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Dossier : 2002-1311(GST)G

ENTRE :

GYPSE ET JOINTS MPG RIVE-NORD,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 6 et 7 novembre 2006, le 28 février et le 25 avril 2007,

à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Steve Robitaille

 

Avocat de l'intimée :

Me Denis Émond

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont les avis, portant les numéros T97S254 et 032G0107682, sont datés du 31 mars 2000 pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996 et du 19 février 2002 pour la période du 1er octobre 1996 au 30 septembre 1999, est rejeté, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

Référence : 2008CCI12

Date : 20080108

Dossier : 2002-1311(GST)G

ENTRE :

GYPSE ET JOINTS MPG RIVE-NORD,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]     Le 31 mars 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre »), par l’entremise du ministre du Revenu du Québec, a établi à l’encontre de l’appelante une nouvelle cotisation (la « cotisation du 31 mars 2000 ») en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (« LTA ») pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996. Le 19 janvier 2002, le ministre a aussi établi à l’encontre de l’appelante une nouvelle cotisation (la « cotisation du 19 janvier 2002 ») en vertu de la LTA, par laquelle il a essentiellement refusé à cette dernière des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») au montant de 23 844,16 $ et lui a en sus imposé des pénalités et des intérêts pour la période du 1er octobre 1996 au 30 septembre 1999 (la « période pertinente »).

 

[2]     Je suis d’avis que l’appel interjeté à l’égard de la cotisation du 31 mars 2000 doit être rejeté au motif qu'il a été interjeté hors délai. En effet, l’appelante a déposé son avis d’appel le 643jour suivant l’expiration du délai de 90 jours pour en appeler de cette cotisation.

 

[3]     Dans la cotisation du 19 janvier 2002, le ministre a essentiellement refusé à l’appelante les CTI qu’elle a demandés au motif que la taxe à l'égard de laquelle elle demande les CTI a été versée à des sous-traitants qui produisaient des factures dites « d’accommodation ».

 

[4]     L’appelante exploite une entreprise dans le domaine de la construction. En somme, elle pose des feuilles de gypse. Au cours de la période pertinente, l’appelante a fait affaire avec une vingtaine de sous-traitants à cause d’une pénurie d’employés et d’un trop grand nombre de contrats à réaliser. Le ministre conteste les factures établies par sept de ces sous-traitants (les « factures problématiques »). Ces sept sous-traitants sont :

 

          (i)      Construction B.V. Champlain Inc.;

 

          (ii)      9054-5419 Québec Inc., dont la raison sociale était alors Acoustique B.V. (« Acoustique B. V. »);

 

(iii)     3323293 Canada Inc., dont la raison sociale était alors Construction J.L. Green (« Construction J. L. Green »);

 

(iv)     Construction S. Thuot Inc.;

 

(v)     9039-1210 Québec Inc.;

 

(vi)     9053-7168 Québec Inc., dont la raison sociale était alors Les Entreprises BNS (« Les Entreprises BNS »);

 

(vii)    Acoustique B & A Inc.

 

[5]     Le ministre a reconnu l’existence juridique de ces sept sous-traitants. Il a aussi reconnu qu’ils détenaient un permis d’entrepreneur en construction. Le ministre a admis que ces sous-traitants avaient un numéro d’inscription pour les fins du versement de la taxe sur les produits et services (« TPS ») et des déductions à la source. Enfin, le ministre a reconnu que les factures problématiques existaient et que l’appelante avait émis des chèques en paiement de ces factures. Toutefois, sur la base du profil de ces sous-traitants, le ministre a présumé que les fournitures de services acquises par l’appelante de ces sous‑traitants étaient fictives. Il a présumé que les pièces justificatives soumises par l’appelante étaient des factures dites « d’accommodation » où, en apparence, une fourniture régulière avait eu lieu alors qu’aucune fourniture de service n’avait été effectuée par les sous‑traitants nommés dans les pièces justificatives. Enfin, le ministre a présumé que la stratégie utilisée par l’appelante lui avait permis de payer ses employés au noir.

 

[6]     Quel était donc le profil de ces sous-traitants sur lequel le ministre s’est appuyé pour présumer qu’ils avaient produit des factures dites « d’accommodation »? Le profil de ces sous-traitants sur lequel le ministre s’est appuyé pour cotiser l’appelante se trouve dans le rapport de monsieur Richard Lafontaine (pièce A‑1), le vérificateur du ministère du Revenu du Québec qui a procédé à la vérification de l’appelante, et dans le témoignage de ce dernier. Sur la base de sa propre enquête et sur la base d’informations recueillies auprès d’autres collègues de son ministère, monsieur Lafontaine a témoigné qu’il avait constaté à l’égard de tous ces sous-traitants problématiques, à l’exception d'Acoustique B & A Inc., que, pendant la période pertinente :

 

(i)                ils n’avaient pas versé la TPS perçue de l’appelante;

 

(ii)              les factures de ces sous-traitants avaient été produites par des employés de l’appelante;

 

(iii)            ils n’avaient produit aucune déclaration de revenu;

 

(iv)            ils n’avaient aucun employé;

 

(v)              il avait été impossible à monsieur Lafontaine d’entrer en contact avec les administrateurs de ces sous-traitants et de se procurer les livres comptables de ces derniers;

 

(vi)            les chèques émis par l’appelante à ces sous-traitants en paiement de leurs prétendus services avaient été soit encaissés par l’administrateur de ces sous-traitants dans un comptoir « check express » moyennant une commission de 3 %, soit déposés dans leurs comptes bancaires. Dans ce dernier cas, monsieur Lafontaine a expliqué qu’une somme en espèces correspondant au montant des chèques ainsi déposés avait été immédiatement retirée de leurs comptes bancaires;

 

(vii)          il n’existait aucun document à part les factures et les chèques émis par l’appelante pour justifier l’utilisation de ces sous-traitants;

 

(viii)        ils ne faisaient pas partie des sous-traitants déclarés par l’appelante aux entrepreneurs généraux;

 

(ix)            selon le registre de Commission de la Construction du Québec, les sous-traitants n’avaient jamais été vus sur les chantiers de construction par les inspecteurs de cette dernière.

 

[7]     À l’égard d’Acoustique B & A Inc., monsieur Lafontaine a témoigné que son enquête lui avait permis de conclure que ce sous-traitant avait produit des factures pour des services réellement rendus à l’appelante. Par ailleurs, il a déclaré que ce sous-traitant avait aussi produit des factures dites d'« accommodation ». Monsieur Lafontaine a qualifié ce sous-traitant « d’accommodateur mixte ». Monsieur Lafontaine a témoigné qu’il avait refusé de reconnaître toutes les factures de ce sous-traitant qui :

 

(i)                avaient été produites par un employé de l’appelante; et

 

(ii)              pour lesquelles la TPS versée par l’appelante à ce sous-traitant n’avait pas été versée par ce dernier; et

 

(iii)            pour lesquelles les chèques émis par l’appelante en paiement de ces factures avaient été encaissés par l’administrateur de ce sous-traitant dans un comptoir « check express » moyennant une commission de 3 %.

 

Témoignage de monsieur Pierre Ouimette

 

[8]     Le témoignage de monsieur Ouimette, un dirigeant de l’appelante pendant la période pertinente, pourrait se résumer ainsi :

 

(i)      pendant la période pertinente, l’appelante avait environ 10 employés;

 

(ii)      pendant la période pertinente, l’appelante avait octroyé des contrats à une vingtaine de sous-traitants, dont les sept sous-traitants problématiques, à cause d’une pénurie d’employés et d’un trop grand nombre de contrats à réaliser. Pour certains contrats, le travail était partagé entre les sous-traitants et les employés de l’appelante;

 

(iii)     les contrats conclus avec les sous-traitants étaient verbaux. La rémunération généralement convenue avec les sous-traitants était la suivante : de 120 $ à 130 $ au mille pieds carrés de feuilles de gypse installées. L’entente de paiement était « aussitôt fini, aussitôt payé ». Monsieur Ouimette a expliqué que les travaux dans le secteur commercial donnaient lieu à une retenue de 10 % dont l'objet était de s'assurer que les travaux seraient bien effectués. L’appelante retenait donc 10 % du solde par ailleurs dû à ces sous-traitants qui avaient exécuté pour l’appelante des travaux dans le secteur commercial;

 

(iv)     certains sous-traitants faisaient confiance à l’appelante au point de lui donner des factures vierges qui étaient remplies par des employés de l’appelante au nom de ces sous-traitants. Monsieur Ouimette a expliqué que c’est dans ce contexte que monsieur Daniel Champagne avait rempli au nom d’Acoustique B.V. la facture de cette dernière datée du 27 avril 1998 (pièce A‑3). Monsieur Ouimette a expliqué que monsieur Champagne avait produit cette facture à partir d’une feuille (pièce A‑3) sur laquelle ce dernier avait noté les travaux effectués par ce sous-traitant et lui-même sur les différents chantiers de l’appelante la semaine précédente. À mon avis, il convient immédiatement de citer intégralement la déclaration (pièce I‑2) faite par monsieur Ouimette en présence, notamment, de monsieur Christian Tremblay, un enquêteur du ministère du Revenu du Québec, puisque cette déclaration m’apparaît beaucoup plus explicite que son témoignage à l’égard du modus operandi de l’appelante avec les sous‑traitants problématiques.

 

J’ai rencontré M. Christian Tremblay aux bureaux de Ministère du Revenu afin de clarifier la situation de Gypse & Joints MPG Rive Nord Inc, maintenant nommée Gypse et Joints Rive Nord Inc. Je suis président de (G & JMPGRNI) la cie ci-haut mentionnée. À ce titre, je m’occupais des contrats qui me sont soumis et de faire exécuter les travaux. Je n’ai jamais été actionnaire de cette société et mon rôle dans la comptabilité se situe dans le contrôle de la facturation des sous-traitants et dans la facturation des clients. J’ai aussi une autorisation bancaire de signer des chèques de la société. La tenue de livre est complétée par Mme Sylvie Tremblay qui est aussi la seule actionnaire de la société. Les contrats que la société obtient me sont soumis par téléphone suite à ma présence depuis longtemps dans le domaine de la construction. Lorsque j’ai un contrat à exécuter, les travailleurs sont informés la veille (les travailleurs de G & JMPGRNI). Si je ne suis pas capable de fournir le contrat à temps, j’ai recours à des sous-traitants. J’appelle celui-ci qui me fournit des employés sur demande. La facturation des sociétés 3323293 Canada Inc., Construction B.V. Champlain Inc. ont toutes été complétées par Daniel Champagne qui est employé comme salarié de J & JMPGRNI. Les factures de Acoustique B & A donc ont été complétées dans un fort pourcentage par les employés salariés de G & JMPGRNI. Ces factures étaient obtenus par l’entreprise du représentant des dites sociétés soit, Michel Dubois pour les sociétés 3323293 Canada Inc. et Construction BV Champlain Inc. Les factures de Acoustique B & A me provenaient de Yves Beauchamp. Stéphane Thuot me fournissait les factures pour Construction S. Thuot Inc. À partir des feuilles de temps des employés salariés de G & JMPGRNI et des travaux exécutés nous faisons le calcul suivant. Les quantités posées déterminées par le responsable du chantier sont facturées au taux convenu. Les heures des employés salariés de G & JMPGRNI sont déduites du total, ainsi que les diverses allocations de transport, coût des matériaux et autres. Le solde est taxé à 7 % (TPS) et 6.5 % (TVQ) et payable par G & JMPGRNI au sous-traitant. Les travaux dans le secteur commercial donnaient lieu à une déduction de 10 % du solde total come garantie des travaux bien effectués. C’était alors le rôle du sous-traitant de G & JMPGRNI de payer les travailleurs qu’il avait fournis pour compléter le contrat. J’ignore le nom des personnes qui travaillaient pour les sous-traitants. Le chèque de paiement était généralement remis aussitôt les travaux complétés aux représentants des sous-traitants. Je n’ai jamais versé d’autres montants à des travailleurs que ce soit ceux de G & JMPGRNI ou autres sauf que ceux mentionnés ci-haut, soit les salaires, les allocations de transport et de remboursement des achats de matériaux et fournitures.

 

[9]     Je note immédiatement en ce qui a trait à cette déclaration que toutes les factures de J.L. Green et de Construction B. V. Champlain Inc. avaient été produites par monsieur Champagne. Je note aussi en ce qui a trait à cette déclaration, qu’un fort pourcentage des factures d’Acoustique B & A Inc. avaient été produites par d’autres employés de l’appelante. On apprend aussi à la lecture de cette déclaration que les factures vierges des sociétés J. L. Green et Construction B. V. Champlain Inc. avaient été remises à l’appelante par monsieur Michel Dubois, un représentant de ces sociétés. On apprend enfin à la lecture de cette déclaration que les factures vierges d’Acoustique B & A Inc. avaient été remises à l’appelante par monsieur Yves Beauchamp et que les factures vierges de la société Construction S. Thuot avaient été remises à l’appelante par monsieur Stéphane Thuot. Par ailleurs, je signale ici que monsieur Dubois a plaidé coupable à l’infraction suivante[1] :

 

À Repentigny, district de Joliette et ailleurs au Québec, entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 1999, a participé à l’énonciation de déclarations fausses ou trompeuses dans des déclarations produites ou faites en vertu de l’article 238 de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. [1985] ch. E-15 et modifications), par ou au nom des personnes ou sociétés suivantes, à savoir : Stabo Inc., Les Constructions Dany Lachance Inc., Système Intérieur S. Lafleur Inc., 2942429 Canada Inc., Rénovation Allens Michel Inc., Système Intérieur Lebeau Inc. Acoustique B & A Inc., Quapaz Inc., Construction Alban Perreault Inc., Construction Patry Inc., 9053-3340 Québec Inc., Gypse & Joints M P G Rive-Nord Inc., Gaétan Lepage, R. Tavano Enr., Acoustique DRT inc., Système Intérieur A. Lagueux Inc., Finition Intérieure Rojean S.E.N.C., Entreprise Générale Gestram Ltée, pour les périodes de déclaration comprises entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 1999 inclusivement, en fournissant de fausses factures établies au nom de 9024-4450 Québec Inc., 3323293 Canada Inc., Construction B.V. Champlain Inc. et 9054‑5419 Québec Inc., qui ont servi à ces personnes ou sociétés à réclamer de faux crédits de taxe sur les intrants au montant de 223 922,81 $, et ainsi tenter d’éluder la taxe ou la taxe nette ou chercher à obtenir un remboursement au même montant, commettant ainsi une infraction à l’article 327(1)a) de cette loi et encourant, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la peine prévue à l’article 327(1)f) ou 327(1)g) de cette loi.

 

 

Témoignage de monsieur Tremblay

 

[10]    Enfin, je souligne que monsieur Tremblay, l’enquêteur qui a levé le voile sur le stratagème mis en place par monsieur Dubois, a témoigné que son enquête avait débouché non seulement sur le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois aux infractions mentionnées précédemment, mais aussi sur les plaidoyers de culpabilité de messieurs Yves Beauchamp et Stéphane Thuot à des infractions semblables. Monsieur Tremblay a expliqué que monsieur Dubois avait notamment fourni de fausses factures, établies au nom de Construction B. V. Champlain Inc., d’Acoustique B. V. et de Construction J.  L. Green, qui avaient servi à l’appelante à demander de faux crédits de taxe sur les intrants. Monsieur Tremblay a expliqué que monsieur Dubois avait constitué ces sociétés, avait fait imprimer des factures, et avait utilisé des prête-nom (notamment Nathalie Dubois, Bernard Vinet et Marcel Benoît) pour agir en tant qu’administrateur de ces sociétés, pour encaisser les chèques de l’appelante en paiement de ces fausses factures et pour remettre à cette dernière les sommes ainsi encaissées (moins une commission de 10 %), sommes qui auraient servi à payer au noir les employés de l’appelante.

 

Témoignage de monsieur Champagne

 

[11]    Monsieur Champagne a en quelque sorte corroboré le témoignage de monsieur Ouimette à l’égard de son rôle dans l’entreprise de l’appelante pendant la période pertinente en précisant qu’il avait rempli les factures vierges des sociétés Construction B. V. Champlain Inc. et J. L. Green en leur nom. Il a expliqué qu’il n’avait pas rencontré les dirigeants de ces sociétés mais qu’il avait côtoyé les employés de ces dernières sur les différents chantiers de l’appelante. Il a ajouté qu’il avait été rémunéré uniquement par l’appelante pendant la période pertinente. Enfin, il a expliqué qu’il ne connaissait pas la raison pour laquelle la somme due à ces sous-traitants avait fait l'objet d'une retenue de 10 %.

 

Position de l’appelante

 

[12]    L’appelante a soutenu que l'essentiel de la preuve de l’intimée, à l’effet que les factures concernées étaient fictives, était basé sur le profil de ces sous‑traitants et sur le fait que les factures de ces derniers avaient été remplies par des employés de l’appelante. L’appelante a affirmé que le ministre n’avait d’aucune façon démontré qu’elle avait été de collusion avec ces sous-traitants et que la taxe versée par l'appelante à ces derniers avait servi à payer ses employés au noir. À l’égard de factures remplies par les employés de l’appelante, cette dernière a prétendu qu’elle avait eu le mandat de ces sous‑traitants de les produire en leur nom et qu’ainsi le ministre ne pouvait déduire de ce fait que les factures étaient fictives. L’appelante a ajouté qu’elle s’était toujours assurée que les sous-traitants possédaient un numéro d’inscription aux fins de la TPS et que c’était tout ce qu’elle pouvait faire, car toute information concernant le versement de la taxe par le fournisseur de service est une information confidentielle qui ne peut être divulguée à l’appelante. L’appelante a prétendu qu’elle n’avait aucun moyen de savoir qu’elle faisait affaires avec des entreprises délinquantes. Selon l'appelante, c'est le comportement de ces entreprises qui contrevenait à la LTA. L’appelante a ajouté que ce n’est pas à elle de supporter le fardeau économique du défaut de ces sous-traitants de verser à sa Majesté la taxe que l'appelante leur avait versée. Enfin, l’appelante a prétendu que les factures, les chèques émis par elle en paiement de ces factures et le témoignage crédible de monsieur Pierre Ouimette (corroboré par le témoignage de monsieur Champagne) à l’effet que les services avaient été réellement rendus à l’appelante par ces sous‑traitants, constituaient une preuve prima facie que ces factures n’étaient pas des factures fictives et que cette preuve prima facie était suffisante pour démolir les présomptions de faits sur lesquelles le ministre s’était appuyé pour la cotiser. L’appelante a expliqué qu’une fois les présomptions de fait du ministre démolies, le fardeau de la preuve passait au ministre qui doit alors réfuter cette preuve prima facie faite par l’appelante.

 

Analyse et conclusion

 

[13]    Je rappelle que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités. Je rappelle aussi qu’en établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions et que la charge initiale de démolir les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable. Le fardeau initial de ce contribuable consiste seulement à démolir les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus. L’appelante s’acquitte de cette charge initiale de démolir l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie. Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire. Lorsque l’appelante a démoli les présomptions du ministre, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie. Je souligne aussi que les lois de la preuve en vigueur dans la province de Québec s’appliquent au présent litige. En l’espèce, les dispositions suivantes du Code civil du Québec (C.c.Q.) s’appliquent :

 

2826 : L'acte sous seing privé est celui qui constate un acte juridique et qui porte la signature des parties; il n'est soumis à aucune autre formalité.

 

2828 : Celui qui invoque un acte sous seing privé doit en faire la preuve.

 

2831 : L'écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours des activités d'une entreprise pour constater un acte juridique, fait preuve de son contenu.

 

2835 : Celui qui invoque un écrit non signé doit prouver que cet écrit émane de celui qu'il prétend en être l'auteur.

 

2836 : Les écrits visés par la présente section peuvent être contredits par tous moyens.

 

 

[14]    La question qui se pose est maintenant la suivante : est-ce que la preuve présentée par l’appelante en l’espèce constitue une preuve suffisante pour démolir les présomptions de fait du ministre?

 

[15]    L’appelante devait, en l’espèce, démontrer que les factures provenaient des sous-traitants. Pour ce faire, l’appelante devait démontrer qu’elle avait eu le mandat de ces sous-traitants de remplir en leur nom les factures vierges que les dirigeants de ces sous-traitants avaient remis à l’appelante. L’appelante avait la possibilité de faire témoigner à cet égard les dirigeants de ces sous-traitants. Ces dirigeants auraient pu témoigner qu’ils avaient donné un tel mandat à l’appelante et que les services avaient été réellement rendus à cette dernière. L’intimée aurait alors pu contre-interroger ces témoins que l’appelante était en mesure de produire. L’appelante n’a pas produit les témoins qu’elle était en mesure de faire témoigner. J’en infère tout simplement que cette preuve aurait été défavorable à l’appelante. À cet égard, l’appelante a voulu produire des lettres des dirigeants de ces sous-traitants à l’effet que les services avaient été réellement rendus. Je souligne que je n’ai pas autorisé à l’appelante à déposer en preuve ces lettres compte tenu que l’intimée n’était pas en mesure de contre-interroger ces dirigeants. Ces lettres n’avaient, à mon avis, aucune valeur probante dans les circonstances. Monsieur Ouimette a fait valoir que trois de ces dirigeants, étant décédés, n'auraient pu témoigner. Il n’en demeure pas moins qu’il aurait pu faire témoigner les autres dirigeants qui n’étaient pas décédés. Il ne l’a pas fait.

 

[16]    Je souligne aussi que la preuve de l’appelante pouvait aussi être contredite par tous les moyens. À cet égard, l’intimée a fait témoigner monsieur Tremblay et a déposé en preuve sous la cote I‑3 le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois et a aussi déposé en preuve sous la cote I‑2 la déclaration de monsieur Ouimette.

 

[17]    À l'égard de Construction B.V. Champlain Inc., je rappelle que l'intimée :

 

          (i)      a produit sous la cote I‑3 le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois à l’effet qu’il avait participé à l’énonciation de déclarations fausses et trompeuses dans des déclarations produites ou faites en vertu de l’article 238 de la LTA par ou au nom de l’appelante, pour les périodes de déclaration commençant le 1er janvier 1996 et se terminant le 31 décembre 1999, en fournissant de fausses factures établies au nom de Construction B. V. Champlain Inc., qui ont servi à l'appelante à demander de faux CTI;

 

          (ii)      a produit sous la cote I‑2 la déclaration de monsieur Ouimette à l’effet que les factures vierges de ce sous-traitant avaient été fournies à l’appelante par monsieur Dubois. Je rappelle à cet égard le témoignage de monsieur Ouimette à l’effet que les factures vierges de ce sous‑traitant avaient été remplies par monsieur Champagne, un employé de l’appelante. Je rappelle aussi à cet égard le témoignage de monsieur Champagne à l’effet qu’il avait rempli les factures de ce sous-traitant;

 

(iii)     a fait témoigner monsieur Tremblay. Je rappelle que son témoignage était à l’effet que monsieur Vinet, (l’administrateur de ce sous-traitant qui avait encaissé les chèques de l’appelante liés à ces factures dans un comptoir « check express »), était un prête-nom de monsieur Dubois.

 

[18]    À l’égard de Construction J.L. Green, je rappelle que l'intimée :

 

(i)      a produit sous la cote I‑3 le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois, à l’effet qu’il avait participé à l’énonciation de déclarations fausses et trompeuses dans des déclarations produites ou faites en vertu de l’article 238 de la LTA pour et au nom de l’appelante, pour les périodes de déclaration commençant le 1er janvier 1996 et se terminant le 31 décembre 1999, en fournissant de fausses factures établies au nom de J. L. Green, qui ont servi à l'appelante à demander de faux CTI;

 

(ii)      a produit sous la cote I‑2 la déclaration de monsieur Ouimette à l’effet que les factures vierges de ce sous-traitant avaient été fournies à l’appelante par monsieur Dubois. Je rappelle à cet égard le témoignage de monsieur Ouimette à l'effet que les factures vierges de ce sous‑traitant avaient été remplies par monsieur Champagne, un employé de l'appelante. Je rappelle aussi le témoignage de monsieur Champagne à l'effet qu'il avait rempli les factures vierges de ce sous-traitant;

 

(iii)     a fait témoigner monsieur Tremblay. Je rappelle son témoignage à l’effet que monsieur Michel Benoît, (l’administrateur du sous-traitant qui avait encaissé les chèques de l’appelante liés à ces factures, dans un comptoir check express, moyennant des frais de 3 %), était un prête‑nom de monsieur Dubois.

 

[19]    À l’égard d' Acoustique B. V., je rappelle que l'intimée :

 

(i)      a produit sous la cote I-3 le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois à l’effet qu’il avait participé à l’énonciation de déclarations fausses et trompeuses dans les déclarations produites ou faites en vertu de l’article 238 de la LTA pour et au nom de l’appelante, pour les périodes de déclaration commençant le 1er janvier 1996 et se terminant le 31 décembre 1999, en fournissant de fausses factures établies au nom d' Acoustique B. V., qui ont servi à l'appelante à demander de faux CTI. Je rappelle le témoignage de monsieur Champagne à l’effet qu’il avait rempli les factures vierges de ce sous-traitant;

 

          (ii)      a fait témoigner monsieur Tremblay. Je rappelle son témoignage à l’effet que monsieur Bernard Vinet, l’administrateur qui avait encaissé les chèques de l’appelante liés à ces factures dans un comptoir check express (moyennant des frais de 3 %), était un prête‑nom de monsieur Dubois.

 

[20]    À l’égard du sous-traitant Acoustique B & A, l'intimée a fait témoigner monsieur Tremblay. Monsieur Tremblay a témoigné qu'Yves Beauchamp, le seul administrateur de ce sous-traitant, était un prête‑nom de monsieur Dubois et qu’il avait plaidé coupable à une infraction semblable à celle qui est énoncée dans le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois. Je rappelle que la preuve a révélé à cet égard que monsieur Beauchamp était la personne qui avait encaissé les chèques de l'appelante liés aux factures de ce sous‑traitant dans un comptoir « check‑express » moyennant des frais de 3 %. Je rappelle aussi la déclaration de monsieur Ouimette à l'effet que les factures vierges de ce sous‑traitant avaient été remplies dans un fort pourcentage par des employés de l'appelante.

 

[21]    À l’égard du sous-traitant Construction Stéphane Thuot, l'intimée a fait témoigner monsieur Tremblay. Celui-ci a témoigné que monsieur Stéphane Thuot, le seul administrateur de ce sous‑traitant, était aussi un prête‑nom de monsieur Dubois et qu’il avait plaidé coupable à une infraction semblable à celle énoncée dans le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois. Je rappelle à cet égard la déclaration de monsieur Ouimette à l’effet que les factures vierges de ce sous-traitant avaient été fournies à l’appelante par monsieur Stéphane Thuot. Je rappelle enfin que la preuve a révélé que les chèques certifiés de l’appelante en paiement des factures de ce sous-traitant avaient été déposés dans le compte bancaire de ce dernier et que des sommes correspondantes avaient immédiatement été retirées en espèces de ce compte bancaire.

 

[22]    À mon avis, le ministre a démontré par le témoignage crédible de monsieur Tremblay, par le plaidoyer de culpabilité de monsieur Dubois déposé sous la cote I‑3, et par la déclaration de monsieur Ouimette déposée sous la cote‑I‑2, que les factures des sous-traitants problématiques étaient fictives. J’ajouterai que le fait que l’appelante n’a jamais remis à ces sous‑traitants le 10 % de retenue (pour garantir l'exécution des travaux effectués) n’a fait qu’ajouter à ma conviction que ces factures étaient fictives.

 

[23]    Enfin, je souligne que les factures qui se trouvent aux pages 56, 58, 55, 57, 59, 382, 384, 383, 60, 496, 498, 499, 500, 501, 502, 503, 374, 377, 378, 504, 505, 495 et 494 de la pièce I‑1 ne sont pas conformes à l’article 169 de la LTA et du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de CTI en ce qu’elles n’indiquent pas le numéro d’inscription requis aux fins de la TPS. Par conséquent, l'appelante ne peut demander les CTI liés à ces factures.

 

[24]    Compte tenu de ma conclusion précédente, à l’effet que les factures visées par le présent litige étaient fictives, je conclus que le ministre était en droit de refuser à l’appelante le CTI demandé. Compte tenu que le ministre a démontré très clairement que monsieur Ouimette avait participé avec monsieur Dubois et d’autres personnes de même acabit à des opérations fictives, je n’ai d’autre choix que de conclure que le ministre était en droit d’imposer la pénalité en vertu de l’article 285 de la LTA.

 

[25]    Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI12

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2002-1311(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GYPSE ET JOINTS MPG RIVE-NORD ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               les 6 et 7 novembre 2006,

                                                          le 28 février 2007 et

                                                          le 25 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 8 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Steve Robitaille

 

Avocat de l'intimée :

Me Denis Émond

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Steve Robitaille

                    Ville :                             Lavalterie (Québec)

 

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]  Vg pièce I‑3.

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