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Dossiers : 2006-149(EI)

2006-150(EI)

ENTRE :

A.L.D. ENTERPRISES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec l’appel de A.L.D. Enterprises Inc. [2006-151(CPP)] le 16 octobre 2006, à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Shelley J. Kamin

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Daniel Bourgeois

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels sont accueillis et les décisions du ministre sont modifiées selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour de février 2007.

 

 

 

« D.W. Rowe »

D.W. Rowe. J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de février 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


Dossier : 2006-151(CPP)

 

ENTRE :

A.L.D. ENTERPRISES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de A.L.D. Enterprises Inc. [2006‑149(EI), 2006-150(EI)] le 16 octobre 2006, à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Shelley J. Kamin

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Daniel Bourgeois

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour de février 2007.

 

 

 

« D.W. Rowe »

D.W. Rowe, J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de février 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2007CCI71

Date : 20070212

Dossiers : 2006-149(EI)

2006-150(EI)

2006-151(CPP)

 

ENTRE :

 

A.L.D. ENTERPRISES INC.,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L’appelante (« ALD » ou le « payeur ») a interjeté appel d’une décision datée du 14 octobre 2005 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait conclu que des cotisations étaient payables en vertu du Régime de pensions du Canada (le « Régime ») et de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») sur la rémunération qu’ALD avait versée à Rémi‑Paul Bellemare (« M. Bellemare ») pour la période allant du 1er janvier 2003 au 15 décembre 2004 parce que M. Bellemare était employé en vertu d’un contrat de louage de services et qu’il était donc un employé d’ALD.

 

[2]     L’entreprise ALD a également interjeté appel de la décision du 14 octobre 2005 par laquelle le ministre avait conclu que l’emploi exercé par David Parks était assurable conformément à la Loi et que cet emploi ouvrait également droit à pension aux termes du Régime pour la période allant du 1er janvier 2003 au 17 décembre 2004 parce que M. Parks était un employé d’ALD et que, même s’il était lié à l’actionnaire majoritaire du payeur, le ministre était convaincu qu’ALD et lui auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[3]     L’entreprise ALD a également interjeté appel [2006‑151(CPP)] d’une décision distincte également datée du 14 octobre 2005 et rendue par le ministre à l’égard de David Parks conformément aux dispositions pertinentes du Régime.

 

[4]     Toutes ces décisions ont été rendues par le ministre conformément aux paragraphes 93(3) de la Loi et 27.2(3) du Régime.

 

[5]     L’avocate de l’appelante et l’avocat de l’intimé ont convenu que les appels en matière d’assurance‑emploi (l’« AE ») pouvaient être entendus sur preuve commune et que l’appel fondé sur le Régime (le « RPC ») pouvait suivre l’issue de la cause.

 

[6]     Il n’y a pas eu de mise en question de la conclusion du ministre voulant que, même si M. Parks et les actionnaires d’ALD étaient liés, le ministre estimait néanmoins que M. Parks exerçait un emploi assurable.

 

[7]     Me Shelley Kamin, avocate de l’appelante, a déposé sous la cote A‑1 un résumé conjoint des faits (le « résumé ») que Daniel Bourgeois, avocat de l’intimé, et elle-même avaient signé. La première partie du résumé, la partie A, est intitulée : [traduction] « Faits énoncés dans l’avis d’appel qui sont admis par l’intimé ». Voici la teneur des paragraphes 1 à 20 du résumé :

 

[traduction]

1.         Pendant la période pertinente, l’appelante exploitait toute l’année durant une entreprise dans le cadre de laquelle elle assurait principalement le transport de produits laitiers pour sa cliente, Dairyland. Elle ramassait les produits à Brampton (Ontario) et les livrait à l’entrepôt principal de distribution, à Ottawa, ou elle ramassait les produits à Trois‑Rivières pour les livrer à Brampton. L’appelante transportait également certains produits composés de jus de fruits entre Montréal et Brampton. [Tous les AA, paragraphe 1]

 

2.         Pendant la période pertinente, André et Wendy Dupuis étaient les seuls actionnaires et administrateurs de l’appelante. M. et Mme Dupuis exerçaient un contrôle sur les activités quotidiennes de l’appelante et prenaient les décisions commerciales importantes; ils s’occupaient notamment de recruter des clients, d’engager des entrepreneurs indépendants, d’embaucher et de renvoyer les employés, de signer les contrats et de décider de l’orientation de l’entreprise. M. Parks est le frère de Wendy Dupuis. [Tous les AA, paragraphe 2]

 

3.         Le nom de l’appelante figurait sur tous les camions. Le nom de l’appelante ou de Dairyland figurait sur les remorques réfrigérées qui étaient tirées par les camions. [Tous les AA, paragraphe 3]

 

4.         Pendant la période pertinente, l’appelante engageait des chauffeurs pour conduire les camions. [Tous les AA, paragraphe 4]

 

5.         David Parks et Rémi-Paul Bellemare (les « travailleurs ») étaient engagés et rémunérés par l’appelante et fournissaient des services pour l’appelante. [Tous les AA, alinéa 6]

 

6.         Chacun des travailleurs devait se procurer le principal instrument du métier, à savoir un permis de conduire de catégorie A avec autorisation Z, et en assurer le maintien. [Tous les AA, alinéa 7c)]

 

7.         La seule obligation de faire rapport des travailleurs était celle qui était prévue dans le Règlement sur les heures de travail pris en vertu du Code de la route (Ontario). Aux termes de ce règlement, les chauffeurs de camion, qu’il s’agisse d’entrepreneurs indépendants ou d’employés, sont tenus de remplir des fiches journalières et de transmettre ces fiches ainsi que les documents justificatifs au propriétaire du véhicule à moteur (c’est‑à‑dire à l’appelante). Ce règlement exigeait également que le propriétaire du véhicule à moteur conserve toutes les fiches journalières et les documents justificatifs pour une période de six mois à son bureau principal. [Tous les AA, alinéa 7d)]

 

8.         Les travailleurs devaient respecter certains délais de livraison étant donné qu’ils transportaient des denrées périssables. Toutefois, dans les limites de ces délais, établis selon les produits, les travailleurs décidaient de la façon d’effectuer chaque livraison : leur propre horaire ainsi que leurs parcours, heures de repas et périodes de repos. [Tous les AA, alinéa 7e)]

 

9.         Chacun des travailleurs était rémunéré par l’appelante en fonction du travail accompli, à savoir les ramassages et les livraisons qu’il faisait. L’appelante effectuait le paiement uniquement après avoir reçu une facture de chacun des travailleurs. Chacun des travailleurs remettait ses factures à intervalles irréguliers et pour divers montants, selon le travail accompli. Le travailleur qui, pour une raison ou une autre, ne travaillait pas n’était pas rémunéré. [Tous les AA, alinéa 7i)]

 

10.       L’appelante ne remboursait pas les travailleurs des frais de repas et des autres frais engagés. Il lui incombait de payer l’essence et l’entretien du camion ou de la remorque et elle souscrivait une assurance‑responsabilité pour les chargements qu’elle transportait. [Tous les AA, alinéa 7g]

 

11.       Les travailleurs n’avaient pas droit à des vacances, aux jours fériés, à des congés de maladie, à une pension d’invalidité ou à d’autres avantages de la part de l’appelante. Celle-ci ne déduisait, de la rétribution du travailleur, ni cotisations d’assurance-emploi (l’« AE ») et du RPC ni impôt sur le revenu. Les travailleurs ne recevaient pas de feuillets T4. [Tous les AA, alinéa 7i)]

 

12.       Le bureau des services fiscaux de l’ARC, à Ottawa, a conclu qu’au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 17 décembre 2004, M. Parks exerçait un emploi assurable auprès de l’appelante en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi. Les décisions de l’ARC concernant M. Parks figurent sous les numéros de décisions en matière d’assurance‑emploi CE04333 5114 7304 [sic] et CE0434 9075 8398 [sic], datées du 17 décembre 2004. [Tous les AA, paragraphe 9]

 

13.       Le bureau des services fiscaux de l’ARC, à Ottawa, a également conclu qu’au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 15 décembre 2004, M. Bellemare exerçait un emploi assurable auprès de l’appelante. Les décisions de l’ARC concernant M. Bellemare figurent sous les numéros de décisions en matière d’assurance‑emploi CE0434 9080 32894 et CE0433 5114 6210, datées du 17 décembre 2004. [Tous les AA, paragraphe 10]

 

14.       Les décisions susmentionnées portaient uniquement sur la question de l’emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et ne traitaient pas de la question de l’emploi ouvrant droit à pension aux termes du RPC. [AA, RPC, paragraphe 11]

 

15.       Le 1er mars 2005, l’intimé a établi, à l’égard des années d’imposition 2003, 2004 et 2005 de l’appelante, les montants des cotisations à l’AE et au RPC payables par celle‑ci, compte tenu du fait que les travailleurs exerçaient un emploi assurable auprès de l’appelante en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et un emploi ouvrant droit à pension aux termes du RPC. [AA, RPC, paragraphe 12; AA, AE, paragraphe 11]

 

16.       La cotisation concernant l’année d’imposition 2003 indiquait les montants payables au titre de l’impôt fédéral et provincial. Celle concernant l’année 2005 établissait les montants payables par l’appelante au titre de l’AE et du RPC à l’égard de M. Parks, même si la période couverte par les décisions ne s’appliquait pas à l’année d’imposition 2005. [AA, RPC, paragraphe 13; AA, AE, paragraphe 12]

 

17.       Le 16 mars 2005, l’appelante a porté les décisions susmentionnées, en appel devant l’intimé, en vertu de l’article 91 de la Loi sur l’assurance‑emploi. [AA, RPC, paragraphe 14; AA, AE, paragraphe 13]

 

18.       De plus, le 27 mai 2005, l’appelante a porté les cotisations relatives aux années d’imposition 2004 et 2005, en appel devant l’intimé, en vertu des articles 27.1 du RPC et 92 de la Loi sur l’assurance‑emploi et elle a signifié à l’intimé un avis d’opposition en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de la cotisation relative à l’année d’imposition 2003. [AA, RPC, paragraphe 15; AA, AE, paragraphe 14]

 

19.       L’intimé a décidé que les travailleurs exerçaient auprès de l’appelante un emploi assurable ouvrant droit à pension; ces décisions ont été communiquées à l’appelante le 14 octobre 2005. L’intimé a tenté de traiter l’appel interjeté par l’appelante d’une décision portant sur la question de savoir si des cotisations au RPC étaient payables, même si aucune telle décision n’avait été rendue, et même si l’appelante n’avait pas interjeté appel d’une telle décision. [AA, RPC, paragraphe 16; AA, AE, paragraphe 15]

 

20.       À ce jour, l’intimé n’a pas formellement avisé l’appelante de sa décision quant au nouvel examen des cotisations. [AA, RPC, paragraphe 17; AA, AE, paragraphe 16]

 

[8]     Dans la partie B du résumé, l’intimé a nié l’allégation figurant dans les avis d’appel, selon laquelle ALD était une cliente des travailleurs.

 

[9]     La partie C du résumé énonçait, aux paragraphes 1 à 11 inclusivement, des faits dont l’intimé n’avait pas connaissance et qui étaient contenus dans l’avis ou les avis d’appel.

 

[10]    La partie D du résumé énonçait, aux paragraphes 1 à 5 inclusivement, les hypothèses de fait sur lesquelles l’intimé se fondait dans les réponses aux avis d’appel et qui étaient niées par l’appelante. Il s’agit des hypothèses suivantes :

 

[traduction]

1.         Les travailleurs étaient tenus de respecter les délais et dates limites imposés par l’appelante pour répondre aux besoins des clients de l’appelante [Réponse concernant le RPC et M. Parks, alinéa 15h); réponse Bellemare, alinéa 15g)]

 

2.         Le taux de rémunération des travailleurs était fonction du nombre de kilomètres parcourus et un taux fixe était exigé pour aller d’un entrepôt à l’autre. [Réponse concernant le RPC, alinéa 15i)]

 

3.         Le taux de rémunération de M. Bellemare était fonction du nombre de kilomètres parcourus (0,245/km). [Réponse Bellemare, alinéa 15h)]

 

4.         Les travailleurs n’avaient pas le droit d’embaucher des assistants sans obtenir le consentement de l’appelante. [Réponse concernant le RPC, alinéa 15y); réponses Parks et Bellemare, alinéa 15x)]

 

5.         Les travailleurs devaient fournir leurs services personnellement. [Réponse concernant le RPC, alinéa 15aa); réponses Parks et Bellemare, alinéa 15z)]

 

[11]    Dans son témoignage, David Parks a déclaré qu’il résidait à Ottawa et conduisait un camion pour ALD, à l’occasion, depuis 6 ou 7 ans. Il s’est présenté comme étant un entrepreneur indépendant et il a déclaré avoir discuté de la question avec son beau‑frère André (Andy) Dupuis, qui exerçait un contrôle sur les activités de cette entreprise. M. Parks a déclaré qu’il voulait être un entrepreneur indépendant plutôt qu’un employé et qu’il avait fourni certains services de construction à ALD en sa qualité d’entrepreneur privé. Il avait également exécuté des travaux similaires pour d’autres clients en 2003 et, pour ces travaux, il leur avait envoyé des factures qui étaient incluses dans la liasse de factures produites sous la cote A‑2 et se rapportant à ses services de chauffeur de camion fournis à ALD. Dans la liasse en question, M. Parks a fait référence à la facture no 6, remise à un client et établie à 1 230 $ sur la base d’un taux horaire de 15 $ pour l’exécution de certains travaux de construction. M. Parks était inscrit conformément aux dispositions relatives à la taxe sur les produits et services (la « TPS ») de la Loi sur la taxe d’accise; il avait prélevé un montant de 86,10 $ au titre de la TPS à l’égard de ses services et avait demandé le remboursement du coût des matériaux fournis pour le travail. M. Parks a également fait référence à la facture no 7, dans laquelle il demandait un montant de 1 346,05 $ pour les matériaux achetés et un taux fixe de 750 $ pour l’exécution du travail, ainsi que la TPS. M. Parks a déclaré avoir fourni ses services à ALD, en sa qualité d’entrepreneur en construction, lorsqu’il s’était agi de construire une annexe au bureau de l’entreprise, situé dans la résidence Dupuis; il avait envoyé une facture, portant le no 9 et datée du 10 juin 2003, dans laquelle il demandait un montant de 1 900 $ en tout pour la main‑d’œuvre ainsi que le remboursement des matériaux achetés. Là encore, M. Parks a perçu la TPS sur le montant attribuable à la main-d’œuvre. Il a déclaré que les travaux, une fois achevés, avaient coûté moins cher que ce qu’il avait prévu au départ, de sorte qu’il avait réduit d’un montant de 400 $ la fraction « main-d’œuvre » de la facture. On a renvoyé M. Parks à la facture no 14, datée du 28 octobre 2003 et remise à un autre client, dans laquelle il demandait une somme de 400 $ pour ses services et ajoutait le bon montant, 28 $, pour la TPS. Quant à la prestation de ses services à ALD à titre de chauffeur de camion, M. Parks a déclaré qu’il avait conclu avec M. Dupuis une entente informelle selon laquelle il consultait la liste des voyages offerts par ALD à divers endroits, qu’il refusait parfois, notamment à Trois‑Rivières (Québec) parce qu’il parlait peu le français. M. Parks a déclaré ne pas avoir conduit de camion pour d’autres entreprises en 2004, mais que lorsqu’il décidait d’effectuer un voyage particulier, il pouvait amener un membre de sa famille ou un ami avec lui. M. Parks a déclaré qu’il n’avait pas de bureau dans les locaux occupés par ALD et qu’il n’avait pas à faire rapport à qui que ce soit, chez ALD, ni avant ni après un voyage. La législation de l’Ontario obligeait M. Parks à remplir une fiche journalière (la « fiche ») à l’égard des voyages effectués; il laissait les documents pertinents dans le camion. Plusieurs échantillons de fiches journalières ont été produits sous la cote A‑3. M. Parks achetait son propre carnet de route et présentait les formulaires une fois remplis à ALD, de façon que cette dernière puisse les transmettre au ministère concerné du gouvernement de l’Ontario. Afin d’effectuer un parcours particulier, M. Parks prenait le tracteur Volvo et une remorque à trois essieux appartenant à ALD à l’un de deux endroits. L’entreprise ALD s’occupait du transport de produits laitiers finis pour sa principale cliente, Saputo Foods Ltd. (« Saputo »), qui utilisait le nom commercial Dairyland. M. Parks estimait que la valeur du tracteur avec semi‑remorque était d’environ 200 000 $. Il détenait un permis de conduire de catégorie A avec autorisation Z, dont il avait besoin pour conduire ce type de véhicule. Afin d’obtenir ce permis, il avait été obligé de passer les examens et épreuves de conduite appropriés et, au bout d’un certain temps, il devait obligatoirement demander un renouvellement pour lequel il devait subir un examen médical. Tous les coûts associés à l’obtention et au maintien du bon permis étaient à la charge de M. Parks. Dans la liasse de factures produite sous la cote A‑2, il y en avait plusieurs que M. Parks avait établies à l’intention d’ALD pour certains voyages qu’il avait effectués entre des emplacements géographiques désignés, à des dates précises. M. Parks a déclaré qu’il demandait à ALD un montant de 20 cents le kilomètre, plus des frais distincts de 10 $ pour aider au chargement ou au déchargement du produit à un endroit précis. M. Parks a fait référence à une facture, la pièce A‑4, qu’il avait présentée à ALD et dans laquelle il demandait 20 cents le kilomètre pour divers voyages ainsi que plusieurs montants distincts de 10 $ au titre de la livraison. La facture de 4 274,22 $, datée du 2 avril 2004, incluait la TPS; ce montant avait été payé par ALD au moyen d’un chèque daté du 3 avril 2004, dont la photocopie figure au bas de la deuxième page de cette pièce. M. Parks a produit sous la cote A‑5 des copies de ses déclarations de TPS pour l’année 2003, faisant état d’un revenu tiré de ses activités de rénovation d’immeubles, ainsi que pour l’année 2004, au cours de laquelle il avait gagné tout son revenu en conduisant un camion pour ALD. M. Parks a déclaré qu’il payait ses propres frais de repas et qu’il avait acheté des bottes de travail, un téléphone cellulaire, du matériel de sécurité et les petits outils qu’il lui fallait de temps à autre au cours des voyages. M. Parks a relaté qu’ALD avait fait l’objet d’une vérification des feuilles de paie de la part de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC »), à la suite de laquelle M. Dupuis et lui avaient conclu une entente, la pièce A‑6, qui, même si elle n’était pas datée, avait été signée, selon ce qu’il croyait, à un moment donné en 2003 ou en 2004, à la demande de M. Dupuis. Il n’y avait jamais eu d’ententes écrites auparavant au sujet de la prestation de ses services à ALD à titre de chauffeur de camion au cours de diverses périodes, et ce, depuis le milieu des années 1990. De l’avis de M. Parks, l’entente écrite énonçait simplement ce dont M. Dupuis, pour le compte d’ALD, et lui-même avaient toujours convenu pendant toute la durée de leur relation, et ce, qu’il s’agisse de conduire un camion ou d’exécuter des travaux de rénovation ou de construction. M. Parks a déclaré avoir reçu de l’ADRC une demande lui enjoignant de produire des déclarations de revenus pour certaines années et, le 19 mai 2006, il avait produit sa déclaration de revenus pour l’année 2003, pièce A‑7, qui tenait compte du fait qu’il gagnait un revenu d’entreprise, y joignant l’annexe 8 qui se rapporte aux cotisations au RPC pour le revenu d’un travail indépendant et pour d’autres revenus. Dans cette déclaration de revenus, M. Parks avait déposé un état des résultats des activités d’une entreprise dans lequel il déduisait certains frais, et notamment des frais de repas et de représentation d’un montant de 2 760 $, les dépenses d’entreprise s’élevant en tout à 7 497,51 $. Quant à l’année d’imposition 2004, M. Parks avait produit, le 30 avril 2005, une déclaration de revenus, pièce A‑8, dans laquelle il déclarait la somme de 42 104,60 $ à titre de revenu d’entreprise, somme qui provenait en totalité de son travail de chauffeur chez ALD. Dans l’état des résultats des activités d’une entreprise, M. Parks demandait la déduction de dépenses s’élevant en tout à 6 117,50 $, y compris la somme de 110 $ se rapportant aux frais de renouvellement de son permis de conduire et un montant s’élevant en tout à 6 007,50 $ représentant la fraction admissible de 50 p. 100 des frais totaux de repas. M. Parks a identifié les cotisations établies par le ministre pour ses années d’imposition 2003 et 2004, et des copies ont été produites sous la cote A‑9.

 

[12]    L’avocat de l’intimé a contre-interrogé M. Parks qui a déclaré qu’il parlait à M. Dupuis ou à quelqu’un d’autre du bureau d’ALD, environ une fois par semaine, afin de discuter des voyages disponibles au cours de la semaine suivante, par exemple pour transporter du fromage jusqu’à Toronto et en ramener certaines marchandises. M. Parks a déclaré que chaque voyage durait au moins un jour. D’habitude, il transportait des caisses vides à Brampton (Ontario) et ramassait un chargement complet de produits laitiers pour les distribuer à des vendeurs d’autres endroits, suivant un horaire fixe. Chauffeur chevronné, M. Parks choisissait ses parcours en conséquence, mais il a admis qu’à un moment donné, il avait accepté un voyage ou une série de voyages pour lesquels il était tenu de respecter les délais et d’autres exigences se rapportant à la livraison des chargements. En plus de son propre téléphone cellulaire, qu’il utilisait à des fins commerciales, les camions d’ALD étaient munis d’un dispositif de communication. M. Parks a convenu qu’il devait remplir une fiche journalière et la remettre à ALD et que l’omission de se conformer aux règlements de l’Ontario risquait de causer un problème à l’entreprise. Au sujet des fiches journalières, pièce A‑3, auxquelles on a fait référence, M. Parks a expliqué que le graphique qui y figurait visait à permettre au chauffeur de consigner les heures hors service, à part le temps passé dans une couchette, dans le tracteur, le temps hors service passé dans la couchette ainsi que les heures réelles de conduite. Une autre inscription concernait le temps consacré, pendant les heures de service, à des tâches autres que la conduite, par exemple, le chargement, le déchargement, l’inspection du véhicule ou la préparation des documents nécessaires. M. Parks a déclaré qu’en 2004 il conduisait à plein temps pour ALD et que les règlements provinciaux lui permettaient de conduire au plus 60 heures par période de sept jours. Quant à la rétribution qu’ALD lui versait, M. Parks a déclaré avoir choisi un montant de 20 cents le kilomètre comme taux raisonnable, ce montant se situant dans la fourchette de ce que les entreprises de transport versaient aux chauffeurs au sein de l’industrie. En 2004, M. Parks n’a pas cherché à obtenir un autre travail, notamment dans le domaine de la construction, étant donné qu’ALD lui assignait suffisamment de travail comme chauffeur. M. Parks a convenu que, même s’il amenait d’autres personnes avec lui dans certains voyages, il devait conduire le camion lui‑même. Une clause de l’entente, pièce A‑6, obligeait M. Parks à indemniser ALD de toute réclamation découlant de l’exécution de ses fonctions, mais il n’avait pas souscrit d’assurance-responsabilité. M. Parks a déclaré qu’il s’estimait responsable des chargements, sauf en cas de dommage ou de perte attribuable à des événements imprévus. Sur certains parcours, il fallait effectuer cinq ou six arrêts pour décharger le produit et M. Parks demandait un montant de 10 $ pour chaque arrêt lorsqu’il présentait une facture à ALD.

 

[13]    Dans son témoignage, Rémi-Paul Bellemare (« M. Bellemare ») a dit résider à Orléans (Ontario) et avoir commencé à conduire un camion pour ALD en 2003. Auparavant, il avait conduit un camion pour l’un des concurrents d’ALD à titre d’entrepreneur indépendant. Lorsqu’il a parlé de travailler pour ALD avec Andy Dupuis, il a clairement dit qu’il voulait être entrepreneur indépendant plutôt qu’employé parce qu’il préférait bénéficier de la liberté qui était inhérente à ce statut, selon lui. Lorsqu’il travaillait pour ALD, M. Bellemare téléphonait chaque dimanche à M. Dupuis, qui l’informait des parcours disponibles pour la semaine suivante. M. Bellemare a déclaré avoir refusé un voyage à un moment donné parce qu’il était trop fatigué. En tout temps en 2003 et en 2004, il s’estimait libre de travailler pour d’autres entreprises, mais il n’a pas eu à le faire. À son avis, ALD possédait un meilleur équipement que les autres entreprises de transport. À deux reprises, M. Bellemare a laissé son père, un chauffeur de camion chevronné qui détenait un permis en règle, conduire le semi‑remorque pendant une partie du voyage et il ne l’avait pas dédommagé, sauf qu’il avait payé ses repas. À d’autres moments, sans obtenir au préalable la permission de la direction d’ALD, M. Bellemare avait amené sa femme et son oncle pour l’accompagner dans certains voyages. M. Bellemare a déclaré que, s’il acceptait un voyage ou une série de voyages, il partait de chez lui pour se rendre à Perth, où il prenait le camion et la remorque qui étaient garés dans le parc d’un concessionnaire de camions. M. Bellemarre demandait à ALD un taux fixe afin de couvrir le coût de l’essence de son aller-retour à Perth pour y prendre et y laisser le camion. M. Bellemare laissait son carnet de route dans le camion ou dans une boîte spéciale, à un certain endroit, à Toronto. Dans l’exercice de ses fonctions, il ne traitait pas directement avec les clients pour ce qui est de présenter les factures ou de percevoir les paiements. Il possédait ses propres manuels de sécurité et certains outils à main. L’entreprise ALD était propriétaire du camion et de la remorque. M. Bellemare a déclaré détenir un permis de catégorie A avec autorisation Z, renouvelable tous les cinq ans au coût de 40 $, plus des frais de 75 $ pour l’examen médical requis. On a reporté M. Bellemare à une facture datée du 3 avril 2004, pièce A‑10, qu’il avait préparée et envoyée par télécopieur de chez lui au bureau d’ALD. M. Bellemare y avait demandé le prix de plusieurs voyages, s’élevant à 1 876,98 $, plus un montant de 131,39 $ au titre de la TPS. Il avait indiqué son numéro de TPS sur la facture et avait reçu en tout un montant de 2 008,37 $, payé au moyen d’un chèque daté du 2 avril 2004, émis par ALD, dont une photocopie figurait au bas de la même feuille. Selon cette facture, M. Bellemare avait effectué deux voyages à CTR (Trois‑Rivières), quatre voyages d’Ottawa à Brampton directement, deux voyages à Cornwall et un aller‑retour entre Perth et Trois‑Rivières. Même si cela n’était pas expressément indiqué sur la facture, M. Bellemare avait également demandé un montant pour l’essence utilisée afin de se rendre de chez lui à Perth et en revenir. M. Bellemare a déclaré que la facture, pièce A‑10, était semblable aux autres factures qu’il remettait toutes les deux semaines. Le formulaire de facture n’avait pas été fourni par ALD et M. Dupuis n’avait pas non plus dicté la manière de le remplir. M. Bellemare a déclaré avoir présenté à l’ADRC, tous les trimestres, des déclarations de TPS en 2003, pièce A‑11, et en 2004, pièce A‑12. Pour ces années‑là, toute la TPS déclarée par M. Bellemare était perçue auprès d’ALD. Celui-ci a identifié une entente non datée, pièce A‑13, comme étant le document que M. Dupuis et lui avaient signé au mois d’avril 2004. M. Bellemare a déclaré avoir fait part de cette idée à M. Dupuis, qui lui a par la suite remis le document intitulé [traduction] « Contrat d’entrepreneur indépendant ». M. Bellemare a déclaré que, selon lui, le contrat ne faisait que confirmer et ratifier la relation existant entre ALD et lui. Il a déclaré que la décision du ministre est erronée, en ce sens qu’il n’avait pas conduit de camion pour ALD jusqu’au 15 décembre 2004. En effet, à la fin d’octobre 2004, il avait rompu ses liens avec ALD et accepté, auprès d’une entreprise d’Ottawa, un emploi de chauffeur à titre d’employé, lequel ne comportait pas de voyages à l’extérieur de la ville. Dans ce nouvel emploi, il devait porter un uniforme, il se présentait chaque jour au bureau et il touchait sa rémunération, moins les retenues à la source, toutes les deux semaines, par dépôt direct. En préparant ses propres déclarations de revenus pour les années d’imposition 2003 et 2004 à l’aide de certains logiciels de préparation d’impôt, M. Bellemare n’avait pas déclaré le revenu tiré d’ALD à titre de revenu d’entreprise, mais en tant qu’« autre revenu d’emploi », sur la ligne pertinente de ces déclarations. Par la suite, il avait eu des discussions avec certains représentants de l’ADRC pour expliquer la situation et il avait fourni des détails sur la relation de travail qu’il entretenait avec ALD. Il a par la suite reçu des avis de nouvelle cotisation, pièce A‑14, pour ces années d’imposition compte tenu de son assertion, à savoir qu’il avait gagné le revenu déclaré à titre de travailleur autonome dans le contexte d’un revenu d’entreprise. Lors des discussions qu’il avait eues avec les représentants de l’ADRC, M. Bellemare avait révélé la décision du ministre selon laquelle il avait été un employé d’ALD pendant la période pertinente.

 

[14]    Pendant le contre-interrogatoire, M. Bellemare a convenu qu’une fois un voyage particulier accepté, il devait respecter le calendrier de livraison. Il a déclaré que M. Dupuis savait que son père était un chauffeur de camion dûment qualifié et, même s’il croyait qu’il aurait pu embaucher au besoin un autre chauffeur pour effectuer un parcours, cette situation ne s’était jamais présentée et il n’avait pas été nécessaire de discuter de la question avec M. Dupuis. M. Bellemare convenait qu’une publication, le Trucking News, contenait des renseignements concernant les taux par kilomètre payés aux chauffeurs. En présentant ses factures à ALD, M. Bellemare utilisait le chiffre rond de 200 $ pour un voyage aller‑retour entre Ottawa et Toronto, plus des frais de livraison de 25 $. M. Bellemare a déclaré que le montant de 200 $ était établi par rapport à la distance parcourue et il croyait qu’il était basé sur un taux d’environ 25 cents le kilomètre. M. Dupuis l’avait au départ informé des emplacements géographiques où il devait se rendre dans l’exercice de ses fonctions et, en utilisant le taux par kilomètre, il avait calculé les sommes et arrondi les chiffres en présentant une facture. Au début, M. Bellemare avait informé M. Dupuis qu’il demanderait des frais de 15 $ pour chaque voyage qu’il effectuait d’Ottawa à Perth, soit une centaine de kilomètres, pour prendre un camion et retourner chez lui après le voyage. M. Bellemare a déclaré qu’il croyait que s’il avait eu le statut d’employé, lorsqu’il fournissait ses services à ALD, il aurait pu [traduction] « être mal pris » dans le cas où ALD aurait perdu le contrat conclu avec Saputo, son principal client ou peut‑être son seul client.

 

[15]    Pendant le réinterrogatoire, M. Bellemare a déclaré qu’il savait que l’ADRC avait procédé à une vérification d’ALD en 2004, mais qu’il était certain d’avoir signé l’entente, pièce A‑13, avant d’avoir cessé de travailler pour ALD, à la fin d’octobre 2004.

 

[16]    Dans son témoignage, André Dupuis a dit être un homme d’affaires résidant à Perth (Ontario). Sa femme Wendy et lui sont propriétaires d’ALD et exercent un contrôle sur l’entreprise. Avant 2003 et 2004, l’entreprise exploitait quatre camions et transportait du lait, des jus et du fromage pour Saputo. En 2003, ALD comptait cinq chauffeurs et en 2004 elle en comptait quatre, des entrepreneurs indépendants, plus deux autres ayant le statut d’employé, qui n’étaient ni M. Parks ni M. Bellemare. M. Dupuis a identifié un feuillet T4 Sommaire pour l’année 2004, pièce A‑15, dans lequel cinq employés étaient désignés, y compris Wendy et lui‑même. M. Dupuis a déclaré que l’expérience lui avait appris au fil des ans qu’il obtiendrait de meilleurs résultats en embauchant des chauffeurs à titre d’entrepreneurs indépendants plutôt qu’à titre d’employés, même si les chauffeurs indépendants pouvaient refuser des voyages et décider ainsi des jours où ils voulaient travailler. Par le passé, des employés avaient quitté leur emploi sans préavis et avaient parfois endommagé l’équipement. À son avis, il n’était pas possible de demander réparation à un employé alors qu’un entrepreneur indépendant pouvait être poursuivi pour les dommages qu’il causait par négligence dans l’exécution de ses tâches contractuelles. Sur le plan de la discipline, un employé devait être traité d’une façon particulière, alors qu’il était possible de refuser du travail à l’entrepreneur indépendant qui ne s’acquittait pas de sa tâche d’une façon satisfaisante. M. Dupuis a déclaré ne pas savoir pourquoi MM. Parks et Bellemare avaient été choisis, à l’égard de la décision qui avait été rendue après que l’ADRC eut effectué la vérification, étant donné que d’autres chauffeurs avaient le statut d’entrepreneurs indépendants et s’étaient acquittés de leurs fonctions de la même façon. M. Dupuis a déclaré que Saputo était la seule cliente d’ALD, qu’aucun contrat écrit n’avait été conclu avec cette société et qu’il n’existait aucune garantie de travail continu. Quant à la question des fiches journalières, M. Dupuis a déclaré qu’elles devaient être présentées en temps voulu au ministère compétent, à défaut de quoi les chauffeurs risquaient de perdre leur permis et ALD pouvait se voir imposer une amende et des points d’inaptitude qui, si elle en accumulait suffisamment, pouvaient entraîner l’annulation de son permis d’exploitation par le ministère des Transports. M. Dupuis a déclaré que le temps est un facteur crucial en ce qui concerne la livraison de produits venant de Brampton à l’installation de Saputo, à Ottawa. Il n’était pas nécessaire qu’un chauffeur se présente au bureau d’ALD. À un moment donné, M. Parks avait informé M. Dupuis qu’il prenait cinq semaines de vacances et ne serait pas disponible pour effectuer des voyages. M. Dupuis a décrit la chose comme une annonce, faite par politesse, par un entrepreneur indépendant plutôt qu’une demande de congé normalement faite par un employé. MM. Parks et Bellemare et les autres chauffeurs indépendants n’avaient pas à assister aux réunions du personnel d’ALD. Celle-ci possédait un tracteur et en louait cinq autres. Les tracteurs peuvent coûter jusqu’à 150 000 $ et les remorques, généralement louées, étaient évaluées à des montants allant de 70 000 $ à 90 000 $, mais ALD en possédait des moins coûteuses. M. Dupuis a déclaré conduire un camion et travailler en cette qualité depuis 1991, année où il avait acheté un camion et livré des produits laitiers par la suite pour une entreprise avant de commencer, en 1998, à faire du transport pour Saputo. M. Dupuis a déclaré que, dans l’industrie du camionnage, il arrive souvent que les chauffeurs soient embauchés à titre d’entrepreneurs indépendants et que c’était à ce titre que M. Bellemare avait fourni ses services à une autre entreprise de camionnage avant de commencer à conduire pour ALD. Aucune formation n’avait été donnée à M. Parks et à M. Bellemare. Les ententes écrites conclues avec M. Parks, pièce A‑6, et avec M. Bellemare, pièce A‑13, avaient toutes deux été signées à un moment donné en 2004, après la vérification effectuée par l’ADRC. M. Dupuis a déclaré qu’il considérait MM. Parks et Bellemare comme libres de conduire des camions pour d’autres entreprises transportant divers produits et que, si l’un ou l’autre était parti en donnant un bref préavis, il avait un plan de secours : Saputo aurait pu fournir des chauffeurs pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’on trouve des remplaçants. On a renvoyé M. Dupuis à l’état financier d’ALD, pièce A‑16, pour l’exercice clos le 31 décembre 2004. Cet état comprenait également des données comparatives pour l’année 2003, dans une colonne distincte. En 2003, sous le titre [traduction] « Sous‑traitants », ALD avait versé un montant de 177 078 $ aux chauffeurs et, en 2004, les frais inscrits dans cette catégorie s’élevaient à 221 684 $. M. Dupuis a déclaré que ces frais avaient été engagés à l’égard des services de cinq chauffeurs. L’état financier indiquait des frais de 207 333 $ pour les [traduction] « Salaires et avantages » accordés à cinq employés en tout, dont deux chauffeurs, lui‑même, sa femme et son fils. L’entreprise ALD avait acheté, pour tous les chauffeurs, des vestes portant le logo de l’entreprise sur le devant. À l’heure actuelle, c’est Saputo qui fournit les vestes. M. Dupuis a signalé que le bénéfice net d’ALD est relativement peu élevé et que l’entreprise de camionnage lui assurait un emploi à titre de chauffeur en 2003 et en 2004, ainsi qu’à sa femme et à son fils. Les chauffeurs qui avaient le statut d’employé en 2003 et en 2004 étaient rémunérés toutes les deux semaines et avaient droit à des vacances payées. Les retenues à la source étaient effectuées sur leurs chèques et ils étaient rémunérés sans devoir présenter de factures. M. Dupuis a identifié trois avis de cotisation, pièce A‑17, que l’ADRC avait envoyés à ALD à l’égard de montants dus à divers titres, notamment les cotisations à l’AE et au RPC des employés.

 

[17]    Lorsqu’il a été contre‑interrogé par l’avocat de l’intimé, M. Dupuis a déclaré qu’il établissait le calendrier des voyages en fonction des besoins de Saputo, qui devait faire appel à une entreprise pour transporter ses produits de Brampton à Ottawa plusieurs fois chaque semaine, ainsi que pour transporter des chargements jusqu’à Trois‑Rivières régulièrement. M. Dupuis a expliqué qu’en effectuant les voyages nécessaires, M. Parks s’absentait d’Ottawa plusieurs jours par semaine. Une liste de voyages ou de tournées était dressée pour MM. Parks et Bellemare et, si l’un ou l’autre ne pouvait pas faire un voyage, d’autres chauffeurs embauchés à forfait pouvaient les remplacer. M. Dupuis a déclaré que M. Parks est son beau‑frère et qu’il conduit à l’occasion pour ALD depuis 15 ans. D’autres chauffeurs indépendants travaillent pour l’entreprise depuis huit et six ans. M. Dupuis a fait remarquer que ce groupe de chauffeurs semblait [traduction] « aimer la liberté » que leur donnait ce statut, par opposition à celui d’employé. M. Parks préférait être payé au kilomètre, alors que M. Bellemare facturait un taux fixe qui était principalement fonction de la distance totale parcourue entre divers points au cours d’une période donnée. M. Dupuis a convenu que les chauffeurs n’avaient pas le droit d’embaucher quelqu’un d’autre pour effectuer un parcours à leur place sans obtenir la permission d’ALD, mais que tous les chauffeurs pouvaient se faire accompagner par un ami ou par un membre de leur famille dans un voyage. M. Dupuis a déclaré que M. Parks quittait Ottawa le dimanche, qu’il y retournait le mercredi, qu’il entreprenait ce soir‑là un autre voyage et qu’il retournait à Ottawa le samedi matin. Chaque camion était muni d’un appareil combiné qui servait de téléphone et de talkie-walkie.

 

[18]    L’avocate de l’appelante a fait valoir que la preuve démontrait clairement que l’intention de MM. Parks et Bellemare, ainsi que de M. Dupuis pour le compte d’ALD, était d’entretenir une relation d’entrepreneur indépendant plutôt que d’employé. Elle a signalé qu’aucun contrôle n’était exercé sur les modalités de prestation des services de chauffeur et elle a fait remarquer que le seul type de rapport requis était la fiche journalière que le chauffeur devait remplir pour se conformer aux règlements provinciaux et fédéraux. Les chauffeurs engageaient des frais dans l’exécution de leur tâche, ils possédaient leurs propres outils et leur propre matériel de sécurité et ils avaient le droit de choisir de faire un voyage ou une série de voyages particuliers. L’avocate a soutenu que la manière dont les parties conduisaient leurs affaires pendant toute la période pertinente confirmait leur intention quant à l’organisation de la relation de travail. À son avis, il était important de noter que M. Parks avait fourni d’autres services à ALD en 2003 et auparavant, en tant qu’entrepreneur-rénovateur qui exploitait sa propre entreprise. En effet, cela montrait l’intention arrêtée de M. Parks et de M. Dupuis qu’il n’y ait jamais de relation employeur‑employé entre M. Parks et ALD, et ce, peu importe les services fournis par M. Parks.

 

[19]    L’avocat de l’intimé a soutenu que, de toute évidence, les principaux outils, soit le tracteur et la remorque, coûtaient cher et qu’ils appartenaient à ALD ou étaient loués par elle. Il a concédé que les chauffeurs voulaient se voir accorder le statut d’entrepreneur indépendant mais qu’à la lumière des critères mentionnés dans la jurisprudence pertinente, il était évident que la manière de fonctionner de chacun correspondait tout à fait à un travailleur qui est un employé. Il n’existait aucun contrôle, au sens habituel de l’exercice d’une supervision, mais il fallait respecter certains délais et, une fois assignés, les voyages étaient précis et devaient être effectués par le chauffeur désigné lui‑même. L’avocat a reconnu qu’un chauffeur pouvait refuser du travail, mais que son refus ne visait pas à lui permettre d’accroître son revenu en conduisant pour un concurrent d’ALD et que, dans l’ensemble, il n’y avait aucune possibilité de réaliser des bénéfices en embauchant quelqu’un pour effectuer le voyage à un taux inférieur et qu’il n’y avait pas, non plus, de risque de subir des pertes ni aucune nécessité de diriger des assistants. Selon la façon dont l’avocat envisageait la preuve, il n’y avait pas grand‑chose qui étayait la conclusion que les chauffeurs exploitaient une entreprise, et la seule conclusion à tirer était que MM. Parks et Bellemare étaient tous deux des chauffeurs de camion qui fournissaient leurs compétences à ALD, chacun conformément à un contrat de louage de services.

 

[20]    Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 – (Sagaz), la Cour suprême du Canada était saisie d’une affaire de responsabilité du fait d’autrui et, en examinant diverses questions pertinentes, elle devait également se demander ce qui constitue un entrepreneur indépendant. Le jugement de la Cour a été rendu par le juge Major, qui a examiné l’évolution de la jurisprudence quant à l’importance de la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant, telle que cette question influait sur celle de la responsabilité du fait d’autrui. Après avoir fait référence aux motifs du juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., [1986] 2 C.T.C. 200 et à la mention qui y est faite du critère d’organisation énoncé par lord Denning, ainsi qu’à la synthèse effectuée par le juge Cooke dans l’arrêt Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major a dit ce qui suit aux paragraphes 45 à 48 inclusivement de ses motifs :

 

Enfin, un critère se rapportant à l’entreprise elle-même est apparu. Flannigan […] [« Enterprise control: The servant‑independent contractor distinction » (1987), 37 U.T.L.J. 25, p. 29] énonce le [traduction] « critère de l’entreprise » selon lequel l’employeur doit être tenu responsable du fait d’autrui pour les raisons suivantes : (1) il contrôle les activités du travailleur, (2) il est en mesure de réduire les risques de perte, (3) il tire profit des activités du travailleur, (4) le coût véritable d’un bien ou d’un service devrait être assumé par l’entreprise qui l’offre. Pour Flannigan, chaque justification a trait à la régulation du risque pris par l’employeur, et le contrôle est donc toujours l’élément crucial puisque c’est la capacité de contrôler l’entreprise qui permet à l’employeur de prendre des risques. Le juge La Forest a lui aussi formulé un « critère du risque de l’entreprise » dans l’opinion dissidente qu’il a exposée relativement au pourvoi incident dans l’arrêt London Drugs. Il a écrit, à la p. 339, que « [l]a responsabilité du fait d’autrui a pour fonction plus générale de transférer à l’entreprise elle-même les risques créés par l’activité à laquelle se livrent ses mandataires. »

 

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l’arrêt Stevenson Jordan, […] [(1952) 1 The Times L. R. 101], qu’il peut être impossible d’établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d’apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l’opinion du juge MacGuigan lorsqu’il affirme — en citant Atiyah, [...] (Vicarious Liability in the Law of Torts. London: Butterworths, 1967), p. 38, dans l’arrêt Wiebe Door, p. 563 — qu’il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

 

[traduction] [N]ous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services [. . .] La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

 

Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

 

[21]    J’examinerai les faits par rapport aux indications que le juge Major a données dans l’arrêt Sagaz.

 

Le degré de contrôle

 

[22]    La seule obligation de faire rapport imposée à MM. Parks et Bellemare était qu’ils devaient se conformer aux règlements gouvernementaux pertinents se rapportant à leurs heures de travail, dans leurs fonctions de chauffeurs de camion. Étant donné qu’ils transportaient des denrées périssables, ils étaient tenus de respecter les délais de livraison. Autrement, ils étaient libres de décider du parcours à suivre et des arrêts à faire pour prendre leurs repas, se reposer ou inspecter le véhicule. Ils n’étaient pas obligés d’accepter un voyage particulier et, à un moment donné, M. Bellemare avait informé M. Dupuis qu’il ne serait pas disponible pour conduire un camion pendant une période de cinq semaines parce qu’il prenait des vacances à l’étranger. Une fois qu’un chauffeur acceptait d’effectuer un voyage ou une série de voyages au cours d’une période donnée, généralement une semaine, il ne communiquait plus avec ALD tant que ces parcours n’étaient pas accomplis et qu’il n’avait pas retourné le semi‑remorque au lieu d’entreposage. MM. Parks et Bellemare étaient libres d’accepter ou de refuser certains voyages et ils téléphonaient chaque semaine, de leur propre chef, pour s’enquérir des parcours disponibles. Les deux chauffeurs étaient dûment qualifiés, ils détenaient les permis nécessaires, ils avaient de l’expérience et n’avaient pas besoin de formation. Ils pouvaient amener des amis ou des membres de leur famille avec eux sans avoir à obtenir la permission de la direction d’ALD.

 

La fourniture de l’outillage et des assistants

 

[23]    L’outillage le plus important était les tracteurs et les remorques, qui appartenaient à ALD ou étaient loués par elle. En l’absence de ces véhicules articulés coûteux, le produit de Saputo n’aurait pas pu être transporté d’un endroit à un autre. Les chauffeurs fournissaient le matériel de sécurité, comme les vestes et les chaussures, et ils possédaient de petits outils à main. M. Parks avait son propre téléphone cellulaire qu’il utilisait à des fins commerciales, a‑t‑il déclaré, bien qu’il n’ait donné aucun exemple de pareille utilisation dans son témoignage, même si chaque tracteur était muni d’un téléphone qui servait également de talkie-walkie et permettait de communiquer d’un camion à l’autre, avec le bureau d’ALD ou ailleurs au besoin. La preuve a révélé qu’ALD ainsi que MM. Parks et Bellemare savaient que les services de chauffeur devaient être fournis personnellement. Ni l’un ni l’autre, non plus que les autres chauffeurs agissant à titre d’entrepreneurs indépendants, n’avaient le droit de sous‑traiter leurs parcours à d’autres chauffeurs qui aurait été prêts à effectuer ces voyages à un taux au kilomètre inférieur à celui que payait ALD, et d’empocher ensuite la différence.

 

L’étendue des risques financiers et la responsabilité pour les mises de fonds et la gestion

 

[24]    Le seul risque couru par MM. Parks et Bellemare était qu’en décidant de travailler à titre d’entrepreneurs indépendants, comme ils l’estimaient, plutôt qu’à titre d’employés, ils n’étaient pas admissibles, au cas où leur travail prendrait fin, à certains avantages tels qu’une paie de vacances ou une indemnité de départ et aux autres avantages établis conformément aux normes provinciales de travail. M. Parks facturait à ALD un montant fixe par kilomètre, plus des frais de 10 $ pour chaque livraison. Pour chaque période, M. Bellemare avait choisi d’envoyer un relevé dans lequel il demandait un taux fixe pour se rendre de certains points à d’autres, ainsi que des frais de livraison et la somme de 15 $, visant à couvrir ce qu’il lui en coûtait pour se rendre de son domicile à Perth pour prendre le camion et en revenir. Il n’y avait aucun risque financier, sauf celui qui découlait de la clause figurant dans le contrat écrit d’entrepreneur indépendant conclu avec ALD, selon laquelle ils s’engageaient à indemniser ALD de toute réclamation découlant de l’exécution de leurs tâches. MM. Parks et Bellemare savaient également que la disponibilité des voyages dépendait du maintien de la relation existant entre ALD et Saputo, seule cliente d’ALD au cours de la période pertinente. En outre, chaque chauffeur se voyait offrir des affectations hebdomadaires, de sorte qu’il n’existait aucune garantie de travail continu après cette période. Ni M. Parks ni M. Bellemare n’étaient tenus de participer à la gestion, à quelque égard que ce soit, et ils n’avaient non plus aucune responsabilité à l’égard de leurs services si ce n’est qu’ils devaient détenir un permis de conduire approprié et se conformer à l’obligation de remplir et de remettre une fiche journalière. Ils ne traitaient pas directement avec les clients et ils allaient simplement chercher le produit, qu’ils apportaient à un certain endroit; ils aidaient parfois à charger ou à décharger les marchandises et retournaient le semi‑remorque au parc de stationnement assigné.

 

La possibilité de tirer profit de l’exécution des tâches

 

[25]    MM. Parks et Bellemare pouvaient gagner plus d’argent uniquement s’ils parcouraient un plus grand nombre de kilomètres ou encore s’ils aidaient plus souvent à charger ou à décharger les marchandises lorsqu’ils effectuaient des voyages, de façon à pouvoir facturer un montant plus élevé au titre des frais de livraison, qui étaient payés à taux fixe. Étant donné qu’ils payaient leurs propres repas, leur hébergement et les autres frais connexes pendant qu’ils étaient sur la route, ils pouvaient exercer un certain contrôle à cet égard en choisissant de dormir dans la couchette du tracteur plutôt que dans un motel et en apportant leur propre nourriture en vue de réduire les frais de repas dans les restaurants. Les autres frais associés au travail étaient minimes et il n’y avait pas la moindre chance que leur revenu brut dépasse leurs dépenses. Le coût d’exploitation des semi‑remorques était exclusivement supporté par ALD et ni M. Parks ni M. Bellemare n’avaient souscrit une assurance à l’égard de la responsabilité éventuelle imposée par l’une des conditions du contrat qu’ils avaient conclu par écrit avec ALD.

 

[26]    Dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Emily Standing, [1992] A.C.F. no 890, le juge Stone a dit ce qui suit :

 

[…] Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door. […]

 

[27]    Après que le jugement eut été rendu dans l’affaire Sagaz, la Cour d’appel fédérale a été saisie, dans l’arrêt Wolf v. Canada, [2002] DTC 6853, d’un appel interjeté en matière fiscale par un ingénieur mécanicien spécialisé en aérospatiale. La question de savoir si l’appelant était un employé de Canadair ou un entrepreneur indépendant se posait. L’analyse des divers facteurs à prendre en considération pour trancher cette question était fondée sur les articles pertinents du Code civil du Québec, en plus de la jurisprudence applicable, y compris le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sagaz, précitée.

 

[28]    Avant de conclure que la relation entretenue par l’ingénieur avec Canadair était celle d’un entrepreneur indépendant, la juge Desjardins a dit ce qui suit au paragraphe 93 de ses motifs de jugement :

 

Tant le travail de Canadair que celui de l=appelant étaient intégrés au sens qu=ils visaient la même activité et le même objectif, à savoir la certification des aéronefs. Toutefois, compte tenu du fait que le facteur d=intégration doit être pris dans la perspective de l=employé, il est clair que cette intégration était incomplète. L=appelant était chez Canadair pour fournir une aide temporaire dans un champ limité d=expertise, à savoir le sien. Lorsque l=on répond à la question * à qui est l=entreprise? +, de ce point de vue là, l=entreprise de l=appelant est indépendante. Une fois le projet de Canadair terminé, l=appelant était éjecté en quelque sorte de son travail. Il devait en chercher un autre sur le marché et ne pouvait pas demeurer à Canadair à moins qu=un autre projet n=ait commencé.

 

 

[29]    Le juge Décary, qui souscrivait au résultat, a fait les remarques suivantes au paragraphe 115 de ses motifs :

 

Dès le départ, je voudrais citer le tout premier paragraphe d=un article écrit par Alain Gaucher (A Worker=s Status as Employee or Independent Contractor, 1999 Conference Report of Proceedings of the 51st Tax Conference of the Canadian Tax Foundation, page 33.1) :

 

[traduction]

Dans une économie canadienne en perpétuel changement, la pertinence juridique du statut du travailleur à titre d=entrepreneur indépendant ou d=employé demeure importante. Les questions qui concernent le statut juridique auront un intérêt de plus en plus grand à mesure que les employeurs continueront à recourir à des pratiques d=embauche qui favorisent les entrepreneurs indépendants et qu=un plus grand nombre de personnes pourront entrer ou revenir dans la population active à titre d=entrepreneurs indépendants.

 

[30]    Aux paragraphes 117 à 120 inclusivement, le juge Décary a ajouté ce qui suit :

 

Le critère consiste donc à se demander, en examinant l=ensemble de la relation entre les parties, s=il y a contrôle d=un côté et subordination de l=autre. Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l=essence d=une relation contractuelle, à savoir l=intention des parties. L=article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel * on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés +. L=article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : * on tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages +.

 

Nous sommes en présence ici d=un type de travailleur qui a choisi d=offrir ses services à titre d=entrepreneur indépendant et non pas d=employé et d=un type d=entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d=emploi en échange de la liberté ([traduction] * le salaire était beaucoup plus élevé, il n=y avait pas de sécurité d=emploi, pas d=avantages sociaux comme ceux que touche l=employé, par exemple l=assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre... +, témoignage de M. Wolf, Dossier d=appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment ([traduction] * Le salaire est plus élevé avec une sécurité d=emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l=emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l=entreprise ne veut pas engager d=autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu=ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard + ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu=elle traite ses employés (voir par. 68 des motifs de Madame le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu=il n=y a pas de contrôle ou de subordination.

 

Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu=ils désirent. Personne n=a suggéré que M. Wolf ou Canadair ou Kirk‑Mayer ne sont pas ce qu=ils disent être ou qu=ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu=un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu=il est exécuté comme tel, l=intention commune des parties est claire et l=examen devrait s=arrêter là. Si ce n=était pas suffisant, il suffit d=ajouter qu=en l=espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l=interprétation que lui ont donnée les parties et l=usage dans l=industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n=est pas dans une position de subordination et que Canadair n=est pas dans une position de contrôle. La * question centrale + a été définie par le juge Major dans l=affaire Sagaz comme étant : * si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte +. Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

 

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l=embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n=est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l=on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d=emploi, le peu d=égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

 

[31]    Dans de brefs motifs de jugement, le juge Noël, qui souscrivait également au résultat, a examiné l’intention des parties; les motifs qu’il a énoncés sont reproduits ci‑dessous :

 

J=accueillerais aussi l=appel. À mon avis, il s=agit d=un cas où la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n=est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l=autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l=espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l=intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

Mon évaluation des critères juridiques applicables aux faits de l=espèce est essentiellement la même que celle de mes collègues. J=estime que leur évaluation du critère de contrôle, du critère d=intégration et de la propriété des outils n=est pas concluante, ni dans un sens ni dans l=autre. En ce qui concerne le risque financier, je conviens avec respect avec mes collègues que l=appelant, en contrepartie d=un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient habituellement dévolues à l=employé, y compris la sécurité d=emploi. Toutefois, je conviens avec la juge de la Cour de l=impôt que l=appelant était payé pour ses heures travaillées, quels que soient les résultats atteints, et qu=en ce sens, il ne supportait pas plus de risques qu=un employé ordinaire. Mon évaluation de l=ensemble de la relation entre les parties ne n=amène pas à une conclusion claire et c=est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

 

Ce n=est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d=une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manœuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n=est allégué. Il s=ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l=emporter à moins qu=elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu’elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu=elles se trouvaient dans une relation d=entrepreneur indépendant et qu=elles ont agi d=une façon conforme à cette relation, je n=estime pas que la juge de la Cour de l=impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente (à comparer avec l=affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, à la page 170).

 

[32]    Après le prononcé du jugement dans l’affaire Wolf, la question a acquis un intérêt encore plus grand lorsque la Cour d’appel fédérale a rendu jugement dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet v. The Minister of National Revenue, 2006 DTC 6323 (RWB). Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les danseurs, qui étaient employés par cette compagnie de ballet de renommée mondiale, étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. La Canadian Actors’ Equity Association (la « CAEA »), qui était l’agent négociateur des danseurs, appuyait le Royal Winnipeg Ballet (le « RWB »). En décidant que les danseurs n’étaient pas des employés du RWB, la juge Sharlow a dit ce qui suit aux paragraphes 60 à 65 inclusivement de ses motifs :

 

[60] Le juge Décary n=affirmait pas que la nature juridique d=une relation donnée est toujours celle que lui prêtent les parties. Il faisait référence en particulier aux articles 1425 et 1426 du Code civil du Québec, qui énoncent des principes du droit des contrats que l=on retrouve également en common law. Un de ces principes veut que, lorsqu=il s=agit d=interpréter un contrat, il faut rechercher l=intention commune des parties plutôt que de s=en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l=interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d=autres personnes, ainsi que de l=usage. La conclusion inévitable est qu=il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

 

[61] Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l=arrêt Wolf), lorsqu=il est prouvé que les termes du contrat, examinés dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

 

[62] La question de savoir si l=intention contractuelle qu=une des parties déclare avoir eue coïncide avec celle de l=autre partie donne fréquemment lieu à des différends. En particulier, dans les appels intentés aux termes du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l=assurance-emploi, il arrive que les parties présentent des preuves contradictoires au sujet de la nature de la relation juridique qu=elles souhaitaient créer. Ce genre de différend prend habituellement naissance dans le cas où une personne est embauchée pour fournir des services et signe un formulaire de contrat présenté par l=employeur dans lequel la personne en question est qualifiée d=entrepreneur indépendant. L=employeur insère parfois une telle clause dans le contrat dans le but d=éviter de créer une relation employeur-employé. Il arrive que la personne en question affirme par la suite qu=elle était une employée. Elle pourrait déclarer qu=elle s=est sentie obligée d=indiquer son consentement sur le formulaire de contrat pour des raisons financières ou autres. Elle pourrait également déclarer qu=elle pensait, malgré le fait qu=elle a signé un contrat contenant ces termes, qu=elle serait traitée comme les autres travailleurs qui étaient manifestement des employés. Dans ce genre d=affaire, le tribunal pourrait fort bien conclure, en se fondant sur les facteurs exposés dans Wiebe Door, que la personne en question est une employée, mais cela ne veut pas dire que l=intention des parties n=est pas pertinente. En fait, les parties sont généralement d=accord sur le sens à donner à la plupart des modalités énoncées dans leur contrat. Cela veut simplement dire qu=une stipulation du contrat portant sur la nature juridique de la relation créée par celui‑ci n=est pas déterminante.

 

[63] Ce qui est inhabituel en l=espèce, c=est qu=il n=y a pas d=accord écrit qui vise à qualifier la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB, et que, parallèlement, les parties s=entendent sur ce qu=elles croient être la nature de leur relation. La preuve relève que le RWB, la CAEA et les danseurs pensaient tous que les danseurs étaient des travailleurs indépendants et que toutes ces parties ont agi en conséquence. Le litige portant sur la nature de la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB vient du fait qu=un tiers (le ministre), qui a un intérêt légitime à ce que la relation juridique soit correctement qualifiée, souhaite faire écarter le témoignage des parties au sujet de leur intention commune parce que ce témoignage n=est pas compatible avec les faits objectifs.

 

[64] Dans les circonstances, il me semble qu=il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l=ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s=ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C=est parce que le juge n=a pas adopté cette approche qu=il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

[33]    La juge Sharlow a fait référence aux facteurs examinés par la Cour canadienne de l’impôt. Aux paragraphes 65 et suivants, voici ce qu’elle a dit :

 

[65] Le juge a retenu les facteurs énoncés ci-dessous pour effectuer l=analyse exposée dans l=arrêt Wiebe Door (il n=est pas suggéré qu=il a utilisé des facteurs non pertinents ou qu=il a omis de tenir compte de facteurs pertinents).

 

$          L=élément indispensable de l=expression artistique individuelle appartient nécessairement aux danseurs. Le RWB choisit les œuvres qui seront exécutées, décide de l=heure et du lieu des représentations et des répétitions, attribue les rôles, fournit la chorégraphie et dirige les représentations.

 

$          Les danseurs n=ont aucune responsabilité en matière de gestion ou d=investissement pour ce qui est du travail qu=ils effectuent pour le RWB.

 

$          Les danseurs n=assument pratiquement aucun risque financier pour le travail qu=ils effectuent pour le RWB pendant la saison pour laquelle ils ont été engagés. Cependant, le RWB ne les engage que pour une seule saison et ils n=ont aucune garantie d=être engagés à nouveau la saison suivante.

 

$          Les danseurs ont la possibilité de faire quelques bénéfices, même lorsqu=ils sont engagés par le RWB, dans la mesure où ils peuvent négocier une rémunération supplémentaire par rapport à celle que prévoit le Canadian Ballet Agreement. Cependant, l=essentiel de la rémunération versée par le RWB est basé sur l=ancienneté et il est rare qu=on s=écarte de ce barème.

 

$          La carrière d=un danseur est susceptible d=être gérée, en particulier à mesure que le danseur acquiert de l=expérience. Les danseurs engagés par le RWB ont une grande latitude lorsqu=il s=agit d=accepter des engagements de l=extérieur, même s=ils doivent respecter des restrictions contractuelles importantes (la nécessité d=obtenir le consentement du RWB et l=obligation de se présenter comme étant engagé par le RWB).

 

$          Les danseurs assument de nombreux frais reliés à leur engagement par le RWB et leur carrière de danseur en général, mais le RWB est tenu de fournir les chaussons, les costumes, les collants, les perruques et certains autres articles nécessaires.

 

$          Il incombe aux danseurs de demeurer en bonne forme physique pour pouvoir exécuter les rôles qui leur sont attribués. Le RWB est toutefois tenu, en vertu du contrat, de fournir certains avantages reliés à la santé et de prévoir des périodes de réchauffement.

 

[66] Dans la présente affaire, comme dans la plupart des affaires d=ailleurs, le facteur du contrôle mérite une attention particulière. Il me semble que le RWB exerce un contrôle étroit sur le travail des danseurs, mais ce contrôle ne dépasse pas ce qu=exige la présentation d=une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée. Si le RWB devait présenter un ballet en ayant recours à des artistes invités pour tous les rôles principaux, le contrôle qu=exercerait le RWB sur les artistes invités serait le même que si tous ces rôles étaient exécutés par des danseurs engagés pour la saison. Si l=on accepte (comme on doit le faire) le fait qu=un artiste invité peut accepter un rôle au sein du RWB sans pour autant devenir son employé, il faut en déduire que le facteur du contrôle exercé doit être compatible avec le fait que l=artiste invité est un entrepreneur indépendant. Il s=ensuit donc qu=on ne peut raisonnablement considérer comme incompatible avec l=intention des parties d=attribuer aux danseurs le statut d=entrepreneur indépendant le contrôle exercé en l=espèce sur les danseurs.

 

[67] Le même raisonnement s=applique à tous les facteurs, considérés dans leur ensemble, dans le contexte de la nature des activités qu=exerce le RWB et du travail qu=exécutent les danseurs engagés par le RWB. À mon avis, dans la présente affaire, la façon dont les parties interprétaient la nature de leur relation juridique est étayée par les clauses contractuelles et les autres faits pertinents.

 

[34]    Dans des motifs concourants, la juge Desjardins a dit ce qui suit aux paragraphes 71 et 72 :

 

[71] La question de savoir si les parties ont conclu un contrat de travail aux fins de l=AE ou du RPC a soulevé de nombreuses difficultés au cours des ans, comme en témoigne la jurisprudence émanant de la Cour. Je ne pense pas qu=il convienne de priver le juge de common law de la possibilité de tenir compte de l=intention des parties, et ce, afin qu=il puisse confronter cette intention aux facteurs objectifs et aux circonstances factuelles de l=affaire lorsqu=il rend sa décision définitive.

 

[72] Comme l=a démontré la juge Sharlow, même si l=intention des parties n=est pas contestée, sauf par des tiers, comme c=est le cas en l=espèce, le juge de common law a néanmoins le devoir de * vérifier + si les termes utilisés et les faits de l=affaire sont compatibles avec la qualification donnée au contrat par les parties. Le juge de common law doit veiller à ce que le contrat signé par les parties reflète effectivement l=entente qu=elles affirment avoir conclue.

 

[35]    La juge Desjardins a ajouté ce qui suit aux paragraphes 79 à 81 inclusivement :

 

[79] En l=espèce, c=est la nature du contrat qu=il convient de préciser, et ce, en effectuant une analyse de ses clauses à la lumière du critère à quatre volets, à savoir le niveau de contrôle, la propriété de l=équipement, l=ampleur du risque financier et la possibilité de faire des bénéfices.

 

[80] Compte tenu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, je ne vois aucune raison convaincante qui empêcherait le juge de common law, amené à trancher la difficile question de savoir s=il s=agit d=un contrat d=entreprise ou d=un contrat de louage de services, de recourir à tous les critères et indices possibles dans le but de déterminer la véritable nature de la relation unissant les parties.

 

[81] Le juge de la Cour de l=impôt a commis, à mon avis, une erreur de droit lorsqu=il a déclaré que l=intention des parties ne pouvait être utilisée qu=à titre d=élément de démarcation (paragr. 31 et 82 de ses motifs). Je souscris à l=analyse de la juge Sharlow, exposée au paragr. 64 de ses motifs, selon laquelle le juge de la Cour de l=impôt aurait dû prendre acte du témoignage non contredit relatif à l=interprétation commune des parties selon laquelle les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants et se demander ensuite, en se fondant sur les facteurs de l=arrêt Wiebe Door, si cette intention avait été réalisée. Elle s=est fondée pour tenir ce raisonnement, au par. 61 de ses motifs, sur toute une série de décisions de la Cour, adoptant le point de vue exprimé par le juge Stone dans Standing c. Canada (Ministre du Revenu national) - M.R.N. (1992), 147 N.R. 238, que j=ai reformulé dans Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, au paragr. 71, lorsque j=ai déclaré qu=il ne convenait d=accorder du poids à l=intention des parties que si le contrat reflétait exactement la relation juridique qui les unissait.

 

[36] Étant donné que la décision rendue dans l’affaire Wolf se rapportait à un contrat auquel le droit du Québec s’appliquait, la juge Desjardins a ajouté ce qui suit :

 

[82] Il n=est pas nécessaire, pour trancher la présente affaire, de décider si l=expression * l=intention des parties + a en théorie la même portée dans le système de common law qu=en droit civil québécois. Cette question ne peut être tranchée qu=en fonction des faits particuliers à chaque affaire.

 

[37]    En l’espèce, comme c’était le cas dans l’affaire RWB, il n’y avait pas de désaccord entre M. Dupuis, pour le compte de la société appelante, d’une part, et MM. Parks et Bellemare d’autre part, quant à leur intention. M. Parks conduisait des camions pour ALD à l’occasion, depuis de nombreuses années et il n’avait jamais été un employé. De plus, il avait exécuté des travaux de construction pour ALD dans le contexte de sa propre entreprise et il facturait à ALD la main‑d’œuvre et les matériaux. M. Bellemare avait déjà conduit un camion à titre d’entrepreneur indépendant pour un concurrent d’ALD et il voulait conserver ce statut. Il n’existe pas le moindre indice de trompe‑l’œil ou d’artifice ou encore de révisionnisme qui sous‑tende la preuve fournie par MM. Dupuis, Parks et Bellemare. Selon toutes les parties, les contrats qui ont été signés à un moment donné par la suite au sujet de la relation de travail ne faisaient que ratifier et confirmer les conditions de l’entente qui était déjà en place. La vérification effectuée par l’ADRC a amené les parties à signer le contrat, mais M. Dupuis n’avait pas exercé de pressions à cet égard et, de fait, c’était M. Bellemare qui avait proposé à M. Dupuis qu’ALD fasse rédiger un contrat d’entrepreneur indépendant et le soumette à l’acceptation des chauffeurs.

 

[38]    Le juge Miller, de la Cour canadienne de l’impôt, a entendu un appel après le prononcé du jugement dans l’affaire RWB. Dans la décision Vida Wellness Corporation DBA Vida Wellness Spa v. M.N.R., A.C.I. 534, 2005‑1677(EI), (Vida), le juge examinait la situation de six massothérapeutes qui, selon le ministre, exerçaient un emploi assurable ouvrant droit à pension, même si chaque travailleur avait conclu une entente écrite stipulant qu’il était un entrepreneur indépendant. En examinant les faits, le juge Miller a fait remarquer que tous les travailleurs avaient dépensé des milliers de dollars et passé un grand nombre d’heures à recevoir la formation voulue afin d’obtenir les qualifications nécessaires pour s’acquitter de leurs tâches. Les thérapeutes étaient rémunérés à un taux variant de 27,5 à 47 p. 100 des frais que Vida Spa demandait au client. Ils pouvaient toucher une commission en vendant les produits du spa. Les travailleurs qui se présentaient à un poste lorsqu’il n’y avait pas de clients n’étaient pas rémunérés. Ils avaient le droit de conserver les pourboires reçus en argent mais devaient mettre en commun les pourboires versés au moyen de cartes de crédit. Les travailleurs pouvaient organiser leurs postes trois ou quatre fois l’an, pour trois ou quatre mois à la fois, et il y avait deux postes par jour. Les travailleurs pouvaient travailler, ou ne pas travailler, à leur gré et ils pouvaient fournir leurs services à d’autres entreprises de massothérapie, à condition de ne pas recruter les clients de Vida Spa pour ces entreprises. Le payeur, chez Vida, fournissait les tables, le linge et les huiles et les travailleurs étaient obligés de porter des chemises et des pantalons noirs afin d’assurer l’uniformité. Le juge Miller a mentionné certains risques inhérents à l’exécution des tâches; voici ce qu’il a dit au paragraphe 11 :

 

          [traduction]

[11]      Mme Hegedus et les travailleurs ont décrit certains risques inhérents aux massages. Il fallait porter une attention particulière aux massages de femmes enceintes, en évitant certaines parties du corps, et même certaines huiles. De même, si un client était affecté d’un trouble préexistant ou s’il y avait des contre‑indications, les travailleurs se montraient prudents. C’est pourquoi il était important qu’ils connaissent les antécédents médicaux du client d’une façon passablement détaillée avant de donner un massage. L’organisme régissant les travailleurs exigeait que ceux‑ci souscrivent une assurance. Vida ne payait pas la prime d’assurance des travailleurs.

 

[39]    Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, y compris les arrêts Wolf, Sagaz et RWB, précités, le juge Miller a dit ce qui suit au paragraphe 18 de ses motifs :

 

[traduction]

[18]      Selon cette approche, existait-il une entente claire entre Vida et les travailleurs au sujet de la nature du contrat? Oui, il en existait une. Il y avait une entente écrite qui prévoyait fort clairement que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants. Pourtant, une déclaration d’intention claire à elle seule n’est pas déterminante. Ainsi, les parties à un contrat qui veulent simplement éviter que l’employeur effectue des retenues à la source incorporent une disposition stipulant que le travailleur est un entrepreneur indépendant et qu’il est tenu d’effectuer lui-même des retenues à la source. Cela montre qu’on ne veut pas que l’employeur effectue des retenues à la source, mais cela ne montre pas l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant. Toutefois, je suis convaincu, dans ce cas-ci, que les parties avaient clairement l’intention de créer un contrat d’entrepreneur indépendant. L’intimé a soutenu qu’il ne s’agissait pas tant d’une intention claire d’être des entrepreneurs indépendants que d’une indifférence à l’égard du statut des travailleurs. Rien ne donnait à entendre que l’un quelconque des travailleurs aurait préféré avoir le statut d’employé. Les travailleurs étaient tous au courant de ce qui était offert, ils semblaient avoir compris les incidences (comme le fait que le salaire minimum ne s’appliquait pas) et ils étaient certes prêts à signer une entente proclamant leur statut d’entrepreneur indépendant. Les circonstances n’indiquent pas que les travailleurs avaient insisté pour avoir le statut d’entrepreneur indépendant (sauf peut-être dans le cas de Mme Frame), mais elles indiquent quelque chose de plus que l’indifférence.

 

[40]    Le juge Miller a ensuite entrepris l’analyse des divers facteurs : contrôle, risques de perte, possibilités de profit et propriété des instruments de travail, afin de déterminer si ces facteurs étaient compatibles avec l’intention exprimée par les parties, à savoir que les travailleurs fournissent leurs services à titre d’entrepreneurs indépendants. À mon avis, le paragraphe 20 des motifs est fort important parce qu’il traite du problème qui risque de se poser si la question est examinée sous le mauvais angle. Le juge Miller a fait les remarques suivantes :

 

[traduction]

[20]      Il importe de faire au départ une distinction entre les éléments indiquant le statut d’employé et ceux indiquant le statut d’entrepreneur indépendant, par opposition aux résultats qu’emporte la conclusion selon laquelle un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Ainsi, en tentant d’établir la différence entre les massothérapeutes qui étaient des employés et ceux qui choisissaient le statut d’entrepreneur indépendant, Mme Hegedus a proposé les facteurs suivants :

 

-           l’employé touchait une paie de vacances correspondant à 4 p. 100 de sa rémunération;

-           la rémunération de l’employé était majorée de moitié pour les congés fériés;

            -           l’employé avait droit à une indemnité de départ.

 

Toutefois, il s’agit de différences découlant du fait que le travailleur est un employé. Il ne s’agit pas de facteurs tendant à établir une relation employeur‑employé. Les facteurs déterminants sont ceux qui ont été énumérés ci‑dessus.

 

[21]      La mesure où la ligne de démarcation entre l’employé et l’entrepreneur indépendant peut être floue ne peut pas être mieux démontrée que par la présente situation. Les travailleurs peuvent choisir d’obtenir les avantages découlant d’un emploi, ou ils peuvent les rejeter et opter plutôt pour les avantages que confère un travail autonome. Pour les besoins de l’analyse, on ne saurait omettre de tenir compte de ce choix, auquel Vida consentait volontiers. De fait, ce choix sert de fondement à l’analyse.

 

[41]    Selon le juge Miller, l’élément « contrôle » était compatible avec la relation dont les parties avaient convenu et, bien qu’il n’ait pas accordé beaucoup d’importance à la question de la propriété des instruments de travail, le juge a conclu que ce facteur n’était pas plus compatible avec le statut d’employé qu’avec celui d’entrepreneur indépendant. Quant aux possibilités de profit, le juge Miller a conclu que, chez Vida Spa, le travailleur pouvait faire un certain nombre de choses pour maximiser sa rémunération, notamment effectuer des doubles postes ou refuser d’accepter un poste lorsque les affaires tournaient au ralenti et faire la promotion d’un massage en privé ou d’un massage des tissus profonds pour lequel il conservait les frais supplémentaires sans les partager avec Vida Spa. De plus, les massothérapeutes pouvaient promouvoir la vente de produits et toucher une commission et éviter de fournir des services aux clients dont l’assurance médicale payait des frais inférieurs à ceux que demandait généralement Vida Spa. En ce qui concerne le facteur « risques de perte », le juge Miller a dit ce qui suit aux paragraphes 28 à 31 inclusivement :

 

[traduction]

[28]      Une perte d’entreprise peut être subie d’au moins trois façons : premièrement, les dépenses ordinaires de l’entreprise excèdent les recettes régulières de l’entreprise; deuxièmement, il peut survenir un événement catastrophique par suite d’un préjudice attribuable à l’exploitation de l’entreprise; troisièmement, la source de revenu de l’entreprise peut se tarir.

 

[29]      Les travailleurs engageaient de fait certaines dépenses, concernant par exemple un téléphone cellulaire, les séances de perfectionnement et de formation (y compris le coût des cours offerts par Vida elle‑même) et les assurances. Cependant, ces dépenses n’excédaient probablement pas le revenu des travailleurs, quoique, pendant une période d’activité particulièrement faible où il y avait peu de clients, sinon aucun, il se peut qu’un léger risque ait été couru. Il faut se rappeler qu’en l’absence de clients, il n’y a pas de rétribution.

 

[30]      Les possibilités de risque découlant d’un préjudice étaient toutefois bien réelles. Les témoins ont expliqué le danger possible que comportait le traitement des femmes enceintes ou des clients affectés d’un trouble préexistant. Les résultats peuvent être nocifs au point d’être mortels. C’est pourquoi l’organisme qui régissait les travailleurs exigeait qu’ils souscrivent une assurance. Vida ne payait pas leurs primes d’assurance. C’était aux travailleurs qu’il incombait de les payer.

                                                                                                            

[31]      Enfin, la possibilité de perdre Vida comme source de revenu était également bien réelle. Il n’y avait pas de sécurité. Le contrat pouvait être résilié sur préavis de deux semaines pour n’importe quel motif, sans aucune rétribution. Selon moi, ces circonstances indiquent l’acceptation d’un risque élevé de perte, compatible avec le risque couru par quelqu’un qui exploite une entreprise pour son propre compte.

 

[42]    Au paragraphe 32, le juge Miller a conclu ce qui suit :

 

[traduction]

[32]      L’examen des facteurs habituels, à la lumière de ce que les parties estimaient être la nature de leur contrat, a réussi à me convaincre que le contrat indique avec exactitude que la relation juridique était celle qui existe dans un contrat d’entreprise. Les travailleurs voulaient être et étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[43]    Dans une affaire antérieure, soit F.G. Lister Transportation Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1998] A.C.I. no 558, 96-2163(UI), j’ai été saisi de l’appel interjeté par un employeur qui affirmait que ses conducteurs de grands routiers étaient des entrepreneurs indépendants. Aucun chauffeur n’a témoigné et la preuve de l’intention avait uniquement été fournie par le vice‑président et contrôleur, qui était au courant des activités quotidiennes de l’entreprise. Aux paragraphes 12 à 14 des motifs de jugement, j’ai fait les remarques suivantes :

 

[12] Il est clair que l’entreprise était celle de l’appelante, une société de transport qui était une filiale à cent pour cent d’une société mère qui exploitait une entreprise de vente et de distribution de produits. Même si l’appelante avait des conducteurs locaux, qui étaient des employés, les conducteurs de grands routiers étaient traités différemment, sans motif apparent, en ce sens que leurs services étaient retenus d’une autre manière - ponctuellement - et qu’ils étaient rémunérés au kilomètre plutôt qu’à l’heure. Les conducteurs locaux auraient probablement pu conduire les grands routiers, mais ils n’avaient peut-être pas les permis ou les qualifications voulus pour se rendre dans les différents territoires. En ce sens, l’appelante avait fait une distinction entre les deux types de conducteurs et, en conséquence, les conducteurs de grands routiers mentionnés dans la décision du ministre assuraient un service qui faisait partie intégrante de l’entreprise de l’appelante. Il n’existe absolument aucune preuve qu’un conducteur - ou l’appelante - a agi d’une manière qui permettrait de conclure que le conducteur était en affaires à titre d’entrepreneur indépendant.

[13] Je me vois maintenant contraint de faire ressortir les différences qui existent entre les faits de l’appel en l’instance et ceux de deux autres affaires dans lesquelles j’ai conclu que les conducteurs étaient des entrepreneurs indépendants. Dans l’affaire Lee c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.I. no 426, j’ai conclu que le conducteur d’un grand routier était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, le conducteur avait inscrit son entreprise aux fins de la taxe sur les produits et services, avait tenu un compte de banque commercial et avait produit des déclarations de revenu en tenant pour acquis qu’il travaillait à son compte. Dans l’affaire Lee, l’appelant avait déjà été un employé du payeur et avait accepté de modifier la relation de travail; en outre, la preuve permettait clairement d’établir que l’appelant aurait pu embaucher un remplaçant pour conduire les grands routiers à sa place et réaliser ainsi un bénéfice. Aussi, dans l’affaire Lee, la question se résumait à choisir entre deux versions du cadre dans lequel s’inscrivait une relation de travail, et le choix ne favorisait pas le travailleur. J’ai également conclu que les instruments de travail étaient les compétences personnelles du conducteur à titre de personne qualifiée capable de conduire une remorque remplie de marchandises sur de longues distances. Pour tirer cette conclusion, je me suis appuyé sur le fait que le conducteur exploitait une entreprise sous la raison sociale Rick’s Driving Services, qu’il avait un compte de banque à ce nom et qu’il faisait par ailleurs affaire avec des tierces parties sous ce nom. Sur ses déclarations de revenu, le travailleur avait indiqué qu’il travaillait pour son compte.

[14] Dans une autre décision que j’ai rendue dans l’affaire Metro Towing Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1991] A.C.I. no 717, j’ai conclu qu’un conducteur de dépanneuse était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, même si le travailleur était assujetti à un contrôle étroit, il avait loué le véhicule et tout l’équipement nécessaire pour effectuer son travail et il prenait à sa charge la totalité des frais connexes, dont les primes d’assurance. Ce conducteur courait également un risque élevé de perte relativement à l’utilisation du véhicule s’il ne générait pas suffisamment de recettes brutes, lesquelles fluctuaient d’un mois à l’autre, tout comme, dans une moindre mesure, ses frais d’utilisation. Dans cette affaire, comme dans l’affaire Lee, précitée, le travailleur avait déjà été un employé de l’entreprise et il avait décidé de conclure un nouveau contrat de travail aux termes duquel il louait un camion et une partie de l’équipement et avait le droit de conserver 30 % des recettes brutes découlant des appels de dépannage que lui adressait Metro Towing Ltd. Dans l’affaire Metro Towing Ltd., la preuve a révélé que les autres conducteurs de dépanneuse fournissaient leurs services par le truchement d’une société à responsabilité limitée ou en vertu de contrats de société.

 

[44]    Il y a d’autres décisions, dont j’ai rendu certaines, dans lesquelles il a été conclu que les chauffeurs de camion étaient des employés, malgré les efforts que le payeur avait faits pour qu’ils soient considérés comme des entrepreneurs indépendants exploitant une entreprise pour leur propre compte dans le cadre de la prestation de leurs services de chauffeur. Toutefois, les faits de chaque affaire sont fort importants et il n’est pas nécessaire qu’ils varient énormément pour obtenir un résultat différent, quoique la distinction ne soit peut‑être pas apparente, même aux yeux de ceux qui œuvrent dans ce domaine plutôt ténébreux de la jurisprudence.

 

[45]    En énonçant ses motifs dans l’arrêt RWB, le juge Evans, qui était dissident, a fortement souligné les différentes philosophies qui existent au sujet de l’intention des parties; voici ce qu’il a dit aux paragraphes 96 à 105 inclusivement :

 

[96] Étant donné que les décisions récentes prononcées par la Cour qui sont examinées dans les motifs de la juge Sharlow sont toutes, en partie au moins, fondées sur le Code civil du Québec, je ne peux conclure qu’elles ont eu pour effet de renforcer l’importance qu’attachent traditionnellement les règles de common law en matière de contrats à la façon dont les parties ont compris la nature juridique du contrat qu’elles ont conclu. Lorsqu’une loi fédérale renvoie à une notion de droit privé qui n’est pas définie dans la loi, la nature bijuridique de notre fédération permet que la loi en question soit appliquée différemment au Québec et dans les provinces et territoires de common law : Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, article 8.1 [édicté par L.C. 2001, ch. 4, art. 8]; voir également, par exemple, 9041‑6868 Québec Inc. c. M.R.N., 2005 CAF 334 (CanLII) 2005 CAF 334, au paragraphe 6.

 

[97] Je ne sais pas dans quelle mesure le Code civil du Québec diffère de la common law pour ce qui est de la qualification des contrats, ni si les causes en question auraient été tranchées différemment si on avait appliqué les règles de common law que je viens de décrire.

 

[98] Lorsque le différend à trancher porte sur la qualification juridique d’un contrat, il y a de bonnes raisons d’accorder peu de poids, voire aucun, à la façon dont les parties en ont compris la nature ou à l’objectif qu’elles recherchaient en concluant le contrat en question. Premièrement, il est difficile de comprendre pour quelle raison la façon dont les parties qualifient juridiquement le contrat qu’elles ont conclu serait pertinente ou devrait être conciliée avec les facteurs objectifs exposés dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz. C’est une chose que de tirer une déduction au sujet de la nature juridique d’un contrat en se fondant, par exemple, sur les facteurs de contrôle, de risque de pertes et de possibilité de profit, mais c’en est une autre très différente que de tirer des conclusions à partir de la perception des parties de la nature juridique de leur contrat, qui est la question essentielle que la Cour doit trancher. Le fait que les parties aient eu l’intention de conclure un contrat d’entreprise n’est pas un attribut juridique d’un tel contrat.

 

[99] Deuxièmement, l’opinion qu’entretiennent les parties au sujet de la nature juridique de leur contrat est nécessairement intéressée. En général, les parties s’intéressent principalement à l’objectif recherché et ne se préoccupent que de façon secondaire, voire pas du tout, des moyens juridiques permettant de l’atteindre. Supposons, par exemple, que leur objectif soit de se soustraire au versement des cotisations d’AE. Le moyen juridique à utiliser pour y parvenir est de conclure un contrat d’entreprise. Cet objectif sera atteint si les modalités du contrat et la conduite des parties se rapprochent davantage des éléments d’un contrat d’entreprise que de ceux d’un contrat de travail. Dans la mesure où elles y auront réfléchi, les parties préfèreront conclure le genre de contrat qui, juridiquement, leur permettra d’atteindre l’objectif qu’elles recherchent.

 

[100] De la même façon, le droit attache peu de poids, sinon aucun, au fait que la conduite des parties soit compatible avec les conséquences juridiques découlant de la conclusion d’un contrat d’entreprise. Ces conséquences peuvent avoir pour effet d’exempter le payeur d’avoir à déduire et à verser les cotisations d’AE et les cotisations au RPC, et d’obliger le fournisseur de services à s’inscrire aux fins de la TPS et à la facturer. Ce sont là les conséquences juridiques d’un contrat d’entreprise, mais elles ne constituent pas la preuve de son existence. Le fait que les parties aient recherché ces conséquences n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de décider si elles ont adopté les moyens juridiques pour y parvenir, à savoir si elles ont conclu un contrat qui comporte les éléments d’un contrat d’entreprise et non ceux d’un contrat de travail.

 

[101] Troisièmement, les parties à un contrat prévoyant l’exécution d’un travail (pour utiliser un terme neutre) sont rarement sur un pied d’égalité pour négocier. En attribuant une force probante importante à une déclaration figurant dans un document contractuel signé par les parties selon laquelle le contrat est un contrat d’entreprise, on risque de désavantager la partie la plus vulnérable qui pourrait fort bien dire par la suite, par exemple, qu’elle avait l’intention de conclure un contrat de travail pour pouvoir participer au régime d’assurance-emploi.

 

[102] En présence d’une disposition claire d’un contrat signé selon laquelle il s’agit d’un contrat d’entreprise et non d’un contrat de travail, une partie dans cette situation aurait du mal à nier que, selon une analyse objective, cette disposition reflète l’intention des parties, au moins en l’absence de fausse représentation ou de contrainte. Autrement dit, la partie vulnérable est non seulement liée par les modalités du contrat, mais son statut contractuel et, par conséquent, les droits que lui confère la loi, risquent d’être compromis par la façon dont la partie en position de force a qualifié juridiquement le contrat.

 

[103] Quatrièmement, la qualification juridique d’un contrat peut avoir un effet sur les tiers, comme la victime d’un acte délictuel commis par le fournisseur de services dans l’exécution du contrat ou, comme en l’espèce, Revenu Canada. Le fait de fonder la qualification juridique du contrat sur des considérations autres que les modalités de celui‑ci, interprétés dans leur contexte, risque de compromettre ces intérêts et de porter atteinte à des programmes obligatoires établis par la loi visant à protéger certaines catégories de personnes, comme l’assurance‑emploi et le Régime de pensions du Canada.

 

[104] Je m’inquiète également de l’effet que pourrait avoir sur les autres danseurs du RWB une conclusion sur le statut contractuel des danseurs en l’espèce. Si l’intention des danseurs doit jouer un rôle important dans la décision, le résultat pourrait‑il être différent dans le cas d’un autre danseur du RWB qui nierait avoir eu l’intention de conclure un contrat d’entreprise? Il semble étrange que des contrats essentiellement identiques puissent être qualifiés différemment pour cette raison.

 

[105] À mon avis, le seul rôle important que peut jouer l’intention déclarée des parties au sujet de la nature juridique de leur contrat est d’influencer le contexte interprétatif dans lequel la Cour examine le contrat en vue d’en élucider les ambiguïtés et d’en combler les lacunes.

 

[46]    Selon l’interprétation que je donne à la décision de la majorité dans l’affaire RWB, il me semble que l’élément « intention » a été élevé au rang de supernova. À l’heure actuelle, la masse explosive qui en résulte est capable de donner une nouvelle intensité à des facteurs généralement considérés comme étant plus ou moins égaux, lorsqu’il s’agit de trancher la question du tandem employé et entrepreneur indépendant. Il faut maintenant examiner chaque indice afin de déterminer si, dans le cadre de la relation de travail, il existe des questions de fond, comme la tromperie, la coercition ou d’autres circonstances, entraînant toutes sortes d’incertitudes qui, ensemble, suffisent pour bloquer les intenses rayons émis par le glorieux soleil qu’est l’intention mutuelle par laquelle les parties qualifient censément leur statut. Même si l’on accepte l’avertissement sous‑tendant l’arrêt RWB, à savoir qu’il ne faut pas se laisser aveugler par la lumière, il faut bien admettre que cela a pour effet de nous obliger à examiner les facteurs pertinents sous un angle différent. L’examen des indices habituels m’amène à conclure que le facteur « contrôle », auquel on accordait autrefois une valeur égale, est maintenant plus égal que les autres. Dans le contexte d’une partie de poker, il y a parfois des as et parfois des basses cartes, mais il n’est jamais question d’attribuer à l’un un rang supérieur à l’autre. À mon avis, le facteur « contrôle » s’est vu accorder la suprématie et, lorsque l’intention des parties n’est pas mise en question, il est maintenant la carte maîtresse lorsqu’il s’agit de déterminer la nature véritable de la relation de travail.

 

[47]    Dans les présents appels, je tiens à réitérer que les parties étaient indubitablement de bonne foi. Les chauffeurs, MM. Parks et Bellemare, voulaient fournir leurs services dans le contexte de l’exploitation de leur propre entreprise. M. Parks n’avait jamais fourni ses services à ALD dans quelque autre contexte, et ce, que ce soit en conduisant des camions ou en exécutant des travaux de construction ou de rénovation pour ALD ou pour d’autres clients. M. Bellemare avait conduit un camion pour une autre entreprise à titre d’entrepreneur indépendant et il voulait à tout prix conserver ce statut en conduisant pour ALD. Il estimait, ainsi que M. Parks, que le statut d’entrepreneur indépendant leur accordait une certaine liberté, peut‑être bien conformément à l’impression d’être les chevaliers de la route, qu’avaient autrefois les conducteurs de grands routiers.

 

[48]    En ce qui concerne l’élément « contrôle », MM. Parks et Bellemare n’étaient pas supervisés lorsqu’ils conduisaient ou accomplissaient quelque autre aspect de leurs tâches dans le cadre des divers voyages qu’ils acceptaient. Il y avait certes moins de contrôle que dans le cas des danseurs du RWB. Les chauffeurs n’avaient pas la possibilité de réaliser des profits, contrairement à ce qui était le cas pour les massothérapeutes, chez Vida, et ils ne risquaient pas non plus réellement de subir des pertes par suite de l’exécution de leurs tâches. Ils n’avaient pas à exercer des fonctions de gestion ni à embaucher des assistants afin de conduire le semi‑remorque d’ALD de A à B à C et d’en revenir et, de plus, ils ne fournissaient pour ainsi dire pas d’outils.

 

[49]    Si la décision RWB n’avait pas été rendue, je n’aurais pas considéré comme convaincante l’intention claire des parties, en particulier dans le contexte de l’effet combiné des autres facteurs Toutefois, dans le présent appel, les chauffeurs étaient inébranlables dans leur recherche du statut souhaité d’entrepreneur indépendant et, par la suite, ni leur conduite ni celle de l’employeur n’ont vraiment changé. Les parties ont toujours agi conformément à l’intention qu’elles avaient exprimée et, dans le cadre de leurs relations de travail, aucune circonstance inhabituelle n’a porté atteinte à l’effet de leur entente initiale ni, encore moins, n’a anéanti cet effet.

 

[50]    Les appels [2006-149(EI) et 2006-150(EI)] sont donc accueillis et les décisions du ministre, toutes deux datées du 14 octobre 2005, sont modifiées de façon qu’il soit conclu que ni David Parks ni Rémi‑Paul Bellemare n’exerçaient un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès d’ALD Enterprises Inc. durant quelque partie que ce soit de la période pertinente mentionnée dans lesdites décisions, parce que ni l’un ni l’autre n’était employé conformément à un contrat de louage de services.

 

[51]    L’appel 2006-151(CPP) est accueilli et la décision pertinente est modifiée de façon qu’il soit conclu que David Parks n’était pas un employé d’ALD Enterprises Inc. au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 17 décembre 2004, parce que M. Parks n’était pas engagé aux termes d’un contrat de louage de services.

 

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour de février 2007.

 

 

 

 

 

« D.W. Rowe »

D.W. Rowe, J.S.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de février 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI71

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2006-149(EI), 2006-150(EI)

                                                          2006-151(CPP)

 

INTITULÉ :                                       A.L.D. ENTERPRISES INC.

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 12 février 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Shelley J. Kamin

 

Avocat de l’intimé :

 

Me Daniel Bourgeois

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Shelley J. Kamin

 

                   Cabinet :                         Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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