Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2002-310(IT)G

ENTRE :

JOAN M. BLACKWELL,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Michael C. Jenkinson

(2002-314(IT)G) les 20, 21, 22, 23 novembre 2006,

2, 3, 5 avril, 28 mai et 12 juillet 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

 

Pour Michael Jenkinson :

Me Robert K. Brown

 

Michael Jenkinson

 

Avocat de l’intimée :

Me Brent E. Cuddy

 

 

JUGEMENT

 

L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1989 et 1990 est accueilli, avec dépens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait qu’aucune partie de la somme visée par l’ordonnance de dédommagement ne doit être incluse dans le revenu de l’appelante et que les pénalités connexes doivent être annulées.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2007.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

Dossier : 2002-314(IT)G

ENTR :

MICHAEL C. JENKINSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Joan M. Blackwell

(2002-310(IT)G) les 20, 21, 22, 23 novembre 2006,

2, 3, 5 avril, 28 mai et 12 juillet 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

 

Avocat de Joan Blackwell :

L’appelant lui‑même

 

Me Robert K. Brown

 

Avocat de l’intimée :

Me Brent E. Cuddy

 

 

JUGEMENT

 

L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1989 et 1990 est accueilli, avec dépens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait qu’aucune partie de la somme visée par l’ordonnance de dédommagement ne doit être incluse dans le revenu de l’appelant et que les pénalités connexes doivent être annulées.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2007.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

Référence : 2007CCI695

Date : 20071116

Dossier : 2002-310(IT)G

 

ENTRE :

JOAN M. BLACKWELL,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

ET ENTRE :

Dossier : 2002-314(IT)G

 

MICHAEL C. JENKINSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 


MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Woods

 

[1]     En l’espèce, il s’agit de décider si les appelants sont tenus d’inclure dans leur revenu les sommes pour lesquelles ils ont été reconnus coupables de fraude. Les cotisations visent les années d’imposition 1989 et 1990.

 

[2]     Les appels ont été entendus ensemble; Michael Jenkinson se représentait lui‑même, et Joan Blackwell était représentée par un avocat.

 

Les cotisations

 

[3]     À l’automne 1994, les appelants ont été jugés et déclarés coupables de 13 chefs d’accusation de fraude par un tribunal de l’Ontario. Ils ont reçu une peine d’emprisonnement de quatre ans et demi et ont été condamnés à payer aux victimes un dédommagement de 1 858 000 $. Aucune partie de cette somme n’avait été payée au moment de l’audition des appels. 

 

[4]     Une vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada avait assisté au procès à titre d’observatrice. Peu de temps après la fin du procès, elle a entrepris une vérification portant sur ces transactions. Les cotisations frappées d’appel ont été établies en 1998, à la suite de cette vérification.

 

[5]     Aux fins de la cotisation, le ministre a estimé que la somme visée par l’ordonnance de dédommagement devait être incluse dans le revenu des appelants à titre de revenu d’entreprise, conformément à l’article 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu. La somme totale, soit 1 858 000 $, a été divisée à parts égales entre les appelants, et le résultat a été inclus dans leur revenu pour l’année d’imposition 1989 ou 1990, en fonction de la date de réception des sommes. L’Agence du revenu du Canada a également avisé les appelants qu’une déduction leur serait accordée s’ils exécutaient ultérieurement l’ordonnance.

 

[6]     En outre, les appelants se sont vu imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour avoir omis de déclarer cette somme dans leurs déclarations de revenus. Toutefois, aucune pénalité n’a été imposée à Michael Jenkinson pour l’année d’imposition 1990, parce que le ministre croyait que l’appelant n’avait pas produit de déclaration de revenus pour cette année‑là. Il semble un peu étrange que le contribuable qui remplit une déclaration de revenus soit plus lourdement pénalisé que le contribuable qui omet de le faire, mais cette question n’est pas vraiment pertinente en l’espèce.

 

La position révisée

 

[7]     Pendant les interrogatoires préalables, Mme Blackwell a fourni à la Couronne neuf volumes reliés de documents financiers et autres documents, qui avaient été utilisés au cours du procès criminel. Après avoir examiné ces documents, la Couronne a finalement reconnu que les appelants ne devaient pas être imposés sur la totalité de la somme visée par l’ordonnance de dédommagement, mais sur une somme considérablement moins élevée.

 

[8]     Il y a eu beaucoup de confusion au début de l’audience quant à la position révisée exacte de la Couronne. La Couronne soutenait‑elle dorénavant que l’inclusion dans le revenu n’était plus fondée sur la réalisation d’un revenu d’entreprise mais sur la réception d’avantages conférés aux actionnaires? Quelles sommes révisées proposait‑elle maintenant d’inclure dans le revenu des appelants?

 

[9]     Il est malheureux que les actes de procédure n’aient pas été modifiés afin de clarifier la position de la Couronne avant la tenue de l’audience, surtout parce que M. Jenkinson se représentait lui‑même et que l’avocat de Mme Blackwell ne semblait pas s’y connaître très bien en matière d’impôt. Si je comprends bien, les discussions en vue de l’obtention d’un règlement ont été au centre de l’attention avant l’audience, et les appelants ont cru, d’après ces discussions, que la Couronne s’appuyait maintenant sur une analyse des avantages conférés aux actionnaires. De telles discussions, malgré leur importance, n’éliminent pas la nécessité d’établir clairement les questions litigieuses et les faits essentiels dans les actes de procédure.

 

[10]    L’avocat de la Couronne a partiellement clarifié les choses dans ses observations préliminaires, mais il est inutile de préciser que les appelants n’avaient pas le temps de changer leur fusil d’épaule. L’avocat a déclaré qu’il ne tenterait pas de soutenir qu’il y avait eu des avantages conférés aux actionnaires parce que les actes de procédure n’avaient pas été modifiés. Les sommes en litige, toutefois, n’ont pu être clairement définies. L’avocat m’a informée qu’il avait fourni une ébauche de proposition aux appelants, mais que les sommes n’avaient pas encore été fixées. L’ébauche avait peut‑être aidé les appelants à préparer leur preuve, mais j’ignorais encore en quoi exactement la nouvelle position différait de l’ancienne.

 

[11]    La position de la Couronne s’est éclaircie lorsque l’agente des appels s’est présentée à la barre des témoins, après que les appelants eurent livré leur témoignage. La Couronne a fondé son argumentation sur les sommes nettes reçues par les appelants qui ne pouvaient être liées à une utilisation commerciale. Le total a été fixé à 341 919 $ et réparti comme suit entre les appelants :

 

 

 

Inclusion dans le revenu pour 1989

 

 

Inclusion dans le revenu pour 1990

 

Jenkinson

 

 

91 097,01 $

 

134 748,89 $

 

Blackwell

 

 

56 668,40 $

 

59 404,65 $

 

 

Les faits

 

[12]    Les seuls témoins qui ont comparu à l’audience étaient les appelants eux‑mêmes et l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada qui avait examiné les oppositions. Les témoignages oraux n’ont pas jeté beaucoup de lumière sur les circonstances qui ont mené aux déclarations de culpabilité, mais le juge de l’instance criminelle a rendu des motifs détaillés. Bon nombre des conclusions de fait qui suivent sont fondées sur ces motifs.

 

[13]    Les appelants se sont rencontrés en 1987, alors qu’ils participaient à un cours à l’intention des courtiers en hypothèques, et ont décidé de former un partenariat. Ils avaient tous deux de l’expérience en immobilier et ont eu l’idée de créer plusieurs entreprises liées à l’immobilier d’une manière ou d’une autre. Joan Blackwell avait de l’expérience en matière d’activité bancaire et d’hypothèques. Michael Jenkinson avait été policier, mais il était également investisseur immobilier.

 

[14]    Les appelants ont rapidement constitué un grand nombre de sociétés, et chacune de ces sociétés exerçait des activités distinctes. Les opérations visées par les présents appels tournaient autour de trois de ces sociétés : une entreprise d’élevage de chevaux (Cholderton Farms), une entreprise de prêts hypothécaires (Ansdel Mortgage), et un complexe de bureaux en copropriété (Meadowvale Project).

 

[15]    Toutes les sociétés fonctionnaient largement à crédit, et l’ensemble de l’affaire s’est vite retrouvée dans une situation financière désastreuse. Comme le juge du procès l’a décrit pendant l’instance criminelle, les appelants ont alors adopté un stratagème audacieux afin d’inciter les particuliers à investir des fonds.

 

[16]    Il semble que la plupart des investisseurs remettaient des chèques aux appelants ou à leurs sociétés et recevaient en retour des billets à ordre; on leur promettait que leur argent serait investi d’une manière précise, par exemple pour acquérir une participation, en vertu d’une coentreprise, dans le complexe de bureaux en copropriété ou pour acquérir une hypothèque sur les immeubles agricoles utilisés par Cholderton Farms. Il semble que la plupart de l’argent investi, si ce n’est la totalité, a été perdu. L’ordonnance de dédommagement la plus importante a été rendue en faveur d’un couple qui exploitait l’entreprise d’élevage de chevaux. Le couple avait été propriétaire d’un immeuble agricole qui avait perdu sa valeur parce qu’il avait été utilisé pour réunir des fonds au moyen d’hypothèques.

 

[17]    Pendant l’instance criminelle, la Couronne a retenu les services d’un juricomptable et l’a chargé de retracer les fonds que les investisseurs avaient fournis, ce qu’il a pu faire en partie seulement. La difficulté était notamment attribuable à ce que l’argent avait souvent été déposé dans le compte bancaire personnel de M. Jenkinson, et que le commis aux écritures des sociétés n’avait censément eu aucun moyen d’en faire le suivi.

 

[18]    Les fonds des investisseurs qui ont pu être retracés avaient été parfois utilisés aux fins précises pour lesquelles l’investisseur les avait engagés, et parfois détournés à d’autres fins; ils avaient souvent servi à rembourser les découverts bancaires qui étaient à leur limite.

 

[19]    Les appelants ont été déclarés coupables à tous les chefs d’accusation de fraude qui avaient été portés contre eux, soit 13 au total.

 

[20]     Il est pertinent dans le cadre des présents appels de signaler que les déclarations de culpabilité pour fraude n’ont pas toutes été prononcées parce que l’argent avait été détourné à des fins non autorisées par les investisseurs. Dans de nombreux cas, les investisseurs avaient été trompés par la présentation de renseignements erronés sur la situation financière des entreprises dans lesquelles ils investissaient. Dans ces cas, la fraude était liée à la présentation d’information trompeuse, et non au détournement de fonds.

 

[21]    Il est aussi pertinent d’indiquer que les investisseurs n’ont pas tous demandé un dédommagement au cours de l’instance criminelle. Il semble que d’autres investisseurs ont vraisemblablement perdu de l’argent, mais le juge du procès n’a pas analysé en profondeur les circonstances de leurs pertes.

 

[22]    Au cours du procès criminel, les appelants ont tenté de se défendre eux‑mêmes en témoignant qu’aucun des investisseurs n’avait été trompé. Selon le témoignage des appelants, chaque investisseur savait parfaitement de quelle manière son argent était utilisé.

 

[23]    Ce témoignage a été écarté d’emblée par le juge au cours de l’instance criminelle. Les commentaires du juge étaient parfois cinglants, comme le démontre l’extrait suivant tiré des motifs oraux :

 

[traduction]

[…] Je rejette ce témoignage non seulement parce que c’est un mensonge, mais aussi parce qu’il illustre l’audace éhontée avec laquelle les accusés tentaient d’induire en erreur et de duper toute personne à qui ils jugeaient utile de s’adresser.

 

Discussion

 

[24]    Après l’examen des documents financiers, la Couronne était convaincue que l’argent des investisseurs avait été investi en grande partie dans de véritables entreprises; elle a reconnu que, dans ces cas, les sommes ne devaient pas être incluses dans le revenu des appelants. Il est alors devenu nécessaire de définir combien d’argent n’avait pas été investi dans les entreprises. Comme il a déjà été mentionné, il ne revenait pas nécessairement au juge d’établir cette somme au cours du procès criminel. 

 

[25]    Les appelants ont tenté de me convaincre, principalement au moyen de leur propre témoignage, qu’ils n’avaient pas utilisé les fonds des investisseurs à des fins personnelles, du moins sans en avoir eu l’autorisation, et qu’ils avaient d’autres sources de revenus pour assurer leur subsistance.

 

[26]    Je ne vois pas pourquoi je retiendrais ce témoignage en l’absence d’éléments de preuve clairs à l’appui. Le simple fait qu’un lien a pu être établi entre une partie de l’argent des investisseurs et le compte bancaire personnel de M. Jenkinson et que la tenue adéquate des livres était impossible donne à penser que l’argent était probablement utilisé en partie à des fins personnelles. Parce que le témoignage des appelants n’était étayé ni par des documents, ni par des témoins indépendants, je n’y ai accordé aucun poids, compte tenu surtout de la nature de leurs condamnations criminelles, fondées sur une tromperie à grande échelle à l’encontre d’investisseurs.

 

[27]    Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là. Les appelants soutiennent qu’ils ne peuvent de façon réaliste répondre à la preuve de la Couronne alors que les opérations pertinentes ont eu lieu il y a si longtemps; ils font valoir l’iniquité pour eux d’avoir à établir à quelles fins les fonds ont été utilisés. J’en conviens.

 

[28]    Les cotisations ont été établies en 1998, soit environ neuf ans après le déroulement des opérations pertinentes. À cette époque‑là, et jusqu’à peu de temps après le début de la présente audience, la Couronne soutenait que tout l’argent des investisseurs constituait un revenu d’entreprise pour les appelants, que les fonds aient été investis ou non dans les diverses entreprises.

 

[29]    Par conséquent, jusqu’à tout récemment, il n’était pas nécessaire de définir quelle partie de l’argent des investisseurs avait été, le cas échéant, dépensée par les appelants à des fins personnelles. On ne peut s’attendre à ce que les appelants soient en mesure de retracer ces fonds 17 ans après les faits. Il s’agit précisément du genre de situation où le fardeau de la preuve devrait revenir à la Couronne, surtout parce que la Couronne n’a pas fourni d’explication raisonnable pour avoir tant tardé à adopter cette position.

 

[30]    De plus, même si les parties n’ont pas soulevé cette question, je ferai remarquer que dans sa position révisée, la Couronne allègue des faits qui n’étaient pas tenus pour acquis au moment de l’établissement des cotisations. Il est bien établi que la Couronne a la charge de prouver ces faits. Dans l’arrêt The Queen v. Loewen, 2004 D.T.C. 6321 (C.A.F.), la juge Sharlow a déclaré ceci :

 

[11]  Les contraintes imposées au ministre lorsqu’il invoque des hypothèses n’empêchent cependant pas Sa Majesté de soulever, ailleurs dans la réponse, des allégations de fait et des moyens de droit qui sont étrangers au fondement de la cotisation. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Ce principe est bien expliqué dans la décision Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423, [1996] 2 C.T.C. 127, 95 D.T.C. 5657 (C.A.F.) (autorisation d’appel refusée [1996] A.C.S.C. no 4).

                                                                                                                    

[31]    En l’espèce, selon la position révisée de la Couronne, il serait nécessaire d’établir quels fonds ont été utilisés à des fins personnelles et d’examiner en outre tous les fonds recueillis par les appelants, et non seulement les fonds reçus des investisseurs visés par le dédommagement. Or, rien de tout cela n’était pertinent dans le cadre de l’établissement des cotisations.

 

[32]    Je conclus alors que la Couronne devrait avoir le fardeau de prouver quelle partie des fonds des investisseurs a été utilisée par les appelants à des fins personnelles. Je conclus en outre, pour les motifs énoncés ci‑dessous, que la Couronne ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

 

[33]    La Couronne a appelé comme seul témoin l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada qui est d’abord intervenue dans cette affaire en 2001. Dans son témoignage, l’agente des appels a hardiment tenté de démontrer que les appelants avaient reçu au moins 341 919 $ qui ne pouvaient être liés à une utilisation commerciale. Pour tirer cette conclusion, elle s’était fondée principalement sur les relevés bancaires et les écritures de journal contenus dans les neuf volumes de documents utilisés au cours du procès criminel.

 

[34]    À mon avis, les documents sur lesquels l’agente des appel s’est fondée ne sont pas suffisants. Je ferai d’abord remarquer que Mme Blackwell ne s’est pas opposée à la production des documents, mais que M. Jenkinson s’y est opposé, parce que l’authenticité des relevés bancaires n’avait pas été établie conformément à la Loi sur la preuve au Canada. Il avait raison. De plus, l’agente des appels n’avait de toute évidence pas eu de connaissance personnelle des documents et n’avait pas mené d’enquête elle‑même, exception faite de l’examen des dossiers que les appelants lui avaient fournis. Il semble en outre que les documents examinés par l’agente des appels ne constituaient qu’une maigre partie des documents qui avaient été saisis au cours de l’enquête criminelle. En tout, de 50 à 60 boîtes de documents ont été saisies, si je comprends bien. Je soulignerais aussi que les relevés bancaires de Mme Blackwell n’ont jamais été saisis, et ces relevés auraient été très pertinents dans le cadre de cette analyse.

 

[35]    En plus de tout cela, chaque appelant a critiqué ligne par ligne l’analyse de l’agente des appels dans des observations écrites exhaustives. La Couronne n’y a pas répondu, même si elle a eu l’occasion de le faire.

 

[36]    Comme il a été mentionné plus tôt, il semble improbable que les appelants n’aient pas utilisé une partie de l’argent des investisseurs pour eux‑mêmes, mais la preuve dont je dispose ne me permet pas de tirer une conclusion au sujet de la quantité d’argent qui aurait ainsi été utilisée.

 

[37]    Je ne suis pas convaincue non plus que les sommes d’argent reçues peuvent être qualifiées de revenu d’entreprise. À cet égard, je remarque que les sommes reçues par les appelants avaient été inscrites dans les journaux des sociétés comme des prêts aux actionnaires, ce qui laisse entendre qu’il ne s’agissait pas d’un revenu d’entreprise.

 

[38]    Ces conclusions me suffisent pour trancher les appels, et je n’ai pas besoin de me pencher en détail sur la question de la prescription qui a été soulevée au cours de l’audience. Je ferai seulement de brefs commentaires à ce sujet.

 

[39]    Trois des quatre cotisations frappées d’appel ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation et sont prescrites, à moins que la Couronne ne puisse établir que les appelants ont omis de déclarer, que ce soit par négligence ou d’une manière frauduleuse, une partie des sommes dans leurs déclarations de revenus. Cela n’est pas contesté. La question en litige est celle de savoir si la même condition s’applique à la quatrième cotisation, établie à l’égard de M. Jenkinson pour l’année d’imposition 1990.

 

[40]    La preuve n’indique pas clairement si la cotisation à l’égard de M. Jenkinson pour l’année d’imposition 1990 a été établie ou non dans le délai normal. La Couronne soutient que ce n’est pas pertinent, et que les modalités de la prescription énoncées au paragraphe 152(4) ne s’appliquent pas au contribuable qui ne produit pas de déclaration de revenus pour une année d’imposition. J’ai du mal à saisir comment l’omission de produire une déclaration de revenus peut permettre au ministre de se soustraire aux exigences du paragraphe 152(4), mais de toutes façons, la Couronne ne pourrait adopter une position différente relativement à cette cotisation en litige, puisque la question n’a pas été soulevée en temps opportun. La question n’était pas clairement énoncée dans les actes de procédure; elle a été soulevée seulement au milieu de l’audience, après que M. Jenkinson eut témoigné. À mon avis, il était tout simplement trop tard.

 

[41]    Par conséquent, les appels seront accueillis intégralement. Les cotisations seront renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que la totalité de la somme visée par l’ordonnance de dédommagement doit être exclue du revenu des appelants et que les pénalités connexes doivent être annulées. Les appelants ont droit aux dépens.

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2007.

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de décembre 2007.

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

RÉFÉRENCE :

 

2007CCI695

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2002-310(IT)G, 2002-314(IT)G

 

INTITULÉ :

JOAN M. BLACKWELL c.
SA MAJESTÉ LA REINE,

MICHAEL C. JENKINSON c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 20, 21, 22, 23 novembre 2006,
2, 3, 5 avril, 28 mai et 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Judith Woods

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de Joan M. Blackwell :

 

Pour Michael C. Jenkinson :

Me Robert K. Brown

 

L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimée :

Me Brent E. Cuddy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour Joan M. Blackwell :

 

 

 

Nom :

 

Me Robert K. Brown

 

 

Cabinet :

Stutz & Associates

Orangeville (Ontario)

 

 

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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