartit et distribue parmi les travailleurs qui y ont droit selon leur propre entente sans aucune autre participation de Harbour House. Grâce à ce nouveau système, l’appelante n’a plus à rédiger 30 ou 40 chèques toutes les deux semaines en fonction des montants qui lui étaient fournis par le représentant des travailleurs et qui étaient calculés selon la formule de distribution adoptée par les employés bénéficiaires. Mme Philip a souligné qu’en général, en Europe et plus particulièrement en France, le client n’a pas le choix de laisser un pourboire parce que l’on ajoute automatiquement un pourcentage fixe de 15 p. 100 à la facture. Toutefois, indépendamment de ce système, Mme Philip a déclaré que Harbour House devait payer une commission ou des frais de 2 p. 100 à 4 p. 100 sur toutes les opérations financières imposées par les compagnies émettrices de cartes de crédit pour tous les montants traités afin de remettre aux travailleurs leurs pourboires. Par conséquent, il en coûtait de 20 $ à 40 $ pour traiter une somme de 1 000 $ portée aux cartes de crédit afin de servir d’intermédiaire pour remettre aux travailleurs leurs pourboires. Mme Philip a déclaré qu’elle avait eu une conversation avec un vérificateur de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) qui l’avait informée qu’elle aurait à payer les cotisations d’assurance‑emploi et les contributions au RPC pour ces montants. Elle se souvient qu’on avait fait référence à un « Bulletin d’interprétation » et que la discussion avait également visé la définition d’un « pourboire contrôlé ». Selon elle, il n’y avait pas de pourboire contrôlé à Harbour House étant donné qu’on n’ajoutait aucuns frais de services aux factures, qu’il n’y avait aucun pourcentage établi attribuable aux pourboires laissés par les personnes utilisant la salle de réception ni qu’on avait conclu une entente quelconque à ce sujet avec les serveurs. De plus, Mme Philip a déclaré qu’elle n’avait jamais participé à des occasions où des pourboires en argent avaient été laissés puisque ces montants étaient distribués par les travailleurs mêmes sans que Harbour House n’intervienne. On a renvoyé Mme Philip à certaines hypothèses de fait établies au paragraphe 5 de la Réponse de l’appel de l’Assurance‑emploi. En ce qui concerne l’affirmation du ministre selon laquelle tout pourboire en argent comptant, bien qu’il soit versé directement aux travailleurs, était inscrit sur la feuille des pourboires quotidiens que tenait l’appelante, Mme Philip a déclaré que ce n’était pas exact et que les serveurs et les serveuses s’occupaient de remplir ladite feuille de pourboire qu’ils remettaient ensuite à la direction de Harbour House qui se fondait sur celle‑ci en vue d’émettre des chèques pour le montant approprié auxquels certaines personnes avaient droit. Elle reconnaît que les pourboires laissés au moyen de cartes de crédit ou de débit étaient également inscrits sur la feuille, et un des travailleurs s’assurait que les noms de tous les membres du personnel qui travaillaient ce jour‑là étaient inscrits sur le formulaire. Mme Philip reconnaît qu’au cours des années 1998 et 1999, Harbour House gardait 10 p. 100 de l’ensemble des pourboires inscrits sur la feuille, mais a expliqué que ce n’était pas les gestionnaires de Harbour House, mais les travailleurs qui calculaient le montant dû à chacun d’entre eux. Elle est d’accord avec les hypothèses du ministre établies aux sous‑paragraphes 5i) et 5j), respectivement, soit que les travailleurs recevaient un chèque à la quinzaine pour le montant des pourboires qui leur étaient dus et un autre chèque à la quinzaine, commençant la semaine suivante, pour le montant de leur salaire, mais elle insiste que Harbour House ne s’était jamais approprié leurs pourboires étant donné que l’entreprise n’agissait qu’à titre de facilitatrice afin de convertir le montant des pourboires – versés par carte de crédit sur l’ensemble de la facture – en paiement réel pour les serveurs et les serveuses. 

 

[4]     Au cours du contre‑interrogatoire, Frédérique Philip a déclaré que pendant toute la période pertinente, tous les employés de la salle à manger et de la cuisine avaient accepté le système en vigueur selon lequel Harbour House retenait 10 p. 100 de l’ensemble des pourboires. L’avocate a renvoyé Mme Philip à la feuille des pourboires, la pièce R–1, selon laquelle les débarrasseurs et les employés de la cuisine avaient droit à 15 p. 100 et 10 p. 100 de l’ensemble des pourboires, respectivement. Le reste était divisé entre les serveurs et les serveuses. Mme Philip reconnaît que Harbour House avait utilisé la feuille des pourboires à cette fin et que le comptable de l’entreprise avait vérifié les montants portés aux cartes de crédit avant de rédiger les chèques aux fins de distribution. Elle a également déclaré que c’était les travailleurs qui avaient eu l’idée du système de partage des pourboires, un système qui avait été modifié de temps à autre au fil de 20 ans. Un travailleur pouvait décider de garder ses propres pourboires et était libre de participer ou non au partage de l’ensemble des pourboires, mais il était raisonnable de supposer que cela aurait créé des problèmes avec les autres travailleurs. Dans une telle situation, Mme Philip a déclaré qu’elle aurait informé tout travailleur ayant l’intention de ne pas participer au partage des pourboires que c’était une question dont il fallait discuter avec les autres membres du personnel et que, à moins d’obtenir un consensus, elle n’aurait pas permis cette rupture du système de mise en commun déjà adopté puisque cela aurait créé des différends. On a renvoyé Mme Philip à la feuille de calcul, la pièce R‑2, qu’elle a décrit comme un document préparé à la quinzaine afin de payer aux travailleurs leurs pourboires. Systématiquement, le montant des chèques émis pour le paiement des pourboires était plus élevé que celui des chèques émis par Harbour House pour le paiement des salaires.

 

[5]     Au cours du réinterrogatoire, Frédérique Philip a déclaré que les pourboires étaient maintenant payés – en argent comptant – au personnel le jour suivant parce que le montant d’argent comptant accumulé pendant une soirée pouvait être insuffisant pour payer la somme totale due, une fois les pourboires inscrits sur les bordereaux de carte de crédit comptés. 

 

[6]     Linda Danielson a témoigné être serveuse et que depuis 1980 elle travaille le soir à la Harbour House comme femme de ménage, femme de chambre, employée de bureau, cuisinière et serveuse. Au cours des dernières années, elle a remarqué que 98 p. 100 des factures de la salle à manger sont acquittées par carte de crédit et qu’il n’y avait donc qu’une petite somme d’argent liquide disponible pour payer les pourboires des serveurs et des serveuses. Quant à la répartition des pourboires, elle a déclaré qu’au fil de bien des années, les travailleurs avaient établi la méthode appropriée de partager les pourboires, y compris avec le personnel de la cuisine et les débarrasseurs, sans que cela ne nécessite l’intervention de Mme Philip. Elle a déclaré que les employés savaient que Harbour House engageait des dépenses en vue de faciliter le paiement de ces pourboires qui avaient été ajoutés aux règlements de repas par carte de crédit. Plus tard, on a adopté le nouveau système selon lequel on payait les pourboires en argent comptant, mais Mme Danielson a déclaré que Mme Philip n’avait jamais donné de directives quant à la méthode selon laquelle l’argent des pourboires devait être distribué. Elle a également déclaré que les serveurs et les serveuses avaient toujours réussi à s’entendre sur un système de partage des pourboires et que personne ne s’y était jamais opposé parce que cela aurait causé des différends. En général, il y avait quatre serveurs et/ou serveuses pendant un même quart de travail, et chaque personne inscrivait le montant des pourboires reçus en argent, selon une entente de mise en commun et de distribution fondée sur le principe d’intégrité. 

 

[7]     Au cours du contre‑interrogatoire, on a renvoyé Linda Danielson à la pièce R‑1. Elle a déclaré qu’elle ignorait qui avait préparé ce formulaire utilisé par le comptable de Harbour House en vue de préparer des chèques aux fins de distribution des pourboires aux travailleurs. Toutefois, un représentant des serveurs et des serveuses  photocopiait le document au besoin, aux fins d’utilisation courante. Mme Danielson a expliqué que lorsqu’on engageait un nouveau membre du personnel, un des serveurs et/ou serveuses en place lui expliquait la méthode de répartition et de distribution de l’ensemble des pourboires reçus des clients de la salle à manger et de la salle de réception.

 

[8]     L’avocat de l’appelante a fait valoir que bien que la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les employés doivent déclarer leurs pourboires avec leurs revenus, cela ne signifie pas que l’employeur a d’autres responsabilités que de déclarer le montant de pourboires sur le feuillet T4 des travailleurs. L’avocat affirme que l’appelante participait à un processus de gestion comptable selon lequel les portions des montants portés aux cartes de crédit consacrées aux pourboires étaient mises en commun et partagées plus tard entre les personnes visées, autrement, cela aurait signifié que Harbour House retenait des fonds qui ne lui appartenaient pas. Les travailleurs s’étaient entendus pour payer 10 p. 100 de l’ensemble des pourboires traités pour couvrir les frais des transactions effectuées par carte de crédit ainsi que les frais de comptabilité supplémentaires engagés par l’appelante en vue de calculer les montants et d’émettre des chèques à plusieurs travailleurs à la quinzaine, des chèques autres que ceux distribués pour la période régulière de paye. L’avocat a soumis que la décision commune d’utiliser cette méthode pour remettre leurs pourboires aux travailleurs ne constituait pas une condition d’emploi ni ne pouvait pas être considérée en ce sens comme une convention collective dans le sens d’une négociation entre un employeur et son personnel syndiqué.

 

[9]     L’avocat de l’appelante a soutenu qu’en ce qui concerne les contributions au RPC, il était évident que le vérificateur de l’ADRC avait traité le dossier en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle Harbour House contrôlait les pourboires au sens de la formulation du Bulletin d’interprétation pertinent. Toutefois, l’avocat a soumis que le libellé de la disposition pertinente ne visait pas la situation factuelle du présent appel relatif au RPC et a également demandé à la Cour d’envisager l’application d’un critère particulier pour déterminer si des contributions sont dues en vertu du Régime parce que l’intention de cette mesure législative est différente de celle de la Loi.

 

[10]    L’avocate de l’intimé a fait valoir que le libellé de la disposition pertinente du Règlement sur l’assurance‑emploi en vertu de la Loi prévoit qu’un employeur doit payer les cotisations d’a.‑e. en fonction de tous les montants versés par l’employeur à un employé pour l’accomplissement d’un travail. L’avocate reconnaît que si la preuve avait montré que Harbour House n’avait jamais eu en main les pourboires, mais que les travailleurs les avaient retenus directement aux fins de distribution entre eux, ces montants n’auraient pas fait partie de la rémunération assurable et/ou des gains ouvrant droit à pension. L’avocate insiste qu’en recueillant les fonds et en les distribuant à chaque travailleur moyennant des frais de gestion de 10 p. 100, l’appelante exerçait un contrôle.

 

[11]    L’avocate a reconnu que l’on utilise un libellé différent dans les dispositions pertinentes du Régime, mais elle a soutenu que l’on devrait également considérer que les pourboires fassent l’objet d’une contribution appropriée de la part de l’employeur, Harbour House.

 

[12]    Tout d’abord, je vais traiter la question visant à savoir si les pourboires font partie des gains assurables provenant de l’emploi des travailleurs pour lesquels l’appelante, Harbour House, doit payer sa part de cotisations conformément au paragraphe 82(1) de la Loi.

 

[13]    On trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi la définition formulée en ces termes :

 

« rémunération assurable » Le total de la rémunération d'un assuré, déterminé conformément à la partie IV, provenant de tout emploi assurable;

 

[14]    La partie pertinente du paragraphe 2(1) du Règlement est ainsi rédigée :

 

2.(1) Pour l'application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l'application du présent règlement, le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l'ensemble des montants suivants :

 

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l'assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l'employeur à l'égard de cet emploi; […]

 

[15]    Dans l’affaire Canadien Pacifique Limitée c. P.G. (Can), [1986] 1 R.C.S. 678, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l’on devrait tenir compte des pourboires dans le calcul des cotisations d’assurance‑chômage que doit verser l’employeur conformément aux dispositions de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage, 1970‑71‑72 (Can.), ch. 48, en vigueur à cette époque. Dans une décision 4‑3, la Cour suprême a conclu qu’il faut tenir compte des montants versés en pourboires dans le calcul des cotisations à l’assurance‑chômage. Le juge La Forest, s’exprimant au nom de la majorité, a renvoyé à la question devant la Cour et a établi les faits pertinents en ces termes : 

 

       Ce pourvoi soulève la question du calcul de ces cotisations. Plus précisément, comme l'exprime le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 859 à la p. 860, « faut‑il, dans le calcul de ces cotisations, prendre en considération les sommes qu'un employeur a versées à ses employés après les avoir reçues de ses clients qui les lui avaient payées volontairement pour qu'il en fasse la distribution aux employés à titre de pourboires? »
 
       L'appelante, Canadien Pacifique Limitée, exploite plusieurs hôtels, y compris le Château Frontenac à Québec. La convention collective qui régissait les conditions de travail des employés du Château Frontenac à l'époque qui nous intéresse, stipulait qu'il était convenu que lorsque l'organisateur d'une réunion telle qu'une convention ou un banquet laisse des pourboires à l'hôtel pour distribution, quatre‑vingts pour cent (80 %) de ces pourboires seront distribués par l'hôtel aux employés régis par la convention collective qui auront travaillé lors de ces réunions.
 
       Conformément à cette stipulation, l'appelante a distribué certaines sommes à ses employés. Il est constant que ces montants provenaient de clients de l'appelante qui, sans obligation de leur part, les lui avaient versés pour qu'elle en fasse la distribution à ses employés à titre de pourboires. Le ministre du Revenu national a pris ces montants en considération en calculant les cotisations que devait payer l'appelante pour l'année 1978.

 

 

[16]    Après avoir examiné les dispositions législatives pertinentes prévoyant qu’un employeur doit payer des cotisations d’assurance‑chômage, le juge La Forest, après avoir exprimé ses motifs a poursuivi de la manière suivante à la page 683 :

 

            Donc ce qu'il est important de déterminer est la signification de l'expression « rémunération assurable » dans la version française de la Loi, « insurable earnings » dans la version anglaise. Ces expressions manquent peut-être de précision, bien qu'il me semble pour ma part qu'elles ont une portée plus large que, par exemple, salaire. Le juge Pratte leur a donné un sens large. Il s'est surtout appuyé sur deux décisions anglaises, une de la Cour d'appel d'Angleterre, Penn v. Spiers & Pond Ltd., [1908] 1 K.B. 766 et l'autre de la Chambre des lords, Great Western Railway Co. v. Helps, [1918] A.C. 141, où on s'était servi de l'expression « earnings ».

 

Dans l'affaire Penn v. Spiers & Bond, Ltd., précitée, la Cour d'appel d'Angleterre était saisie d'une question semblable à celle en l'espèce, soit : fallait‑il dans le calcul des indemnités payables en vertu de la Workmen's Compensation Act alors en vigueur en Angleterre, prendre en considération les pourboires reçus par l'employé? La disposition applicable exigeait que le calcul de ces indemnités se fasse en fonction des « earnings in the employment ». La Cour décida que les pourboires étaient compris dans cette expression. Prononçant le jugement de la Cour, le maître des rôles Cozens‑Hardy a dit (à la p. 769) :

 

[traduction] On a souvent fait remarquer à la Cour que l'indemnité prévue par la Loi ne représente pas un salaire, mais bien des gains. Les intimés en conviennent et admettent qu'il faut prendre en considération la valeur du logement. Cependant, il ne faut pas nécessairement prendre en considération toutes les sortes de gains. Il doit s'agir de gains provenant d'un emploi. Si un employé gagne de l'argent durant ses heures de loisir en exerçant ses talents comme, disons, prestidigitateur ou musicien, l'argent ainsi gagné augmentera son revenu, mais non ses « gains » au sens de la Loi. Tous les « gains provenant d'un emploi » ne viennent pas nécessairement de l'employeur. On sait bien qu'un grand nombre de catégories d'employés tirent une bonne part de leur rémunération d'étrangers. Mentionnons à titre d'exemples le portier d'hôtel et le conducteur de chaises de poste. Il serait absurde d'avancer que seul l'argent reçu de l'hôtelier ou du receveur des postes représente le taux hebdomadaire auquel l'employé est rémunéré.

 

                                                                                                            Dans l'arrêt Great Western Railway Co. v. Helps, précité, la Chambre des lords est arrivée à la même conclusion. Voici ce qu'en dit lord Dunedin, à la p. 145 :

 

 [traduction] La question essentielle est donc de savoir si ces pourboires sont compris dans le terme « gains » qu'emploie la Loi. Si vous demandez à une personne de vous dire en langage ordinaire ce que gagne un portier, elle vous répondra : « Bien, je vous dirai ce qu'il reçoit : il reçoit une certaine somme en salaire de son employeur et il reçoit en moyenne une certaine somme en pourboires. »

 

            Vos Seigneuries, les appelants vous demandent, dans leur plaidoirie, de limiter le sens du mot « gains » à ce que l'employé reçoit par, ce que j'appellerais, un contrat direct avec ses employeurs. Il suffit de répondre que ce n'est pas ce que dit la Loi : elle emploie le terme général « gains » plutôt que « salaires » ou que l'expression « ce qu'il reçoit de son employeur »; pratiquement, l'employeur, dans les cas où il est commun de donner des pourboires, engage, de toute évidence, un employé pour un salaire moindre qu'il ne l'aurait fait si cette autre source de rémunération n'avait pas été offerte à l'homme qui occupe ce poste.

 

[17]    Aux pages 685 à 687, le juge La Forest a poursuivi en ces termes :

 

            Le fait que le législateur se soit servi du mot « earnings » dans la version anglaise, compte tenu de ces décisions sur la signification du mot dans une loi du même genre, c'est‑à‑dire une loi touchant la « sécurité sociale », est certainement une indication de son intention. Il est à noter que la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage elle aussi prévoit que les prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi seront versées en fonction d'un pourcentage de leur rémunération assurable. Le paragraphe 24(1), modifié par 1976‑77 (Can.), chap. 54, art. 35, se lit comme suit :

 

24.(1) Le taux des prestations hebdomadaires qui peuvent être servies à un prestataire pour une semaine de chômage qui tombe dans sa période de prestations est une somme égale à soixante‑six et deux tiers pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne au cours de ses semaines de référence.

(C'est moi qui souligne.)

 

            Au Canada, dans l'affaire Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, NR 1168, 29 mars 1983, où on a traité d'une situation très semblable à celle en l'espèce, le juge Marceau, agissant comme juge-arbitre, en est arrivé à la même conclusion. Il a tenu les propos suivants :

 

En choisissant le terme rémunération et non pas celui communément utilisé de « salaire » ou « gages », le Parlement a certes voulu exprimer sa volonté d'atteindre plus que le seul salaire fixe attaché à l'emploi et ce « plus que le seul salaire » ainsi visé ne peut être que les sommes calculées à pourcentage ou autrement qu'un employé reçoit de son patron, par‑delà un salaire de base, en contrepartie des services qu'il fournit. La façon adoptée par le patron pour obtenir de ses clients ces sommes qu'il doit payer à ses employés (pourcentage inclus dans le calcul d'un prix global ou ajouté à un prix de base) et le fait que leur quotité reste à déterminer n'ont rien à voir; ce qui importe est qu'il s'agisse de sommes payables et promises par le patron en contrepartie du travail de l'employé.

 

            La conclusion à laquelle j'en suis venu est, à mon avis, fortement appuyée par d'autres dispositions de la Loi. Le paragraphe 3(1), par exemple, définit un emploi assurable notamment en ces termes :

 

3.(1) Un emploi assurable est un emploi ... qui est

     a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de d'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de quelque autre manière;

(C'est moi qui souligne.)

 

Voir aussi l'al. 2(1)k) qui définit « rémunération assurable » comme étant « le total de la rémunération... provenant de tout emploi assurable ».

 

            Les règlements adoptés en vertu de l'al. 90(1)i) de la Loi appuient aussi mon point de vue. Cet article donne au Ministre le pouvoir d'établir des règlements, en particulier :

 

90.(1) Le Ministre peut ... établir des règlements

 

[…]

 

g) concernant la définition et la détermination de la rémunération et de la période de paie;

 

            [...]

 

i) prévoyant la façon de déterminer le montant de la rémunération assurable des assurés et celui des cotisations à payer;

 

  En vertu de cette disposition, le Ministre a établi un règlement qui précise la signification de l'expression « rémunération assurable » de la façon suivante :

 

3.(1)  Le montant qui sert à déterminer la rémunération assurable d'un assuré est le montant de la rétribution, qu'elle soit entièrement ou partiellement versée en espèces, qui lui est payée par son employeur pour une période de paie, et comprend

 

a) toute somme que lui paie son employeur au titre, au lieu ou en règlement

 

(i) d'un boni, d'une gratification, d'une augmentation de rémunération avec effet rétroactif, d'une participation aux bénéfices, du paiement d'heures supplémentaires accumulées ou d'une sentence arbitrale.

(C’est moi qui souligne.)

 

            Le préambule de cet article soulève la même question concernant la signification du mot rémunération dont on a déjà parlé. En plus, l'expression « rétribution ... qui lui est payée par son employeur » dans la version française, « remuneration ... paid by his employer » dans la version anglaise, peut sembler équivoque. Selon Le Petit Robert (1984), « rétribution » signifie « ce que l'on gagne par son travail », ce qui ne nous éclaire pas tellement. Mais nous avons plus d'éclaircissement sur le mot « remuneration » qui se trouve dans la version anglaise. Dans l'arrêt Skailes v. Blue Anchor Line Ltd., [1911] 1 K.B. 360, la Cour d'appel d'Angleterre a interprété cette expression, pour les fins de la Workmen's Compensation Act de l'époque, comme englobant non seulement une prime payée au commissaire d'un navire par son employeur mais aussi les profits de vente d'alcool aux voyageurs. Si nous acceptons cette façon de voir ce mot, il me semble qu'il peut aussi bien comprendre un pourboire qui a été versé à l'employeur pour distribution à ses employés. Quant au mot « payer » qui peut aussi bien signifier une simple distribution par l'employeur que le paiement d'une créance de l'employeur, je souligne simplement que si on donne au mot « rétribution » une portée large, il faut aussi donner une signification large au mot « payer ».

 

[18]    On trouve à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, la définition actuelle d’un emploi assurable, et le libellé est identique à celui utilisé dans l’ancienne loi. En ce qui concerne le libellé du Règlement pertinent élaboré en vertu de l’ancienne loi, le juge La Forest a fait le commentaire suivant aux pages 689 et 690 :

 

            Or, le sous-al. 3(1)a)(i) clarifie ou élargit la portée de rémunération en nous disant qu'il comprend « toute somme que lui paie son employeur ... en règlement ... d'une ... gratification ». (C'est moi qui souligne). À mon avis, c'est précisément la situation qui existe en l'espèce. Le mot « gratification » qu'on retrouve à la version française comprend certainement un pourboire. Le mot gratuity que l'on retrouve dans la version anglaise est le synonyme ordinaire de pourboire.

 

            L'interprétation que je donne à l'expression « rémunération assurable » est conforme à l'objectif de la Loi qui est de verser des prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi en fonction d'un pourcentage de leur rémunération assurable. Autrement l'employé qui reçoit une bonne partie de sa rémunération sous forme de pourboires n'aurait pas droit aux avantages que lui confère la Loi au même degré que ses confrères qui reçoivent la totalité de leur rémunération directement de la poche de leur employeur. Le règlement cité, en ajoutant à la définition de rémunération toute une gamme de bénéfices qu'un employé reçoit en raison de son emploi, indique bien que l'expression doit recevoir une portée large. En plus, comme je l'ai noté, une loi ayant pour objet la sécurité sociale doit être interprétée de façon à atteindre ce but. Il ne s'agit pas d'une loi fiscale. Les arrêts Penn v. Spiers & Pond Ltd. et Great Western Railway Co. v. Helps, précités, ne sont que des illustrations du principe que je viens de formuler.

 

J'ajoute que si l'appelante est obligée de payer des cotisations en fonction seulement de la partie de la rémunération de l'employé qui vient de sa poche, elle se trouve dans une situation avantageuse par rapport aux employeurs qui paient ces cotisations en fonction de toute la rémunération que l'employé reçoit en vertu de son emploi. Il est évident que l'employeur bénéficie du fait que certains de ses employés sont dans une situation qui leur donne la possibilité de toucher des pourboires. Il peut retenir leurs services à meilleur marché. Or il me paraît injuste qu'il puisse aussi se débarrasser d'une partie de l'obligation dont tout autre employeur est obligé de s'acquitter, ou restreindre le montant des bénéfices que retirent les employés dont la rémunération vient en bonne partie de pourboires.

 

 

[19]    En concluant que l’on doit tenir compte des pourboires dans le calcul des cotisations d’assurance‑chômage, le juge La Forest a poursuivi à la page 690 en déclarant ceci :

 

            Il est vrai que ces arguments s'appliquent jusqu'à un certain point aux situations où les employés eux‑mêmes reçoivent des pourboires, bien que le par. 3(1) du règlement n'en tienne pas compte. Mais ceux qui ont rédigé le règlement ont sans doute conclu que cette façon de procéder s'impose pour des raisons administratives. Voir sur ce sujet l'arrêt Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, précité. Il est presque impossible de percevoir des cotisations sur des pourboires obtenus de cette façon et c'est pour cette raison que le règlement n'en tient pas compte. Il va de soi que la rémunération assurable comprend bien d'autres pourboires que ceux prélevés de la façon prévue en l'espèce, par exemple, ceux qui sont ajoutés en payant par carte de crédit.

(C’est moi qui souligne.)

 

[20]    L’opinion divergente rédigée par le juge Chouinard (les juges Beetz et McIntyre étant d’accord) dans l’arrêt Canadien Pacifique, précité, est révélatrice, si l’on tient compte particulièrement de la similitude des circonstances à celles des appels en l’espèce. À la page 691, le juge Chouinard a établi les faits de la manière suivante :

 

            Par une entente consignée en annexe à la convention collective liant le syndicat et l'employeur, il avait été convenu que celui-ci recevrait ces pourboires pour en faire la distribution aux employés. C'est par souci d'efficacité et d'économie que le syndicat et l'employeur ont eu recours à cette procédure vu le nombre d'employés travaillant lors des banquets et les problèmes qu'engendraient la répartition et la distribution des pourboires.

 

            Les faits suivants sont constants :

 

Ce sont les clients qui décidaient de laisser ou non des pourboires.

 

Le montant des pourboires était à l'entière discrétion des clients.

 

            L'appelante n'imposait pas à ses clients de frais de service.

 

Aucun des montants payés par les clients à titre de pourboires n'entrait dans les revenus de l'appelante.

 

             Le montant total des pourboires était remis aux employés.

 

L'appelante ne faisait que distribuer les pourboires aux employés conformément à l'entente.

 

L'intimé apporte les précisions suivantes que ne conteste pas l'appelante :

 

Les pourboires en question étaient payés à l'hôtel Le Château Frontenac lors de banquets ou réceptions qu'il organisait : l'hôtel facturait alors le client pour le montant qu'il lui avait indiqué (généralement un pourcentage de 12 à 15 %) et recevait le montant en question.

 

            Selon la convention collective intervenue avec ses employés, l'hôtel distribuait ensuite les sommes en question de la façon suivante : 80 % de ces pourboires aux employés couverts par la convention collective qui ont travaillé lors de telles réunions et 20 % aux employés non syndiqués. L'hôtel payait par chèque à chaque employé qui avait travaillé lors de ce genre de réceptions, un montant correspondant à sa part de la somme que le client avait convenu de verser à l'hôtel à titre de pourboires.

 

            Les employés travaillant lors de ces banquets recevaient aussi un salaire horaire fixé par la convention collective.

 

[21]    Dans l’arrêt Canadien Pacifique, le procureur de l’intimé avait fait valoir que l’hôtel avait payé aux travailleurs les sommes en litige conformément à une obligation qui lui incombait en vertu de la convention collective. La réponse du juge Chouinard, à la p. 701, est formulée en ces termes :

 

            Je ne puis souscrire aux propositions du procureur de l'intimé. Le paiement est bien sûr un mode d'extinction des obligations. Encore faut‑il qu'il y ait une obligation. En l'espèce, l'obligation de l'employeur est tout au plus une obligation de mandataire. S'il reçoit des clients des sommes destinées à ses employés il est obligé de les remettre. Mais s'il ne reçoit rien des clients il ne doit rien à ses employés.

 

[22]    On pourrait suggérer que l’appelante dans les présents appels agissait simplement à titre de fiduciaire de la partie du règlement des factures de chaque client attribuable au pourboire, et que la loi l’obligeait à remettre cette somme aux fins de distribution aux travailleurs qui y avaient droit. Toutefois, le respect de cette obligation comprend quand même l’acte de faire un paiement même s’il est fait conformément à un contrat de fiducie. Dans les appels en l’espèce, Harbour House a émis des chèques aux travailleurs pour des montants individuels représentant leur partie appropriée de l’ensemble des pourboires laissés par les clients. Le paiement était de nature pécuniaire et était entièrement lié au contexte de l’emploi. Même si l’entente était moins officielle que celle de l’affaire Canadien Pacifique, précitée, cela ne signifie pas qu’elle est moins importante puisqu’il est clair qu’elle régissait la situation entre les employés et Harbour House, l’employeur, relativement à un aspect important de leur emploi. Toutefois, il n’est pas particulièrement surprenant que dans un centre de villégiature comme l’hôtel exploité par Harbour House les pourboires laissés par les clients sont souvent égaux ou supérieurs aux traitements ou aux salaires versés par l’appelante. Il est clair que les pourboires constituaient une partie importante de l’ensemble de leurs gains sur lesquels on se fondait pour établir les cotisations d’assurance‑emploi ainsi que les prestations d’a.‑e. auxquelles le travailleur aurait droit s’il était mis à pied. Il semble que l’intention de tenir compte des pourboires dans le calcul des gains assurables était claire parce que la disposition pertinente du Règlement sur l’assurance‑emploi fait référence au « montant total, entièrement ou partiellement en espèces » que l’employé « reçoit ou […] bénéficie » … « versé » par l’employeur « à l'égard de » cet emploi. Dans l’affaire Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, la Cour suprême du Canada a conclu que les mots « à l’égard de » constituent l’expression ayant la signification la plus large possible si l’on veut établir un lien entre deux matières connexes traitées.

 

[23]    Dans le présent appel de l’Assurance‑emploi, si tous les clients avaient simplement laissé en main propre des pourboires aux serveurs et aux serveuses et que par la suite ces derniers auraient mis en commun ces montants respectifs afin de les distribuer plus tard selon leur propre entente, l’appelante n’aurait aucunement pris part à cette méthode et elle n’aurait payé aucune somme aux travailleurs. Tout pourboire laissé directement à un serveur aurait constitué une opération complète en soi. Il est certain qu’il se serait quand même agi d’une somme reçue par le travailleur parce qu’il travaillait à la salle à manger de Harbour House et, en ce sens, elle aurait constitué un montant « à l’égard de » l’emploi, mais l’autre élément aurait été manquant, soit le paiement du montant du pourboire au travailleur par l’employeur. Bien que ce soit avec le consentement de tous les travailleurs, Harbour House s’est chargée de la distribution des pourboires en émettant des chèques aux travailleurs qui y avaient droit moyennant des frais d’administration de 10 p. 100. En agissant de la sorte, Harbour House a pris la décision de faciliter la distribution des pourboires en intégrant tous les paiements requis dans le système de paye en place et en suivant la procédure habituelle de préparation et d’émission des chèques à l’intention des employés toutes les deux semaines. De nos jours, l’usage populaire des cartes de crédit a placé sur les employeurs de l’industrie des services de restauration et des services alimentaires un fardeau supplémentaire en ce qu’ils doivent couvrir les coûts des frais de transaction par carte de crédit ou carte de débit et doivent se charger des tâches administratives supplémentaires liées à l’émission des chèques pour couvrir le montant des pourboires provenant, théoriquement, du montant total chargé et approuvé par le client, soit le montant total de la facture, y compris les taxes et le pourboire. Il faudra peut‑être modifier les mesures législatives provinciales actuelles liées aux normes du travail afin de permettre à un employeur de déduire le montant réel des frais de transaction par carte de crédit afin qu’il puisse payer au serveur ou au bénéficiaire pertinent le montant net du pourboire après avoir tenu compte des frais de transaction applicables. 

 

[24]    Je suis conscient que dans le Règlement pertinent élaboré en vertu de l’ancienne Loi sur l’assurance‑chômage – où l’on définit la rémunération assurable – il est particulièrement indiqué que la « gratification » en fait partie. Selon moi, la définition que l’on trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l’assurance‑emploi de la Loi en vigueur de nos jours est encore plus vague en ce que l’on y fait référence au « montant total » versé « à l’égard de » cet emploi. 

 

[25]    Je n’arrive pas à trouver de motif qui justifierait de faire une distinction avec l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canadien Pacifique, précitée, et je conclus que la décision du ministre – qui ratifiait la cotisation établie conformément aux dispositions de la Loi – est correcte. 

 

[26]    La prochaine question à trancher vise l’appel relatif au RPC. La question en litige vise à savoir si les pourboires font partie des gains ouvrant droit à pension des travailleurs versés par l’appelante lorsqu’ils étaient à son emploi. Selon le ministre, étant donné que Harbour House tient un registre des pourboires, en a le contrôle et paye ensuite les travailleurs, ces pourboires constituent des gains provenant d’un emploi ouvrant droit à pension aux termes du paragraphe 12(1) du Régime et tels qu’ils sont déterminés conformément au paragraphe 5(1) et à l’article 5 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qui exige que l’appelante ait payé des contributions relativement à ces pourboires.  

 

[27]    La contribution d’un employé en vertu du Régime est établie au paragraphe 8(1) qui est ainsi rédigé :

 

Tout employé occupant chez un employeur un emploi ouvrant droit à pension verse, par retenue prévue par la présente loi sur la rémunération que lui paie cet employeur au titre de cet emploi, pour l'année au cours de laquelle cette rémunération lui est payée, une cotisation d'employé égale au produit obtenu par la multiplication du taux de cotisation des employés pour l'année par le plus petit des montants suivants :

a) les traitement et salaire cotisables de l'employé pour l'année, payés par cet employeur, moins tel montant, au titre de l'exemption de base pour l'année ou à valoir sur cette exemption, qui est prescrit;

b) le maximum des gains cotisables de l'employé pour l'année, moins le montant, s'il en est, qui est déterminé de la manière prescrite comme étant les traitement et salaire que cet employeur paie à l'employé et sur lesquels une cotisation a été versée pour l'année par l'employé en vertu d'un régime provincial de pensions.

 

 

[28]    Le montant de la contribution de l’employeur est régi par l’article 9 rédigé en ces termes :

 

Tout employeur doit, à l'égard de chaque personne employée par lui dans un emploi ouvrant droit à pension, payer pour l'année au cours de laquelle est payée à l'employé la rémunération au titre d'un emploi ouvrant droit à pension, une cotisation d'employeur d'un montant égal au produit obtenu par la multiplication du taux de cotisation des employeurs pour l'année par le plus petit des montants suivants :

a) les traitement et salaire cotisables de l'employé pour l'année, versés par l'employeur, moins tel montant, au titre de l'exemption de base de l'employé pour l'année ou à valoir sur cette exemption, qui est prescrit;

b) le maximum des gains cotisables de l'employé pour l'année, moins le montant, s'il en est, qui est déterminé de la manière prescrite comme étant les traitement et salaire de l'employé, sur lesquels une cotisation a été versée par l'employeur pour l'année à l'égard de l'employé en vertu d'un régime provincial de pensions.

 

 

[29]    Le montant des traitement et salaire cotisables est défini dans la partie pertinente suivante du paragraphe 12(1) qui est formulée en ces termes :

 

Le montant des traitement et salaire cotisables d'une personne pour une année est le revenu qu'elle retire pour l'année d'un emploi ouvrant droit à pension, calculé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, [...]

 

[30]    La partie pertinente de la Loi de l’impôt sur le revenu est le paragraphe 5(1) qui est ainsi rédigé :

 

Revenu tiré d’une charge ou d’un emploiSous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou d'un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l'année.

(Je souligne.)

 

[31]    Selon le Bulletin d’interprétation CPP‑1, [traduction] « Pourboires et gratifications », daté du 10 juin 1971, il y a deux principales façons de recevoir des gratifications et de déterminer de façon générale si le bénéficiaire contribue au Régime à titre d’employé ou de travailleur autonome. Dans le Bulletin, on décrit les « gratifications directes » comme les montants reçus directement par des personnes, par exemple des serveurs, en échange d’un service et comprend également un montant qu’un client ajoute à la facture, payée par carte de crédit, en informant le caissier de remettre ce montant directement à la personne qui a fourni le service. Dans le Bulletin, on classe également dans la catégorie des gratifications directes un montant payé volontairement par un client, soit personnellement ou à titre de représentant d’un groupe, à l’employeur ou à un employé délégué aux fins de distribution entre les employés qui ont fourni le service en autant qu’il n’y a pas d’accord contractuel entre l’employeur et les employés en ce qui concerne la méthode de distribution. Dans les circonstances où les pourboires peuvent être considérés une gratification directe, le ministre accepte que les bénéficiaires de cette gratification puissent traiter les montants ainsi reçus de la même manière que les gains d’un travailleur autonome, et payer des contributions sur ces montants en versant les deux parties de ladite contribution.

 

[32]    Selon le Bulletin, le ministre considère que les gratifications contrôlées constituent celles contrôlées par un employeur ou qui, en raison d’un accord contractuel, passent entre les mains de l’employeur avant d’être remises à la personne ayant fourni le service. Lorsque ces conditions sont présentes, le montant de ces pourboires constitue un traitement ou un salaire sur lequel l’employeur doit verser des contributions au Régime. Les circonstances possibles sont établies au paragraphe 4 du Bulletin et sont ainsi formulées :

 

                   [traduction]

 

a) lorsque des frais de service sont ajoutés à la facture d’un client pour couvrir les pourboires;

 

b) lorsqu’un pourcentage est ajouté à la facture d’un banquet afin d’inclure les pourboires des serveurs et des autres membres du personnel; 

 

c) lorsque les pourboires sont mis en commun selon le contrat de travail afin d’être partagés plus tard avec d’autres employés; 

 

d) lorsque les pourboires reçus sont remis à l’employeur aux termes d’une condition d’emploi. 

 

[33]    La preuve appuyant le présent appel relatif au RPC indique clairement qu’aucune de ces conditions ne s’appliquait à la méthode de distribution utilisée à Harbour House pendant les années 1998 et 1999. Les pourboires étaient mis en commun selon une entente bien établie entre les travailleurs et adoptée par l’appelante à titre de politique de l’entreprise. Les pourboires n’étaient pas remis à l’appelante aux termes d’une condition d’emploi, mais ils étaient inextricablement rattachés au paiement de la facture de la salle à manger du client, et le montant de la gratification ne pouvait être remis que si Harbour House acceptait de traiter cet élément du paiement global de la facture dans son système de carte de débit et de crédit. On n’ajoutait pas de montant fixe à la facture du client, que ce soit pour un service fourni à la salle à manger ou pour le service de la salle de réception. Par conséquent, le montant ajouté à titre de gratification variait, et il est fort improbable que les clients étaient au courant du système de mise en commun et de partage des pourboires entre tous les serveurs et serveuses et les employés de la cuisine.

 

[34]    L’avocat de l’appelante a fait valoir que le vérificateur de l’ADRC avait indiqué à Frédérique Philip la raison de la cotisation au RPC : selon le ministre, les pourboires laissés aux employés de Harbour House constituaient des [traduction] « gratifications contrôlées » au sens du Bulletin d’interprétation CPP‑1. Toutefois, puisque les faits établissent clairement que les montants ne correspondent pas à cette catégorie, l’avocat a demandé que la cotisation établie en vertu du Régime soit annulée. 

 

[35]    La question en litige ne vise pas à savoir si la cotisation – et sa confirmation ultérieure par le ministre – est fondée sur une interprétation correcte de la formulation de ce Bulletin ou sur l’opinion d’un représentant du secteur de la vérification à l’ADRC. Il faut plutôt examiner les dispositions du Régime et de la Loi de l’impôt sur le revenu établies plus tôt, afin de déterminer si la cotisation s’appuie solidement sur les mesures législatives. 

 

[36]    D’ordinaire, on ne considérerait pas comme « traitement et salaire » les montants reçus à titre de gratifications. En général, on doit pouvoir classer les pourboires dans une certaine catégorie de services fournis pour que l’on considère qu’ils font partie du traitement et/ou du salaire tout comme la rémunération versée régulièrement par un employeur sur une base horaire, hebdomadaire, quotidienne, mensuelle ou annuelle ou celle qui est liée au travail à la pièce ou à commission que l’on peut facilement calculer dans un cas comme dans l’autre selon le travail accompli. En général, le terme « traitement » est lié à la rémunération versée aux professionnels, aux employés de bureau et aux fonctionnaires travaillant à temps plein, à savoir les cols blancs. Quant aux gens de métier, les travailleurs de la construction, les opérateurs d’équipement et de machinerie lourde, les employés d’usine et d’autres personnes qui n’occupent pas de poste de supervision et que l’on classe dans la catégorie des travailleurs manuels ou des cols bleus, ils reçoivent habituellement une rémunération horaire. Le terme « traitement et salaire cotisables » est utilisé aux articles 8, 9 et 12 du Régime. En utilisant le terme « cotisables » pour qualifiés « traitement et salaire », cela change la signification habituelle de ce terme en raison de l’intention particulière de la législation. On peut voir précisément comment la signification a été modifiée afin de satisfaire l’intention du Régime en examinant l’article 12 où l’on décrit le montant des « traitement et salaire cotisables » de l’employé de la manière suivante : « Le montant des traitement et salaire cotisables d'une personne pour une année est le revenu qu'elle retire pour l'année d'un emploi ouvrant droit à pension, calculé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, […]. » Il ne fait aucun doute que tous les travailleurs occupaient un emploi ouvrant droit à pension pour l’appelante en 1998 et/ou en 1999 et que leur traitement et salaire, sauf les pourboires, ont fait l’objet de contributions tant de la part des employés que de l’employeur.

 

[37]    Il est bon d’examiner de nouveau la formulation du paragraphe 5(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et de souligner qu’on y indique que le revenu du contribuable est « le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l'année ». Les employés de Harbour House devaient déclarer tous leurs pourboires dans le calcul de leur revenu, qu’ils les aient reçus directement des clients ou qu’ils leur aient été versés selon un système géré par le personnel comptable de l’appelante. Cependant, les pourboires reçus directement ou mis en commun et partagés entre les travailleurs sans que l’appelante n’y touche pourraient faire l’objet de contributions au RPC par les travailleurs selon le taux appliqué aux travailleurs autonomes. Par conséquent, il est difficile d’imaginer qu’un employeur, y compris l’appelante dans les présents appels, puisse connaître le montant des pourboires laissés directement aux travailleurs, à moins que ces derniers ne divulguent ces montants de leur propre gré. Toutefois, il était possible de connaître le montant des pourboires gérés par l’appelante et payés sous forme de chèques aux employés qui y avaient droit. Ce montant devait être inclus dans le calcul du revenu de l’employé en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu. Le fait qu’au moment de produire sa déclaration de revenus, l’employé et/ou le contribuable devait également déclarer d’autres sommes reçues directement des clients n’empêche pas d’inclure le montant connu des pourboires payé par l’appelante dans la définition des traitement et salaire cotisables applicables au travailleur. Le terme « rémunération », selon l’utilisation qu’on en fait aux articles 8 et 9 du Régime, a un sens plus large que « salaire » et/ou « traitement » et comprend un « bien matériel ou moral donné ou reçu pour une bonne action, un service rendu, des mérites particuliers » ou « argent reçu pour prix d’un service, d’un travail » selon les définitions de « récompense » et de « rémunération » dans le Nouveau Petit Robert, CD‑ROM, version 2.1, Paris, Dictionnaires le Robert / VUEF, 2001. On a également conclu, que le terme « rémunération » avait une signification vaste, comme on en a discuté dans les motifs du jugement du juge La Forest de l’affaire Canadien Pacifique, précitée.

 

[38]    On connaissait le montant des pourboires distribués aux travailleurs par Harbour House pendant les années 1998 et 1999 et on avait inscrit ce renseignement sur le feuillet T4 préparé pour chaque travailleur aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, ces montants auraient dû faire partie des traitement et salaire cotisables de chaque employé, non parce que les pourboires font généralement partie de cette catégorie, mais parce que chacun des chèques émis par l’appelante pour payer le montant des pourboires constituait une partie du revenu du travailleur qui devait être déclaré comme tel en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon l’exigence déterminante de l’article 9 du Régime relativement au montant de la contribution de l’employeur, la rémunération doit être versée à l’employé par l’employeur. Par conséquent, ces pourboires laissés directement aux employés sans l’intervention de Harbour House dans leur réception ou leur distribution ne répondent pas à ce critère. De plus, à l’article 12 du Régime, quand on fait référence au montant des traitement et salaire cotisables d’une personne pour l’année, on utilise la formulation suivante : « le revenu qu'elle retire pour l'année d'un emploi ouvrant droit à pension, calculé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, […] ». Selon moi, il faut donner aux mots « calculé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu » le sens que le revenu « doit être calculé » ou « devrait être calculé » et non réserver l’usage de l’expression au temps passé. Il va sans dire que l’obligation de déclarer les pourboires comme revenu repose sur l’employé, mais dans la mesure où l’employeur a versé une rémunération, sous forme de pourboires, à un employé relativement à son emploi ouvrant droit à pension, et que le montant des pourboires payés faisaient déjà partie du revenu de l’employé conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, on peut également utiliser ce montant pour calculer la contribution de l’employeur et de l’employé en vertu du Régime

 

[39]    J’ai examiné l’intention de la Loi par rapport à celle du Régime. Il va sans dire que la question des prestations d’a.‑e., si et lorsque ces dernières sont nécessaires, constitue une préoccupation plus urgente pour une jeune serveuse ou un jeune serveur ou pour tout employé de la cuisine que toute inquiétude liée à la planification de la retraite qu’ils prendront dans 30 ou 40 ans. Dans cette optique, il est possible d’adopter deux approches. La première consiste à considérer que les dispositions du Régime ne s’appliquent qu’aux éléments visibles de la rémunération attribuable aux traitement et salaire parce que cela semble correspondre de plus près à l’intention du Parlement, c’est‑à‑dire de limiter les contributions à cette source sans se soucier d’autres revenus obtenus sous forme de gratifications. Toutefois, dans le marché de l’emploi moderne, un bon nombre de personnes travaillent dans l’industrie de la restauration et ont choisi d’en faire une carrière. Pendant toute leur vie, ces personnes dépendront du calcul approprié de leurs gains ouvrant droit à pension pour recevoir le montant de pension adéquat qui leur sera versé plus tard en vertu du Régime. La travailleuse, Linda Danielson, a témoigné qu’elle avait occupé différents emplois pour Harbour House pendant dix‑huit ans, et qu’en 1998 et 1999, elle travaillait comme serveuse dans la salle à manger et/ou la salle de réception. Lorsqu’une personne occupe un emploi dont une partie importante, ou peut‑être la majeure partie, de son revenu provient d’étrangers qui, de leur propre gré, donnent une somme pour des services reçus dans le contexte d’un emploi ouvrant par ailleurs droit à pension, il semble raisonnable de tenir compte du montant de ces pourboires pour calculer les contributions au RPC de l’employeur et de l’employé conformément aux dispositions pertinentes du Régime. Dans leur déclaration de revenus, les travailleurs doivent déclarer comme revenu les pourboires qui leur ont été remis directement sans que l’employeur ne le sache ni n’intervienne dans leur distribution ultérieure. Tout montant reçu provenant de cette source pourrait, au choix de l’employé et selon le Bulletin d’interprétation CPP‑1, faire l’objet d’une contribution supplémentaire au Régime selon le taux applicable aux travailleurs autonomes, même s’ils proviennent de toute évidence d’un emploi. Il est probable, comme l’a exprimé le juge La Forest dans l’arrêt Canadien Pacifique, précité, lorsqu’il discutait de la perception des cotisations d’assurance‑chômage sur les pourboires, que l’on a établi la politique selon laquelle les contributions au RPC ne sont pas obligatoires en ce qui concerne les pourboires pouvant être classés comme gratifications directes, même s’ils constituent un revenu à déclarer, en raison des difficultés administratives liées à cette procédure et de l’incidence peu importante sur le calcul des gains totaux ouvrant droit à pension.

 

[40]    Tous les faits précités me semblent quelque peu complexes si l’intention du Parlement vise à ce que les dispositions pertinentes de la Loi et du Régime soient comprises par les jeunes personnes qui débarrassent les tables ou qui coupent les légumes dans la cuisine d’un établissement de l’industrie de la restauration. C’est aussi une tâche exigeante pour les exploitants de ces entreprises étant donné que la loi provinciale, du moins en Colombie‑Britannique, semble interdire la déduction même du montant total des frais de transaction par carte de crédit ou de débit, soit de 2 p. 100 à 4 p. 100, du montant total des pourboires avant la distribution de ces derniers aux travailleurs. De plus, les employeurs doivent payer des cotisations d’a.‑e. et des contributions au RPC sur des montants qu’ils n’ont pas vraiment payés à leurs employés sous forme de salaire ou de traitement, mais qui provenaient plutôt d’étrangers qui n’étaient pas au courant de la relation employeur‑employé. Bien qu’elles soient anormales, ces exigences peuvent probablement être justifiées en examinant l’ensemble de la situation et en associant ces dépenses supplémentaires au coût d’exploitation général d’une entreprise. De nos jours, presque tous les commerces acceptent les paiements par carte de crédit ou carte de débit et prennent en charge les frais de transaction, les frais de paiement et les coûts mensuels liés à l’équipement approprié nécessaire parce que l’on a décidé d’offrir cet avantage aux clients ou en vue d’augmenter le volume des ventes ou tout simplement d’essayer de survivre dans un marché très concurrentiel. 

 

[41]    Comme nous l’avons déjà indiqué, la décision du ministre selon laquelle il ratifiait la cotisation établie le 5 octobre 2000 – en conformité avec la Loi – est correcte, et par conséquent, le présent appel est rejeté.

 

 

[42]    Conformément aux motifs qui précédent, l’appel interjeté à l’encontre de la décision du ministre selon laquelle il ratifiait une cotisation établie le 5 octobre 2000 – en vertu du Régime – est également rejeté.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 7e jour de juin 2003.

 

 

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22jour de mars 2004.

 

 

 

 

 

Louise‑Marie LeBlanc, traductrice

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