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Référence : 2004CCI253

Date : 200405

Dossier : 2003-2265(GST)I

ENTRE :

THE ESTATE OF BELA MIKLOSI,

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée,

ET

Dossier : 2003-2266(GST)I

 

THE ESTATE OF MANON BRODEUR MIKLOSI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DE JUGEMENT

 

Rendus oralement sur le banc à Montréal (Québec), le 10 mars 2004.

 

Le juge Paris

 

[1]     Voici les motifs du jugement dans les deux causes mentionnées, The Estate of Manon Brodeur Miklosi et The Estate of Bela Miklosi.

 

[2]     La compagnie 2842-7219 Québec inc., constituée en 1990, exploitait un bar à Montréal qui s'appelait Le Loft. Le rôle de Bela Miklosi et de Manon Miklosi (ci-après les « appelants ») dans ce commerce était limité, la gestion étant faite par leur fils Dominique Miklosi et son partenaire Frédérick Tur. Pourtant, Bela Miklosi, maintenant décédé, était longtemps un des administrateurs de la compagnie et l'intimée tenait pour acquis que Manon Miklosi était administratrice de fait.

 

[3]     Les appelants, à titre d'administrateurs, avaient fait objet de cotisations établies en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise[1] (ci-après la « Loi»). En vertu de cet article, l'administrateur d'une société est responsable de la taxe sur les produits et services que la société a omis de payer. En l'espèce, la compagnie a omis de remettre un montant de 129 901 $ de TPS exigible sur ses ventes pendant la période de janvier 1994 à juin 1997. Le montant total de la cotisation établie à l'égard de chacun des appelants est de 200 746,55 $, composé de la taxe non remise, d'une pénalité et d'intérêts. Ces appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

 

[4]     Bien que les faits concernent la même compagnie, le statut des appelants n'était pas identique et je me propose de considérer séparément les questions en litige relatives à chacun des appelants.

 

[5]     L'appel de madame Miklosi soulève les questions suivantes. Était-elle administratrice de fait pendant la période en question? Il est admis qu'elle n'était pas administratrice de droit. Si elle était administratrice de fait, la cotisation a-t-elle été établie plus de deux ans après la fin de son mandat et, si non, madame Miklosi a-t-elle satisfait au critère de diligence raisonnable établi au paragraphe 323(3) de la Loi?

 

[6]     L'appel de monsieur Miklosi soulève les questions suivantes. Est-ce que la cotisation a été établie plus de deux ans après la fin de son mandat et, si non, monsieur Miklosi a-t-il satisfait au critère de diligence raisonnable établi au paragraphe 323(3) de la Loi?

 

[7]     Les faits. La compagnie avait été constituée en septembre 1990. Quarante‑cinq pour cent (45 %) des actions de la compagnie appartenaient à 2842‑6633 Québec inc., dont la seule actionnaire était Raymonde Tur, mère de Frédérick Tur, et quarante-cinq pour cent (45 %) appartenaient à 2842-4893, dont les appelants étaient actionnaires en parts égales. Les autres dix pour cent (10 %) des actions de la compagnie appartenaient à 2853-5268 Québec inc., dont les actionnaires n'ont pas été nommés.

 

[8]     Les déclarations annuelles de la compagnie produites pour les années 1994 à 1997 indiquaient que ses administrateurs étaient Dominique Miklosi, président, Frédérick Tur, vice-président, et Bela Miklosi, secrétaire-trésorier. La déclaration faite pour 1998 indiquait que Frédérick Tur et Bela Miklosi n'étaient plus administrateurs.

 

[9]     Madame Miklosi a témoigné qu'elle et son mari se sont impliqués dans la compagnie pour aider leur fils, qui avait dix-neuf (19) ans lorsque la compagnie a été mise sur pied. Le partenaire de son fils, Frédérick Tur, avait à peu près le même âge. Les appelants ont décidé que, vu le jeune âge de leur fils et le type d'établissement dont il s'agissait et vu que madame Miklosi et madame Tur avaient investi de l'argent dans la compagnie, qu'ils voulaient tenir les activités de la compagnie à l'oeil.

 

[10]    Madame Miklosi dit avoir travaillé à temps partiel pour la compagnie, à peu près une heure par après-midi, pour faire la tenue des livres, passer des commandes et répondre au téléphone. Elle et madame Tur signaient tous les chèques et s'occupaient de la paperasse. Elle ne voyait que rarement son fils ou Frédérick Tur parce que, eux, ils travaillaient surtout la nuit au bar et restaient debout jusqu'à six heures (6 h) du matin. Il y avait un comptable externe qui était responsable des comptes de la compagnie et à qui madame Miklosi transmettait l'information qu'elle organisait.

 

[11]    Vers la fin de 1997, la compagnie à fait l'objet d'une vérification fiscale qui a eu comme résultat que des cotisations ont été établies à l'égard de la compagnie pour des montants substantiels de TPS et de TVQ se rapportant à des ventes que la compagnie n'aurait pas déclarées. Madame Miklosi affirme avec insistance que la compagnie avait déclaré tous ses revenus et que la vérificatrice n'a tenu compte ni des réductions que la compagnie accordait aux étudiants pendant les soirées organisées qui avaient lieu au bar, ni du fait que la compagnie remettait les frais d'entrée pour ces soirées aux conseils d'étudiants qui les organisaient.

 

[12]    La compagnie n'a pas contesté ces cotisations. Selon madame Miklosi, elle voulait que la compagnie y fasse opposition, mais les dirigeants de la compagnie étaient convaincus que personne ne croirait leur version des faits et qu'une opposition serait inutile. Le ministre du Revenu du Québec a essayé de percevoir la dette fiscale de la compagnie mais ses efforts n'ont pas porté fruit. La compagnie a exploité Le Loft jusqu'en août 1999 et il paraît que ses actifs ont été vendus au mois de septembre 1999.

 

[13]    En établissant la cotisation à l'égard de madame Miklosi, le ministre a présumé qu'elle s'était régulièrement présentée dans les documents de la compagnie comme administratrice de celle-ci. Le procureur de l'intimée soutient que la preuve documentaire présentée à la Cour révèle clairement que madame Miklosi agissait comme administratrice de fait de la compagnie. La liste de ces documents, portant la signature de madame Miklosi, suit.

 

Un        Un bail signé le dix-huit (18) décembre 1990 pour la location du local occupé par le bar, situé rue Ste-Catherine à Montréal. Le bail a été signé par Bela Miklosi pour la compagnie, et par madame Miklosi à l'endroit marqué : «  Deuxième signature autorisée ou témoin ». Monsieur et madame Miklosi ont aussi signé l'Annexe D du bail. Là, monsieur Miklosi a indiqué qu'il signait au nom de la compagnie, et madame Miklosi a indiqué qu'elle signait comme témoin.

 

Deux. Un formulaire d'inscription de la compagnie auprès du ministère du Revenu de Québec aux fins de la taxe de vente du Québec, daté du vingt-sept (27) avril 1992. Madame Miklosi a rempli ce document et l'a signé en tant que secrétaire. Pourtant, à l'endroit réservé à l'inscription des noms des dirigeants et des principaux administrateurs de la compagnie, elle a mis les noms de Bela et de Dominique Miklosi et de Frédérick Tur.

 

Trois. Les déclarations de revenus de la compagnie pour les années se terminant le trente-et-un (31) décembre 1995 et 1996, que madame Miklosi a signées le dix-neuf (19) mars 1996 et le huit (8) avril 1997.  À deux endroits dans la déclaration de 1995 et à un endroit dans la déclaration de 1996, madame Miklosi a signé au titre d'administratrice. Elle a aussi signé, à l'endroit marqué « Administrateur » l'état financier qui a été produit avec la déclaration de 1995. Il est à noter, pourtant, que dans chacune de ces déclarations, à l'endroit destiné à l'inscription des noms des administrateurs, seuls les noms de Dominique et de Bela Miklosi et de Frédérick Tur apparaissent.

 

Quatre. Les déclarations de TPS et de TVQ pour les périodes de janvier 1994 à septembre 1998, signées par madame Miklosi, et un chèque payable à l'ordre du ministre du Revenu du Québec, daté du trente‑et‑un (31) octobre 1998, signé par madame Miklosi et Raymonde Tur. Madame Miklosi admet avoir signé ces documents.

 

[14]    En ce qui concerne les déclarations de revenus de la compagnie, elle nie avoir voulu se présenter comme administratrice de celle-ci au sens juridique du terme. Elle dit les avoir signées de façon hâtive parce qu'il fallait les produire dans un délai très court. Elle les a reçues du comptable, qui lui a demandé de les signer, et elle l'a fait sans réfléchir. Elle ne savait pas quoi mettre à l'endroit marqué « fonction ou titre ». Pour elle, le titre d'administratrice voulait dire qu'elle était responsable de la gestion du bureau de la compagnie.

 

[15]    Je ne suis pas persuadé que les documents déposés devant la Cour démontrent que madame Miklosi avait l'intention de se présenter comme administratrice de la compagnie. Sauf dans les déclarations de revenus, elle ne s'est jamais donné le titre d'administratrice. Je ne peux pas tirer la conclusion que c'est en tant qu'administratrice que madame Miklosi a apposé sa signature sur les formulaires et déclarations de TPS et de TVQ, et sur les chèques de la compagnie. Il n'y a pas de preuve que c'était le cas et les actes qu'elle a accomplis ne sont pas nécessairement ceux d'un administrateur.

 

[16]    En plus, le fait qu'elle s'est donné le titre de secrétaire sur un autre document n'est pas concluant non plus. Le poste de secrétaire dans une compagnie et la fonction de dirigeant n'équivalent pas au poste d'administrateur. Je reconnais que madame Miklosi s'est donné le titre d'administratrice à deux reprises dans des déclarations de revenus, mais ces documents se révèlent aussi contradictoires quant à l'identité des administrateurs de la compagnie.

 

[17]    J'accepte le témoignage de madame Miklosi qu'elle n'entendait pas s'approprier le rôle d'administrateur en signant les déclarations de revenus. La preuve ne révèle pas d'autres gestes de sa part qu'on pourrait qualifier de gestes non équivoques d'administrateur. Le rôle d'un administrateur est de gérer les affaires d'une compagnie et de prendre les décisions importantes à son égard. Le témoignage de madame Miklosi révèle que son rôle dans les affaires de la compagnie était très limité et ce témoignage n'a pas été contredit en contre‑interrogatoire.

 

[18]    Je dois en conclure qu'elle n'était pas administratrice de fait de la compagnie pendant la période en question. Alors, une des conditions de l'application du paragraphe 323(1) de la Loi n'est pas remplie. Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire de considérer les autres arguments soulevés en faveur de madame Miklosi, et son appel est accueilli.

 

[19]    Dans le cas de monsieur Miklosi, la première question en litige est de savoir si la cotisation du ministre a été établie dans le délai prescrit par la Loi. Le paragraphe 323(5) de la Loi dispose que l'établissement d'une cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit deux ans après qu'il a cessé d'être administrateur. Le représentant des appelants soutient que monsieur Bela Miklosi avait démissionné plus de deux ans avant la date de la cotisation, soit le cinq (5) avril 2000.

 

[20]    Monsieur Dominique Miklosi, fils des appelants et président de la compagnie, a témoigné que son père lui avait remis sa démission écrite datée du trois (3) décembre 1997. Il ne se rappelait pas la date à laquelle son père lui avait donné le document. En réponse à une question suggestive du représentant des parties appelantes, il a convenu qu'il avait reçu la démission en janvier ou février 1998. Il a expliqué que la date inscrite sur la démission représentait la réalité de la situation et que lui et son père s'étaient mis d'accord pour que ce dernier ne participe plus à la gestion des affaires de la société.

 

[21]    La lettre de démission a été produite avec une copie d'une résolution de la compagnie. Ce dernier document ne portait pas de date et faisait état de la démission de Bela Miklosi et de Frédérick Tur. Seul Dominique Miklosi est resté comme administrateur. Aucun avis de ces changements n'a été envoyé à l'Inspecteur général des institutions financières avant la production de la déclaration annuelle à l'automne de 1998. En contre-interrogatoire, Dominique Miklosi a dit ne pas se rappeler s'il avait signé d'autres résolutions et semblait ignorer s'il y avait un registre des procès-verbaux pour la compagnie.

 

[22]    Le procureur de l'intimée soutient que Bela Miklosi continuait d'être administrateur de la compagnie jusqu'à ce qu'une déclaration modificative soit envoyée à l'Inspecteur général des institutions financières. Il fait valoir que la démission d'un administrateur ne vaut, à l'égard des tiers, que dans la mesure où ce changement d'administrateur a été divulgué par le dépôt d'une déclaration modificative.

 

[23]    Il s'appuie sur l'article 62 de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales[2] (ci-après la Loi sur la publicité). L'article 62 de cette Loi prévoit spécifiquement que les informations relatives à chaque assujetti font preuve de leur contenu en faveur des tiers de bonne foi à compter de la date où elles sont inscrites à l'état des informations. Cette disposition permet aux tiers qui consultent le registre public tenu par l'Inspecteur général de présumer que les informations qui y apparaissent sont exactes.

 

[24]    À mon avis, la présomption à l'article 62 de la Loi sur la publicité est réfutable et un administrateur a le droit de faire la preuve de la date de sa démission. Un administrateur ne peut pas être tenu responsable d'une omission qui ne lui est pas imputable, puisque ce n'est pas lui mais la compagnie qui a l'obligation d'aviser l'Inspecteur général de la démission d'un administrateur. La seule obligation de l'administrateur est de transmettre un avis de sa démission à la compagnie. Il incombe ensuite à la compagnie de notifier cette démission à l'Inspecteur général. Pourtant, à mon avis, l'appelant n'a réussi ni à réfuter la présomption contenue dans la Loi sur la publicité ni à réfuter la présomption du ministre apparaissant dans la réponse à l'avis d'appel, à savoir que Bela Miklosi était administrateur de la compagnie.

 

[25]    J'accorde très peu de poids au témoignage de Dominique Miklosi. Il ne semblait pas avoir un souvenir très précis des événements en question et, sans l'aide du représentant, n'était pas capable de donner la date où son père lui avait donné sa démission. En plus, il n'a pas pu fournir de raison pour laquelle la résolution des administrateurs relative à la démission ne portait pas de date.

 

[26]    En l'absence de toute preuve corroborant le témoignage de Dominique Miklosi, je conclus qu'il n'a pas été démontré selon la prépondérance de la preuve que Bela Miklosi a démissionné plus de deux ans avant la cotisation en litige. Il reste toutefois à déterminer si Bela Miklosi a satisfait au critère de la diligence raisonnable énoncé au paragraphe 323(3) de la Loi, qui précise :

 

L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il agit avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[27]    Dans l'affaire Soper c. La Reine, [1998] 1 C.F. 124, citée par le représentant des parties appelantes, la Cour d'appel fédérale a énoncé les critères à appliquer pour déterminer si un administrateur a fait preuve de diligence raisonnable. La norme de soin prévue par la Loi comporte des éléments objectifs et des éléments subjectifs, et une distinction est faite entre les administrateurs internes et les administrateurs externes.

 

[28]    La question de savoir si l'administrateur a satisfait à la norme de prudence est une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier. La preuve en l'espèce tend à démontrer que Bela Miklosi ne s'impliquait pas dans les affaires de la compagnie et qu'il était souvent à l'extérieur de Montréal à cause de son travail d'ingénieur. Il était plutôt administrateur externe et, pour cette raison, il n'est pas assujetti à la norme de soin plus rigoureuse pouvant s'appliquer à des administrateurs internes.

 

[29]    Dans l'arrêt Soper, le juge Robertson a expliqué quelles attentes on peut avoir d'un administrateur externe dans ce genre de cas. Il dit au paragraphe 53 :

 

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements.

 

[30]    Malheureusement, la preuve présentée devant la Cour en l'espèce ne révèle pas avec clarté ce qui se passait au sein de la compagnie pendant la période où les taxes n'étaient pas remises. Il m'est impossible de dire si Bela Miklosi a su ou aurait dû savoir qu'il existait un problème en ce qui concerne les versements de TPS et de TVQ.

 

[31]    Même si Manon Miklosi a affirmé avec insistance que la compagnie a rempli toutes ses obligations fiscales, il n'a pas été prouvé que la cotisation établie à l'égard de la compagnie était mal fondée. La présomption du ministre que la compagnie a omis de remettre près de 130 000 $ de TPS et de TVQ reste intacte, et je suis obligé d'accepter l'assertion que la compagnie ne déclarait pas toutes ses ventes.

 

[32]    Sans savoir quelles démarches Bela Miklosi a prises pour se tenir au courant des activités de la compagnie et sans savoir quel système la compagnie avait mis en place pour assurer une comptabilité précise de ses ventes, je ne peux dire que, dans le cas présent, il a fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir les manquements de la compagnie.

 

[33]    Pour ces raisons, l'appel de Bela Miklosi est rejeté.

 

Signé à Ottawa (Canada), ce  3e jour de mai 2004.

 

 

 

 

 

 

« B. Paris »

Paris, J.

 



[1] L.R.C. 1985, c. E-15

[2] L.R.Q. c. P-45

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