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Dossier : 2005-2795(IT)G

ENTRE :

JON STEPHEN KILBRIDE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

___________________________________________________________________

Appels entendus les 12 et 13 avril 2007 et le 9 juillet 2007

à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelant :

Me David J. Demirkan

 

 

Avocat de l’intimée :

Me John W. Smithers

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 2001 et 2002 sont rejetés avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’octobre 2007.

 

 

 

 

 

 

Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de décembre 2007.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI663

Date : 20071030

Dossier : 2005-2795(IT)G    

ENTRE :

 

JON STEPHEN KILBRIDE,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Campbell

 

[1]     Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2001 et 2002, l’appelant a demandé la déduction de dépenses d’entreprise à titre de conseiller en gestion travaillant pour son propre compte. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction de ces dépenses après avoir conclu que l’appelant ne travaillait pas pour son propre compte et qu’il était plutôt un employé auprès d’une société nommée Thermaray Incorporated (la société « Thermaray »), anciennement connue sous le nom de Canray Incorporated.

 

[2]     Thermaray exploite une entreprise de fabrication de systèmes de chauffage par rayonnement. Ses bureaux et son usine sont situés à Fredericton (Nouveau‑Brunswick). Il s’agit essentiellement d’une entreprise familiale. Le père de l’appelant, Bert Kilbride, en est le président et l’actionnaire majoritaire, et le frère de l’appelant, Kevin Kilbride, est le vice‑président des opérations. L’appelant, quant à lui, est secrétaire et trésorier ainsi qu’actionnaire minoritaire. Pendant la période en cause, il était également un administrateur détenant un pouvoir de signature. L’appelant était chargé de la tenue des livres de Thermaray ainsi que du soutien technique.

 

[3]     L’appelant travaille par intermittence auprès de Thermaray depuis que cette dernière a été constituée en société en 1985. Aucun contrat écrit n’a été conclu entre les parties et il n’existe aucune description du travail de l’appelant. Selon les témoignages, l’appelant était chargé de l’installation, de la configuration et de l’entretien des systèmes informatiques, en plus de s’occuper de la comptabilité générale et de signer les bons de commande, les documents de la paie et les documents bancaires. Il participait à l’occasion à des foires commerciales et rencontrait des clients au nom de Thermaray. De plus, il répondait aux questions des clients concernant les problèmes techniques.

 

[4]     L’appelant dit qu’il est un conseiller en gestion et affirme qu’il était un entrepreneur indépendant pendant la période en cause, même si Thermaray était sa seule source de revenu. Il a donc déduit diverses dépenses d’entreprise qu’il affirme avoir effectuées dans le cadre de l’exploitation de son entreprise de conseiller en gestion. Ces dépenses, s’élevant à environ 30 000 $ pour chaque année, comprennent des dépenses relatives à un véhicule à moteur, à l’utilisation d’un bureau à domicile, aux frais de repas et de représentation, aux déplacements, ainsi qu’au salaire qu’il versait à son épouse pour des tâches de tenue de livre.

 

[5]     L’intention de Thermaray et de l’appelant était que ce dernier agisse à titre d’entrepreneur indépendant. Le présent appel fait suite à une vérification menée par l’Agence du revenu du Canada auprès de Thermaray.

 

[6]     Lorsqu’il a établi les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 15 de la réponse à l’avis d’appel :

 

[traduction]

 

b)         pendant toute la période en cause, l’appelant travaillait à temps plein auprès de Thermaray, une société exploitant une entreprise de fabrication des panneaux de chauffage résidentiel par rayonnement; 

 

c)         les bureaux et l’usine de Thermaray étaient situés au même endroit, soit au 670, chemin Wilsey, unité 6, Fredericton (Nouveau‑Brunswick);

 

d)         l’appelant s’occupait notamment de la comptabilité et de l’informatique, en plus des opérations bancaires de Thermaray et de la gestion générale du bureau, ce qui comprenait la signature des bons de commandes, des documents de la paie et des documents bancaires;

 

e)         pendant toute la période en cause, l’appelant détenait une participation de 4,8 % dans Thermaray et est devenu administrateur de Thermaray en juin 2002;

 

f)                 Thermaray est une société contrôlée par la famille de l’appelant, et le

            père de ce dernier en est l’actionnaire majoritaire;

 

g)         la participation dans la société est répartie ainsi :

 

Actionnaire

 

Participation

Bert Kilbride, président

 

48,8 %

Gestion provinciale ltée

 

20 %

Kevin Kilbride, vice‑président

 

14,4 %

Joe Osbourne

 

12 %

Steve Kilbride, secrétaire/trésorier

 

4,8 %

 

h)         l’appelant présentait des factures à Thermaray pour ses services rendus;

 

i)          aucun contrat écrit n’avait été conclu entre Thermaray et l’appelant pour établir la nature de ses tâches; 

 

j)          l’appelant était payé à la quinzaine, habituellement à un taux de 2 327,08 $ par paie pendant la période de janvier à novembre 2001, puis, à un taux de  2 827,08 $ par paie pendant le reste de la période de 2001 à 2002;

 

k)         pendant toute la période en cause, Thermaray était la seule source de revenu de l’appelant;

 

l)          pendant toute la période en cause, l’appelant avait un compte de prêts aux actionnaires impayé auprès de Thermaray;

 

m)                s’il n’était pas en voyage d’affaires pour Thermaray, l’appelant devait        

effectuer ses tâches sur place, dans les bureaux de Thermaray, dans l’espace de travail qui lui était réservé;

 

n)         Thermaray fournissait tous les logiciels de comptabilité, les ordinateurs et le matériel de bureau permettant à l’appelant d’accomplir ses tâches;

 

o)         Thermaray remboursait à l’appelant toutes les dépenses de voyages qu’il avait engagées dans le cadre de ses voyages d’affaires;

 

p)         l’appelant n’avait ni chance de profit ni risque de perte quant à son travail auprès de Thermaray;

 

q)         Thermaray n’exigeait pas de l’appelant qu’il ait un bureau à son domicile; 

 

r)          l’appelant n’exploitait pas une entreprise pendant les années en cause;

 

s)         l’appelant a versé de la TVH à l’égard de ses bénéfices et a demandé le CTI pour son compte de TPS.

 

Au paragraphe 16, le ministre s’est fondé sur les faits pertinents ci‑dessous :

 

[traduction]

 

a)         l’appelant était le directeur financier de Thermaray et détenait le pouvoir de signature pour le compte bancaire de Thermaray;

 

b)         de 1999 à 2003, le frère de l’appelant, Kevin Kilbride, a reçu un revenu d’emploi comparable à celui de l’appelant :

 

Année

 

Revenu brut de l’appelant provenant de Thermaray

 

Revenu d’emploi de Kevin Kilbride provenant de Thermaray

1999

 

28 500 $

 

28 500 $

2000

 

38 200 $

 

42 166 $

2001

 

63 256 $

 

58 999 $

2002

 

59 000 $

 

58 999 $

2003

 

58 999 $

 

58 999 $

 

[7]     L’appelant a admis les hypothèses de faits énoncées aux alinéas 15 i), j), et k), celle énoncée dans la dernière partie de l’alinéa m) concernant l’espace de travail, celles aux alinéas o) et q), ainsi que celle à l’alinéa 16 b).

 

[8]     Dans son témoignage, l’appelant a affirmé qu’il cherchait toujours de nouveaux clients, mais qu’il n’avait pas réussi à en trouver en 2001 et en 2002. Il n’a fait aucune publicité dans les pages jaunes ou ailleurs. Il n’avait pas de site Web. Il a affirmé qu’il cherchait du travail partout où c’était possible, selon le nombre d’heures limité dont il disposait. Selon son témoignage et les photos qu’il a déposées en preuve, son bureau à domicile comportait un bureau, deux ordinateurs, des étagères et un placard où il rangeait principalement des accessoires d’ordinateur et des logiciels. Il n’utilisait pas ce bureau pour rencontrer des clients.

 

[9]     En ce qui concerne le travail de l’appelant auprès de Thermaray, il a expliqué que la société lui fournissait un bureau et qu’il n’était pas tenu d’avoir un bureau à domicile. Tous les logiciels de comptabilité, ainsi que l’ordinateur et tout autre matériel de bureau dont l’appelant avait besoin pour accomplir ses tâches, appartenaient à Thermaray, même si l’appelant avait quelques-uns des mêmes logiciels et outils de travail dans son bureau à domicile. Il pouvait choisir ses heures de travail. Il facturait Thermaray à la quinzaine pour son temps et il était payé selon le nombre d’heures travaillées. Il n’avait aucune prestation d’assurance, aucun congé de maladie et aucune journée de vacances. Rien ne l’empêchait de chercher à vendre ses services de comptabilité ou d’informatique à des clients autres que ceux de Thermaray.

 

[10]    Lors du contre‑interrogatoire, l’appelant a confirmé que lorsque son père et son frère étaient à l’extérieur de la ville, il agissait à titre d’[traduction] « auxiliaire », même s’il a nié avoir des responsabilités de supervision ou de gestion. Il a également admis qu’il se pouvait que certains clients ou certaines personnes‑ressources le considèrent comme étant le directeur financier de Thermaray. Il a expliqué que les titres, à la société Thermaray, ont peu d’importance, alors il se peut qu’il ait utilisé ce titre pour accommoder les clients. 

 

[11]    Dans son témoignage, Kevin Kilbride, le frère de l’appelant, a affirmé que ce dernier a toujours été perçu comme un entrepreneur indépendant. Personne ne le supervisait dans l’accomplissement de ses tâches et il n’avait pas d’heures de travail fixes. Lors du contre‑interrogatoire, il a affirmé que son père, l’appelant et lui‑même travaillaient en équipe à l’exploitation de Thermaray. De plus, il a confirmé que l’appelant s’occupait de la gestion du bureau lorsque son père et lui étaient absents. Il a admis qu’il se pouvait que certains clients de Thermaray croient que l’appelant était le directeur financier de la société. Toutefois, il soutient que ce n’était pas là le titre officiel de l’appelant. 

 

[12]    John Mulley, un expert conseil en informatique travaillant à Victoria (Colombie‑Britannique), a affirmé dans son témoignage avoir travaillé avec l’appelant à plusieurs projets, au Nouveau‑Brunswick, au milieu des années 1980 et au début des années 1990, avant que M. Mulley ne déménage. Il a aussi affirmé qu’à ce jour, lorsqu’il éprouve des problèmes, il demande des conseils à l’appelant, et vice versa. L’appelant et lui ont travaillé ensemble à un projet en 1999. Cependant, il ne se souvenait pas avoir travaillé avec l’appelant à quelconque projet en 2001 ou en 2002.

 

[13]    L’appelant soutient que, en raison des décisions Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853 et The Royal Winnipeg Ballet v. M.N.R., 2006 DTC 6323, l’élément le plus important à examiner lorsqu’on évalue la nature d’une relation de travail est l’intention des parties. Étant donné que Thermaray et l’appelant voulaient tous deux que l’appelant soit considéré comme un entrepreneur indépendant, il s’agit‑là d’un argument suffisant pour trancher l’appel en faveur de l’appelant. En outre, l’appelant a fait valoir que les facteurs énoncés dans Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, appuyaient l’argument voulant que l’appelant était un entrepreneur indépendant, et non un employé.  

 

[14]    La position qu’adopte l’intimée est que l’intention des parties n’est qu’un seul des critères à examiner et qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, du critère déterminant. Le fait que les parties ne font qu’affirmer qu’elles avaient l’intention que l’appelant agisse à titre d’entrepreneur indépendant ne suffit pas. L’intimée soutient qu’en l’espèce, les facteurs énoncés dans Wiebe Door permettent de conclure que l’appelant était un employé de Thermaray.

 

[15]    Les avocats, tant celui de l’appelant que celui de l’intimée, ont concentré leur plaidoirie sur la question de savoir si l’appelant était un entrepreneur indépendant ou bien un employé auprès de Thermaray. 

 

[16]    Si on en venait à conclure que l’appelant était un employé de Thermaray, la question serait alors de savoir s’il a droit aux déductions qu’il avait demandées en fonction de l’article 8 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), ou bien s’il exploitait tout de même une entreprise distincte de conseiller en gestion pendant la période pour laquelle il peut demander la déduction de certaines dépenses d’entreprise. Toutefois, s’il est établi que l’appelant était un entrepreneur indépendant auprès de Thermaray, la question, à ce moment‑là, est de savoir si les dépenses en cause ont été engagées en vue de tirer un profit de l’entreprise de l’appelant et si elles étaient raisonnables. 

 

[17]    Aucune des parties ne m’a présenté suffisamment de preuve concernant la question de la déduction des dépenses, surtout en ce qui a trait à la nature de ces dépenses, à la raison pour laquelle elles ont été engagées et à la façon dont elles ont été effectuées, ainsi qu’à la question de savoir si elles étaient raisonnables, étant donné les circonstances. Il y a donc un problème qui se pose. Peu importe la façon dont la question du statut de l’appelant à titre d’employé ou d’entrepreneur indépendant est tranchée, je ne détiens aucun élément de preuve me permettant de conclure si ce dernier a le droit de déduire la totalité ou une partie de ses dépenses. Par conséquent, d’entrée de jeu, je dois conclure que, parce qu’aucune preuve n’a été présentée visant à expliquer ces dépenses, je ne suis pas en mesure d’admettre leur déduction, et ce, peu importe si je conclus que l’appelant était un employé ou bien un entrepreneur indépendant auprès de Thermaray.

 

[18]    Dans la récente décision Lang c. La Reine, [2007] A.C.I. n° 365, le juge en chef Bowman a effectué un examen complet des récentes décisions portant sur le sujet et a résumé ses conclusions au paragraphe 34 :

 

a)         Le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, tel qu’il a été confirmé dans l’arrêt Sagaz, est un facteur important dans tous les cas, y compris ceux qui viennent du Québec.

 

b)         La Cour d’appel fédérale a relégué le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door au rang des « points de repère utiles », « pertinents et utiles lorsqu’il s’agit de déterminer quelles étaient les intentions des parties ». Cela est vrai tant au Québec que dans les provinces de common law.

 

c)         L’intégration en tant que critère n’entre plus en ligne de compte à toutes fins utiles. Les juges qui essaient de l’appliquer le font à leurs risques et périls.

 

d)         L’intention est un critère qui ne peut être ignoré, mais son poids n’est pas encore déterminé. Le poids à lui accorder varie d’un cas à l’autre : il peut être prédominant ou il peut être un critère de démarcation. La Cour suprême du Canada n’a pas tenu compte de ce critère. Si elle en tient compte, le jugement rendu en dissidence par le juge Evans dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet devra être pris en considération.

 

e)         Les juges de première instance qui omettent de tenir compte de l’intention risquent fort de voir leurs jugements annulés par la Cour d’appel fédérale. (Cependant, voir l’affaire Gagnon, dans laquelle l’intention n’a pas été prise en considération en première instance mais que la Cour d’appel fédérale a établie en se reportant aux critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, que le juge de première instance avait appliqués. Comparer avec Royal Winnipeg Ballet, City Water et Wolf.)

 

[19]    Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, tout comme en l’espèce, il n’existait aucun contrat écrit, mais les deux parties avaient clairement l’intention d’entretenir une relation d’entrepreneur indépendant. Aux paragraphes 63 et 64, la juge Sharlow de la Cour d’appel a conclu qu’il était essentiel d’examiner les facteurs énoncés dans Wiebe Door compte tenu de la vue commune aux parties concernant leur relation juridique :

 

Ce qui est inhabituel en l’espèce, c’est qu’il n’y a pas d’accord écrit qui vise à qualifier la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB, et que, parallèlement, les parties s’entendent sur ce qu’elles croient être la nature de leur relation. La preuve relève que le RWB, la CAEA et les danseurs pensaient tous que les danseurs étaient des travailleurs indépendants et que toutes ces parties ont agi en conséquence. Le litige portant sur la nature de la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB vient du fait qu’un tiers (le ministre), qui a un intérêt légitime à ce que la relation juridique soit correctement qualifiée, souhaite faire écarter le témoignage des parties au sujet de leur intention commune parce que ce témoignage n’est pas compatible avec les faits objectifs.

 

Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

[20]    Dans des motifs concourants, la juge Desjardins a affirmé ce qui suit, au paragraphe 72 :

 

Comme l’a démontré la juge Sharlow, même si l’intention des parties n’est pas contestée, sauf par des tiers, comme c’est le cas en l’espèce, le juge de common law a néanmoins le devoir de « vérifier » si les termes utilisés et les faits de l’affaire sont compatibles avec la qualification donnée au contrat par les parties. Le juge de common law doit veiller à ce que le contrat signé par les parties reflète effectivement l’entente qu’elles affirment avoir conclue.

 

[21]    Dans la décision Combined Insurance Company of America c. M.R.N., [2007] A.C.F. n° 124, après avoir examiné la récente jurisprudence, y compris  Royal Winnipeg Ballet, le juge Nadon a affirmé ce qui suit, au paragraphe 35 :

 

De ces décisions, il se dégage, à mon avis, les principes suivants :

 

1.                  Les faits pertinents, incluant l’intention des parties quant à la nature de leur relation contractuelle, doivent être examinés à la lumière des facteurs de Wiebe Door, précitée, et à la lumière de tout autre facteur qui peut s’avérer pertinent compte tenu des circonstances particulières de l’instance;

 

2.                  Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents et leur importance dépendra des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

    

Même si en règle générale, le critère de contrôle aura une importance marquée, les critères élaborés dans Wiebe Door et Sagaz, précités, s’avéreront néanmoins utiles pour déterminer la véritable nature du contrat.

 

[22]    Toutes ces décisions sont semblables. Il est évident qu’aucun des critères n’est déterminant. Pour trancher chacune des affaires précitées, il a fallu examiner le critère qui s’appliquait et utiliser le gros bon sens.

 

[23]    En fonction de ces décisions, je dois tenir compte de l’intention des parties au présent appel et établir l’importance à accorder à cette intention selon les circonstances. Il ressort cependant de la récente jurisprudence que la simple intention n’est pas un facteur déterminant et que les facteurs énoncés dans Wiebe Door doivent être examinés afin de trancher si les parties entretenaient bel et bien une relation de travail qui reflétait l’intention qu’elles avaient formulée.

 

[24]    Les quatre facteurs du critère à quatre volets énoncé dans Wiebe Door sont les suivants :

 

          (1)     le degré de contrôle;

          (2)     la propriété des instruments de travail;

          (3)     les chances de bénéfice;

          (4)     les risques de perte.

 

Contrôle

 

[25]    Selon les témoignages de l’appelant et de Kevin Kilbride, l’appelant était libre de choisir ses heures de travail et de travailler de la maison. Cependant, l’appelant a aussi affirmé que, pour des raisons pratiques, il devait travailler dans les bureaux de Thermaray pour accomplir ses tâches. 

 

[traduction]

 

Physiquement, rien ne m’oblige à travailler sur place [dans les bureaux de Thermaray]. C’est plutôt pour des raisons pratiques que j’y travaille. (Témoignage de l’appelant, page 48 de la transcription.) (Note explicative entre crochets ajoutée.) 

 

La plupart du temps, bien entendu, quand je le vois, quand j’interagis avec lui, c’est normalement dans nos bureaux. (Témoignage de Kevin Kilbride, page 39 de la transcription.)

 

Il semble cependant que l’appelant ait contredit son témoignage précédent quand il a affirmé (à la page 108 de la transcription) que, selon lui, il passait environ 50 % de son temps à son bureau à domicile. Même s’il pouvait choisir ses heures de travail, les éléments de preuve tendent à indiquer que sa paie était semblable à celle de son frère et qu’il était rémunéré à un taux relativement constant pendant toute la période en cause. Il était aussi tenu d’être sur place, au bureau, à titre d’auxiliaire lorsque les autres membres de la famille étaient absents. Kevin Kilbride a confirmé que la gestion de Thermaray était l’affaire des trois membres de la famille. 

 

[traduction]

 

« Nous travaillons en équipe. » (Transcription, page 24). 

 

À ce qu’il paraît, l’appelant faisait l’objet de très peu de supervision et était libre de choisir ses heures de travail, dans la mesure où toutes ses tâches étaient accomplies, tâches qui, outre la comptabilité et l’informatique, comprenaient le remplacement de son père et de son frère lorsqu’ils étaient absents ainsi que les ventes et l’aide aux constructeurs et aux entrepreneurs.

 

[traduction]

 

Même si certains d’entre nous pouvons faire la même chose, il est bien plus habitué que moi, par exemple, à le faire et à lire des plans de maison. (Témoignage de Kevin Kilbride, transcription, page 37.) 

 

De plus, l’appelant participait à des salons professionnels et rencontrait des clients de Thermaray. Ses dépenses relatives à ces activités lui étaient remboursées. Il est très inhabituel qu’une personne embauchée à titre d’entrepreneur indépendant s’occupe de la comptabilité et des services informatiques et qu’on lui demande aussi d’agir comme auxiliaire de la société lorsque les personnes en charge sont absentes, de traiter avec les constructeurs et les entrepreneurs au nom de la société et de représenter la société dans le cadre de salons professionnels. Pour ce qui est de la souplesse de ses heures de travail, la preuve dont j’ai saisie n’indique pas de variation très marquée des heures en 2001 ou en 2002. 

 

[26]    Bien que non concluante, la preuve laisse entendre que les clients et la banque croyaient que l’appelant était le directeur financier de Thermaray. L’appelant ne recevait aucun avantage auquel un employé a normalement droit, comme des vacances et des congés de maladie. Tout bien pesé, le facteur du degré de contrôle n’est pas concluant. Si le facteur du degré de contrôle permettait de conclure que l’appelant était un employé, selon la preuve dont j’ai été saisie, il serait un employé du niveau de la direction dans une entreprise familiale, non seulement un employé chargé de la comptabilité et de l’informatique. 

 

Propriété des instruments de travail

 

[27]    Tous les instruments de travail, y compris l’espace de travail, dont l’appelant avait besoin pour accomplir ses tâches étaient fournis par Thermaray. Lorsque l’appelant achetait des nouvelles fournitures pour l’entreprise, soit il utilisait la carte de crédit de Thermaray, soit la société lui remboursait ses dépenses. Bien que l’appelant avait un bureau à domicile, rien ne vient prouver qu’il l’utilisait pour accomplir ses tâches pour Thermaray, et il est évident que l’appelant n’était pas tenu par Thermaray d’avoir un bureau à domicile. Ce facteur tend donc à démontrer que l’appelant était un employé.

 

Chances de bénéfices / risques de pertes

 

[28]    Ces deux facteurs permettent de conclure que l’appelant était un employé. En effet, toutes ses dépenses engagées pour la société lui étaient remboursées. Rien ne vient prouver qu’il courrait un plus grand risque de subir des pertes que n’importe quel autre employé, sauf dans la mesure où il n’avait pas de congés de maladie. Il était rémunéré selon un taux horaire fixe. Même s’il pouvait recevoir une paie plus importante s’il travaillait plus d’heures, ceci ne permet pas de conclure qu’il était un entrepreneur indépendant, étant donné que les mêmes conditions s’appliquent à n’importe quel employé. En fait, pendant toute la période en cause, il a été payé à un taux constant.

 

Degré d’intégration

 

[29]    Dans la décision Lang, le juge en chef Bowman a formulé certaines réserves quant à l’utilisation du facteur de l’intégration pour tirer une conclusion, parce qu’il s’agit d’un élément qui est rarement déterminant. Toutefois, dans l’arrêt  Combined Insurance Company, la Cour d’appel fédérale a inclus ce facteur dans les « points de repère utiles servant à déterminer si le contrat en est un de travail ou d’entreprise » (paragraphe 38). Donc, si je tiens compte de ces commentaires, je me risque à formuler les commentaires suivants. Si le degré d’intégration devait peser dans la balance, il vient certainement appuyer la position selon laquelle l’appelant est un employé. Il agissait à titre d’auxiliaire, son frère jugeait qu’il était membre de la direction et membre de l’équipe, les clients et la banque croyaient qu’il était le directeur financier, et il avait des responsabilités auprès de Thermaray autres que la comptabilité et le soutien informatique. Thermaray pouvait facilement embaucher quelqu’un d’autre pour effectuer les tâches de comptabilité et d’informatique, mais elle aurait difficilement pu embaucher quelqu’un pour aider les clients, les constructeurs et les entrepreneurs, pour représenter la société dans le cadre de salons professionnels et pour agir à titre d’auxiliaire et faire partie de l’équipe de gestion.

 

Conclusion

 

[30]    Bien que les parties prétendent que l’appelant est un entrepreneur indépendant, dans les faits, la relation qu’elles entretenaient n’appuie pas l’intention qu’elles avaient formulée. Rien ne vient prouver que l’appelant exploitait une entreprise de conseiller en gestion ou bien qu’il a dépensé de l’énergie ou de l’argent à en fonder une. 

 

[traduction]

 

J’ai continué, du mieux que j’ai pu, d’offrir mes services, malgré le temps limité que j’avais à consacrer en tant que propriétaire unique. Il y a seulement tant d’heures par jour que je peux utiliser.    (Témoignage de l’appelant, transcription, page 85.)

 

On entend par là qu’il n’avait pas de temps à consacrer à son entreprise et à ses clients. Il ressort de la preuve qu’il n’a jamais essayé d’offrir ses services ou de commercialiser son entreprise. Bien qu’il était inscrit aux fins de la TPS et qu’il ait affirmé avoir essayé de trouver des clients par le bouche à oreille, il n’y a rien d’autre qui vient appuyer l’existence d’une entreprise ou même le fait que des efforts ont été déployés pour en fonder une pendant la période en cause. En outre, aucune preuve n’a été déposée concernant les supposés efforts de bouche à oreille visant à établir des contacts d’affaires pendant cette période. N’importe qui peut soutenir exploiter une entreprise ou avoir l’intention d’exploiter une entreprise, mais pour que ceci soit établi concrètement en matière d’impôt sur le revenu, il faut des preuves bien plus tangibles que celles dont j’ai été saisie en l’espèce.

 

[31]    Enfin, j’examine la question des dépenses. Comme je l’ai déjà indiqué d’entrée de jeu, peu importe la conclusion que je tire concernant la question du statut de l’appelant auprès de la société (employé ou bien entrepreneur indépendant), je ne suis pas en mesure de trancher la question du caractère déductible des dépenses, parce que les avocats des deux parties ont omis de traiter cette question en bonne et due forme. J’ai donc très peu d’éléments de preuve, à l’exception de quelques insinuations, me permettant de tirer une quelconque conclusion. Il semble que les deux avocats ont mal abordé l’affaire en l’espèce, pensant que le seul fait d’établir le statut de l’appelant comme employé ou bien comme entrepreneur indépendant était suffisant pour résoudre la question des dépenses. Ce n’est tout simplement pas le cas. Même si l’appelant, à titre d’employé, peut déduire certaines dépenses en application de l’article 8 de la Loi, aucune preuve ne m’a été présentée me permettant de tirer une conclusion. Je peux cependant affirmer qu’il ne semble pas que l’appelant aurait le droit de faire quelque déduction que ce soit, étant donné que les dépenses qu’il engageait au nom de Thermaray lui étaient remboursées. 

 

[32]    Si j’en étais venue à conclure que l’appelant était un entrepreneur indépendant exploitant sa propre entreprise de conseiller en gestion, le même problème se serait appliqué. La preuve dont j’ai été saisie est insuffisante. Par exemple, bien qu’il semble que l’appelant attribuait entre 70 % et 80 % de l’utilisation de son véhicule à l’entreprise, on ne m’a pas présenté de registre ou de document à l’appui. En fait, cette répartition n’est appuyée par aucune explication. On ne m’a pas non plus présenté de preuve concernant les frais de 14 000 $ payés à l’épouse de l’appelant pour l’accomplissement de [traduction] « tâches variées et diverses » (transcription, page 80). Aucune feuille de temps ou description de travail n’a été déposée en preuve et, bien qu’elle aurait pu le faire, l’épouse de l’appelant n’a pas témoigné. 

 

[33]    Même si, comme j’ai conclu, l’appelant est un employé auprès de Thermaray, il se peut qu’il exploitait aussi une entreprise de conseiller en gestion indépendamment de son emploi et pour laquelle il aurait pu déduire des dépenses légitimes et raisonnables. Ma conclusion concernant les dépenses s’applique également ici, mais la preuve dont j’ai été saisie ne vient pas appuyer l’allégation voulant que l’appelant exploitait sa propre entreprise pendant la période en cause. Selon son témoignage, il faisait toujours l’essai de nouveaux systèmes de serveur et était à la recherche des systèmes les plus économiques dans l’espoir d’être en mesure de les vendre à de nouveaux clients. Cependant, en 2001 et en 2002, Thermaray était la seule source de revenu de l’appelant. Il n’a jamais fait de publicité. À ce qu’il paraît, il ne donnait même pas de cartes professionnelles. Selon son propre témoignage, il n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à d’autres occasions d’affaires, en raison de ses tâches auprès de Thermaray. Si, comme il l’a laissé entendre dans son témoignage, l’appelant n’avait pas beaucoup de temps libre et il utilisait le peu de temps dont il disposait pour travailler à des systèmes économiques, sans vraiment prendre le temps de chercher des nouveaux clients, la conclusion qu’il est donc logique de tirer est qu’il n’avait aucune possibilité de gagner un revenu de son travail. Si, à l’avenir, l’appelant décide de se consacrer activement à son entreprise de conseiller en gestion, il pourra, bien entendu, consigner et enregistrer comme il se doit les dépenses légitimes et raisonnables relatives à son entreprise et en demander la déduction.

 

[34]    Les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’octobre 2007.

 

 

 

 

 

Juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de décembre 2007.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


 

RÉFÉRENCE :

2007CCI663

 

N° DE DOSSIER :

2005-2795(IT)G

 

INTITULÉ :

Jon Stephen Kilbride et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 12 et 13 avril 2007 et le 9 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me David J. Demirkan

 

Avocat de l’intimée :

Me John W. Smithers

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me David J. Demirkan

 

Cabinet :

McInnes Cooper, Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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