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Dossier : 2006‑2082(EI)

 

ENTRE :

RAYMOND EDWARD LINSEMAN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

__________________________________________________________________

 

Appel entendu à Ottawa (Canada), le 23 janvier 2007.

 

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

                 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Ryan Hall

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

 

      

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2007

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


 

 

 

Référence : 2007CCI97

Date : 20070219

Dossier : 2006‑2082(EI)

ENTRE :

RAYMOND EDWARD LINSEMAN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Webb

 

[1]     L’appelant interjette appel devant la Cour, en vertu de l’article 103 de la Loi sur l’assurance-emploi, de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) qui a conclu que certaines sommes reçues par l’appelant étaient des allocations de retraite et non une rémunération assurable pour l’application de cette loi. L’appelant soulève également la question de savoir à quelle date doit débuter sa période de prestations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. L’article 103 de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit notamment que :

 

103. (1) [...] une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 [...] peut [...] interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

 

[2]     L’article 91 de la Loi sur l’assurance-emploi dispose que :

 

91. La Commission peut porter la décision en appel devant le ministre à tout moment, et tout autre intéressé, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à laquelle il reçoit notification de cette décision.

 

[3]     L’article 90 de la Loi sur l’assurance-emploi est ainsi libellé :

 

90. (1) La Commission, de même que tout employé, employeur ou personne prétendant être l’un ou l’autre, peut demander à un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada autorisé par le ministre de rendre une décision sur les questions suivantes :

 

a) le fait qu’un emploi est assurable;

 

b) la détermination de la durée d’un emploi assurable, y compris ses dates de début et de fin;

 

c) la détermination de la rémunération assurable;

 

d) la détermination du nombre d’heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable;

 

e) l’existence de l’obligation de verser une cotisation;

 

f) la détermination du montant des cotisations à verser;

 

g) l’identité de l’employeur d’un assuré;

 

h) le fait qu’un employeur est un employeur associé;

 

i) le montant du remboursement prévu à l’un ou l’autre des paragraphes 96(4) à (10).

 

[4]     Selon le paragraphe 90(1), seules les questions énumérées à ce paragraphe peuvent faire l’objet d’une décision et, par conséquent, seules ces questions peuvent faire l’objet d’un appel interjeté devant le ministre en vertu de l’article 91, puis devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu de l’article 103.

 

[5]     La question de savoir si certains montants reçus par l’appelant font partie de la rémunération assurable compte parmi les questions pouvant faire l’objet d’une décision selon l’article 90, puis d’un appel interjeté devant le ministre et ensuite devant la Cour. Toutefois, la date du début de la période de prestations prévue à la partie I de la Loi sur l’assurance-emploi ne figure pas parmi les questions énumérées au paragraphe 90(1) de cette loi et n’est donc pas une question pouvant faire l’objet d’une décision au selon l’article 90 de la même loi. Cette question ne peut donc pas faire l’objet d’un appel porté devant le ministre en vertu de l’article 91 de la Loi sur l’assurance-emploi, ou devant la Cour en vertu de l’article 103 de cette loi.

 

[6]     Par conséquent, la seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si les montants en question font partie de la rémunération assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.

 

[7]     Avant l’année 2002, l’appelant a été, pendant environ 30 ans, employé de la SCI Brockville Corp. et des sociétés remplacées. Par lettre datée du 25 janvier 2002, l’appelant a été avisé de la fermeture permanente de l’usine où il travaillait et de la cessation de son emploi au plus tard le 18 octobre 2002. Par lettre datée du 24 mai 2002, l’appelant a été informé de son licenciement à partir du 16 août 2002, date à laquelle il a effectivement été licencié.

 

[8]     Un recours collectif a été engagé contre la SCI Brockville Corp. et, dans le cadre du règlement qui en est issu, l’appelant a eu droit à diverses sommes d’argent. Le montant correspondant à ses pertes salariales a été calculé selon la formule suivante :

 

(3 semaines par année de service moins 15 semaines) x son salaire à la date de licenciement.

 

[9]     Comme l’appelant avait travaillé pour cette entreprise pendant 30,5 ans, il a eu droit à 91,5 semaines moins 15 semaines, c’est-à-dire 76,5 semaines x son salaire. Les 15 semaines retranchées correspondent aux 15 semaines pendant lesquelles il a travaillé et a été rémunéré après avoir reçu le préavis de licenciement (12 semaines entre le 24 mai 2002 et le 16 août 2002, plus un crédit de trois semaines au titre de la lettre datée du 25 janvier 2002) (le « préavis avec obligation de travailler »). Certains rajustements – tous calculés selon la même formule – ont été effectués pour tenir compte de la perte d’heures supplémentaires, de la perte d’avantages sociaux, ainsi que de la perte d’une augmentation des droits à pension. La somme totale payable à l’appelant s’élevait à 134 532 $ et lui a été remise en deux versements – 31 356 $ à la date de son licenciement, cette somme constituant l’« indemnité de départ réglementaire », et le solde, c’est-à-dire 103 176 $, versé en 2004. Toute somme déduite de ce versement et affectée aux impôts de l’appelant, ou à toute autre dette de celui-ci, devait néanmoins être considérée comme une somme versée à l’appelant (Morin c. R. (CFPI) [1975] C.T.C. 106, 75 DTC 5061).

 

[10]    Il s’agit en l’espèce de savoir si les sommes versées, dans le cadre du règlement qui est intervenu, pour la période suivant la cessation d’emploi de l’appelant, y compris l’indemnité pour perte de salaire, constituaient une rémunération assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Les sommes en question représentaient une indemnité correspondant aux montants qu’aurait reçus l’appelant s’il avait continué à travailler au cours de la période de préavis supplémentaire prévue dans le cadre du règlement intervenu, mais elles n’ont cependant pas été versées en contrepartie de services ou de travaux accomplis par lui.

 

[11]    La rémunération assurable est définie de la façon suivante au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’assurance-emploi :

 

« rémunération assurable » Le total de la rémunération d’un assuré, déterminé conformément à la partie IV, provenant de tout emploi assurable.

 

[12]    Selon l’alinéa 108(1)g) de la Loi sur l’assurance-emploi (qui figure à la partie IV de la Loi) :

 

108. (1) Le ministre peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

[...]

g) concernant la définition et la détermination de la rémunération, de la période de paie et du montant de la rémunération assurable des assurés, et la répartition de la rémunération sur une période d’emploi assurable;

 

[13]    Les paragraphes 2(1) et (3) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations prévoient notamment que :

 

2. (1) Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

 

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi;

 

[...]

 

(3) Pour l’application des paragraphes (1) et (2), sont exclus de la rémunération :

 

b)   les allocations de retraite;

 

[14]    Le paragraphe 1(1) du même règlement définit l’allocation de retraite de la façon suivante :

« allocation de retraite » Somme qu’une personne reçoit :

 

a) soit en reconnaissance de longs états de service au moment où elle prend sa retraite d’une charge ou d’un emploi ou par la suite;

 

b) soit à l’égard de la perte de sa charge ou de son emploi, que la somme soit reçue ou non à titre de dommages-intérêts ou conformément à une ordonnance ou un jugement d’un tribunal compétent.

 

[15]    Le terme « allocation de retraite » est aussi défini pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paragraphe 248(1) de cette loi en donne la définition suivante :

 

« allocation de retraite » Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d’un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

 

a) soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d’une charge ou d’un emploi ou par la suite;

 

b) soit à l’égard de la perte par le contribuable d’une charge ou d’un emploi, qu’elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d’un tribunal compétent.

 

[16]    La définition d’« allocation de retraite » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne diffère pas largement, en ce qui nous concerne ici, de la définition d’« allocation de retraite » qui figure au paragraphe 1(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, étant donné que les montants en cause en l’espèce ne constituent pas une pension ou une prestation de retraite, une somme reçue en raison du décès d’un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[17]    Dans l’affaire Overin c. La Reine, 98 DTC 1299, le juge Rip s’est prononcé en ces termes sur la question de savoir si un certain montant devait être compté comme une allocation de retraite :

 

[16] L’emploi des mots « à l’égard de » dans la définition de l’« allocation de retraite » a été reconnu comme exprimant un lien entre la perte d’emploi et la réception subséquente d’une somme d’argent. Toutefois, pour que la disposition relative à l’allocation de retraite ait réellement un sens, il faut limiter dans une certaine mesure l’étendue du lien nécessaire entre la somme reçue et la perte d’emploi. À cet égard, deux décisions peuvent être utiles. En premier lieu, dans la décision Merrins, ci-dessus, le juge Pinard a fait observer ce qui suit, à la page 6670 :

 

Il ne fait aucun doute que cette somme a été reçue par le demandeur « à l’égard » de la perte de son emploi auprès de l’ÉACL. S’il n’y avait pas eu perte d’emploi, il n’y aurait eu aucun grief, aucun règlement, aucune sentence arbitrale et, par conséquent, aucun versement de cette somme au demandeur.

 

L’analyse effectuée par le juge Pinard laisse entendre qu’en déterminant les limites du lien qui existe entre un paiement et la perte d’un emploi, il convient de se poser la question suivante : « S’il n’y avait pas eu perte d’emploi, la somme aurait-elle été reçue? » Si l’on répond à cette question par la négative, il existe entre la somme reçue et la perte d’emploi un lien suffisant pour que le paiement soit considéré comme une allocation de retraite.

 

[...]

 

[18] Il est tout à fait clair qu’en plus du critère susmentionné, selon lequel le paiement vise à indemniser l’employé de la perte de son emploi, le montant peut être considéré comme ayant été reçu « à l’égard de » cette perte.

 

[18]    Or, en l’espèce, il est clair que les sommes touchées par l’appelant, dans le cadre du règlement intervenu, pour les 76,5 semaines suivant la cessation de son emploi, y compris l’indemnité pour perte de salaire au cours de cette période, avaient bien été reçues à l’égard de la perte de son emploi et non en contrepartie de services ou de travaux accomplis par lui. Si l’emploi de l’appelant n’avait pas pris fin, il n’aurait pas reçu cette indemnité puisqu’il n’a fourni à la SCI Brockville Corp. aucun service au cours de cette période de 76,5 semaines. Il est clair également que l’appelant a reçu les montants en question à l’égard de sa perte d’emploi parce que le règlement se rapportait au recours collectif engagé contre l’employeur. Voici un extrait de la déclaration déposée dans le cadre de ce recours:

 

 

[traduction]

1.         Le demandeur sollicite, pour son compte et pour le compte des membres du groupe de demandeurs, à l’encontre du défendeur :

 

a)         des dommages-intérêts pour défaut de préavis raisonnable de la cessation de leur emploi ou d’indemnité en tenant lieu, y compris :

 

 

i.          la perte de salaire et autre rétribution pécuniaire au cours de la période de préavis raisonnable;

 

ii.          la perte d’avantages au cours de la période de préavis raisonnable;

 

iii.         la perte de droits à pension.

 

[19]    Par contre, la rémunération que l’appelant a touchée pour les 15 semaines de « préavis avec obligation de travailler » lui a bien été versée en contrepartie de services rendus et il l’aurait reçue indépendamment de son licenciement; elle ne serait donc pas considérée comme une allocation de retraite.

 

[20]    Par conséquent, les montants reçus par l’appelant, dans le cadre du règlement intervenu, pour les 76,5 semaines suivant la cessation de son emploi, y compris l’indemnité pour perte de salaire pendant cette période, étaient bien des allocations de retraite et non une rémunération assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Les montants déduits de la somme totale de 134 532 $ payable à l’appelant et versés au titre de l’impôt sur le revenu payable par lui (ou de toute autre obligation de celui-ci) seraient tout de même considérés comme reçus par lui pour l’application des définitions de « allocation de retraite », « rémunération » et « rémunération assurable », vu que ces montants ont été versés au profit de l’appelant (Morin c. R. (CFPI) [1975] C.T.C. 106, 75 DTC 5061).

 

[21]    Il convient également de rappeler que le paragraphe 14(3) de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit que :

 

(3) La rémunération assurable au cours de la période de base est déterminée et calculée conformément aux règlements et comprend celle relative à l’exercice de tout emploi assurable, que celui-ci ait ou non pris fin.

 

[22]    Même si la dernière partie du paragraphe 14(3) pourrait donner à penser que la rémunération assurable comprend, pour l’application de ce paragraphe, une allocation de retraite, je suis d’avis que si la « rémunération assurable » devait comprendre une allocation de retraite pour l’application du paragraphe 14(3) de la Loi, il faudrait que libellé de ce paragraphe soit plus précis étant donné que le Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations exclut expressément de tels montants. Le membre de phrase « que celui-ci ait ou non pris fin » exigerait que de tels montants soient inclus en tant qu’augmentations rétroactives de rémunération pour la période antérieure à la cessation d’emploi, montants qui n’auraient été ni fixés ni versés avant que l’emploi ait effectivement pris fin. Quoi qu’il en soit, l’article 14 de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit la détermination du taux des prestations hebdomadaires, et ce taux ne figure pas parmi les questions pouvant faire l’objet d’une demande de décision au titre de l’article 90, puis d’un appel interjeté devant le ministre et ensuite devant la Cour. La Cour n’est donc pas compétente pour se prononcer sur le taux des prestations à verser.

 

[23]    L’appel est rejeté.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2007

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI97

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006‑2082(EI)

 

INTITULÉ :                                       Raymond Edward Linseman

                                                          c.

                                                          Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Canada)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 23 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’HONORABLE WYMAN W. WEBB

 

DATE DU JUGEMENT :                   LE 19 FÉVRIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé

Me Ryan Hall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

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