Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2004-3092(IT)G

ENTRE :

177795 CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 26 et 27 octobre 2006, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante:

Me Claude P. Desaulniers

Avocats de l’intimée :

Me Jane Meagher

Me Martin Gentile

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu  pour l'année d'imposition 1992 est rejeté, avec dépens selon le Tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


 

 

 

 

Référence : 2007CCI569

Date : 20070927

Dossier : 2004-3092(IT)G

ENTRE :

177795 CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     L’appelante en appelle d’une cotisation établie en date du 22 janvier 2004 pour l’année d’imposition se terminant le 31 juillet 1992. Au cours de cette période, l’appelante exploitait son entreprise sous le nom de Sofati Ltée (« Sofati »), aussi toute référence à Sofati dans l’entente partielle sur les faits ainsi que dans les présents motifs du jugement vise l’appelante, car il s’agit de la même entité.

 

[2]     L’entente partielle sur les faits produite par les parties se lit comme suit :

 

1.         L’appelante est une société dûment constituée et l’adresse de son établissement principal est la suivante : 1, Place Ville Marie, bureau 1812, Montréal, province de Québec H3B 3M4.

 

2.         La cotisation a été émise en date du 22 janvier 2004 pour l’année d’imposition se terminant le 31 juillet 1992.

 

3.         L’appelante est une corporation qui, durant son année d’imposition se terminant le 31 juillet 1992, exerçait une entreprise dans le domaine de la construction.

 

4.         Au cours de son année d’imposition 1992, l’appelante a déclaré un revenu d’entreprise de plus de 17 000 000 $ provenant d’un contrat de formation et de construction clé en main à l’étranger, notamment en Afrique du Nord.

 

5.         Dans sa cotisation datée du 25 juin 1996 pour l’année d’imposition 1992, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a considéré que l’appelante n’avait droit à aucune perte autre qu’en capital provenant des années antérieures et a appliqué un montant de 2 499 358 $ à titre de perte autre qu’en capital provenant des années subséquentes.

 

6.         Le 10 septembre 1996, l’appelante s’est opposée à la cotisation du 25 juin 1996.

 

7.         Plus de sept ans après la production de l’avis d’opposition, soit le 22 janvier 2004, le Ministre a émis une nouvelle cotisation pour augmenter de 2 499 358 $ à 7 922 562 $ les pertes reportables pour l’année d’imposition 1992, soit 4 094 913 $ provenant d’années d’imposition antérieures, et 3 827 649 $ provenant d’années d’imposition subséquentes.

 

8.         Ce faisant, cependant, le Ministre a désalloué une portion d’un montant de 19 884 674 $ réclamé comme perte par l’appelante en 1988, la portion refusée étant de 16 036 040 $.

 

9.         L’appelante s’est opposée dans le délai à la cotisation du ministre qui, dans une décision du 4 mai 2004, a maintenu la cotisation.

 

10.       Preston Parkway Joint Venture (« PPJV ») a été constituée en vertu du Partnership Act de l’État du Texas.

 

11.       L’année financière et fiscale de PPJV était l’année de calendrier.

 

12.       Avant le 1er décembre 1987, les intérêts dans le PPJV étaient détenus par Louis G. Reese Inc., (ci-après « Reese ») (99%), et Preston Parkway Development Company (ci-après « PPDC »), (1%), deux résidents américains.

 

13.       Au 30 novembre 1987, les actifs du PPJV étaient constitués principalement d’un bien immobilier dont le coût était de 32 000 000 $US et la juste valeur marchande (ci-après « JVM ») de 16 000 000 $US.

 

14.       Ce bien immobilier était, au 30 novembre 1987, grevé d’une hypothèque de 28 000 000 $US envers la Banque de New York.

 

15.       Par contrat signé le 15 décembre 1987, Sofati Ltée et Westmount Parc Towers Inc., tous deux résidents canadiens, achetaient respectivement 99% et 1% du PPJV.

 

16.       Le contrat d’achat par Sofati Ltée de sa part dans le PPJV a été signé le 15 décembre 1987, avec effet rétroactif au 1er décembre 1987.

 

17.       En vertu d’un « Escrow Indemnity Agreement » non daté mais prenant effet le 1er décembre 1987, Reese et PPDC s’engageaient à indemniser les acheteurs, soit Sofati Ltée et Westmount Park Towers Inc., contre toute réclamation par des créanciers potentiels listés à l’entente, y compris les 12 000 000 $US dus à la Banque de New York suite à la vente à l’encan du bien immobilier; cette indemnité prenait fin le premier jour ouvrable après le 1er décembre 1991 dans deux cas, et le premier jour ouvrable après le 1er décembre 1989 dans les autres cas; à cet effet, une partie du prix d’achat de 390 000 $US était conservée sous écrou pour être libérée sur règlement de ces créances ou à la date à laquelle prenait fin l’indemnité.

 

18.       Le 1er décembre 1987, la Banque de New York, qui avait une hypothèque sur le projet immobilier développé par PPJV, a acheté celui-ci à l’encan moyennant une contrepartie de 16 000 000 $US; cette contrepartie a été utilisée pour réduire d’autant la dette due à la Banque, pour la porter à 12 000 000 $US puisque la dette se chiffrait originairement à 28 000 000 $US (pour les fins des présentes, tous les chiffres ont été arrondis au million près).

 

19.       Le débiteur (le PPJV) avait été avisé une première fois, le 12 octobre 1987, que le bien immobilier serait saisi et vendu, faute de paiement de l’hypothèque. Il a également été avisé au moins vingt et un (21) jours précédant la date de la saisie que le bien serait saisi et vendu.

 

20.       Au moment où Sofati Ltée a acheté sa part dans le PPJV, elle savait que le bien immobilier serait saisi par la Banque de New York et vendu à perte.

 

21.       Quant au solde dû à la Banque de New York sur la dette, au montant d’environ 12 000 000 $US, il a été acquitté en date du 23 décembre 1987 par PPJV à Columbia Capital Corporation à qui la Banque de New York l’avait cédé.

 

22.       Le 18 décembre 1987, la Banque de New York a cédé à Columbia Capital Corporation (ci-après « CCC »), une corporation canadienne, un billet promissoire d’un montant de 12 146 467,28 $US, dû par le PPJV.

 

23.       Le 23 décembre 1987, CCC a emprunté 12 146 467,28 $US de la Banque de Montréal.

 

24.       Le 23 décembre 1987, CCC a prêté 12 146 467,28 $US à PPDC.

 

25.       Le 23 décembre 1987, PPDC a versé 12 146 467,28 $US à PPJV.

 

26.       Le 23 décembre 1987, PPJV a remboursé 12 146 467,28 $US à CCC.

 

27.       Le coût du bien immobilier pour le PPJV étant de 32 000 000 $US, le PPJV a déclaré à cet égard une perte de 16 000 000 $US. Par ailleurs, les participants au PPJV à la fin de son exercice financier se terminant le 31 décembre 1987 ont déduit leur part de ce montant de 16 000 000 $US dans le calcul de leurs revenus de 1988.

 

28.       Sofati Ltée a réclamé 99% de 16 000 000 $US, soit 19 884 674 $CDN, comme perte dans le calcul de ses revenus pour son année fiscale se terminant le 31 juillet 1988, et a appliqué une portion de cette perte, soit 16 036 040 $CDN, dans le calcul de ses revenus pour son année fiscale se terminant le 31 juillet 1992.

 

29.       Depuis septembre 1989, PPJV possède toujours un investissement immobilier au Texas qui génère annuellement des profits.

 

[3]     L’intimée a refusé d’appliquer la perte de 16 036 040 $CDN au motif qu’à l’époque où Sofati a acheté sa part dans Preston Parkway Joint Venture (« PPJV »), elle n’avait pas l’intention d’exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice des activités de PPJV. L’intimée invoque par conséquent que Sofati n’est donc pas devenue membre d’une société de personnes au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») et ne peut donc prétendre avoir le droit à la perte subie par PPJV en vertu de l’article 96 de la LIR. En d’autres termes, l’intimée soutient que PPJV ne constituait pas une société de personnes aux fins fiscales canadiennes à l’époque où la perte reliée à la vente du bien immobilier a été subie par PPJV.

 

[4]     Alternativement, l’intimée invoque que même si PPJV constituait une société de personnes au sens de l’article 96 de la LIR, aucune perte n’est attribuable à Sofati pour son année fiscale se terminant le 31 juillet 1988 (donc ne pouvait être reportée sur l’année fiscale se terminant le 31 juillet 1992). Selon l’intimée, aux termes du paragraphe 10(1) de la LIR et de l’article 1801 du Règlement de l’impôt sur le revenu (« Règlement »), le coût du bien pour PPJV au 1er décembre 1987, soit à la date où il est devenu une société de personnes au sens de la LIR, était la juste valeur marchande à cette date, soit 16 000 000 $US. Comme le produit de disposition du bien immobilier était aussi de 16 000 000 $US, aucune perte ne pouvait être attribuée à Sofati.

 

[5]     L’appelante conteste les deux prétentions de l'intimée. D’une part, elle soutient qu’elle est devenue associée de PPJV, une société de personnes au sens de la LIR, au cours de l’exercice financier de PPJV se terminant le 31 décembre 1987, et que, à ce titre, elle a droit de déduire dans le calcul de son revenu pour son année fiscale se terminant le 31 juillet 1988, sa portion de la perte de PPJV pour l’exercice financier de celle‑ci se terminant le 31 décembre 1987 et de reporter dans ses années subséquentes, notamment au 31 juillet 1992, la portion de telle perte non déduite au cours des années d’imposition précédentes. Par ailleurs, l’appelante soutient que la perte de PPJV n’est pas nulle mais bien d’environ 16 000 000 $US, ce qui correspond à la différence entre le coût de 32 000 000 $US du projet immobilier et le produit de disposition durant l’année d’imposition 1987, soit environ 16 000 000 $US.

 

Dispositions législatives

 

[6]     Les dispositions législatives pertinentes de la LIR auxquelles les parties ont fait référence sont les suivantes :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

ARTICLE 10 : Évaluation des biens figurant dans un inventaire.

            (1) Aux fins du calcul du revenu tiré d’une entreprise, les biens figurant dans un inventaire sont évalués au coût supporté par le contribuable ou à leur juste valeur marchande, le moins élevé de ces deux éléments étant à retenir, ou de toute autre façon permise par les règlements.

 

Art. 10(2)

            (2) Idem. Nonobstant le paragraphe (1), aux fins du revenu tiré d’une entreprise au cours d’une année d’imposition, les biens figurant dans un inventaire au début de l’année sont évalués au même montant que celui auquel ils ont été évalués à la fin de l'année précédente aux fins du calcul du revenu de cette année précédente.

 

[…]

 

Sous-section j−Les sociétés et leurs membres

 

 

ARTICLE 96 : Règles générales.

            (1) Lorsqu’un contribuable est membre d’une société, son revenu, le montant de sa perte autre qu’une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, s’il y en a, pour une année d’imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition, selon le cas, est calculé comme si

a) la société était une personne distincte résidant au Canada;

b) l’année d’imposition de la société correspondait à son exercice financier;

 

[…]

 

g) le montant de la perte de la société, pour une année d’imposition, afférente à une source quelconque ou à des sources situées dans un endroit donné, constituait la perte du contribuable, découlant de cette source ou de sources situées dans cet endroit donné, selon le cas, pour l’année d’imposition du contribuable au cours de laquelle l’année d’imposition de la société se termine, jusqu’à concurrence de la part du contribuable.

 

[…]

 

Règlement de l’impôt sur le revenu

 

Partie XVIII

Inventaires

[…]

ÉVALUATION

1801. Sous réserve de l’article 1802 aux fins du calcul du revenu d’un contribuable tiré d’une entreprise, tous les biens décrits dans tous les inventaires de l’entreprise peuvent être évalués à leur juste valeur marchande.

 

Existence d’une société de personnes au sens de la LIR

 

[7]     La principale question en litige consiste à déterminer si l’appelante était membre d’une société de personnes reconnue au sens de la LIR au moment où les pertes réclamées ont été subies par PPJV, et si elle pouvait en conséquence déduire ces pertes de son revenu, conformément à l’article 96 de la LIR.

 

[8]     L’expression « société de personnes » n’est pas définie dans la LIR. Dans l’arrêt Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367, 2001 CSC 10, au paragraphe 17, la Cour suprême du Canada a confirmé le principe que le contribuable qui désire déduire des pertes d’une société de personnes canadienne en vertu de l’article 96 de la LIR doit satisfaire à la définition prévue par la loi provinciale applicable. Ainsi, la Cour suprême du Canada rappelait que pour l’application de l’article 96 de la LIR, les éléments essentiels d’une société de personnes prévus par le droit canadien doivent être présents, même lorsqu’il s’agit de sociétés étrangères.

 

[9]     En l’instance, c’est le droit civil qui s’applique. Au cours de la période en litige, ce sont les articles 1830 et 1831 du Code civil du Bas‑Canada (« C.c.B.C. ») qui étaient en vigueur.

 

[10]   Les articles 1830 et 1831 C.c.B.C. se lisaient comme suit :

 

TITRE ONZIÈME

DE LA SOCIÉTÉ

 

CHAPITRE PREMIER

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

 

Art. 1830. Il est de l’essence du contrat de société qu’elle soit pour le bénéfice commun des associés et que chacun d’eux y contribue en y apportant des biens, son crédit, son habileté ou son industrie.

 

Art. 1831 La participation dans les profits d’une société entraîne avec elle l’obligation de partager dans les pertes.

 

            Toute convention par laquelle l’un des associés est exclu de la participation dans les profits est nulle.

 

            La convention qui exempte quelqu’un des associés de participer dans les pertes est nulle quant aux tiers seulement.

 

[11]    Selon la doctrine québécoise[1], on distingue trois éléments essentiels de la formation d’un contrat de société, selon le droit applicable à la période en litige. En premier lieu, on doit retrouver l’existence d’une intention réelle de conclure un tel contrat chez toutes les parties. En deuxième lieu, chaque associé doit fournir un certain apport pour que la société soit formée, que ce soit un apport pécuniaire ou autre (telles les qualités personnelles d’un associé par exemple). Et finalement, une société ne peut être formée que dans le but de faire un profit. Également, pour qu'il y ait formation d’un contrat de société, il doit y avoir entente sur le partage des bénéfices entre les associés. Quant au partage des pertes, il est présumé se faire en parts égales entre les associés.

 

[12]    Dans l’arrêt Bourboin c. Savard (1926), 40 C.B.R. p. 68, le juge Rivard, de la Cour du Banc du Roi (prédécesseure de la Cour d’appel du Québec) s’exprimait ainsi aux pages 70 et 71 :

 

Trois éléments sont essentiels au contrat de société : 1° la poursuite d’un but commun consistant dans la réalisation d’un bénéfice; 2° la constitution d’un fonds commun par les apports que chacun y fait de ses biens, de son crédit, de son habileté ou de son industrie; et 3° la participation dans les profits, ce qui entraîne l’obligation de partager dans les pertes, sauf convention contraire.

 

Ces trois éléments comportent qu’il doit y avoir chez les deux parties l’intention, juridiquement prouvée, de poursuivre en commun, à l’aide des apports de tous, la réalisation d’un bénéfice; en d’autres termes, pour qu’il y ait société, il faut à défaut de contrat exprès, que les faits fassent apparaître clairement, chez l’un et l’autre des prétendus associés, l’intention de former un contrat de société et non pas tel ou tel autre contrat qui peut présenter avec la société plus ou moins d’analogie (1). C’est à cela que revient ce que les auteurs ont appelé affectio societatis.

 

1. C. c., 1830; Fuzier-Herman, Rép., Vo Sociétés, No 3; D. A. Sup.  Vo Société, 134.

 

[13]   Par ailleurs, dans l’arrêt Backman, précité, la Cour suprême du Canada a noté que « [...] pour statuer sur l’existence d’une société de personnes, les tribunaux doivent se demander si la preuve documentaire objective et les circonstances de l’affaire, notamment les actes concrets des parties, sont compatibles avec l’existence d’une intention subjective d’exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. » (paragraphe 25). En outre, « [...] l’intention prédominante du contribuable n’est pas déterminante pour statuer sur l’existence de l’élément essentiel que constitue la volonté de réaliser un bénéfice '. Il suffit que le contribuable établisse l’existence d’un objectif accessoire visant la réalisation d’un bénéfice » (cf. Backman, précité, au paragraphe 23).

 

[14]   En l’espèce, il est clair que l’intention prédominante de l’appelante au moment d’acquérir la presque totalité des parts dans PPJV était la récupération des pertes fiscales. En effet, en investissant la somme de 390 000 $US, elle allait chercher des déductions de l’ordre de 19 000 000 $CDN. D’ailleurs, l’avocat de l’appelante a été clair sur ce point. C’est précisément dans ce but que l’appelante a préféré investir dans PPJV plutôt que de faire une offre directement à la Bank of New York (« BONY »), pour le rachat de l’immeuble (qui était le seul actif de PPJV), après que la banque eut saisi l’immeuble.

 

[15]    Mais depuis la décision rendue dans Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, l’appelante peut prétendre être en société si elle réussit à prouver qu’en investissant dans PPJV, elle avait comme but accessoire l’intention de poursuivre en commun, avec les autres associés, la réalisation d’un bénéfice.

 

[16]    La difficulté, en l’espèce, vient du fait que la preuve que l’appelante et Westmount Park Towers Inc. (« WPTI ») avaient l’intention de réaliser un bénéfice en investissant dans PPJV, est plutôt centrée sur ce qui s’est fait après que les associés américains de PPJV, sous la gouverne desquels la perte réclamée fut réalisée, se soient retirés. En effet, il ressort globalement de la preuve que les associés américains se sont départis de leurs parts dans PPJV en faveur de l’appelante et de sa société sœur WPTI alors qu’il n’y avait plus aucun actif dans PPJV, et n’ont donc jamais entretenu entre eux la poursuite d’un but commun de réaliser un bénéfice en tant qu’associés de PPJV. Bien sûr, le transfert des parts dans PPJV s’est fait en deux temps, d’abord par des documents indiquant le transfert de 99% des parts de PPJV appartenant à Louis G. Reese en faveur de l’appelante et de WPTI et ensuite par d’autres documents indiquant le transfert de 1% des parts de PPJV appartenant à Preston Parkway Development Company (« PPDC »). Tout ceci s’est fait toutefois de façon concomitante le 15 décembre 1987, de façon rétroactive, au 1er décembre 1987, immédiatement avant la saisie du seul actif de PPJV par BONY. Il est par contre bien clair de la preuve que Louis G. Reese et PPDC n’étaient plus du tout associés dans PPJV rétroactivement au 1er décembre 1987, et que toute la preuve portant sur les démarches effectuées par Sofati, ou son président, Michel Gaucher, au nom de PPJV, n’impliquaient plus juridiquement les anciens associés américains.

 

[17]    Ceci étant dit, voici les éléments principaux qui sont ressortis de la preuve présentée devant moi.

 

[18]    Sofati a d’abord fait sa marque dans d’importants contrats d’ingénierie à l’étranger. À compter de 1986, Sofati s’est diversifié en s’immisçant d’abord dans le domaine immobilier, en commençant par faire de la conversion d’immeubles en condominiums à Montréal avec sa société sœur, WPTI, puis aux États‑Unis, en investissant tant dans des centrales thermiques que dans l’immobilier. Ainsi, Sofati avait été mis en contact avec Grubb & Ellis, une société de courtage immobilier à Dallas, au Texas.

 

[19]    À la demande de Sofati, le 8 octobre 1987, Grubb & Ellis lui a fourni une étude sur le marché immobilier au Texas, dans laquelle on faisait part que ce dernier avait atteint un plancher et que les experts recommandaient d’investir puisqu’on s’attendait à une hausse dans la valeur des propriétés immobilières dans les années à venir (pièce A‑1, onglet 31). À cette période, Sofati avait une valeur nette d’environ 70 000 000 $CDN, des liquidités d’environ 10 000 000 $CDN et un chiffre d’affaires d’au-dessus de 150 000 000 $CDN. En octobre 1987, l’équipe de Sofati a rencontré un dénommé Louis G. Reese, un Américain qui avait investi en 1984 dans PPJV avec une entité américaine, PPDC, pour le projet de construction d’un édifice commercial, le Sherry Plaza, à Dallas au Texas. Le projet d’un coût de 32 000 000 $US avait été financé par BONY, jusqu’à concurrence de 28 000 000 $US. Au moment où Sofati a été mis en contact avec M. Reese, BONY avait déjà fait part à PPJV qu’elle entendait reprendre l’immeuble par suite du défaut de paiement de la dette. L’édifice était alors complété à 95% et il y avait plusieurs locataires potentiels en vue.

 

[20]    Selon Michel Gaucher, l’intention était de développer des projets à long terme avec M. Reese. Il avait aussi intérêt à s’associer avec ce dernier afin de tirer profit fiscalement des pertes que PPJV s’apprêtait à réaliser par suite de la reprise de possession éminente par BONY du Sherry Plaza, qui était le seul actif détenu par PPJV.

 

[21]    Ainsi, le 16 novembre 1987, Sofati par l’intermédiaire d’une autre société à numéro, s’engageait à acquérir les intérêts de M. Reese et de PPDC dans PPJV, contrôlé à ce moment à 99% par M. Reese. Cette entente s’intitule « Summary of Proposed Acquisition of Joint Venture Interests in Preston Parkway Joint Venture », et se lit comme suit (pièce A‑1, onglet 48) :

 

Summary of Proposed Acquisition

of Joint Venture Interests in

Preston Parkway Joint Venture

 

This will serve as a binding memorandum of understanding between 158723 Canada Inc. (the “Purchaser”) and Louis G. Reese Inc. and Preston Parkway Development Company (the “Vendors”) for the Purchaser, or its nominee, to acquire either 99% or 100%, at the option of the Purchaser, of the Joint Venture interests in the Preston Parkway Joint Venture (the “Joint Venture”). Summaries of the facts surrounding the Joint Venture and a summary of the steps required to complete the transaction are as follows:

 

Summary of Facts

 

1.         Two corporations, Louis G. Reese Inc. (99%) and Preston Parkway Development Company (1%) own all of the joint venture interests in the Joint Venture. Louis G. Reese controls both Joint Venturers.

 

2.         The Joint Venture is a general partnership according to Texas law.

 

3.         The cost of the Joint Venture property (the “Property”), to the Joint Venture, for Canadian income tax purposes, is approximately $29 million U.S. The debt against the property, to the Bank of New York, (the “Bank”), is approximately $26 million.  $3 million of the cost of the Property was financed by equity.

 

4.         The Joint Venture has been in existence at all times since its original acquisition of the Property and continues to exist. The Joint Venture will continue to exist for such period of time as the purchasers of the Joint Venture interests require and the Vendors will make such amendments to the Joint Venture agreement as the Purchaser reasonably requires to ensure this.

 

5.         The only activity ever undertaken by the Joint Venture has been the acquisition of the Property and the construction thereon of Sherry Plaza, which was constructed for the purpose of resale. Louis Reese has an extensive history of speculating in real estate and at times also acts as a real estate broker.

 

6.         The Bank is proposing to foreclose on the Property in either early December or early January (foreclosures happen in Texas only on the first Tuesday of each month). At the foreclosure, the Bank is expected to bid in for the Property at $16 million.

 

7.         Sherry Plaza is a small strip mall for high end retail shopping and an office building. The project is currently 95% complete and the Bank will finance the completion. The building is less than 10% leased at this time. If the building could be leased at pro forma rates, it would have a projected value of $38 million U.S.

 

8.         The Bank has agreed to sell the deficiency amount of the debt, (the “Debt Deficiency”) as established on foreclosure, for a nominal sum. This debt will be purchased by a nominee of Peters & Co. Limited (“Peters”) (the “Peters Nominee”), that is arm’s length from the current Joint Venturers. After purchasing the Debt Deficiency from the Bank, Peters Nominee will loan the original Joint Venturers an amount equal to the Debt Deficiency amount. The original Joint Venturers will contribute this amount to the Joint Venture and the Joint Venture will repay the Peters Nominee the Debt Deficiency.

 

Alternatively, at the option of the Purchaser, an attempt will be made to get the Bank to lend funds to the original partners on foreclosure, with the partners contributing such amount to the Joint Venture and the Joint Venture repaying the Bank.

 

9.         On foreclosure, the Bank will grant the Joint Venture an option to reacquire the property at any time, within the next three years, at the amount of the Bank’s outstanding debt immediately prior to foreclosure, compounded at 10% per annum or at such other amount as the Purchaser may agree. This option will expire on an arm’s length sale by the Bank.

 

The Bank will also give the Joint Venture reasonable access to the Property for the purposes of leasing such Property. The Joint Venture shall bear its own expenses for this leasing program. The Bank will retain the right to approve of all leases.

 

10.       Immediately after the foreclosure and the refinancing of the Deficiency Amount, the Purchaser shall acquire the Joint Venture interests for a payment of 4¢ per $1, calculated on the difference, as determined by a “Big 8” accounting firm, between the “costs” of the Property, for Canadian income tax purposes, and the amount that the Property is sold for on the foreclosure. The maximum on which such amount will be payable is $14 million U.S.

 

11.       In addition to the agreement between the Joint Venture and the Bank with respect to the Property, the Purchaser may request an agreement between the Joint Venture and Mr. Reese pursuant to which the Joint Venture has the right to participate with Mr. Reese on future real estate transactions for a period of time. Such agreement will be as agreed on between the parties, but this purchase of Joint Venture interests will proceed regardless of whether such agreement can be reached.

 

12.       Any reasonable costs of the transaction, including a commission to Bruce Harbour at Henry S. Miller Co., shall be borne by the Purchaser.

 

13.       Any potential liabilities of the Joint Venture arising before closing are the responsibility of the Vendors and the Purchaser may require the Vendor to satisfy such liabilities before closing.

 

13.5     The Vendor shall use its best effort to obtain the cooperation of the bank, as required herein, but shall not be held liable for any lack of such cooperation.

 

14.       All documentation should be completed by November 27, or such later date as the Purchaser and Vendors may agree, with closing to occur immediately after foreclosure and the refinancing of the Debt Deficiency. Closing is not to be later than December 31, 1987.

 

15.       If only 99% of the Joint Venture interests are acquired by the Purchaser the Purchaser may acquire such interests from such of the Vendor as it so desires.

 

16.       This agreement is made as of November 16, 1987, 4:30 p.m., Calgary, Alberta time.

 

[22]    Lors de son témoignage, Michel Gaucher a dit que par cette entente, on voulait s’assurer de la pérennité du « Joint Venture » qui avait fait le montage financier et la construction du projet immobilier, le Sherry Plaza. Avec cette entente, selon lui, on s’assurait de la continuité de PPJV.

 

[23]    Je remarque que dans cette entente, les parties ont pris le soin d’indiquer au paragraphe 4, que PPJV continuerait d’exister pour la période de temps requise par les acheteurs et que les vendeurs feraient les amendements nécessaires au « Joint Venture Agreement » pour accommoder les acheteurs. Bien que cette clause semble avoir été introduite pour assurer la pérennité du « Joint Venture », comme le disait M. Gaucher, il me semble difficile d’interpréter ceci comme une intention commune de s’associer en vue de partager les profits sur d’éventuels projets. Au contraire, il ressort plutôt que les vendeurs voulaient se départir de leurs intérêts dans PPJV et faisaient le nécessaire pour satisfaire les acheteurs aux fins de l’acquisition de PPJV à leur avantage. D’ailleurs, l’intention réelle des acheteurs apparaît au paragraphe 3, puisque l'on a pris soin d’indiquer le coût du bien détenu par PPJV pour les fins fiscales canadiennes.

 

[24]    Dans les faits, les associés vendeurs ont, le 30 novembre 1987, modifié l’entente originale de PPJV qui prévoyait que l’objet unique de cette société (« purpose ») était l’achat et le développement de ce qui est devenu par la suite le Sherry Plaza (pièce A‑1, onglet 1), pour en étendre la portée à la poursuite d’éventuels investissements immobiliers et la revente éventuelle de ces propriétés (pièce A‑1, onglet 2).

 

[25]    Également, je constate que les acheteurs ne prévoyaient acquérir les intérêts dans PPJV qu’après la reprise de possession par BONY et le refinancement de la dette (paragraphes 10 et 14 de l’entente du 16 novembre 1987). Or, dans le « Escrow and Indemnity Agreement » (pièce A‑1, onglet 8), non daté mais prenant effet le 1er décembre 1987  par laquelle les acheteurs s’engageaient à verser aux vendeurs la somme de 390 000 $US sous écrou, pour s’assurer que les acheteurs n’aient pas à assumer une dette de PPJV engagée avant le 1er décembre 1987  on indique dans le préambule au paragraphe D, que BONY a repris possession de l’immeuble après la cession des parts dans PPJV par les vendeurs aux acheteurs. La cession des parts des vendeurs aux acheteurs s’est d’ailleurs faite seulement le 15 décembre 1987, soit 15 jours après la reprise de possession de l’immeuble par BONY, avec effet rétroactif au 1er décembre 1987 (voir « Assignments of Joint Venture Interest », pièce A‑1, onglets 4 et 6). Il semble donc que la formule du transfert des parts ait changé à un moment donné, ce qui laisse supposer que ce sont les acheteurs qui orchestraient le tout, non pas dans le but de s’associer avec les partenaires américains avec l’intention commune de réaliser un profit, mais bien de faire en sorte qu’on mette les documents en ordre de façon à pouvoir réclamer la perte fiscale convoitée. D’ailleurs, il est ressorti du témoignage de Mme Nancy Orr, V.P. finance pour Sofati, que selon elle, la transaction s’était faite rétroactivement au 1er décembre 1987 pour s’assurer « that nothing happened between the time they close the transaction and the debt […] with [BONY], […] was funded » (p. 125 notes sténographiques). Ceci ne reflète pas l’intention de s’associer avec M. Reese et PPDC, même pour une très courte période, dans PPJV mais plutôt de s’assurer de ne pas se retrouver avec la responsabilité de la lourde dette pour laquelle Sofati réclamerait par la suite la perte fiscale.

 

[26]    De plus, il ressort du paragraphe 5 de l’entente du 16 novembre 1987, que M. Reese n’a investi dans PPJV qu’avec l’intention de construire le Sherry Plaza dans le seul but de le revendre, puisqu'il avait la réputation d'un spéculateur immobilier. Le 1er décembre 1987, immédiatement avant la reprise du Sherry Plaza par BONY, celle‑ci a accordé à PPJV, qui était encore représenté par Louis G. Reese, une option non exclusive d’achat (« Option Agreement », pièce A‑1, onglet 9), par laquelle PPJV pouvait dans les trois ans offrir d’acheter l’immeuble pour le montant de la dette avant la reprise de possession (28 000 000 $US), en sus de toute somme d’argent avancée par BONY pour la complétion de l’immeuble et l’intérêt composé au taux de 10% l’an. PPJV aurait payé 80 000 $US pour cette option. Selon Mme Orr, c’est Sofati qui aurait payé cette somme. Ceci n’apparaît toutefois pas aux états financiers de PPJV pour son exercice financier se terminant au 31 décembre 1987 (aucune avance d’un associé n’y est inscrite, voir pièce A‑1, onglet 29). On retrouve toutefois une reconnaissance par BONY d’un paiement de 55 000 $US par PPJV et d’un crédit de 25 000 $US, en satisfaction du paiement de la somme de 80 000 $US. Cette reconnaissance de paiement est datée du 18 décembre 1987 et est signée par Sofati au nom de PPJV (pièce A‑1, onglet 10). Ceci laisse donc supposer que c’est effectivement Sofati qui a payé cette somme.

 

[27]    Tout ceci, il me semble, ne correspond pas à l’intention formulée par M. Gaucher lors de son témoignage, soit de développer des projets à long terme avec M. Reese. En effet, M. Reese ne semblait pas lui-même intéressé à récupérer les immeubles qu’il construisait pour la revente. D’ailleurs, selon le paragraphe 11 de l’entente du 16 novembre 1987, rien n’obligeait M. Reese à s’engager dans des transactions futures avec les acheteurs, tel que semblait l'affirmer M. Gaucher.

 

[28]    Il est vrai toutefois que PPJV, représenté par Sofati, a signé le 15 décembre 1987, un « Right of First Opportunity Agreement » avec Louis G. Reese (pièce A‑1, onglet 11). Dans cette entente, Louis G. Reese s’engageait à faire part de tout projet de développement immobilier à Dallas dans lequel il investirait, dans le but de donner à PPJV l'option de prendre une part de 25% dans un tel projet éventuel, et ce, en contrepartie d’une contribution par PPJV de 33% des montants à être investis par les associés dans le projet. Cette entente était valable pour une durée de trois ans ou moins si PPJV ne se montrait pas intéressé après trois propositions faites par Louis G. Reese dans lesquelles ce dernier aurait investi.

 

[29]    Par contre, dans les faits, après le 1er décembre 1987, PPJV n’a investi que dans un seul projet, soit en septembre 1989, dans le Highland Park Shopping Village au Texas, pour un montant de 175 000 $US (pièce A‑1, onglet 30), projet dans lequel Louis G. Reese n’était pas du tout impliqué.

 

[30]    Le 6 mai 1988, PPJV, représenté par Michel Gaucher, faisait une offre à BONY de racheter le Sherry Plaza pour 12 000 000 $US. Mme Orr avait fait des analyses établissant, selon une approche conservatrice, qu'il faudrait investir une somme additionnelle de 7 500 000 $US pour rentabiliser le projet. Dans cette offre, M. Gaucher offrait de faire un dépôt de 1 500 000 $US, d’obtenir une hypothèque de 2e rang de 8 500 000 $US et de donner un billet promissoire de 2 000 000 $US. Le dépôt de 1 500 000 $US devait être financé par une hypothèque de 1er rang de 4 000 000 $US, dont le solde servirait à compléter les travaux. On escomptait financer 3 500 000 $US par les baux à être signés (pièce A‑1, onglet 20). Dans son témoignage, M. Gaucher a indiqué que déjà lors de l’entente signée le 16 novembre 1987, on prévoyait au paragraphe 7 que l’immeuble pourrait atteindre une valeur de 38 000 000 $US s’il était loué selon les projections du marché. Selon lui, il y voyait un motif d’investir avec la possibilité de réaliser un profit immédiat. Aucune étude de marché n’a toutefois été faite dans ce sens. À tout événement, l’offre d’achat du 6 mai 1988, qui n’a pas été faite en vertu de l’option d’achat signée le 1er décembre 1987, ne fut pas acceptée par BONY qui a donné préséance à Trammel Crow, ceux-là même qui avaient conseillé M. Gaucher sur les possibilités d’investissement immobilier au Texas, y compris dans le Sherry Plaza. M. Gaucher a dit ne pas avoir été mis au courant avant le fait de cette offre parallèle de Trammel Crow, lesquels ont racheté l’immeuble de BONY pour 14 000 000 $US. Il n’a pas cru bon les poursuivre non plus car il n’avait pas signé de clause de non‑concurrence avec eux, et ne voulait pas se mettre à dos l’une des firmes les plus importantes dans le domaine au Texas.

 

[31]    Parallèlement, en avril 1988, Sofati retenait les services de la société Gordon Capital, firme de Toronto spécialisée en « merchant banking », pour faire une proposition avec Prudential Bache Securities Inc. (une banque d’affaires qui cherchait toujours un promoteur prêt à investir), pour restructurer la First Republic Bank of Texas. Sofati se disait prêt à avancer 10 000 000 $US (pièce A‑1, onglet 46). Cette proposition était faite au nom de « Michel Gaucher Investment Group ».

 

[32]    Michel Gaucher a expliqué qu’il ne voulait pas associer PPJV à sa proposition, suite aux déboires financiers récents de PPJV avec BONY. Mais, si sa proposition était acceptée, il comptait investir par l’intermédiaire de PPJV. Cette proposition ne s’est finalement pas concrétisée.

 

[33]    Par la suite, vers 1989, Sofati investissait dans la chaîne d’alimentation Steinberg, dans la province de Québec. Selon M. Gaucher, Sofati a englouti une somme de 16 000 000 $CDN dans cette aventure qui s’est prolongée sur une période de six ans (jusqu’en 1994). Ainsi, bien qu’un des vice‑présidents de Sofati continuait à prospecter le marché immobilier au Texas, et malgré la possibilité qui a été offerte à PPJV d’investir davantage dans Highland Park Shopping Village en 1991 (pièce A‑1, onglet 41), celle-ci ne fut pas retenue et PPJV n’a fait aucun autre investissement par la suite.

 

[34]    Sofati a continué entretemps à gérer des centrales thermiques aux États‑Unis jusqu’en 2000.

 

Analyse

 

[35]    Dans Backman, précité, aux paragraphes 20 et 28, la Cour suprême du Canada disait ceci :

 

20                L’existence d’une société de personnes valable ne dépend pas de la création d’une nouvelle entreprise, car il suffit qu’une entreprise qui existait déjà ait été maintenue. Une telle société peut être formée lorsque deux parties conviennent d’exploiter ensemble l’entreprise que l’une d’elles possède déjà.  Il n’est pas nécessaire d’établir que les associés ont exploité une entreprise pendant une longue période. Une société de personnes peut être créée en vue d’une seule opération. Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Continental Bank, précité,  par. 48, « [t]ant que les parties ne créent pas l’équivalent d’une coquille vide qui n’exploite dans les faits aucune entreprise, le fait que la société en nom collectif ait été créée pour une seule opération est sans conséquence. » En outre, pour établir qu’il y avait exploitation d’une entreprise, il n’est pas nécessaire de démontrer que les parties tenaient des réunions, faisaient de nouvelles opérations ou prenaient des décisions :  Continental Bank, précité, par. 31-33. [… ]

 

[…]

 

28                En l’espèce, la prétendue société de personnes détenait deux éléments d’actif : les appartements Dallas et une participation directe de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz en Alberta. Tout comme la Cour d’appel fédérale, nous sommes d’avis qu’il ressort des faits de la présente affaire que, à l’époque où ils ont effectué les opérations en cause, les Canadiens n’avaient pas l’intention d’exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice pour ce qui est des appartements Dallas. Après l’acquisition par les Canadiens de leurs participations dans la prétendue société de personnes, les appartements Dallas ne leur ont appartenu que brièvement avant d’être aliénés conformément à l’option consentie aux associés américains et suivant l’ordre préétabli de conclusion des diverses opérations. Comme il a été mentionné dans l’arrêt Continental Bank, précité, une société en nom collectif peut être créée pour une courte période.  On a également reconnu dans cette affaire qu’il n’était pas nécessaire que les parties tiennent des réunions ou prennent des décisions, et que le fait d’accepter passivement des revenus de location pouvait constituer une entreprise.  Cependant, dans l’arrêt Continental Bank, précité, l’entreprise exploitée par la société en nom collectif existait déjà avant la formation de la société et elle a continué d’être exploitée par la suite.  En l’espèce, aucune entreprise n’a été maintenue; en fait, l’un des premiers gestes de la prétendue société de personnes a été de mettre fin aux activités de gestion, par Commons, des appartements Dallas.  En outre, aucune preuve n’a été produite en vue d’établir que les Canadiens avaient eu l’intention de réaliser un bénéfice pendant la période où ils participaient à l’entreprise relative aux appartements Dallas.  En conséquence, compte tenu de l’ensemble des circonstances, pendant la période qui s’est écoulée de l’entrée en scène des Canadiens jusqu’à l’aliénation des appartements Dallas, les Canadiens n’ont pas, à l’égard de ce bien, exploité une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.

 

[36]    À mon avis, comme dans l’arrêt Backman, l’appelante n’a pas fait la preuve qu’elle avait convenu avec les partenaires américains, d’exploiter ou de tirer profit ensemble des activités de PPJV. Il est vrai que tout juste avant la reprise de l’immeuble par BONY, le contrat de société a été modifié de façon à y prévoir la possibilité d’investir dans d’autres projets immobiliers que le Sherry Plaza, et que dans les faits PPJV a finalement investi deux ans plus tard une somme de 175 000 $US dans un projet qu’elle détient toujours. Mais ces seuls faits ne me convainquent pas, compte tenu des circonstances entourant toute la transaction, que Louis G. Reese, PPDC et l’appelante avaient l’intention de poursuivre en commun la réalisation d’un bénéfice. À mon avis, c’est l’élément important que devait prouver l’appelante et sur lequel elle a échoué.

 

[37]    Dans Backman, aux paragraphes 41, 42 et 43, la Cour suprême du Canada se prononçait ainsi :

 

41        Il ressort des principes fondamentaux du droit relatif aux sociétés de personnes que, pour qu’une personne puisse être admise dans une société de personnes valable existant déjà et devenir un nouvel associé de celle-ci, cette personne et celles qui sont déjà membres de la société doivent satisfaire aux éléments essentiels à l’existence d’une société de personnes valable au moment de l’admission du nouvel associé.  Elles doivent donc toutes exploiter l’entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.  À cet égard, nous souscrivons à la conclusion de la Cour d’appel fédérale que « l’admission de nouveaux membres […] [est] considéré[e] comme entraînant la constitution d’une nouvelle société de personnes, à condition bien sûr que les éléments nécessaires de la définition de la société de personnes soient présents » (par. 51).  En particulier, nous faisons nôtres, à l’instar de la Cour d’appel fédérale, les propos suivants  figurant au par. 3‑04 de Lindley & Banks on Partnership, op. cit., qui énoncent ainsi la position juridique classique :

 

[TRADUCTION]  Le droit ne tient pas compte de la société, il tient compte des associés qui la composent; tout changement survenu à leur égard a pour effet de détruire la nature de la société; ce qu’on appelle les biens de la société sont les biens des associés et ce qu'on appelle les dettes et obligations de la société sont les dettes et obligations des associés.

 

42        Une société de personnes validement constituée est donc une entité qui continue d’exister, tant et aussi longtemps que sa composition demeure la même et que ne survient pas un des faits qui, suivant la loi ou le contrat, entraînent sa dissolution.  Un contrat de société peut prévoir le maintien de la société après l’admission ou le retrait de membres, mais cela n’écarte pas l’obligation qu’ont les personnes qui entendent devenir des associés de cette société de satisfaire aux critères essentiels de validité d’une société de personnes.  Ces critères sont fondamentaux et ne peuvent être écartés simplement par contrat.  Une telle conclusion est compatible avec l’opinion que la formation d’une société de personnes ne dépend pas seulement des arrangements prévus par contrat, mais également du respect des éléments essentiels à l’existence d’une telle société qui ont été décrits par notre Cour dans l’arrêt Continental Bank, précité.

 

43        Comme nous avons déjà jugé que, au moment où ils ont conclu les opérations en cause, les prétendus associés ne satisfaisaient pas à ces éléments essentiels, nous ne pouvons retenir la thèse de l’appelant sur cette question.

 

[38]    La présente situation se distingue de celle qui prévalait dans Spire Freezers Ltd. c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 391, 2001 CSC 11, où la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 24, que « … pendant la courte période au cours de laquelle les Américains et Spire Freezers Ltd. ont été associés, ils ont exploité les condominiums HCP et les appartements Tremont comme une entreprise commune. La société de personnes a continué d’exister et d’exploiter une entreprise après le retrait des Américains. À tout moment pertinent, donc, des associés géraient des éléments d’actif. À un certain moment, tous les membres participaient à la gestion des appartements Tremont. En d’autres termes, il y a eu, à tout moment, exploitation d’une entreprise en commun. »

 

[39]    Dans Spire Freezers comme dans la présente cause, la série de transactions s’est faite dans la même journée. La Cour suprême du Canada semble avoir considéré qu’il y avait eu exploitation commune d’une entreprise entre les nouveaux associés et les associés sortants alors qu’elle a considéré que ce n’était pas le cas dans Backman sur la base suivante :

 

20                Toutefois, malgré les similitudes qui existent entre les opérations en l’espèce et celles de l’affaire Backman, elles présentent néanmoins certaines différences essentielles. Par exemple, relativement à la question de savoir s’il y avait exploitation d’une entreprise, il convient de souligner la différence importante qui existe entre les éléments d’actif secondaires en cause dans les affaires Backman et Spire du point de vue de l’ampleur des efforts requis des appelants et consacrés par eux sur le plan de la gestion.  Dans Backman, l’élément d’actif secondaire était un intérêt de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz, acheté pour la somme de 5 000 $ lors du transfert du contrôle de la présumée société des Américains aux Canadiens.  Dans Backman, la présumée société ne disposait pas de pouvoir important relativement à la gestion de cet élément d’actif et l’acquisition de celui-ci ne constituait pas non plus la poursuite d’une entreprise existante de l’un des associés présumés.  […] Dans la présente affaire, l’élément d’actif secondaire détenu par la société de personnes était un immeuble à logements en pleine propriété.  L’entreprise de gestion immobilière se rapportant à cet élément d’actif existait déjà et a été poursuivie par les Canadiens.  La gestion des appartements Tremont a demandé des efforts importants, que les appelants ont déployés et dont ils ont profité en réalisant un bénéfice.  Comme l’a souligné le juge Robertson, « la société de personnes a continué pendant au moins une dizaine d’années après la vente de l’immeuble en copropriété à être propriétaire d’un bien qui générait des bénéfices, en l’occurrence l’immeuble d’habitation » (par. 57 (souligné dans l’original)).

 

[40]    Ici, le seul actif de PPJV a été saisi tout de suite après le départ rétroactif des partenaires américains. Même si les objets de la société ont été modifiés avant leur retrait, je conclus de la preuve que ni M. Reese ni PPDC n’avaient l’intention de poursuivre en commun la réalisation d’un bénéfice avec l’appelante et WPTI. Dans les faits, aucun investissement n’a été effectué avec ces derniers par la suite. Les objectifs poursuivis par l’appelante après le départ de M. Reese et PPDC, et le temps et l’argent investis par l’appelante, n’étaient pas la poursuite de l’entreprise exploitée par PPJV alors qu’elle était sous le contrôle américain. M. Reese et PPDC ne se sont jamais présentés comme des associés de l’appelante et de WPTI. Au contraire, dans toute documentation avec BONY, M. Reese indiquait clairement que lui et PPDC étaient sur le point de céder leurs parts à de nouveaux investisseurs.

 

[41]    À mon avis, cette cause s’apparente plus à l’arrêt Backman qu’aux affaires Spire Freezers et Continental Bank. Elle se distingue également de l’affaire Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, [2003] 2 C.F. 25, 2002 CAF 291, citée par le procureur de l’appelante. Au paragraphe 27, le juge Noël s’exprimait ainsi :

 

27        La conclusion subséquente suivant laquelle les associés américains n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun avec les associés canadiens au cours de cette période est, à mon humble avis, contraire à la preuve. Le fait que les associés américains aient accepté de conserver une participation dans la société de personnes pour s'assurer que celle-ci continuerait à exister (paragraphe 41 des motifs) s'accorde avec leur volonté constante d'exploiter une entreprise en commun. Qui plus est, il ressort des états financiers de Klink pour l'exercice clos le 31 décembre 1991 que les associés américains ont effectivement reçu une quote-part des bénéfices de la société pour cette période (dossier d'appel, volume IV, page 641). Aux termes de l'alinéa 4c) de la Partnership Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 348, [TRADUCTION] « la réception par une personne d'une quote-part des bénéfices d'une entreprise constitue la preuve, en l'absence de preuve contraire, qu'elle est un associé de cette entreprise ». Or, en l'espèce, aucune preuve contraire n'a été présentée.

 

[42]    La situation n’est clairement pas la même ici.

 

[43]    Je considère donc que l’appelante n’a pas démontré qu’elle était membre d’une société au sens du paragraphe 96(1) de la LIR aux fins de la déduction de la perte subie par PPJV au cours de son exercice financier se terminant le 31 décembre 1987. C’est donc à bon droit que le report de la perte de 16 036 040 $CDN lui a été refusé au cours de son année d’imposition 1992.

 

[44]    Cette conclusion me dispense de me prononcer sur le montant réel de la perte, en application de l’article 10 de la LIR et de l’article 1801 du Règlement.

 

[45]    L’appel est rejeté avec dépens, selon le Tarif B de la Cour, en faveur de l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2007.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


 

 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI569

 

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-3092 (IT)G

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              177795 CANADA INC. c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 les 26 et 27 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 27 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Claude P. Desaulniers

Avocats de l'intimée :

Me Jane Meagher

Me Martin Gentile

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Claude P. Desaulniers

 

                 Cabinet :                           McCarthy Tétrault

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Albert Bohémier et Pierre-Paul Côté. Droit commercial général, volume 2, 3e édition, Montréal, Les éditions Thémis, 1985, chapitre II, Les sociétés, p. 16-19.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.