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Référence : 2003CCI639 

Date : le 26 août 2003

Dossier : 2002-3303(EI)

ENTRE :

2679965 CANADA INC.

PRODUITS DE PISCINE VOGUE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

GILLES LEBUIS,

PAUL GUAY,

intervenants.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Prononcés oralement sur le banc le 8 juillet 2003 à Montréal (Québec)

et édités à Ottawa (Canada) le 26 août 2003)

 

 

La juge Lamarre Proulx

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») voulant que monsieur Gilles Lebuis, pour la période du 1er janvier au 30 octobre 2001, et que monsieur Paul Guay, pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2001, aient exercé des emplois assurables au sens de la Loi sur l'assurance‑emploi (la «Loi»).

 

[2]     Le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait décrites au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse ») qui se lit comme suit :

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 7 janvier 1991;

 

b)         l'appelante faisait affaires sous le nom de Produits de Piscines Vogue;

 

c)         l'appelante était un manufacturier et un distributeur de piscines et d'accessoires;

 

d)         l'actionnaire unique de l'appelante était la société Gestion Lebuis et Associés Inc.;

 

e)         les actionnaires de la société Gestion Lebuis et Associés Inc. étaient

 

Guy Lebuis

60% des actions votantes

Gilles Lebuis

20 % des actions votantes

Paul Guay

20% des actions votantes

 

f)          Guy Lebuis est le père de Gilles Lebuis;

 

g)         Paul Guay n'est pas lié à Gilles ou à Guy Lebuis;

 

h)         l'appelante a un chiffre d'affaires d'environ 28 millions par année et employait entre 75 et 130 employés selon la saison;

 

i)          le président de l'appelante Guy Lebuis était à chaque jour présent dans les bureaux de l'appelante;

 

j)          l'appelante avait un conseil d'administration qui se réunissait régulièrement et qui prenait les décisions importantes;

 

k)         le travailleur Gilles Lebuis était le vice‑président marketing de l'appelante;

 

l)          les tâches du travailleur Lebuis consistaient à s'occuper de la recherche et du développement, du marketing et des ventes;

 

m)        le travailleur Paul Guay était le vice‑président finance de l'appelante;

 

n)         les tâches du travailleur Paul Guay consistaient à s'occuper des ressources humaines, des opérations, de la comptabilité, des finances et des aspects légaux de l'appelante;

 

o)         les travailleurs avaient un horaire de travail du lundi au vendredi de 8h00 à 17h00 pour Gilles Lebuis et de 8h00 à 20h00 pour Paul Guay;

 

p)         les travailleurs travaillaient à l'année longue pour le payeur;

 

q)         les travailleurs recevaient une rémunération annuelle fixe de 90 000 $;

 

r)          les travailleurs avaient une automobile fournie par l'appelante;

 

s)         les travailleurs étaient couverts par une assurance collective comme tous les employés;

 

t)          toutes les dépenses des travailleurs reliées à leurs tâches étaient assumées par l'appelante;

 

u)         les travailleurs n'avaient aucun risque de perte ou chance de profit autre que leurs salaires;

 

v)         les travailleurs travaillaient dans les locaux de l'appelante;

 

w)        tout l'équipement dont se servaient les travailleurs appartenait à l'appelante;

 

x)         les services rendus par les travailleurs faisaient partie intégrante des activités de l'appelante.

 

 

[3]     Les alinéas 5a) à 5d), 5f) à 5h), 5l) à 5n), 5p) à 5r), 5t) et 5w) à 5x) ont été admis.

 

[4]     Messieurs Lebuis et Guay, les deux travailleurs en cause, sont des intervenants dans cette affaire. Ils ont tous les deux témoigné.

 

[5]     L'alinéa 5e) a été nié parce que les actions détenues étaient à 2 p. 100 des actions votantes et à 18 p. 100 des actions participantes. En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 5i) que le président de l'appelante venait chaque jour dans les bureaux de l'appelante, monsieur Gilles Lebuis a expliqué que son père, en 2001, avait 68 ans. Il venait au bureau mais quelques heures et ne s'occupait plus de la gestion quotidienne de l'entreprise. Il n'était plus l'âme dirigeante de l'entreprise.

 

[6]     Monsieur Gilles Lebuis relate qu'en 2001, les décisions étaient prises par lui et Paul Guay. Ils agissaient comme des partenaires. Ils étaient égaux.

 

[7]     En ce qui concerne l'alinéa 5j) qui dit que l'appelante avait un conseil d'administration qui se réunissait régulièrement et prenait les décisions importantes, monsieur Lebuis a expliqué que le conseil d'administration agissait surtout à titre de conseiller. Son père, lui et monsieur Guay étaient membres de ce conseil d'administration ainsi que trois administrateurs recrutés à l'externe. Ces derniers étaient rémunérés à la présence.

 

[8]     En ce qui concerne les alinéas 5o) et 5v), les intervenants travaillaient dans les locaux de l'appelante, mais ils travaillaient aussi chez eux le soir. Lors de leurs vacances, ils restaient en contact avec les activités de l'entreprise.

 

[9]     En ce qui concerne l'énoncé de l'assurance collective semblable pour tous les travailleurs, selon l'alinéa 5s), la couverture assurance‑vie était différente à leur égard. De plus, chacun des partenaires avait pris sur la vie de l'autre une assurance de deux millions de dollars. S'ils voyageaient au même moment, ils prenaient des avions différents.

 

[10]    Depuis le 3 novembre 2002, monsieur Gilles Lebuis est président de l'appelante. Il s'agit d'une entreprise qui manufacture des piscines hors terre et qui en vend à travers le monde. Dans le plus fort de sa production, elle a 130 employés. Dans la basse partie de la production, elle en a environ 75. Les mois où la production est moindre sont juin à septembre. Les emplois sont alors plus orientés vers l'entretien des piscines.

 

[11]    Monsieur Lebuis, en 2001, était le vice‑président de la mise en marché, recherche et développement et relations publiques. Il relate qu'il arrive au bureau vers 8 h et quitte vers 18 h 30. Il a les heures irrégulières d'un entrepreneur. C'est lui qui décide de ses heures. Il arrive le premier et part le dernier.

 

[12]    Le salaire de 90 000 $, c'est lui et monsieur Guay qui en avait décidé ainsi. Ce salaire datait de 1996. Il avait été fondé sur la capacité de payer de l'entreprise ou sa performance et les besoins financiers des deux partenaires.

 

[13]    Il y avait quelques spécialistes à des salaires supérieurs aux leurs. C'est ce que l'entreprise avait dû payer pour les recruter. Quand aux bonis, ils ne s'en prenaient pas si les employés n'en avaient pas reçus. Il leur arrivait de ne pas s'en prendre et d'en octroyer quand même aux employés.

 

[14]    Monsieur Paul Guay est comptable agréé et le vice‑président des finances. En ce qui concerne ses heures de travail, il dit qu'il quitte rarement le bureau avant 20 h. Il ne se rapporte à personne. Lui et monsieur Gilles Lebuis travaillent ensemble. En septembre 2002, les deux ont décidé de se payer un salaire de 150 000 $.

 

[15]    Monsieur Jean‑Pierre Houle, agent des appels, a témoigné. Il a expliqué que dans cette affaire, il y avait un cas d'une personne avec un lien de dépendance avec le payeur et que l'autre n'avait pas de lien de dépendance. Il a donc jugé que les conditions de travail de monsieur Lebuis étaient semblables à celles d'un autre employé sans lien de dépendance avec l'appelante, ces conditions étant celles de monsieur Guay, qui, selon le témoin, n'avait pas de lien de dépendance avec le payeur. En ce qui concerne le fait que les deux intervenants déterminaient eux‑mêmes leur salaire et leurs conditions de travail, il n'y voyait rien d'étonnant puisque ces mêmes personnes déterminaient les salaires et les conditions de travail des employés en général. Dans son rapport, il avait décrit comme un fait que la gestion de l'appelante se faisait conjointement par les deux personnes.

 

 

Analyse et conclusion

 

[16]    Le fondement de la décision de l'agent des appels s'appuyait sur le fait que un des travailleurs n'avait pas de lien de dépendance, ce qui lui permettait d'établir un comparable. Il lui était donc facile de déterminer que les conditions de travail de l'autre travailleur étaient semblables à celles d'une personne qui n'aurait pas eu un lien de dépendance.

 

[17]    Est‑ce bien le cas qu'il n'y avait pas de lien de dépendance entre le payeur et monsieur Guay? L'alinéa 251 b) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

[18]    Dans la décision Fournier c. M.R.N., 1991 ACI no 7, le juge Dussault indique que lorsque les parties agissent de concert, qu'elles ont des intérêts économiques similaires ou encore qu'elles agissent selon une volonté commune, il est généralement admis qu'elles ont un lien de dépendance.

 

[19]    Dans la présente instance, les deux travailleurs en cause sont aussi les deux décideurs de l'appelante. La preuve a clairement révélé qu'ils agissent de concert avec l'appelante et que ce sont eux qui la dirigent. Il paraît évident qu'il y a un lien de dépendance entre l'appelante et le travailleur dirigeant, monsieur Guay.

 

[20]    Il ne s'agit donc pas dans cette affaire de déterminer s'il y a un lien de subordination entre l'appelante et les deux travailleurs dirigeants, tel que l'exigerait l'application de l'alinéa 5(1)a) de la Loi mais de savoir si ces emplois sont des emplois exclus, tel que prévu à l'alinéa 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

 

[21]    La décision du Ministre a été fondée sur la prémisse qu'il n'y avait pas de lien de dépendance entre l'appelante et monsieur Guay. Cette prémisse est erronée. Il m'est donc permis de revoir cette décision. Prenons la modalité du salaire. Un salaire qui reste identique de 1996 à 2001 et qui, par la suite en 2002, est augmenté de 60 000 $ par année ne suit pas les règles habituelles du marché du travail. Les heures de travail, l'implication et l'autonomie des travailleurs ne sont pas non plus celles d'employés sans lien de dépendance avec l'employeur.

 

[22]    Je conclus, en me fondant sur la rétribution versée et sur la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que les travailleurs et l'appelante n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait eu ce lien de dépendance.

 

[23]    Les appels sont en conséquence accordés et la décision du Ministre infirmée.

 

 

Signé à Ottawa (Canada), ce 26e jour d'août 2003.

 

 

 « Louise Lamarre Proulx » 

Juge Lamarre Proulx


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI639

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-3303(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

2679965 Canada Inc.

Produits de Piscine Vogue et Sa Majesté La Reine et Gilles Lebuis, Paul Guay

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 7 juillet 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :

le 15 juillet 2003

 

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 8 juillet 2003

 

MOTIFS ÉDITÉS DU JUGEMENT :

le 26 août 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Alain Savoie

Pour l'intimée :

Me Claude Lamoureux

Pour les intervenants :

Alain Savoie

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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