Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2006-3484(IT)I

ENTRE :

JAMES FALKENER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appels entendus les 20 et 21 août 2007, à Kelowna (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Dewey Lotoski

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003 sont accueillis avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que :

 

(i)      l’article 31 de la Loi ne s’applique pour aucune des années en litige;

 

(ii)      dans le calcul de son revenu, l’appelant a le droit de déduire les dépenses contestées pour les fournitures pour animaux domestiques et les frais de vétérinaire énoncés dans la pièce A‑2;

 

(iii)     dans le calcul de son revenu, l’appelant a le droit de déduire des dépenses supplémentaires et a droit à une déduction supplémentaire pour déduction du coût en capital, comme il est convenu entre les parties et consigné dans la pièce A‑2.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2007.

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI514

Date : 20070925

Dossier : 2006-3484(IT)I

ENTRE :

JAMES FALKENER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bowie

 

[1]     Six appels ont été interjetés à l’encontre des cotisations d’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003. La principale question en litige pour chacune des années est de savoir si les pertes agricoles de M. Falkener doivent être limitées conformément aux dispositions de l’article 31 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Dans ses cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a également refusé de déduire certaines des dépenses dont M. Falkener avait demandé la déduction dans le calcul de son revenu en tenant pour acquis qu’il s’agissait de dépenses personnelles et que l’alinéa 18(1)h) de la Loi interdisait donc leur déduction.

 

[2]     M. Falkener est né au Canada en 1957. À l’âge de deux ans, sa famille a déménagé en Angleterre. Il a demeuré là jusqu’en 1977, puis il est venu vivre au Canada. Pendant la plus grande partie des 18 années où il a vécu en Angleterre, il demeurait avec sa famille sur une ferme. Son grand‑père était fermier, tout comme plusieurs autres membres de sa famille, mais il n’a pas lui‑même exercé d’activités agricoles pendant cette période de sa vie. Il a terminé ses études secondaires en Angleterre et il est venu vivre au Canada alors qu’il avait environ 20 ans. Il a occupé divers emplois, mais aucun dans le domaine agricole, avant de décider de devenir expert en sinistres dans la trentaine. Il est devenu un expert en sinistres autorisé en 1989 et a continué d’exercer ces fonctions à temps plein jusqu’à la fin de l’année 1993.

 

[3]     C’est au début des années 90 que M. Falkener a commencé à penser à changer de style de vie et en est venu à considérer l’élevage de lamas comme une occupation à laquelle il pourrait se livrer à la retraite. Il a acheté une propriété d’environ cinq acres qui comportait une maison et une grange, laquelle propriété était située à environ 50 kilomètres à l’est de Kamloops (C.‑B.). Il a également rencontré un certain M. Govett à ce moment‑là. M. Govett exploitait déjà une entreprise d’élevage de lamas avec un certain succès. M. Govett l’a encouragé, et il a fait beaucoup de recherches dans le domaine des entreprises d’élevage de lamas. Il a visité d’autres éleveurs pour voir comment ils fonctionnaient et il a lu sur le sujet. M. Govett avait établi un plan d’entreprise pro forma pour lui‑même et les autres et il en a fait profiter M. Falkener également. À la suite de ses recherches, M. Falkener a conclu qu’une propriété de cinq acres serait tout à fait suffisante pour élever un troupeau de 20 lamas. Il a déménagé dans la maison que lui et sa femme avaient achetée avec la propriété et il a commencé à apporter les améliorations nécessaires pour que la propriété puisse être utilisée pour l’élevage de lamas.

 

[4]     Pendant les deux ou trois années suivantes, M. et Mme Falkener ont consacré beaucoup de temps et d’énergie et investi beaucoup d’argent pour améliorer la propriété en installant des clôtures, des abris d'alimentation pour les animaux et d’autres structures, et en divisant la terre en de nombreux enclos et champs distincts pour que les animaux puissent paître. Ils ont amélioré le réseau d’alimentation en eau et refait l’installation électrique de la grange. Ils ont également commencé à effectuer des travaux importants pour rénover et agrandir la maison dans le but d’améliorer la surface habitable et d’intégrer certains aspects de l’entreprise, comme la tenue des livres et le traitement de la fibre de lama. Ces travaux n’ont pas tous été effectués entre 1991 et 1993. Il s’agit d’un processus continu qui s’est étalé sur de nombreuses années.

 

[5]     M. Falkener a acheté son premier lama en 1993. Il s’agissait d’un lama de race qui coûtait 5 000 $. Les lamas sont des animaux qui vivent en troupeau. Ils n’aiment pas vivre seuls. M. Falkener a été en mesure d’emprunter un lama pour qu’il vive avec le premier lama qu’il avait acheté. M. Falkener prévoyait créer un troupeau d’environ 20 animaux de haute qualité en achetant des bêtes et en les mettant à la reproduction. Selon lui, le troupeau pourrait ultérieurement lui permettre de gagner un revenu de plus de 100 000 $. Le revenu serait tiré en partie de la vente de bêtes et de la fibre de lama. Il a expliqué que les bêtes de haute qualité peuvent être vendues aux autres éleveurs et que celles dont la qualité est moins élevée peuvent être vendues pour divers usages, quoique à des prix beaucoup plus bas. On obtient la fibre en tondant les animaux annuellement, en procédant à peu près de la même façon que pour les moutons. La laine est alors cardée et tissée.

 

[6]     Dans le cadre de son plan, M. Falkener a acheté deux autres lamas en 1993 et en 1994. De plus, un lama est né en 1994, trois en 1995, en 1996 et en 1997, un en 1998, deux en 1999 et un en 2000. En 1997, son troupeau comptait 15 bêtes, et il a encore la même taille aujourd’hui.

 

[7]     En 1996, il s’est produit un événement important que M. Falkener n’aurait pas pu prévoir et qui a eu une incidence considérable sur ses plans. Cette année‑là, le gouvernement canadien a changé sa politique de longue date qui restreignait sérieusement l’entrée de lamas d’origine étrangère dans le pays. M. Falkener et M. Govett ont tous les deux témoigné que ce changement apporté à la politique canadienne a eu d’énormes répercussions sur le prix pouvant être obtenu pour un lama adulte au Canada. Non seulement les importations ont eu pour effet d’augmenter de façon considérable l’offre de lamas, mais un vent de panique a aussi soufflé chez les éleveurs de lamas, qui se sont mis à vendre leurs bêtes. Bon nombre d’entre eux étaient relativement nouveaux sur le marché et ne connaissaient pas vraiment les forces du marché. Les prix des animaux reproducteurs ont chuté presque du jour au lendemain pour atteindre environ 10 % à 20 % de ce qu’ils étaient. Du point de vue de M. Falkener, cela n’aurait pas plus mal tomber. Il avait acheté ses lamas avant l’effondrement du marché, mais aucun d’entre eux n’était prêt pour le marché.

 

[8]     Devant cette modification du milieu économique, M. Falkener a décidé de ne pas vendre alors que le marché était si déprimé et de conserver son troupeau. M. Govett et lui étaient tous les deux d’avis que le marché se redresserait, du moins dans une certaine mesure, lorsqu’il était devenu évident pour les éleveurs de lamas canadiens que le pays n’était pas sur le point d’être envahi d’animaux importés. Dans une certaine mesure, il s’est avéré qu’ils avaient raison, même si les prix sont restés beaucoup plus bas que ce qu’ils étaient avant 1996. Comme il n’avait tiré aucun revenu de la vente de lamas, M. Falkener avait besoin de ressources pour continuer de payer les dépenses liées à l’entretien du troupeau. Il a commencé à établir son entreprise de vente de la fibre comme source de revenu, mais il n’était certainement pas capable de supporter les dépenses liées à l’entretien du troupeau en attendant que le marché se redresse.

 

[9]     En 1997, M. Falkener a pris des mesures pour rétablir sa licence d’expert en sinistres. Vers la fin des années 90, une série de catastrophes ont touché les États‑Unis, ce qui a donné lieu à de nombreuses demandes de règlement et entraîné une demande concomitante relative aux services d’experts en sinistres indépendants. M. Falkener a été en mesure d’obtenir une partie du travail découlant de ces demandes. Pour faire son travail, il devait très souvent voyager dans les états du Midwest et du sud des États‑Unis, mais, cela lui a permis d’obtenir un revenu monétaire suffisant pour répondre aux besoins de la ferme d’élevage de 1998 à 2003. Son épouse participait avec lui à l’exploitation de la ferme d’élevage depuis le début et elle était capable de faire ce qu’il fallait quand il devait s’absenter.

 

[10]    Le répartiteur de l’impôt était d’avis que la ferme d’élevage de lamas était une entreprise secondaire ou accessoire pour M. Falkener et qu’il était principalement un expert en sinistres. Cette conclusion n’est pas appuyée par la preuve dont j’ai été saisi. Si cela avait été le cas, je ne crois pas que M. Falkener aurait renoncé à sa licence lorsqu’il l’a fait. Il aurait également fort probablement consacré plus de temps à son entreprise de règlement de sinistres et moins de temps à sa ferme d’élevage. Il a témoigné que, lorsqu’il acceptait du travail en tant qu’expert en sinistres après 1996, il indiquait clairement aux compagnies d’assurances qui avaient recours à ses services que, s’il se produisait un événement imprévu sur sa ferme d’élevage qui exigeait son retour avant la fin de son travail, il quitterait l’endroit où les demandes de règlement étaient effectuées pour s’occuper de sa ferme d’élevage. Il semble que les clients trouvaient cela acceptable la plupart du temps. J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel il avait décidé de redevenir expert en sinistres seulement parce qu’il avait besoin de gagner un revenu pour remplacer le revenu qu’il avait prévu tirer de la vente de lamas destinés à la reproduction et que son revenu était utilisé pour maintenir l’entreprise d’élevage de lamas à flot.

 

[11]    M. Falkener est un participant actif dans les organisations provinciales et nationales d’éleveurs de lamas depuis qu’il s’est lancé dans l’élevage de lamas. Il a également participé, en tant qu’organisateur et qu’exposant, à des expositions de lamas. Une de ses bêtes a même terminé deuxième dans sa catégorie lors d’une exposition il y a quelques années. Il ressort de son témoignage que non seulement il a commencé à s’intéresser à l’avenir de l’industrie de l’élevage de lamas, mais qu’il a aussi consacré beaucoup de temps et d’efforts à sa promotion et à son amélioration.

 

[12]    En plus de son stock de lamas, M. Falkener avait un lévrier russe et deux chats sur sa propriété. Il avait fait l’acquisition de son premier lévrier russe à peu près au même moment où il avait fait l’acquisition de la ferme. Après avoir dû faire euthanasier l’animal en 1998, il s’est passé environ deux ans avant que M. Falkener achète un autre chien de la même race pour remplacer le premier. Les parties ne s’entendent pas au sujet de certaines dépenses relatives aux chiens et aux chats, et je reviendrai plus tard sur cette question.

 

[13]    L’interprétation et l’application de l’article 31 de la Loi a donné lieu à de nombreux litiges, dont beaucoup ont été portés devant les tribunaux d’appel. L’arrêt‑clé, et la seule décision rendue par la Cour suprême du Canada à ce sujet est l’arrêt Moldowan c. La Reine[1]. Même si la décision unanime que la Cour a rendue dans l’arrêt Moldowan a récemment été sévèrement critiquée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gunn c. La Reine[2], il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de l’arrêt qui fait autorité en la matière lorsqu’il s’agit de statuer sur le sens et l’application de l’article 31 de la Loi. Dans les motifs du jugement de la Cour, le juge Dickson a mentionné ce qui suit :

 

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : Dorfman c. M.R.N., [1972] C.T.C. 151. Voir également l'al. 139(1)ae) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui inclut à titre de « frais personnels ou frais de subsistance », donc non déductibles aux fins de l'impôt, les dépenses inhérentes aux propriétés entretenues par le contribuable pour son propre usage et avantage, et non entretenues relativement à une entreprise exploitée en vue d'un profit ou dans une expectative raisonnable de profit. Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe‑temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées.

 

[14]    L’intimée ne conteste pas en l’espèce que l’élevage de lamas était une source de revenu pour M. Falkener pendant les années en litige et qu’il en est encore une aujourd’hui. La position de l’intimée est simplement qu’il ne s’agissait pas de sa principale source de revenu, seule ou en combinaison avec son entreprise de règlement de sinistres. Cette position est fondée en grande partie sur les résultats financiers et sur la conclusion tirée par le répartiteur de l’impôt du ministre selon laquelle M. Falkener ne peut pas s’attendre à ce que l’élevage constitue un jour sa principale source de revenu. À un certain moment dans ses conclusions écrites, l’intimée s’est exprimée ainsi à ce sujet :

 

          [traduction]

 

La possibilité de réaliser des profits est minime, mais nous ne remettrons pas en question l’ARP [attente raisonnable de profit] à ce moment‑ci.

 

[15]    L’analyse dans l’arrêt Moldowan entraîne un examen des résultats financiers comparatifs, de l’investissement en capital, du temps et des efforts relatifs consacrés et des habitudes et de la façon de travailler du contribuable, ainsi que de l’expectative raisonnable de rentabilité future. Il serait certainement pertinent de savoir si l’élevage était sa principale préoccupation pendant la période pertinente. Les pertes que l’appelant a déclarées relativement à l’entreprise d’élevage, après le rajustement des stocks, et le revenu net qu’il a tiré de son travail en tant qu’expert en sinistres sont les suivants :

 

 

Perte agricole

Revenu net en tant qu’expert en sinistres

 

1998

(35 936 $)

82 207 $

1999

(38 471 $)

69 818 $

2000

(32 885 $)

43 707 $

2001

(25 778 $)

101 136 $

2002

(110 801 $)

81 359 $

2003

(390 $)

91 845 $

 

[16]    Plusieurs choses doivent être soulignées concernant ces résultats. Tout d’abord, M. Falkener a commencé à faire l’élevage de lamas peu de temps avant que le marché s’effondre. Il a commencé à former son troupeau en achetant une bête en 1993. Lorsqu’il a été en mesure de vendre certaines de ses bêtes, les prix avaient chuté et ne correspondaient plus qu’à environ 10 % des prix en vigueur lorsqu’il s’était lancé dans l’industrie de l’élevage de lamas. Sa décision de ne pas mettre ses bêtes sur le marché alors que les prix étaient aussi bas était une décision pragmatique qu’il avait prise parce qu’il croyait que les prix remonteraient, du moins dans une certaine mesure. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable à laquelle était également parvenu M. Govett, un éleveur de lamas qui avait plus d’expérience dans le domaine. Les problèmes de démarrage habituels auxquels sont confrontées les personnes qui viennent de se lancer en affaires dans une industrie étaient donc aggravés pour l’appelant par la nature de l’industrie et le revirement subit des forces du marché.

 

[17]    Dans son rapport écrit, le répartiteur de l’impôt a adopté comme point de vue que M. Falkener subirait probablement des pertes de façon continue d’environ 1 216 $ par année à l’égard de son entreprise d’élevage. Cette prévision était fondée sur ses hypothèses quelque peu arbitraires selon lesquelles M. Falkener pouvait s’attendre à avoir des revenus futurs d’environ 15 000 $ par année dont il faudrait soustraire des dépenses annuelles futures de 16 216 $. Dans une certaine mesure, cette prévision pessimiste était influencée par les résultats antérieurs de l’entreprise de M. Falkener. Dans l’arrêt Gunn, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 31 ne limitait pas les pertes agricoles pouvant être déduites par le contribuable, même si ses pertes agricoles et son revenu non agricole étaient bien plus élevés pour les années en litige que ceux de l’appelant en l’espèce. Les pertes agricoles de M. Gunn étaient de près de 80 000 $ par année et son revenu non agricole était d’environ 270 000 $ par année pour les trois années en litige dans ce cas‑là. Les pertes agricoles subies par M. Falkener pour les années en litige étaient d’environ 40 000 $ par année et son revenu tiré de son entreprise de règlement de sinistres était de moins de 80 000 $ par année pour les six années visées par l’appel. Dans ce contexte, la foi que M. Falkener a en sa capacité de faire de l’élevage sa principale source de revenu dans l’avenir vaut tout autant que celle de M. Gunn.

 

[18]    L’avocate de l’intimée a souligné que l’appelant avait seulement demandé la déduction de pertes agricoles restreintes lorsqu’il avait produit ses déclarations de revenu pour les années visées par l’appel. Je n’accorde aucune importance à cet élément. M. Falkener n’a pas de formation en comptabilité ou en droit, et il est clair qu’il ne connaissait rien au sujet de l’article 31 de la Loi. Ses déclarations ont été établies pour lui par un comptable, pas par son représentant pour les présents appels, et il a suivi les conseils du comptable et produit les déclarations comme elles avaient été établies.

 

[19]    M. Falkener avait certainement investi bien plus de capitaux dans son entreprise d’élevage que dans son entreprise de règlement de sinistres. Les calculs dans le rapport du répartiteur[3] indiquent que des capitaux d’environ 145 000 $ avaient été investis dans la ferme d’élevage. Ses déclarations de revenus révèlent un investissement total de quelque 7 000 $ dans l’entreprise de règlement de sinistres, ce qui correspond au prix d’un ordinateur portatif, d’une imprimante et d’un appareil photo numérique. Il a pas demandé de déduction pour amortissement pour le véhicule qu’il avait utilisé, un Ford Ranger de 1991.

 

[20]    Compte tenu du témoignage de M. Falkener, je conclus que lorsqu’il était à la maison sur la ferme, il passait la journée de travail entière à effectuer des travaux sur la ferme d’élevage. De plus, son épouse consacrait également beaucoup de temps et d’efforts à la ferme d’élevage. Lorsqu’il était aux États‑Unis pour y travailler en tant qu’expert en sinistres, il travaillait à temps plein, et son épouse s’occupait de tous les travaux à faire sur la ferme d’élevage pendant ce temps‑là. En moyenne, il travaillait sur la ferme environ 58 % du temps et il travaillait ailleurs que sur la ferme d’élevage 42 % du temps pendant la période allant de 1999 à 2002. J’accepte le témoignage de M. Falkener selon lequel il travaillait ailleurs que sur la ferme seulement par nécessité. L’argent qu’il gagnait aux États‑Unis servait à payer les factures de la ferme d’élevage.

 

[21]    Il ne fait aucun doute que, lorsque M. Falkener a prix la décision, au début des années 90, d’être éleveur de lamas plutôt qu’expert en sinistres, sa principale source de revenu, qui était le règlement de sinistres, a changé et est devenue l’élevage de lamas. Il a renoncé à la licence d’expert en sinistres parce qu’il ne pensait plus gagner sa vie ainsi. Il a investi son capital dans l’élevage de lamas et y a consacré toute son énergie, tout en étant bien conscient que cela prendrait du temps pour former un troupeau et obtenir des bêtes pouvant être mises sur le marché. Il s’attendait toutefois raisonnablement à tirer un jour « un revenu de plus de 100 000 $ » de son entreprise. Il ne s’agissait pas d’un simple espoir. Il avait étudié le marché de façon approfondie avant de s’engager dans cette voie, et il avait pu profiter du plan d’entreprise pro forma de M. Govett[4].

 

[22]    Dans l’arrêt Moldowan, le juge Dickson a établi une distinction entre un agriculteur qui est exempté de la limite imposée au titre des pertes et un qui ne l’est pas :

 

(1)        le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne‑pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2)        le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne‑pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;[5]

 

La preuve établit sans équivoque que, depuis la fin de 1993, moment où il a renoncé à sa licence d’expert en sinistres, le centre du travail habituel de M. Falkener est la ferme d’élevage. Lorsqu’il a demandé que sa licence soit rétablie en 1997, cela ne voulait pas dire qu’il retournait à son ancien style de vie. Le centre de sa vie demeurait la ferme d’élevage, et il l’avait quittée seulement par nécessité afin de gagner de l’argent pour pouvoir continuer d’être éleveur. M. Falkener a le droit de déduire ses pertes agricoles de son autre revenu sans restriction.

 

[23]    Le ministre, en plus de limiter les pertes de l’appelant, a refusé de déduire de nombreuses dépenses dont celui‑ci avait demandé la déduction dans le calcul de son revenu d’agriculture pour les années en litige. Pendant les deux journées qu’a duré l’instruction, les parties ont été en mesure de s’entendre sur la question de savoir quelles dépenses avaient dûment fait l’objet d’une déduction en tant que dépenses agricoles et quelles dépenses étaient des dépenses personnelles, à l’exception de certaines dépenses liées aux chiens et aux chats que l’appelant avait sur la propriété. L’entente entre les parties a été déposée en pièce sous la cote A‑2. L’entente ne règle pas certaines déductions demandées pour des services vétérinaires et des fournitures pour animaux domestiques, comme de la nourriture, pour chacune des années 1998 à 2000. La position de l’appelant à cet égard est que les chiens et les chats étaient des animaux qui travaillaient sur la ferme, qu’il avait ces animaux dans le but de tirer un revenu de la ferme d’élevage et que les dépenses engagées pour en prendre soin sont déductibles à juste titre dans le calcul de son revenu. L’intimée est d’avis que les animaux étaient principalement des animaux domestiques et que les frais supportés pour en prendre soin étaient des dépenses personnelles, dont l’alinéa 18(1)h) de la Loi interdit la déduction.

 

[24]    Une somme de 669,87 $ a été dépensée en 1998 pour l’euthanasie et l’incinération du premier lévrier russe que M. Falkener avait acheté en 1990 ou en 1991. M. Falkener a témoigné que, lorsqu’il avait décidé de s’installer à la campagne et de devenir éleveur, il avait acheté Ryder, un lévrier russe. À partir du moment où le premier lama était arrivé sur les lieux, Ryder, et plus tard Javelin, qui avait été acheté après la mort de Ryder, étaient des chiens de garde qui surveillaient les lieux pendant la nuit en se promenant sur des chemins construits à cette fin, expressément pour repousser les coyotes, les couguars et les autres animaux prédateurs qui pourraient attaquer les lamas si ceux‑ci n’étaient pas protégés. Le besoin de protection est attesté par le fait qu’un lama avait été attaqué et tué pendant la nuit après la mort de Ryder et avant l’acquisition de Javelin.

 

[25]    M. Falkener a fait l’acquisition des deux chats alors qu’ils étaient encore des chatons. Il a mentionné dans son témoignage que les chats servaient principalement à des fins de contrôle des rongeurs. Non seulement les petits rongeurs avaient‑ils tendance à être attirés par le fourrage engrangé sur la ferme, mais les trous de spermophiles constituaient aussi un danger potentiel pour les lamas, lesquels pouvaient accidentellement se casser une patte en marchant dans leurs trous. Selon son témoignage, les chats repoussent les spermophiles et les plus petits rongeurs.

 

[26]    Le répartiteur de l’impôt a témoigné que lorsqu’il avait visité la ferme d’élevage pendant sa vérification, le chien et un chat étaient à l’intérieur de la maison et semblaient être bien dressés. Cela l’a amené à conclure qu’ils étaient des animaux domestiques et non pas des animaux qui travaillaient sur la ferme.

 

[27]    J’accepte le témoignage de M. Falkener. Dans une ferme située dans une région rurale éloignée, l’utilité des chiens élevés pour chasser et des chats ayant des instincts similaires est tout à fait évidente. Le fait que les animaux pouvaient entrer dans la maison n’enlève rien à leur utilité. Les dangers contre lesquels ils devaient protéger la ferme étaient principalement des dangers nocturnes. Il n’est donc pas surprenant que les animaux puissent être à l’intérieur pendant la journée. Je n’accepte pas non plus l’argument de l’intimée selon lequel la déduction des frais de vétérinaire liés à un diagnostic de cancer terminal ainsi qu’à l’euthanasie et à l’incinération consécutives de Ryder ne devrait pas être accordée parce que ces services ne pouvaient contribuer à la production de revenus. Si la raison principale pour laquelle l’animal a été acquis est liée à la production de revenus, comme j’ai conclu en l’espèce, le traitement humain dont Ryder a bénéficié à la fin de sa vie découle donc de cela.

 

[28]    Par conséquent, les appels sont accueillis avec dépens. Les nouvelles cotisations sont déférées au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que :

 

(i)      l’article 31 de la Loi ne s’applique pour aucune des années en litige;

 

(ii)      l’appelant a le droit de déduire les dépenses contestées pour les fournitures pour animaux domestiques et les frais de vétérinaire énoncés dans la pièce A‑2;

 

(iii)     l’appelant a le droit de déduire des dépenses supplémentaires et a droit à une déduction supplémentaire pour déduction du coût en capital, comme il est convenu entre les parties et consigné dans la pièce A‑2.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2007.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI514

 

NO DU DOSSIER :                            2006-3484(IT)I

 

INTITULÉ :                                       JAMES FALKENER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Kelowna (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 20 et 21 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

MDewey Lotoski

Avocate de l’intimée :

MSelena Sit

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      MDewey Lotoski

 

                          Cabinet :                  Lotoski & Company

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           [1978] 1 R.C.S. 480.

 

[2]           2006 CAF 281.

 

[3]           Pièce R‑1, onglet 12, p. 5.

 

[4]           Pièce A‑2.

 

[5]           Moldowan, précité, aux pages 487-488.

 

 

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