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Dossier : 2005-3083(IT)G

ENTRE :

ZR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 28 juin 2007, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations fiscales établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 2001, 2002 et 2003 sont accueillis, avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que, dans le calcul de son revenu, l’appelante a le droit de déduire une perte d’entreprise de 379 206 $ en 2001 et de déduire, en 2002 et en 2003 respectivement, les sommes de 23 293 $ et de 25 643 $ qui découlent du report prospectif de la perte.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d’octobre 2007.

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

 

Référence : 2007CCI598

Date : 20071010

Dossier : 2005-3083(IT)G

ENTRE :

ZR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     Les appels visent les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Dans le calcul de son revenu, l’appelante a déduit une perte d’entreprise de 379 206 $ pour l’année d’imposition 2001 et a déduit, pour les années d’imposition 2002 et 2003 respectivement, les sommes de 23 293 $ et de 25 643 $ qui découlaient du report prospectif de la perte autre qu’une perte en capital. Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations et refusé les déductions au motif que les paiements étaient de nature personnelle et imputables au capital.

 

[2]     La question en litige est de savoir si le paiement fait par l’appelante pour libérer son mari de la faillite a été effectué en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, comme le prescrit l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et peut être déduit de son revenu.

 

[3]     Un jugement au montant de 2 764 343 $ a été prononcé contre le mari de l’appelante (« H ») en Floride, pour inexécution d’un contrat conclu avec une société américaine exploitée sous le nom de franchise Red Carpet Inns. L’appelante et H étaient propriétaires de trois autres motels qu’ils exploitaient dans l’État de la Floride, outre le Red Carpet Inns. Par suite du jugement, H a déclaré faillite. La société américaine a intenté une action contre l’appelante et H dans une tentative de faire exécuter le jugement. L’appelante s’est sentie obligée de verser le montant de 379 206 $ à la société américaine à titre de règlement.

[4]     Les faits ne sont pas réellement contestés. L’exposé des faits suivant provient en partie de la réponse de l’intimée :

a)       L’appelante et H étaient propriétaires et exploitants d’établissements hôteliers en Floride. Pendant toutes les périodes pertinentes, ils étaient les seuls actionnaires d’Al‑Karim Inc. (« Al-Karim ») et les actionnaires majoritaires de Maza Hospitality Inc. (« Maza »). Ces sociétés détenaient chacune un hôtel.

b)                Au cours des années en question, l’appelante était une résidente du Canada et H, un résident des États‑Unis.

c)                 En 1993, H s’est associé à sept autres personnes pour devenir actionnaire de trois sociétés américaines : WWM Investment Inc. (« WWM »), Como Investment Inc. (« Como ») et BWIC Inc. (« BWIC »).

d)                Les associés ont investi chacun la somme de 50 000 $ dans l’entreprise, pour un total de 400 000 $. H a financé son achat depuis les fonds détenus dans deux comptes bancaires : celui d’Al-Karim et le compte conjoint qu’il possédait avec l’appelante.

e)                 L’appelante n’était actionnaire d’aucune de ces sociétés.

f)                  H est devenu président des sociétés et, en sa qualité de président, il a signé une entente de franchise avec Hospitality International Inc. pour que Como et WWM puissent exploiter leur établissement sous l’enseigne de Red Carpet Inns. La troisième société, BWIC, était propriétaire d’un hôtel qui ne faisait pas partie d’une franchise.

g)                 H s’est porté personnellement garant à l’égard des deux contrats de franchise et du prêt hypothécaire consenti pour l’hôtel de BWIC.

h)                 Peu de temps après la signature des contrats de franchise, le motel Como a été détruit par une tornade. H n’était pas d’accord avec les autres investisseurs pour transformer l’hôtel en un établissement plus luxueux. Il a retiré sa mise de fonds et démissionné verbalement de ses fonctions de président.

i)                   Après avoir retiré sa mise de fonds, H a cessé toute participation aux activités des sociétés. Il savait que les affaires n’allaient pas très bien et il croyait que les contrats de franchise avaient été résiliés.

j)                   En janvier 1994, les actions de BWIC ont été transférées à l’appelante et  à H, conjointement. Les détails de cette transaction n’ont pas été expliqués au procès.

k)                 Contrairement à ce que H croyait, les contrats de franchise n’avaient pas été résiliés, et Como et WWM avaient cessé de verser les redevances de franchise. Lorsque les biens ont finalement été vendus et que les nouveaux propriétaires ont refusé le transfert des contrats de franchise, Hospitality International Inc. et Red Carpet Inns International Inc. (les « demanderesses américaines ») ont intenté une action contre WWM, Como et H. En 1999, elles ont obtenu un jugement totalisant environ 2,8 millions de dollars américains.

l)                   Le 18 novembre 1999, H a déclaré faillite en vertu de la loi applicable en matière de faillite (chapitre 7) aux États‑Unis.

m)              Au moment de la faillite, l’appelante et H possédaient ce qui suit :

i)        75 p. 100 des actions de BWIC Inc. qui avait un actif net de 750 000 $US, composé principalement d’une hypothèque intégrante;

ii)                 100 p. 100 des actions d’Al-Karim Inc., qui avait un actif net de 275 000 $US, composé seulement d’un billet et d’une hypothèque;

iii)                60 p. 100 des actions de Maza Hospitality Inc., qui avait un actif net de zéro dollar (la propriété était grevée de trois hypothèques);

n)                 L’appelante a témoigné que, en Floride, les biens possédés conjointement par des époux sont des « biens communs » et ne peuvent être divisés. Cela n’a pas été contesté par l’intimée.

o)                H a déclaré les biens énumérés à l’alinéa m) comme étant des biens communs et, par conséquent, exonérés en vertu des lois de la Floride en matière de faillite.

p)      Le 27 avril 2000, les demanderesses américaines ont intenté une action en justice contre l’appelante et H. Par cette action, elles s’opposaient aux exemptions demandées par le mari et voulaient éviter que le mari ne transfère frauduleusement des biens à l’appelante.

q)      L’appelante et son mari ont conclu qu’ils avaient le choix d’en arriver à un règlement avec les demanderesses américaines ou de liquider les trois sociétés et de permettre à l’appelante de récupérer sa moitié. Ils ont calculé que l’appelante, tout comme les demanderesses américaines, pourrait ainsi retirer un montant inférieur à 100 000 $US.

r)       Le 6 octobre 2000, l’appelante et H ont conclu un règlement avec les demanderesses américaines. L’entente prévoyait, entre autres choses, que l’appelante et H devaient payer la somme de 10 000 $US aux demanderesses américaines et leur céder le billet et l’hypothèque d’Al‑Karim qui étaient évalués à 279 803 $. 

s)       Le 31 octobre 2001, l’appelante et H ont conclu, avec le syndic de faillite, un règlement qui prévoyait notamment le paiement de 200 000 $US à ce dernier.

t)       En dollars canadiens, la part de l’appelante correspondant à la moitié de la somme des règlements conclus avec les demanderesses américaines et le syndic de faillite se chiffrait à 379 205,48 $ (soit 50 p. 100 de la somme des montants dus (279 803 $US + 10 000 $US + 200 000 $US) multiplié par le taux de change de 1,5484).

u)       L’appelante a déduit une perte d’entreprise de 379 206 $ en 2001 et elle a déduit, en 2002 et en 2003 respectivement, les sommes de 23 293 $ et de 25 643 $ qui découlaient du report prospectif de la perte autre qu’une perte en capital.

[5]     Le gouvernement américain a accepté ces montants comme perte d’entreprise pour l’appelante. Selon l’appelante, le résultat de tout cela était qu’elle et son mari étaient en mesure de continuer à faire des affaires, en travaillant très fort tous les deux pour tirer des revenus de leur entreprise qui constituait essentiellement leur seule source de revenus.

[6]     L’avocate de l’intimée était d’avis que le montant payé par l’appelante l’avait été afin de protéger les actifs de Maza et de BWIC, et qu’il constituait un paiement à titre de capital et ne pouvait être déduit en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi. En outre, elle a soutenu que la dépense engagée par l’appelante était de nature personnelle puisqu’elle avait été faite pour aider le mari de l'appelante à se sortir de la faillite et que l’appelante n’avait rien eu à voir avec Como ou WWM.

[7]     H, qui agissait également à titre de représentant de l’appelante à l’audience[1], a allégué que, compte tenu du fait que les redevances de franchise sont des dépenses d’entreprise pouvant être déduites et qu’une perte découlant de la violation d’un contrat de franchise serait une perte d’entreprise, le règlement de la faillite devrait ainsi être considéré comme une perte d’entreprise également. Il a soutenu que l’appelante devrait avoir droit à crédit pour impôt étranger à l’égard des pertes d’entreprise admises aux États-Unis, mais il n’a pas développé sa position.

 

Analyse et conclusion

[8]     Pour qu’elles puissent être déduites au titre des dépenses d’entreprise, les dépenses doivent être engagées « en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien » aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi et elles ne peuvent constituer « un paiement à titre de capital » aux termes de l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

 

S’agissait‑il de dépenses de nature personnelle ou de dépenses liées à l’entreprise?

[9]     Je suis d’avis que le montant total payé dans le règlement par l’appelante était une dépense engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu d’une entreprise, comme le prescrit l’alinéa 18(1)a). L’argument de l’intimée suivant lequel il s’agissait purement et simplement d’une dépense personnelle faite par l’appelante ne reflète pas avec exactitude les intérêts commerciaux de celle‑ci. L’appelante et H étaient des associés. Je tiens pour avéré qu’ils détenaient toutes les actions conjointement et exploitaient les entreprises ensemble. Même si le nom de l’appelante n’apparaissait pas initialement au registre des actionnaires de BWIC, de Como ou de WWM, H a acheté les actions en utilisant les fonds du compte bancaire conjoint du couple, et les actions de BWIC ont été par la suite transférées à l’appelante et à H conjointement. Quoiqu’il n’en ait pas été expressément question à l’audience, je conclus que l’appelante avait droit en equity à 50 p. 100 des actions des trois sociétés.

[10]    Même si l’intimée a raison d’affirmer que l’appelante n’avait aucune responsabilité à l’égard du contrat de franchise violé, elle a néanmoins été constituée partie aux ententes de règlement conclues avec le syndic de faillite et les créanciers par ordonnance judiciaire. Comme l’appelante et H l’ont expliqué en long et en large durant le procès, ils avaient seulement deux choix :

a)       liquider les trois sociétés et permettre à l’appelante de récupérer sa moitié moins les honoraires des avocats et des comptables;

b)      négocier un règlement.

Je suis d’avis que la décision de l’appelante a été prise de bonne foi et constituait un exercice raisonnable d’appréciation d’une situation d’affaires, et je souscris au raisonnement suivant de la juge Lamarre Proulx dans une situation assez semblable, à savoir l’affaire Nisker c. La Reine[2] :

Il n’est pas inhabituel pour une personne dans les affaires d’avoir à faire un paiement pour remplir les obligations d’une autre personne ou d’une société liée à ses propres affaires, afin de protéger et de favoriser ses propres intérêts commerciaux. Il s’agit d’une décision d’affaires prise pour protéger la survaleur ou la solvabilité ou encore l’entreprise elle‑même. (Voir Pigott Investments Ltd. v. The Queen, 73 DTC. 5507, et Williams Gold Refining Co. of Canada Ltd. v. R., [2000] 2 C.T.C. 2193, 2000 DTC 1829, au paragraphe 17.) Il est également intéressant de noter que la jurisprudence américaine abonde dans le sens de ces décisions (Voir United States Tax Reporter, volume 4A, 1624.026 et 1624.027.)

Je souscris au raisonnement de cette décision, mais il y a actuellement appel à la Cour d’appel fédérale. Je vais donc m’appuyer sur d’autres précédents.

[11]    Je trouve un autre appui à cette opinion dans Frappier c. Canada[3], une décision du juge en chef Bowman. Dans cette affaire, une conseillère financière a été autorisée à déduire les paiements faits à des clients pour le remboursement de pertes réalisées sur des valeurs mobilières qu’elle avait achetées en leur nom, y compris deux clients qui avaient été remboursés pour des pertes occasionnées par le mari de la contribuable. En examinant la question de savoir si les paiements étaient de nature personnelle, le juge en chef Bowman a déclaré ce qui suit aux paragraphes 15 et 16 :

Je trouve certains de ces facteurs quelque peu troublants – par exemple le fait que deux clients étaient des membres de la famille, que d’autres clients étaient des voisins et que, dans deux cas, les sommes ont été versées à des personnes qui avaient apparemment perdu de l’argent à cause du mari de Mme Frappier.

Ces considérations ne sont pas sans pertinence, mais elles doivent être envisagées en tenant compte du tableau plus général qui se dégage, soit celui d’une personne dynamique qui réussissait fort bien dans les affaires, dont les principaux atouts étaient sa réputation, sa compétence et les rapports qu’elle entretenait avec ses clients, dont certains étaient des amis et des membres de sa famille. Il était important que les clients de Mme Frappier, lesquels lui communiquaient le nom de nouveaux clients possibles, demeurent satisfaits et qu’ils considèrent qu’elle répondait des conseils qu’elle donnait et des placements qu’elle effectuait pour leur compte, étant donné la latitude dont elle disposait à l’égard de leur portefeuille de titres. La réputation de Mme Frappier dans ce secteur d’activités était importante pour ses affaires courantes, et elle devait notamment être protégée contre tout préjudice qui pourrait lui être causé si des poursuites étaient engagées contre son mari. Comme l’avocat de l’intimée le soutient, il y avait peut‑être bien un élément de compassion et de loyauté envers les amis, les voisins et les membres de la famille, mais le tableau général qui se dégage est celui d’une personne plutôt dure en affaires, tenace, qui n’était pas prête à se départir de son argent si elle n’y voyait pas d’avantage aux fins de ses affaires.

Le juge en chef Bowman a également soutenu que le fait qu’il n’existait aucune obligation de faire les paiements n’était pas une restriction à la déductibilité au titre d’une dépense d’entreprise. 

S’agissait‑il de dépenses imputables au revenu ou au capital?

[12]    L’intimée invoque deux affaires où la question de la déductibilité des frais juridiques est abordée, Canada v. Jager Homes Ltd.[4] et Muggli c. Canada[5]. Les faits de ces affaires sont différents de ceux en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, ces affaires intéressaient toutes les deux des procédures en divorce dans lesquelles l’un des époux poursuivait pour récupérer une partie de l’entreprise familiale. Les procédures en divorce sont intrinsèquement personnelles et on ne peut pas dire que les actions en justice qui en découlent font normalement partie de l’exploitation d’une entreprise. Deuxièmement, les deux affaires intéressaient la déductibilité des frais juridiques et non la déductibilité des dommages‑intérêts ou des règlements. Même si l’analyse est semblable pour les deux questions, les sommes accordées à titre de dommages‑intérêts et les frais juridiques ne feront pas nécessairement l’objet du même traitement fiscal[6]. Lorsqu’elle se penche sur la question des frais juridiques, la Cour doit tenir compte de la raison pour laquelle ils ont été engagés. Pour la question des dommages‑intérêts et des règlements, il faut également tenir compte de l’origine de la réclamation[7]

[13]    Encore une fois, les faits en l’espèce sont complexes : un jugement contre H pour violation d’un contrat de franchise; une procédure de faillite contre l’appelante et H parce que la presque totalité de leurs biens étaient de propriété commune; une entente de règlement signée à la fois par l’appelante et H. Au cours du procès, l’avocate de l’intimée a passé beaucoup de temps à tenter de savoir pourquoi l’appelante et son mari avaient décidé de structurer l’entente de règlement de la manière dont ils l’ont fait. À mon avis, toutefois, elle a abordé le problème sous un mauvais angle

Origine de la réclamation

[14]    La réclamation avait pour origine la violation du contrat de franchise. Il n’était pas contesté que Como et WWM auraient eu droit de déduire les dommages‑intérêts découlant de la violation du contrat de franchise en vertu des articles 3 et 9 de la Loi[8]. Les contrats de franchise ont été conclus en vue de tirer un revenu de l’établissement hôtelier et ils ont été violés dans le cours normal des activités de l’entreprise. 

[15]    Je crois que, dans le contexte des dommages‑intérêts, des règlements et des paiements du genre, la détermination de l’origine de la réclamation est suffisante pour trancher la question de savoir si le paiement a été fait au titre du revenu ou au titre du capital. Considérer l’objectif du paiement, au lieu de l’objectif de l’acte ou de l’omission à l’origine de la réclamation, peut donner lieu à des résultats incohérents. Comparons une situation où la somme accordée à titre de dommages‑intérêts est si élevée que tous les actifs d’une société sont perdus à une situation où une société conclut un règlement pour un plus petit montant et est en mesure de préserver certains de ses actifs. Suivant le raisonnement de l’intimée, la déduction sera permise dans la première situation puisque aucun élément d’actif n’a été préservé. Dans la deuxième situation, par ailleurs, la déduction peut ne pas être permise parce que le but du paiement était de préserver certains des actifs de la société. En cas de pluralité des méthodes applicables, les tribunaux devraient choisir celle qui est la plus sensée et qui ne donne pas lieu à des incohérences. Pour cette raison, la détermination de l’origine de la réclamation est la méthode privilégiée. Les jugements rendus dans Impérial Oil Ltd. v. Canada[9], 65302 British Columbia Ltd. et McNeill peuvent être invoqués à l’appui de cette position.

[16]    Dans McNeill, la Cour d’appel fédérale a permis à un contribuable, qui était comptable agréé, de déduire la somme des dommages‑intérêts auxquels il avait été condamné pour avoir violé les conditions d’une clause de non‑concurrence à la suite de la vente de son entreprise. La Cour a conclu que les dommages‑intérêts avaient été accordés pour indemniser un manque à gagner et étaient imputables au revenu :

[…] la conclusion de fait du juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle l’objectif que poursuivait l’appelant en violant le contrat était de conserver ses clients et son chiffre d’affaires est déterminante. Les dommages‑intérêts visaient à indemniser pour un manque à gagner. L’avocat de l’appelant a expliqué de quelle manière chacun des postes des dommages‑intérêts auxquels son client a été condamné au titre des pertes subies ou à subir par Roe & Co. se rapportait aux activités commerciales que l’appelant exerçait ou exercerait en violation du contrat.

Dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd., la Cour suprême du Canada a statué que la taxe sur dépassement de quota imposée à un entrepreneur avicole était une dépense d’entreprise déductible, et elle a affirmé ce qui suit aux paragraphes 70 et 71 :

L’intimée fait aussi valoir que la taxe sur dépassement de quota était en fait une dépense en capital dont la déduction est interdite par l’al. 18(1)b) parce que son paiement a permis au contribuable de conserver son quota. Avec égards, je ne trouve pas cet argument bien fondé. En vertu de l’al. 17g) de la British Columbia Egg Marketing Board Standing Order, l’Office a le pouvoir discrétionnaire d’annuler ou de suspendre la licence et le quota d’un producteur lorsqu’il y a violation de toute disposition de l’ordonnance. Par conséquent, le contribuable courrait le même risque de perdre son quota s’il omettait de payer la taxe de quota ordinaire imposée pour chaque pondeuse gardée par un producteur. Au procès, l’intimée a admis que la taxe de quota ordinaire est déductible à titre de dépense courante. Cela étant, je ne puis comprendre comment la qualification de la taxe sur dépassement de quota comme dépense en capital peut être fondée sur les conséquences de son non‑paiement.

Même sans la concession de l’intimée au sujet de la taxe de quota ordinaire, je ne qualifierais pas la taxe sur dépassement de quota comme une dépense en capital. Comme le dit notre Cour dans l’arrêt Canderel, précité, au par. 45 :

Au lieu de tenter de déterminer dans quelle case entre une dépense donnée, le contribuable devrait présenter son revenu de la manière qui reflète le mieux sa véritable situation financière pour l’année, c’est‑à‑dire qui donne une « image fidèle » du bénéfice.

L’amende en cause dans le présent pourvoi est établie sur une base journalière et elle vise à éliminer le bénéfice que le producteur a pu tirer de la production excédentaire. Ces considérations convergent toutes vers la qualification de la taxe comme une dépense courante. Dans la présente analyse, le fait qu’il y ait eu un risque de révocation du quota en cas de défaut de paiement de l’amende n’est pas plus pertinent que l’existence d’un risque de coupure du courant électrique à l’usine si  le compte d’électricité n’est pas payé au fournisseur, avec ses conséquences sur la viabilité de l’entreprise. Le fait de déclarer le coût de l’électricité comme une dépense en capital dans ce contexte ne donnerait pas une image fidèle du revenu du contribuable pour l’année.

[17]    Finalement, dans Imperial Oil Ltd., la société appelante a été autorisée à déduire un paiement fait en règlement d’une poursuite en responsabilité délictuelle. L’appelante exerçait ses activités dans le secteur de la fabrication, du transport et la commercialisation des produits pétroliers. L’un de ses navires pétroliers était entré en collision avec un autre bâtiment, qui avait coulé. Les propriétaires de l’autre bâtiment ont intenté une action en dommages‑intérêts, et un accord avait en fin de compte été conclu pour la réclamation. En autorisant la déduction, le président Thorson a affirmé ce qui suit à la page 546 :

          [traduction]

Il faut voir au‑delà du paiement et s’interroger à savoir si l’obligation qui le rendait nécessaire – et ce, peu importe que cette obligation soit de nature contractuelle ou délictuelle – a été contractée dans le cours des activités à partir desquelles le contribuable tirait son revenu. Lorsque le revenu est tiré de certaines opérations, comme cela s’est produit dans le cas des opérations maritimes de l’appelante, toutes les dépenses totalement, exclusivement et nécessairement accessoires à ces opérations doivent être déduites à titre de coût total de ces opérations pour que le montant des bénéfices ou des gains tirés de ces opérations qui feront l’objet d’une cotisation puisse être calculé. De tels coûts comprennent non seulement tous les coûts d’exploitation ordinaires, mais aussi les sommes versées pour s’acquitter de la responsabilité normalement engagée au cours des opérations. Dans ces cas, la nature des opérations est telle que le risque de négligence de la part des employés du contribuable dans le cours de leurs fonctions ou de leur emploi est réellement accessoire à de telles opérations, comme ce fut le cas dans la présente espèce, avec la responsabilité qui en découle de payer les dommages‑intérêts et les frais, et le montant de ces dommages‑intérêts et de ces frais est de bon droit inclus comme l’un des éléments du coût total de ces opérations. Il peut par conséquent être proprement décrit comme une dépense qui est totalement, exclusivement et nécessairement faite à titre de partie intégrante du processus de production du revenu.

[Non souligné dans l’original.]

[18]    La Cour suprême du Canada a écarté l’application de la décision Imperial Oil dans 65302 British Columbia Ltd. parce qu’elle se fondait sur la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu. Le juge Iacobucci a conclu que la portée des dépenses d’entreprise déductibles était élargie en vertu de l’alinéa 18(1)a), par comparaison à la portée définie dans la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu. Tenant compte des différences observées dans le libellé, il a conclu qu’il n’était pas nécessaire que « les dépenses soient accessoires […] », en ce sens qu’elles soient inévitables, pour être déductibles. À mon avis, la partie du jugement qui précise qu’il faut voir au‑delà du paiement et examiner l’obligation s’applique toujours et vient appuyer davantage la thèse voulant qu’il soit approprié de mettre l’accent sur l’origine de la réclamation.

Le but du paiement du règlement

[19]    À titre subsidiaire, je vais examiner le but des dépenses en question. L’appelante et H se trouvaient dans cette situation en raison de mauvaises décisions d’affaires, certaines prises par eux et bon nombre d’autres prises par les sept autres investisseurs. Même s’il est vrai que le règlement a permis à l’appelante et à H de conserver les actifs de BWIC et de Maza, il leur a également permis de continuer à faire des affaires, de récupérer une partie du manque à gagner, de libérer le mari de la faillite et de protéger leur réputation. Je crois qu’ils ont structuré le règlement de la manière qu’ils l’ont fait dans l’objectif premier de maximiser les profits futurs. Le règlement en cause n’a pas été fait pour l’acquisition d’immobilisations; il a été élaboré dans le cadre du processus de réalisation de bénéfices et il est déductible en vertu des articles 3, 9 et 18 de la Loi.

[20]    En outre, des deux sociétés que l’appelante et H ont réussi à conserver après le règlement, une seule, à savoir BWIC, avait un actif net. L’autre société, Maza, était tellement endettée qu’elle a été considérée comme n’ayant aucune valeur. Je ne vois pas comment on peut dire que l’objectif premier du règlement consistait à protéger un actif immobilisé qui n’avait aucune valeur nette.

[21]    Dans plusieurs jugements faisant autorité, la difficulté de décider si une dépense est imputable au revenu ou au capital a été discutée et, de façon constante, il a été conclu que les tribunaux devaient adopter une démarche fondée sur le bon sens. Dans MNR v. Algoma Central Railway[10], le juge en chef du Canada a cité avec approbation le passage suivant extrait de la décision B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia[11] :

          [traduction]

La solution du problème ne réside pas dans l’application d’un critère ou d’une définition rigides. Elle découle des nombreux aspects de l’ensemble des circonstances, dont certaines amènent à conclure dans un sens, et certaines, dans un autre. Il se peut qu’un facteur ressorte de façon tellement évidente qu’il domine d’autres indices plus vagues qui conduisent à une solution contraire. C’est une appréciation logique de tous les éléments directeurs qui permettra d’obtenir la réponse finale.

[22]    Dans Canada c. Johns‑Manville Canada Inc.[12], le juge Estey a cité avec approbation l’extrait suivant de la décision Tucker v. Granada Motorway Services Ltd.[13] :

          [traduction]

Il arrive souvent dans les cas qui soulèvent la question de savoir si un paiement doit être considéré comme une dépense d’exploitation ou comme une dépense de capital que les indices soient contradictoires. En fin de compte, les tribunaux ne peuvent faire beaucoup mieux que de se former une opinion quant au côté où la balance penche. La jurisprudence mentionne un certain nombre de critères utiles à appliquer, mais nous avons été avertis plus d’une fois de ne pas chercher automatiquement à appliquer à un cas des termes ou formules jugés utiles dans un autre […] Cependant la jurisprudence est le meilleur outil que nous ayons, même s’il est parfois rudimentaire.

Voir également les observations formulées par le juge Iacobucci dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada[14], cité au paragraphe 16 des présents motifs.

[23]    L’appelante et H sont des gens d’affaires qui travaillent très fort. Au lieu de liquider leurs entreprises pour payer le jugement prononcé aux États-Unis, ils ont élaboré une entente de règlement créative qui permettait aux créanciers d’empocher plus d’argent et permettait à l’appelante et à H de continuer à faire des affaires dans l’industrie motelière. Même s’il est vrai qu’ils ont réussi à conserver les actifs de BWIC et de Maza, j’estime qu’il s’agissait là d’un objectif secondaire. L’objectif premier était de maximiser les profits futurs.

[24]    L’appelante a plaidé subsidiairement qu’un crédit pour impôt étranger devrait lui être accordé en vertu de l’article 126 de la Loi relativement aux pertes d’entreprise acceptées aux États-Unis. En résumé, elle a fait valoir qu’il n’y avait aucun avantage à tirer du fait que les pertes avaient été acceptées aux États‑Unis si elle était tenue de payer de l’impôt sur le montant total au Canada. Même si je suis sensible aux arguments de l’appelante, il ressort clairement du paragraphe 126(2) qu’un contribuable ne peut bénéficier d’un crédit d’impôt qu’à l’égard de « l’impôt sur le revenu tiré d’une entreprise qu’il a payé » dans un autre pays que le Canada. Il n’existe pas de crédit similaire pour les déductions ou les crédits accordés à l’étranger, et c’est pour cette raison que l’argument de l’appelante ne doit pas être retenu.

[25]    Pour ces motifs, l’appel est accueilli, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d’octobre 2007.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI598

 

NO DE DOSSIER LA COUR :           2005-3083(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ZR c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Susan Wong

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      s.o.

 

                          Cabinet :                  s.o.

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Le mari de l’appelante n’est pas avocat, mais la Cour lui a permis de la représenter.

 

[2]           2006 CCI 651, paragraphe 34. La Cour d’appel fédérale est actuellement saisie de cette décision.

 

[3]           [1998] A.C.I. no 142.

 

[4]           88 DTC 6119 (C.A.F.).

 

[5]           [1994] A.C.I. no 178.

 

[6]           Voir Hassanali, succession c. Canada, [1997] A.C.I. no 36, paragraphe 15.

 

[7]           Voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, paragraphe 39, et Nisker, précitée, au paragraphe 35.

 

[8]           65302 British Columbia Ltd, précité, au paragraphe 72, et McNeill  v. R., 2000 DTC 6211 (C.A.F.), au paragraphe 17.

 

[9]           [1947] C.T.C. 353 (R.C. de l’É.).

 

[10]          [1968] S.C.R. 447.

 

[11]          [1966] A.C. 224.

 

[12]          [1985] A.C.S. no 44.

 

[13]          [1979] 2 All E.R. 801, paragraphe 30.

 

[14]          [1998] 1 R.C.S. 147.

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