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Dossier : 2006-1406(IT)I

ENTRE :

LEROY LEWIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 juillet 2007, à Gander (Terre‑Neuve).

 

 

Devant : L’honorable juge E.P. Rossiter

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Wayne Budgell

 

Avocate de l’intimée :

Me Lindsay Holland

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de novembre 2007.

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2008

Christian Laroche


 

 

 

 

Référence : 2007CCI416

Date : 20071120

Dossier : 2006-1406(IT)I

ENTRE :

LEROY LEWIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rossiter

 

Introduction/Historique

[1]     Pendant plusieurs années, l’appelant a reçu un crédit d’impôt pour déficience, parce que son fils, Derrick Lewis (« Derrick »), avait une déficience de la vue. En 2003, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a refusé d’accorder ce crédit; l’affaire a finalement été portée en appel devant la Cour.

 

Les points en litige

[2]     Leroy Lewis a-t-il droit au crédit d’impôt pour déficience à l’égard de son fils Derrick pour l’année d’imposition 2003, conformément à l’article 118.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)? Pour répondre à cette question, il faut examiner trois questions accessoires :

 

(i)                La déficience dont est atteint Derrick est-elle une déficience qui dure au moins 12 mois d’affilée ou est‑il raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée comme le prévoit l’alinéa 118.4(1)a)?

 

 

(ii)              Dans l’affirmative, la capacité de Derrick d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est‑elle limitée de façon marquée comme le prévoit l’alinéa 118.4(1)c)?

 

(iii)            Dans la négative, Derrick est‑il aveugle comme l’exige l’alinéa 118.4(1)b)?

Les faits

 

[3]     Leroy et Janine Lewis sont les parents de Derrick Lewis, qui est né le 27 novembre 1986. Derrick avait une tumeur cérébrale à sa naissance; il a subi une intervention chirurgicale et une radiothérapie lorsqu’il avait cinq mois. À l’âge de neuf ans, Derrick a subi une autre intervention chirurgicale pour la tumeur, ce qui l’a laissé aveugle à l’œil droit et a fortement altéré sa vue à l’œil gauche. À l’âge de douze ans, Derrick a subi une autre intervention chirurgicale qui s’est avérée infructueuse. À l’heure actuelle, Derrick est complètement aveugle à l’œil droit et il a une acuité visuelle de 20/50 à l’œil gauche, selon l’échelle de Snellen (avec un champ visuel de 80 degrés et une acuité visuelle de 20/125 sur une carte à dix pieds). Le traitement et les déplacements continus coûtaient fort cher à l’appelant et, en fin de compte, cela a ruiné la famille.

 

[4]     Derrick éprouvait également d’autres problèmes :

 

(1)              Il manquait d’estime de soi;

(2)              Il avait de la difficulté à mâcher ses aliments à cause de l’effet de la radiation sur ses dents;

(3)              Il était petit et pesait environ 80 livres, de sorte que son poids semblait très insuffisant;

(4)              Il mangeait fort peu;

(5)              Il ne pouvait pas faire de sport;

(6)              Il avait certains troubles sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire;

(7)              Il pouvait marcher, parler, entendre et s’occuper de son hygiène personnelle;

(8)              Il ne pouvait pas suivre une formation pour exercer un métier ni, en fait, obtenir un emploi quelconque.

[5]     Pendant plusieurs années, l’appelant a demandé et obtenu un crédit d’impôt pour déficience à l’égard de Derrick. En 2003, l’ARC a demandé un nouveau certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, que l’appelant a fourni par l’entremise du médecin de famille qui s’occupait de l’enfant, le docteur T. Ponnampalam. Le certificat était daté du 2 mars 2000; il était déclaré que Derrick avait une tumeur optique chiasmatique et que sa vue serait réduite d’une façon permanente.

 

[6]     La question et l’explication connexe suivantes figuraient dans le formulaire fourni par l’ARC : [traduction] « Votre patient peut‑il voir, à l’aide de lentilles correctrices si nécessaire? »

 

[traduction] (Votre patient est considéré comme aveugle si son acuité visuelle dans les deux yeux, après correction par l’usage de lentilles réfractrices appropriées, est d’au plus 20/200 (6/60) d’après l’échelle de Snellen ou l’équivalent, ou dont le champ de vision dans chaque œil est d’un diamètre inférieur à 20 degrés.)

 

Le docteur Ponnampalam a répondu [traduction] « non ».

 

[7]     Le docteur Ponnampalam a répondu par l’affirmative lorsqu’il s’agissait de savoir si l’enfant pouvait marcher, parler, entendre, s’alimenter, s’habiller ainsi qu’aux questions concernant les fonctions mentales et les fonctions d’élimination. En réponse à la question : [traduction] « Est‑ce que la déficience a duré ou peut‑on s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois consécutifs? », le docteur Ponnampalam a coché la case [traduction] « oui ». Il a également coché la case [traduction] « oui » et a répondu : [traduction] « Rien n’a changé » à la question suivante : [traduction] « La déficience est‑elle suffisamment grave pour limiter toujours ou presque toujours l’activité courante de la vie quotidienne susmentionnée, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués? »

 

[8]     Le 9 mars 2004, un autre certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées a été fourni par le docteur N. Hanna, le nouveau médecin de famille de Derrick. Le docteur Hanna a coché la case [traduction] « oui » en répondant aux questions de savoir si le patient se portait suffisamment bien pour marcher, parler, percevoir, réfléchir, se rappeler, entendre, s’alimenter ou s’habiller, ou pour s’occuper de ses fonctions intestinales ou urinaires. Cependant, en réponse à la question : [traduction] « Quelle est l’acuité visuelle de votre patient après correction? », le docteur Hanna a répondu : [traduction] « Perception focale de la lumière » pour l’œil droit et « 20/25 » pour l’œil gauche. Il n’a pas répondu à la question : [traduction] « Quel est le champ de vision de votre patient? (en degrés si possible) » et il a écrit [traduction] « astrocytome du nerf optique » dans la marge.

 

[9]     Le docteur Hanna a répondu [traduction] « oui » à la question : [traduction] « La limitation marquée de votre patient pour accomplir une activité courante de la vie quotidienne, sa cécité, ou la nécessité d’obtenir des soins thérapeutiques pour se maintenir en vie a‑t‑elle duré au moins 12 mois d’affilée ou peut‑on s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée? » À l’égard du diagnostic, le docteur Hanna a dit : [traduction] « Tumeur au nerf optique droit – cécité à l’œil droit. Diminution partielle de la vue à l’œil gauche (20/25). La tumeur a été traitée au moyen d’une intervention chirurgicale. »

 

[10]    Le docteur Hanna a été obligé de répondre à un long questionnaire en ce qui concerne un nouveau certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, daté du 9 juin 2004. Il a coché la case [traduction] « sans objet » pour toutes les questions concernant le fait de marcher, de parler, d’entendre, de s’habiller, de s’alimenter, de percevoir, de réfléchir de se rappeler ainsi que pour la question d’élimination (fonctions intestinales ou urinaires) et des soins thérapeutiques pour se maintenir en vie. Il a répondu [traduction] « oui » à la question : [traduction] « Est‑ce que votre patient est aveugle, tel que décrit ci‑dessus? » et il a indiqué que Derrick était inscrit auprès de l’Institut national canadien pour les aveugles (l’« INCA »).

 

[11]    À la question : [traduction] « Si oui, en quelle année votre patient est-il devenu aveugle? », le docteur Hanna a répondu [traduction] « en 1987 ». Et à la question : [traduction] « Quelle est l’acuité visuelle de votre patient après correction? » il a répondu [traduction] « complètement aveugle » pour l’œil droit et [traduction] « 20/50 échelle de Snellen » pour l’œil gauche. Quant à la question : [traduction] « Quel est le champ de vision de votre patient après correction (en degrés si possible)? » il a répondu [traduction] « aveugle d’une façon permanente à l’œil droit » et [traduction] « non testé » pour l’œil gauche.

 

[12]    Le docteur Hanna a répondu [traduction] « oui » à la question : [traduction] « Est‑ce que la déficience de votre patient a duré ou peut‑on s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois consécutifs? » Il a répondu [traduction] « non » à la question : [traduction] « Si oui, la déficience s’est‑elle atténuée, ou est‑il probable qu’elle s’atténue, de façon qu’il n’y ait plus de limitation marquée, que le patient ne soit plus aveugle ou qu’il n’ait plus besoin de soins thérapeutiques pour se maintenir en vie? » et il a écrit [traduction] « permanent » en réponse à la question : [traduction] « Si oui, indiquer l’année au cours de laquelle l’amélioration est survenue, ou l’année au cours de laquelle on peut s’attendre à ce que l’amélioration survienne. »

 

[13]    Pour répondre aux assertions de l’ARC selon lesquelles Derrick ne remplissait pas les conditions concernant l’acuité visuelle pour être considéré comme aveugle, le docteur Hanna a déclaré ce qui suit le 5 novembre 2004 :

 

[traduction] J’ai de nouveau examiné Derrick à la clinique le 5 novembre 2004. L’examen de l’acuité visuelle a révélé qu’il était complètement aveugle à l’œil droit, que l’acuité visuelle à l’œil gauche était de 20/125 sur la carte à dix pieds et que le champ visuel était d’environ 80 degrés selon la méthode [...] de confirmation.

 

[14]    Le docteur Hanna a répondu [traduction] « non » à la question : [traduction] « Est‑il probable que la capacité de voir de votre patient s’améliore (par exemple à l’aide d’une chirurgie correctrice, d’une greffe de cornée, d’une thérapie photodynamique ou par photocoagulation)? »; il a ajouté ce qui suit :

 

[traduction] Derrick a subi trois opérations majeures et de la radiothérapie à cause d’une tumeur optique chiasmatique, ce qui l’a rendu complètement aveugle à l’œil droit, par suite du dommage permanent subi par le nerf optique (atrophie), avec une perte visuelle partielle à l’œil gauche. Pour plus de détails, il faudra s’adresser à un spécialiste.

 

La position de l’appelant

 

[15]    L’appelant affirme avoir droit au crédit d’impôt pour déficience, parce que son fils Derrick est aveugle et qu’il ne peut pas accomplir les activités courantes de la vie quotidienne comme le prévoit le paragraphe 118.4(1) de la Loi.

 

La position de l’intimée

 

[16]    L’intimée affirme que Derrick est presque toujours capable d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne, telles qu’elles sont décrites au paragraphe 118.4(1) de la Loi, et qu’il n’est pas aveugle aux deux yeux, de sorte que l’appelant n’a pas droit au crédit d’impôt pour déficience.

 

Analyse

 

[17]    L’article 118.3 de la Loi traite du crédit d’impôt pour déficience. Cette disposition s’applique au particulier qui a une déficience mentale ou physique grave et prolongée; pour une déficience visuelle, il faut produire, sur le formulaire prescrit, l’attestation d’un médecin ou d’un optométriste.

 

[18]    Le paragraphe 118.4(1) est rédigé comme suit :

Déficience grave et prolongée

 

118.4.(1) Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

 

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée;

 

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

 

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

       (ii) le fait de s’alimenter ou de s’habiller,

      (iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

      (iv) le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

      (v) les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale,

      (vi) le fait de marcher;

 

d) il est entendu qu’aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n’est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne;

e) le fait de s’alimenter ne comprend pas :

            (i) les activités qui consistent à identifier, à rechercher, à acheter ou à se procurer autrement des aliments,

 

            (ii) l’activité qui consiste à préparer des aliments, dans la mesure où le temps associé à cette activité n’y aurait pas été consacré en l’absence d’une restriction ou d’un régime alimentaire;

 

f) le fait de s’habiller ne comprend pas les activités qui consistent à identifier, à rechercher, à acheter ou à se procurer autrement des vêtements.

 

(2) Tout audiologiste, dentiste, ergothérapeute, infirmier, infirmière, médecin, médecin en titre, optométriste, orthophoniste, pharmacien ou psychologue visé aux articles 63, 118.2, 118.3 et 118.6 doit être autorisé à exercer sa profession :

 

a) par la législation applicable là où il rend ses services, s’il est question de services;

 

b) s’il doit délivrer une attestation concernant un particulier, soit par la législation applicable là où le particulier réside, soit par la législation provinciale applicable;

 

c) s’il doit délivrer une ordonnance pour des biens à fournir à un particulier ou destinés à être utilisés par un particulier, soit par la législation applicable là où le particulier réside, soit par la législation provinciale applicable, soit enfin par la législation applicable là où les biens sont fournis.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]    Le paragraphe 118.4(1) prévoit qu’une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée. Il est sans aucun doute satisfait à cette exigence dans ce cas‑ci. La question se résume à savoir si Derrick est aveugle aux deux yeux ou s’il est incapable d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne qui sont énumérées.

 

[20]    Aussi triste et tragique que puisse être la situation pour les parents de Derrick, et bien que ce soit à fendre le cœur, je ne puis constater l’existence d’aucun élément de preuve permettant de conclure que Derrick n’est pas capable d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne mentionnées à l’alinéa 118.4(1)c) de la Loi. Derrick peut percevoir, réfléchir et se rappeler, il peut s’alimenter et s’habiller, il peut parler et entendre, et il peut marcher et s’occuper des fonctions d’élimination.

 

[21]    L’affaire se résume à la question de savoir si Derrick est aveugle; or, selon l’intimée, il doit être aveugle aux deux yeux.

 

[22]    Dans l’arrêt Johnston v. R., [1998] 2 C.T.C. 262 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a dit ce qui suit au paragraphe 10 :

 

L'objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l'aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l'arrêt Radage v. R., [[1996] 3 C.T.C. 2510 (C.C.I.)], à la p. 2528 :

 

L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

 

Le juge poursuit à la p. 2529 en faisant la remarque suivante, à laquelle je souscris :

 

Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

 

[23]    Dans l’arrêt Johnston, la majorité des juges de la CAF ont noté que, bien que leur application soit limitée aux personnes atteintes d’une déficience grave, les dispositions elles‑mêmes ne doivent pas être interprétées d’une façon si restrictive qu’elles annulent ou compromettent l’intention du législateur.

 

Le sens du mot « aveugle »

[24]    La Loi ne définit pas ce qu’elle entend par « aveugle ». Au paragraphe 21 de la décision Blondin v. R., [1996] 1 C.T.C. 2063 (C.C.I.) (procédure informelle), le juge en chef Couture a fait les remarques suivantes en vue d’aider la Cour à décider si un particulier est aveugle pour l’application de la Loi :

 

[...] Comme le législateur ne s'est pas prononcé sur la définition du mot "aveugle", il incombe à la Cour de déterminer, selon la preuve, si une personne est aveugle ou non pour les fins de l'admissibilité au crédit d'impôt et ceci en s'assurant que la description de la condition de cette personne telle que décrite dans le formulaire est bien celle d'une personne aveugle au sens que doit recevoir ce mot. Il serait de beaucoup préférable que le législateur définisse ce qu'il entend par une personne aveugle pour les fins de la Loi comme il l'a fait pour les autres conditions plutôt que de laisser les contribuables sous l'impression qu'une réduction sensible de leur vision pourrait les rendre admissibles au crédit d'impôt.

 

[25]    Le juge en chef Couture a évité les définitions numériques ou quantifiables de la cécité, car il préférait procéder à une évaluation factuelle fondée sur la preuve. Compte tenu des faits de l’affaire, il a conclu que l’appelant n’était pas aveugle puisqu’il pouvait lire de gros caractères dans les journaux et même conduire un véhicule.

 

[26]    Dans le formulaire T2201, l’ARC a tenté de définir ce que l’on entend par « aveugle » pour les besoins du crédit d’impôt pour déficience. La partie B dit qu’un particulier est considéré comme aveugle si, même avec des lentilles correctrices et des médicaments, [traduction] « l’acuité visuelle dans les deux yeux est de 20/200 (6/60) ou moins sur l’échelle de Snellen (ou l’équivalent) ou si le champ de vision dans chaque œil est d’un diamètre de 20 degrés ou moins ». L’ARC ne peut pas définir la cécité pour l’application de la Loi, puisque cette tâche incombe au législateur. C’est ce que le juge en chef Couture a dit aux paragraphes 20 et 21 de la décision Blondin :

 

20     Il est à noter que dans le formulaire prescrit qui doit être complété par le médecin ou l'optométriste à l'appui d'une demande pour le crédit d'impôt à la partie B de ce formulaire au paragraphe 4 intitulé "Vue", ce dernier doit répondre à une question à savoir si le patient est "aveugle au sens de la loi" et certaines normes d'acuité visuelle sont indiquées et laissent l'impression qu'il s'agit d'une définition du mot "aveugle" pour les fins de l'application de la législation. D'abord, ce qui porte à confusion c'est que le formulaire ne dit pas en vertu de quelle loi il faut interpréter ce mot. Il est évident que ce n'est pas en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Au paragraphe 248(1) de la Loi traitant de la définition du mot "prescrit" on lit ce qui suit : "'prescrit' ou 'règlementaire' s'entend: a) dans le cas d'un formulaire, de renseignements à fournir sur un formulaire ou de modalités de production ou de présentation d'un formulaire, autorisé par le ministre."

 

21     Ce dernier malheureusement n'a pas la compétence pour définir ou circonscrire dans un formulaire le sens du mot "aveugle" pour les fins de la Loi. Ceci équivaudrait à légiférer indirectement, pouvoir qui, sauf exception, appartient exclusivement au Parlement. […]

 

[27]    Il faut noter que l’article 7.1 du Règlement sur les allocations aux anciens combattants (C.R.C., ch. 1602), pris en vertu de la Loi sur les allocations aux anciens combattants (L.R.C., 1985, ch. W‑3) prévoit ce qui suit :

 

7.1 (1) Pour l’application de la Loi, est considérée comme aveugle toute personne dont l’acuité visuelle dans les deux yeux, après correction par l’usage de lentilles réfractrices appropriées, est d’au plus 20/200 (6/60) d’après l’échelle de Snellen ou l’équivalent, ou dont le champ de vision dans chaque œil est d’un diamètre inférieur à vingt degrés.

 

(2) Le diamètre du champ de vision est déterminé au moyen :

 

a) soit d’un écran tangentiel à la distance d’un mètre avec index blanc de dix millimètres;

 

b) soit d’un périmètre à la distance d’un tiers de mètre avec index blanc de trois millimètres.

 

[28]    Cela montre que le législateur aurait pu définir la cécité comme c’est le cas dans le formulaire T2201, mais qu’il a décidé de ne pas le faire. Cela montre également que le fait d’être aveugle ne veut pas nécessairement dire que l’on est totalement aveugle ou que l’on a complètement perdu la vue. De fait, dans le Stedman’s Online Medical Dictionary, à http://www.stedmans.com, le mot blind (aveugle) est défini comme suit : [traduction] « incapable de voir; sans vision utile », et le mot blindness (cécité) est défini comme suit :

 

          [traduction]

 

(1)              Perte du sens de la vue; la cécité totale sous-entend l’absence de perception de la lumière;

 

(2)              Perte de l’appréciation visuelle d’objets, bien que l’acuité visuelle soit normale;

 

(3)              Absence d’appréciation de la sensation, p. ex., cécité gustative.

 

[29]    Dans la décision Peter c. Canada, 2004 CCI 364 (procédure informelle), le juge McArthur, après avoir appliqué l’interprétation humaine et compatissante qui était donnée dans la décision Radage, précitée, n’a pas eu de difficulté à conclure que l’appelant était aveugle pour l’application de la loi. Dans cette affaire‑là, l’appelant ne portait pas de verres de prescription et il n’avait pas été diagnostiqué comme étant légalement aveugle; néanmoins, il a eu droit au crédit d’impôt pour déficience à cause de la sensibilité à la lumière.

 

[30]    L’avocate de l’intimée a renvoyé la Cour à plusieurs décisions rendues sous le régime de la procédure informelle dans lesquelles la Cour a refusé d’accorder le crédit d’impôt pour déficience, parce que la personne qui faisait la demande était aveugle à un œil seulement : voir Hoben c. Canada, 2003 CCI 658; Riley c. Canada, 2003 CCI 916; Marrone c. Canada, 2004 CCI 507. Toutefois, les particuliers en question, tout en étant aveugles à un œil, avaient une vue 20/20 ou une vision parfaite à l’autre œil. Dans d’autres décisions, la Cour a refusé la demande de crédit d’impôt pour déficience pour le motif qu’aucune attestation appropriée n’avait été produite à l’instruction : voir, par exemple, Wear v. Canada, [2003] 1 C.T.C. 2332 (C.C.I.) (procédure informelle).

 

[31]    En l’espèce, la Cour a devant elle quatre documents ou certificats pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, lesquels sont tous signés par des médecins en titre qualifiés et disent que Derrick est complètement aveugle à l’œil droit et que l’acuité visuelle à l’œil gauche est réduite d’une façon permanente. On a déclaré que Derrick avait une acuité visuelle de 20/50 à l’œil gauche, sur l’échelle de Snellen (avec un champ visuel de 80 degrés et une acuité visuelle de 20/125 sur une carte à dix pieds), mais ni le ministre ni l’appelant n’ont soumis de preuves, par l’entremise d’un expert ou autrement, pour expliquer ce que ces chiffres veulent dire. Pour le profane, cela pourrait vouloir dire que Derrick est aussi aveugle qu’une chauve‑souris à l’œil gauche ou cela pourrait vouloir dire qu’il a la vision de Superman.

 

[32]    Bien que la présente affaire justifie une interprétation humaine et compatissante, la Cour ne peut pas conclure, en l’absence de preuve, que Derrick est aveugle aux deux yeux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[33]    Par conséquent, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de novembre 2007.

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2008

 

Christian Laroche


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI416

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2006-1406(IT)I

 

INTITULÉ :                                       LEROY LEWIS

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Gander (Terre-Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E.P. Rossiter

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. Wayne Budgell

 

Avocate de l’intimée :

Me Lindsay Holland

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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