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Dossier : 2003-128(EI)

ENTRE :

3087-6452 QUÉBEC INC.

(AGENCE LE MONDE),

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 2 mai 2003 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge : Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Christian Leblanc

 

Représentante de l'intimé :

Antonia Paraherakis (Stagiaire en droit)

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JUGEMENT

 

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi concernant une décision du ministre du Revenu national en date du 1er novembre 2002 est accordé et la décision rendue par le Ministre est infirmée, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada ce 3e jour de juin 2003.

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


 

 

 

 

Référence : 2003CCI385

Date : 20030603

Dossier : 2003-128(EI)

ENTRE :

3087-6452 QUÉBEC INC.

(AGENCE LE MONDE),

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») en date du 1er novembre 2002 selon laquelle madame Joan Bureau aurait exercé un emploi assurable durant la période du 25 mars 2001 au 30 mars 2002 auprès de l'appelante.

 

 

[2]     Les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse ») comme suit :

 

a)         L'appelante est une agence de placement qui offre un service d'interprétariat et de traduction judiciaire;

 

b)         Le payeur se sert d'une liste d'environ 600 à 1 000 interprètes afin de pourvoir aux besoins de ses clients;

 

c)         Ses principaux clients sont la Cour municipale de Montréal ainsi que différents postes de police de la région métropolitaine de Montréal;

 

d)         Durant la période en litige, Mme Joan Bureau a été appelée par l'appelante à travailler comme interprète;

 

e)         Elle travaillait sur appel;

 

f)          Elle servait d'interprète aux personnes sourdes;

 

g)         Elle travaillait chez les clients du payeur;

 

h)         Le client du payeur contrôlait et dirigeait la travailleuse;

 

i)          Le payeur paie les interprètes selon un tarif qu'il a lui‑même établi;

 

j)          La travailleuse était rémunérée selon un tarif horaire de 20 $ dont un minimum de trois heures était garanti;

 

k)         Le payeur remboursait les frais de transport en taxi lorsque la travailleuse rendait des services la nuit;

 

l)          Le payeur facturait son client;

 

m)        La travailleuse facturait le payeur mensuellement.

 

 

[3]     Monsieur Giovanni Sciascia, le président de l'appelante, messieurs Yvan Hart et Alexandre Kubacki ont témoigné pour la partie appelante. Monsieur Alain Lacoste a témoigné pour la partie intimée.

 

 

[4]     Monsieur Sciascia est le seul actionnaire de l'appelante. Il est lui aussi interprète officiel. Il a admis les alinéas 5a) à 5g), 5i) et 5k) à 5m) de la Réponse. En ce qui concerne l'alinéa 5h) de la Réponse, il affirme que le client du payeur ne contrôlait pas ni ne dirigeait la travailleuse.  Elle devait faire le travail d'interpréter correctement ce qui était dit par le témoin et ce qui était dit par le juge. En ce qui concerne la rémunération mentionnée à l'alinéa 5j) de la Réponse, il a expliqué que la travailleuse est rémunérée par bloc de trois heures, qu'elle ait travaillé cinq minutes ou pas du tout.

 

 

[5]     Le témoin explique que l'agence offre des services d'interprétariat et de traduction judiciaire. Des demandes d'interprétariat sont faites auprès de l'agence, soit par un avocat, soit par la cour ou soit par la police. L'agence appelle alors un interprète pour s'assurer de ses services auprès du client.

 

 

[6]     Dans la présente affaire, la travailleuse est une interprète gestuelle. La secrétaire de l'agence durant le jour ou M. Sciascia durant la nuit indique à l'interprète l'endroit où se rendre. En arrivant, elle tend une feuille de présence au greffier de la cour (pièce A‑2). Le greffier y indique si les services de l'interprète ont été requis dans l'avant‑midi ou dans l'après‑midi.

 

 

[7]     La pièce A‑3 sont les réclamations pour honoraires faites par la travailleuse auprès de l'agence. On y voit qu'au mois de novembre 2001, elle a travaillé trois après‑midi. Au mois de décembre 2001, elle a travaillé deux après‑midi. Au mois de février 2001, elle a travaillé deux après‑midi. Au mois de mars 2001 elle a travaillé une fois, au mois de mai 2001 deux après‑midi, le mois de juin 2001 quatre journées ou parties de journées, le mois de mars 2002, une fois, le mois de juin 2002, deux fois.

 

 

[8]     La travailleuse, madame Bureau n'est pas venue témoigner pour décrire ses conditions de travail. Son absence n'a pas été expliquée.

 

 

[9]     Le deuxième témoin, monsieur Yvan Hart, a expliqué qu'il travaillait sur une base continue pour le ministère de l'Éducation à titre d'interprète gestuel. Son nom est également dans le répertoire de l'appelante et à plusieurs reprises il a rendu des services pour cette dernière. Monsieur Alexandre Kubacki a aussi son nom dans le répertoire de l'appelante. Il est un interprète dans les langues anglaise, française, espagnole et à l'occasion hindi. Tous les deux ont mentionné que lorsqu'ils travaillaient pour l'appelante c'était à titre de pigistes ou de travailleurs autonomes.

 

[10]    Monsieur Alain Lacoste, agent aux appels, a expliqué qu'il a parlé avec monsieur Sciascia. Ce dernier lui a confirmé que son entreprise était une agence de placement. Il a alors conclu, sans poser plus de questions quant aux conditions de travail de la travailleuse, que l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance‑emploi (le « Règlement ») s'appliquait.

 

 

[11]    L'avocat de l'appelante s'est appuyé sur la décision du juge suppléant Porter de cette Cour dans Saskatchewan Deaf and Hard of Hearing Services Inc. c. M.R.N., [2001] A.C.I. no 38 (Q.L.). Dans cette affaire, l'appelante était un organisme à but non lucratif qui mettait des interprètes à la disposition des personnes sourdes, malentendantes ou atteintes de surdité post linguistique. Le travailleur avait été embauché pour offrir ce genre de service. L'appelante soutenait avoir embauché ce travailleur à titre d'entrepreneur indépendant pour qu'il se joigne à l'équipe d'interprètes qu'elle employait et ce, aux termes d'un contrat d'entreprise. Le Ministre avait jugé qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services.

 

 

[12]    L'avocat de l'appelante indique que le juge Porter a analysé le sens à donner à l'alinéa 6g) du Règlement, qui se lit ainsi :

 

6          Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

...

 

g)         l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

 

 

[13]    L'avocat fait valoir que le juge Porter, a conclu, en s'appuyant sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Vulcain Alarme Inc. c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 749 (Q.L.), qu'il faut déterminer s'il existe entre l'interprète et le client de l'agence un lien de subordination. Le juge Porter a conclu en analysant les conditions de travail du travailleur qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de travail.

 

[14]    La représentante de l'intimée s'est appuyée sur les décisions de la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Agence de Mannequins Folio Inc., [1993] A.C.F. no 910 (Q.L.) et Sheridan c. Canada, [1985] A.C.F. no 230 (Q.L.). Dans les deux cas, il s'agissait d'une agence de placement, dans le premier cas, de mannequins, dans le deuxième, d'infirmières. La représentante de l'intimée a fait valoir que l'appelante était une agence de placement et que la travailleuse était sous la direction et le contrôle du juge ou de la police, selon le cas, et qu'ainsi son emploi est un emploi assurable au sens de l'alinéa 6g) du Règlement.

 

 

Analyse

 

[15]    Je cite à nouveau l'alinéa 6g) du Règlement :

 

6.         Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

...

 

g)         l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

 

[16]    Les mots essentiels dans le texte de ce Règlement sont « sous la direction et le contrôle ». Pour déterminer si un emploi est assurable il faut donc s'assurer si la personne est sous la direction et le contrôle du client de l'agence ou en d'autres termes il s'agit de déterminer s'il y a un lien de subordination entre le travailleur et le client de l'agence.

 

 

[17]    Pour ce faire, il faut prendre en compte les conditions de travail entre la travailleuse et le client de l'agence. Ces conditions sont-elles analogues à celles d'un contrat de travail ou à celles d'un contrat d'entreprise? 

 

 

[18]    Le contrat de travail est ainsi défini à l'article 2085 du Code civil du Québec (le « Code ») :

 

ART. 2085 Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[19]    Le contrat d'entreprise ou de service est ainsi défini à l'article 2098 du Code :

 

ART. 2098 Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[20]    Il faut se rappeler ici que la travailleuse, madame Bureau, n'est pas venue décrire ses conditions de travail. Il faut donc se référer aux documents produits et aux témoignages apportés par d'autres personnes que la travailleuse. La description des conditions de travail de madame Bureau correspond prima facie au contrat d'entreprise et pas du tout au contrat de travail.

 

 

[21]    La travailleuse agit comme interprète pour les différents clients de l'agence : les cours, la police et d'autres. Elle doit rendre le service professionnel pour lequel elle s'est présentée, au moment et au lieu prévus. Elle ne travaille pas exclusivement pour l'appelante ni pour aucun client de l'appelante. Son travail est un travail sporadique, non continu, selon les besoins des clients de l'agence et selon les disponibilités de la travailleuse. Elle a travaillé quelques jours à chaque mois de la période en question. Elle change de lieux de travail selon les besoins des clients et selon ses propres disponibilités. Il n'y a dans cette affaire aucun élément de lien de subordination entre la travailleuse et un client de l'agence.

 

 

[22]    En ce qui concerne les autres critères utilisés pour distinguer un contrat de travail d'un contrat d'entreprise, la travailleuse en tant qu'interprète fournit ses propres outils. Il n'y a pas d'intégration à l'entreprise de l'appelante ni à celle du client. Il s'agit de l'entreprise de la travailleuse. Il y a pour madame Bureau des chances de profit.

 

[23]    En conclusion, il s'agit d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de travail. L'appel est en conséquence accordé.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2003.

 

 

 « Louise Lamarre Proulx » 

J.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI385

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-128(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

3087-6452 Québec Inc. (Agence Le Monde)

et le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 2 mai 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :

le 3 juin 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Christian Leblanc

 

Représentante de l'intimé :

Antonia Paraherakis

(Stagiaire en droit)

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Christian Leblanc

 

Étude :

Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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