ENTRE :
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
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Appel entendu les 29 et 30 octobre 2007, à Toronto (Ontario).
Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller
Comparutions :
Avocate de l’intimée : |
Me Jenny Mboutsiadis |
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JUGEMENT
L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est rejeté, les dépens étant adjugés à l’intimée.
Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour de janvier 2008.
ce 19e jour de février 2008.
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
ENTRE :
ROBERT GLEGG INVESTMENT INC.,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Robert Glegg Investment Inc. interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l’égard de son année d’imposition 1999 pour le motif que le ministre a inclus, d’une façon erronée, le plein prix d’achat de 54 millions de dollars dans le produit de la disposition de neuf millions d’actions de Glegg Industries Inc. en faveur de General Electric Canada Inc. L’appelante soutient qu’une très grande partie de ce montant était à juste titre attribuable à une entente de non‑concurrence conclue par M. Robert Glegg lors de la conclusion de la vente des actions et que le produit de la disposition de la vente des actions devrait donc être réduit en conséquence. Si je suis d’accord avec l’appelante, je dois déterminer la valeur de l’entente de non‑concurrence.
Les faits
[2] M. Glegg détenait la totalité des actions de l’appelante, qui de son côté détenait neuf millions d’actions dans Glegg Industries. M. Glegg détenait également 200 actions directement dans Glegg Industries par suite d’une opération de peu d’importance qui n’a rien à voir avec la présente affaire. M. Glegg a indiqué qu’il estimait que sa société de portefeuille et lui‑même ne formaient qu’une seule personne. Glegg Industries, fondée par M. Glegg en 1978, s’occupait d’épuration des eaux. En sa qualité de président du conseil d’administration, de directeur général et de président de la société, M. Glegg a fait de cette société une organisation mondiale comptant 400 employés et une myriade de clients reconnus. Glegg Industries est devenue un chef de file mondial dans la fourniture de systèmes de distribution d’eau à l’industrie des semiconducteurs.
[3] En 1997, General Electric a communiqué avec M. Glegg pour l’informer que l’acquisition de Glegg Industries l’intéressait. À l’époque, M. Glegg n’a pas donné suite à l’affaire, mais General Electric a de nouveau communiqué avec lui au début de l’année 1999 et, à ce moment‑là, M. Glegg était prêt à entamer des négociations. Il s’est entouré d’une équipe de conseillers professionnels, notamment le cabinet d’avocats Stikeman Elliott, le cabinet comptable Arthur Andersen et la Deutsche Bank. Les négociations ont duré plusieurs mois. Le 7 septembre 1999, General Electric a envoyé à M. Glegg une lettre indiquant que les deux parties [traduction] « [avaient] entamé des négociations en vue d’arriver à un accord définitif au sujet de l’acquisition indirecte de Glegg Industries par General Electric à peu près aux conditions énoncées à l’annexe A », qui était une feuille comportant entre autres les dispositions suivantes :
Prix |
À fixer par les parties, mais excédant 15 millions de dollars américains (sous réserve d’un rajustement basé sur le bilan à la date de conclusion)
|
Conditions relatives à la conclusion de la première opération |
· Exactitude des représentations et des garanties · Remise d’au moins 80 p. 100 des actions · Entente de non‑concurrence et de consultation de la part de Robert Glegg |
[4] La conclusion de l’opération devait se faire en deux étapes, la première étape étant la conclusion de la vente d’au moins 80 p. 100 des actions de Glegg Industries, qui étaient détenues par un faible nombre d’actionnaires, et principalement par l’appelante, qui en détenait environ 50 p. 100. Puis, un mois plus tard, les nombreux employés qui étaient des actionnaires (soit environ 150 employés) devaient vendre leurs actions. Avant la conclusion de cette opération, l’appelante détenait plus de 50 p. 100 des actions de Glegg Industries, mais afin d’assurer aux actionnaires employés toutes les actions auxquelles ceux‑ci avaient droit, toutes les actions faisant l’objet des options d’achat détenues par les actionnaires employés ont été transférées à ces derniers juste avant la vente, de sorte que la participation de l’appelante était ramenée à un peu moins de 50 p. 100. M. Glegg avait une procuration à l’égard de la participation d’un autre actionnaire, d’à peu près 7 p. 100, de sorte qu’il conservait effectivement le contrôle pour ce qui est du droit de vote.
[5] M. Glegg a pu assurer General Electric qu’il pouvait remettre la totalité des actions de Glegg Industries, parce que chaque actionnaire avait antérieurement conclu une convention d’actionnaire qui prévoyait un « droit de vente forcée » :
[traduction]
Article 2.02. Vente par Robert – Si Robert ou une société contrôlée par celui‑ci reçoit une offre véritable d’un tiers sans lien de dépendance (« le tiers ») pour l’achat de la totalité ou presque des actions ordinaires de la société possédée ou contrôlée par celui‑ci, offre que Robert a l’intention d’accepter, Robert ne vendra pas et ne transférera pas ces actions ordinaires au tiers ou ne disposera pas de quelque autre façon de ces actions en faveur du tiers tant qu’il n’aura pas obtenu une offre du tiers en vue de l’achat de toutes les actions (l’« offre ») aux mêmes conditions que celles qui figurent dans l’offre faite par le tiers à Robert.
Sur réception de l’offre, Robert remettra un avis écrit à l’actionnaire (l’« avis de vente ») énonçant les conditions de l’offre et indiquant le nom du tiers.
L’actionnaire disposera d’un délai de sept jours à compter de la réception de l’avis de vente pour demander à Robert d’accepter l’offre en son nom, à défaut de quoi l’actionnaire désignera d’une façon irrévocable Robert à titre de fondé de pouvoir :
a) pour accepter l’offre en son nom;
b) pour prendre les mesures et pour signer les actes que Robert jugera nécessaires aux fins de la conclusion de l’achat et de la vente des actions conformément à l’offre.
[6] L’effet de cette disposition est double : en premier lieu, elle garantissait aux actionnaires qu’ils bénéficieraient des mêmes conditions que M. Glegg; en second lieu, elle contraignait les actionnaires à vendre à ces conditions, en autorisant M. Glegg à les inclure dans l’accord. M. Glegg tenait absolument à ce que les actionnaires reçoivent la même chose que lui dans le cadre d’une vente, et ce, peu importe que le montant qu’il recevait soit attribué aux actions, à l’entente de non‑concurrence ou à l’entente de consultation. M. Glegg a dit que le marché qu’il avait conclu comportait trois volets : il vendait les actions, il signait une entente de non‑concurrence avec General Electric et il fournissait également des services d’expert‑conseil pour une période déterminée. Toutes ces conditions étaient incorporées dans l’accord final, un document de 68 pages intitulé [traduction] « Offre d’achat », qui contenait les dispositions suivantes :
[traduction]
Article 2.1 Offre et date limite
L’acquéreur offre par les présentes d’acheter toutes les actions aux conditions ci‑après énoncées. L’offre devra être acceptée au plus tard le 8 novembre 1999, à 10 h (heure de Toronto) (la « date limite d’acceptation »).
[...]
Article 2.3 Achat et vente
Le prix d’achat total (le « prix d’achat ») sera de 110 175 000 $, sous réserve des rajustements prévus au paragraphe 2.5(5). Chacun des vendeurs, en acceptant la présente offre, s’engage par les présentes à vendre à l’acquéreur les actions mentionnées à l’annexe A, à côté du nom de ce vendeur, et l’acquéreur s’engage par les présentes à acheter ces actions de chacun des vendeurs à un prix d’achat total par action égal au prix d’achat divisé par le nombre total d’actions en circulation à la date de conclusion de la première opération (le « prix d’achat des actions ») aux conditions ici prévues.
[...]
Article 6.1 Conditions de la conclusion de l’opération
(1) Conditions à remplir au profit de l’acquéreur à la date de conclusion de la première opération. L’achat et la vente des actions qui seront achetées à la date de conclusion de la première opération sont assujettis aux conditions suivantes, à remplir au plus tard à la date de la conclusion de l’opération, ces conditions étant fixées au profit exclusif de l’acquéreur et pouvant faire l’objet d’une renonciation, en totalité ou en partie, à la seule discrétion de l’acquéreur.
[...]
b) Remise à la date de conclusion de la première opération. À la date de conclusion de la première opération, les vendeurs participant à la conclusion de l’opération remettront ou feront en sorte que soient remis à l’acquéreur les documents suivants, dont la forme et le fond doivent convenir à l’acquéreur agissant raisonnablement :
(i) les certificats d’actions représentant au moins 80 p. 100 des actions (ce qui comprendra toutes les actions des principaux vendeurs) dûment endossés en blanc aux fins du transfert, ou accompagnés de procurations irrévocables concernant le transfert de titres, dûment signés en blanc, dans un cas comme dans l’autre, par les titulaires inscrits;
[...]
(v) les ententes de non‑concurrence dûment signées par Robert, par Mark Huehnergard et par Lorne Iverson aux conditions dont ceux‑ci auront convenu avec l’acquéreur à la date des présentes;
(vi) une entente de consultation concernant la période de transition, dûment signée par Robert, aux conditions dont celui‑ci aura convenu avec l’acquéreur à la date des présentes;
[7] L’entente de non‑concurrence conclue entre M. Glegg, General Electric et Glegg Industries prévoyait notamment ce qui suit :
[traduction]
ATTENDU que Robert a aujourd’hui accepté l’offre à l’égard de toutes les actions de la société qu’il détient ou qu’il contrôle, directement ou indirectement, (« ses actions » ou « les actions de Robert »), lesquelles représentent dans l’ensemble environ 49,66 p. 100 des actions émises et en circulation de la société;
[...]
ATTENDU que Robert recevra une contrepartie importante de l’acquéreur, lorsque la vente de ses actions en faveur de l’acquéreur sera conclue aujourd’hui conformément à l’offre;
ATTENDU que Robert, reconnaissant la nécessité pour l’acquéreur de protéger ses intérêts commerciaux légitimes ainsi que la valeur et la survaleur de l’entreprise, et en vue d’inciter l’acquéreur à soumettre l’offre, s’est engagé à conclure la présente entente;
[...]
À CES CAUSES, LA PRÉSENTE ENTENTE atteste qu’en échange de la conclusion l’opération consistant en l’achat et en la vente des actions de Robert conformément à l’offre, ainsi que des engagements et ententes énoncés dans les présentes et de toute autre contrepartie de valeur donnée par chacune des parties aux autres parties (dont la réception et la suffisance sont par les présentes reconnues par chacune des parties), les parties conviennent de ce qui suit :
[...]
[8] L’entente de non‑concurrence comportait ensuite une restriction détaillée empêchant M. Glegg de s’occuper de toute activité d’épuration des eaux, cette expression étant définie d’une façon fort générale, partout au monde pour une période de dix ans. M. Glegg a clairement fait savoir que cette partie de l’opération était absolument cruciale pour General Electric, et que l’accord n’aurait pas été conclu à ce prix en l’absence de l’entente de non‑concurrence. Personne n’a témoigné pour le compte de General Electric.
[9] L’avocat de M. Glegg, Me Barrett, a expliqué qu’aucune contrepartie n’était attribuée à l’entente de non‑concurrence, étant donné la politique administrative de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), telle qu’elle existait à ce moment‑là, au sujet des modalités de traitement de pareils paiements. L’avocat m’a donné l’impression que cet aspect de l’opération n’avait tout simplement pas été examiné, étant donné que le traitement aux fins de l’impôt était clair. Il n’était donc même pas nécessaire d’examiner l’opportunité d’attribuer une valeur quelconque à l’entente de non‑concurrence. Le témoignage de Me Barrett sur ce point différait quelque peu de celui de M. Glegg. En effet, M. Glegg avait témoigné que ses conseillers professionnels avaient envisagé la possibilité d’effectuer une telle attribution, mais que l’ARC leur avait donné des instructions contraires. J’ai cru comprendre, selon le témoignage de M. Glegg, que les « instructions » en question figuraient dans un bulletin d’interprétation énonçant la façon dont l’ARC traitait les paiements effectués dans le cadre d’une entente de non‑concurrence faisant partie intégrante d’une vente d’actions.
[10] Selon l’entente de consultation, M. Glegg était tenu de fournir, jusqu’au 5 mai 2000, des services d’expert‑conseil sans toucher d’honoraires. Comme l’avocat de M. Glegg, Me Barrett, l’a expliqué, il n’était pas avantageux sur le plan fiscal d’attribuer une contrepartie quelconque à l’entente de consultation. M. Glegg a de fait fourni ses services d’expert‑conseil avec diligence pendant toute la période prévue.
[11] L’offre d’achat, l’entente de non‑concurrence et l’entente de consultation ont toutes été signées le 15 octobre 1999. Toutefois les conditions applicables à la conclusion de l’opération ont été remplies et l’accord, en ce qui concerne 80 p. 100 des actions, a été conclu le 15 octobre, les employés qui détenaient des actions ayant remis le reste des actions un mois plus tard. L’appelante a reçu environ 54 millions de dollars lors de la vente.
[12] M. Glegg a maintenu que le marché était structuré de façon qu’aucun montant ne soit attribué à l’entente de non‑concurrence à cause des conseils erronés donnés par l’ARC.
[13] Dans la décision Fortino v. R.[1], rendue au mois de novembre 1996, la Cour a conclu que les paiements reçus en vertu d’ententes de non‑concurrence n’étaient pas imposables. Après que les actions eurent été vendues, la Cour d’appel fédérale est arrivée à une décision similaire.
Points litigieux
[14] Il s’agit de savoir si un montant représentant la juste valeur marchande de l’entente de non‑concurrence signée par M. Glegg devrait, de quelque façon que ce soit, être porté en réduction du produit de la disposition des actions que l’appelante détenait dans Glegg Industries aux fins de la détermination du gain en capital réalisé par l’appelante lors de la disposition des actions.
Position de l’appelante
[15] L’appelante soutient que l’issue de l’affaire dépend en réalité d’une conclusion de fait : je devrais conclure qu’une partie de l’argent que l’appelante a reçu était attribuable à l’entente de non‑concurrence conclue signée M. Glegg. Me Fitzsimmons a fondé cet argument sur la conclusion selon laquelle l’appelante était partie à l’entente de non‑concurrence. Selon lui, les actions, l’entente de non‑concurrence et l’entente de consultation faisaient partie d’un accord global, assortié d’un prix de 110 millions de dollars. L’appelante souligne que la signature de l’entente de non‑concurrence était une condition prévue à l’étape de la lettre d’intention et dans l’accord final, et qu’elle faisait donc partie intégrante du marché. Si je conclus qu’une partie des 110 millions de dollars constituait de fait une contrepartie afférente à l’entente de non‑concurrence, cette contrepartie, selon l’arrêt Manrell v. R.[2], ne constitue pas un produit de disposition d’un bien et n’est donc pas imposable.
[16] L’appelante invoque également un argument fondé sur l’article 68 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), qui divise le produit entre le produit de disposition d’un bien et une contrepartie pour des services particuliers. L’appelante fait valoir qu’étant donné qu’il est raisonnable de considérer qu’une partie de la contrepartie se rapporte à la prestation de services d’expert‑conseil, l’article 68 entre en jeu. Cela étant, cette disposition s’applique de façon à rattacher au produit de la disposition des actions uniquement le montant qui se rattache raisonnablement aux actions, ce qui ne comprendrait pas la valeur attribuable à l’entente de non‑concurrence. Enfin, l’appelante soutient qu’elle a commis une erreur de droit en incluant toute la contrepartie qu’elle a reçue dans le calcul du produit de la disposition des actions. L’appelante a donc le droit de corriger son erreur, et le ministre qui, à maintes reprises, a publié une opinion erronée au sujet de l’imposition des paiements effectués à l’égard d’une entente de non‑concurrence, ne peut pas contester la demande que l’appelante fait maintenant en vue de faire modifier son obligation fiscale.
Position de l’intimée
[17] Selon la position prise par l’intimée, les documents se passent de commentaires : il n’est fait mention ni dans la lettre d’intention ni dans l’accord final d’un paiement se rapportant à l’entente de non‑concurrence. Les actions ont été achetées sous réserve de l’exécution d’une condition, à savoir la signature de l’entente de non‑concurrence. De même, l’entente de non‑concurrence elle‑même ne mentionne pas que M. Glegg doit recevoir une contrepartie pour s’abstenir de faire concurrence au moment de la vente d’actions. Selon l’accord, les actions devaient être vendues au prix de 110 millions de dollars. En outre, c’est M. Glegg qui a signé l’entente de non‑concurrence, et non l’appelante, qui est une entité distincte. Comment l’appelante peut‑elle maintenant affirmer avoir reçu un paiement en contrepartie de l’entente de non‑concurrence? Ce n’était pas ce sur quoi les parties s’étaient entendues.
[18] Le marché a été structuré de façon que tous les actionnaires bénéficient des mêmes conditions; en effet, M. Glegg ne pouvait obtenir rien de plus pour une entente de non‑concurrence.
[19] Enfin, l’intimée soutient que l’article 68 n’a rien à voir avec la présente affaire, étant donné qu’il y a uniquement eu disposition de biens, à savoir les actions, et non prestation de services. L’intimée a avancé cet argument compte tenu du fait que c’est l’entente de non‑concurrence en question, plutôt que l’entente de consultation, qui est en cause, et qu’étant donné que l’entente de non‑concurrence ne vise pas la prestation de services, l’article 68 ne peut pas s’appliquer afin de faire en sorte qu’une attribution raisonnable doive être effectuée à l’égard de l’entente de non‑concurrence.
Analyse
[20] J’examinerai d’abord la question de savoir quelle était exactement l’entente conclue entre les parties. La distinction entre la position prise par Me Mboutsiadis et celle de Me Fitzsimmons est la suivante : Me Mboutsiadis décrit l’accord comme étant la vente d’actions au prix de 110 millions de dollars – c’est ce que disent les documents en des termes non ambigus. Me Fitzsimmons décrit l’accord comme un [traduction] « accord global » : General Electric acquérait des actions, une entente de non‑concurrence et les services d’expert‑conseil de M. Glegg, le tout au prix de 110 millions de dollars. Dans les ententes, les parties ont attribué la totalité de la contrepartie aux actions à cause des opinions publiées par l’ARC au sujet des modalités de traitement de ces éléments sur le plan fiscal. Avec égards, il m’est difficile de retenir la position prise par l’appelante sur ce point. Premièrement, Me Barrett a reconnu que les parties n’ont attribué aucune contrepartie à l’entente de consultation, et ce, intentionnellement, étant donné qu’il n’aurait pas été avantageux pour elles, sur le plan fiscal, de le faire. Soutenir maintenant que l’accord devrait être interprété de façon qu’une contrepartie soit associée à l’entente de consultation, ainsi qu’à l’entente de non‑concurrence, (comme Me Fitzsimmons l’a reconnu lors de l’argumentation) crée, selon moi, le chaos dans l’interprétation des contrats. Dans quelles circonstances un tribunal doit‑il croire ce que dit un accord écrit, et dans quelles circonstances doit‑il examiner plus à fond toutes les circonstances entourant cet accord écrit en vue de déterminer s’il veut bien dire ce qu’il dit? Lorsque les termes d’un accord sont aussi clairs que ceux en l’espèce, il n’appartient pas à la Cour de chercher une interprétation en dehors des limites de l’accord.
[21] Deuxièmement, même si je devais tenir compte d’autres circonstances, quelles sont ces circonstances? Selon M. Glegg, l’entente de non‑concurrence faisait partie intégrante de l’accord. En l’absence d’une entente de non‑concurrence, l’accord n’aurait pas été conclu à ce prix. Il n’y aurait peut‑être pas eu d’accord si Glegg Industries n’avait pas également obtenu des contrats importants. De plus, il n’y aurait peut‑être pas eu d’accord à ce prix si les actifs sous‑jacents étaient en mauvais état ou si certains employés quittaient la société en même temps. Il s’agit là de facteurs qui influent sur la valeur de la société. À vrai dire, l’entente de non‑concurrence n’est pas un actif imposable, mais elle influe clairement sur la valeur de l’entreprise. C’est selon moi ce que montre clairement l’article 2.5 de l’entente de non‑concurrence.
[traduction]
Article 2.5 Caractère raisonnable des obligations
(1) Robert reconnaît que l’acquéreur achète ses actions afin d’obtenir la survaleur de l’entreprise et confirme que les obligations énoncées aux articles 2.01, 2.02, 2.03, 2.06 et 2.07 sont équitables, raisonnables et appropriées dans le contexte d’un tel achat et il renonce par les présentes à tous les moyens de défense opposables à leur exécution stricte, étant donné, entre autres, qu’il est le fondateur de l’entreprise ainsi que le principal actionnaire et président de la société;
(2) Robert confirme en outre que l’étendue de chacun des engagements énoncés aux articles 2.01, 2.02, 2.03, 2.06 et 2.07 est à tous les égards, et en particulier en ce qui concerne la région géographique, la durée et l’objet, nécessaire, raisonnable et appropriée, étant donné que l’entreprise commercialise ses produits et services à l’échelle internationale;
(3) Les parties reconnaissent également que les obligations prévues dans la présente entente n’empêcheront pas Robert, pendant la durée de l’entente, d’appliquer ses connaissances et son expérience professionnelles générales dans la poursuite de possibilités d’affaires ou de possibilités d’emploi autrement qu’en concurrence avec l’entreprise et n’empêcheront pas Robert de se prévaloir des possibilités d’affaires ou des possibilités d’emploi dans quelque domaine que ce soit à l’expiration de la durée de l’entente.
[22] L’autre circonstance sur laquelle l’appelante s’est fondée était le fait que les publications ou « instructions » de l’ARC concernant le traitement fiscal des ententes de non‑concurrence ont amené ses conseillers à ne pas attribuer de contrepartie à l’entente de non‑concurrence. Je ferai deux remarques sur ce point. En premier lieu, M. Glegg avait fait appel à des conseillers reconnus à l’échelle nationale et internationale, lesquels lui ont conseillé d’attribuer la totalité de la contrepartie aux actions. Me Barrett a soutenu que rien d’autre n’était envisagé. Or, la Cour venait de rendre sa décision dans l’affaire Fortino. On n’a pas réussi à me convaincre que c’était le fisc qui menait le jeu. Il s’agissait d’un achat d’actions.
[23] De plus, en réalité, sur le plan commercial, M. Glegg ne voulait absolument pas recevoir, par suite de la disposition de l’entreprise, quoi que ce soit de plus que les autres actionnaires. Il s’agissait d’un facteur déterminant lorsqu’il s’est agi de structurer l’accord. Les conventions d’actionnaires exigeaient l’égalité de traitement : de fait, M. Glegg était obligé d’assurer les mêmes conditions à ses associés, et ceux‑ci étaient obligés d’accepter le marché. M. Glegg n’était pas en mesure de dire : [traduction] « Nous allons tous recevoir le même montant par action, mais je vais d’autre part obtenir 15 millions de dollars de plus pour quelque chose que, vous, les autres actionnaires, n’êtes pas en mesure d’offrir. » Il n’était pas prêt à recevoir un dollar de plus que les autres actionnaires, ce qui montre selon moi énormément d’intégrité. Cela pouvait uniquement être fait au moyen d’une vente d’actions, étant donné que tous les actionnaires, sauf trois, n’avaient rien d’autre à offrir.
[24] L’entente de non‑concurrence n’est pas une entente que l’actionnaire minoritaire peut offrir; c’est l’entente de M. Glegg que l’actionnaire minoritaire doit fournir au moment de la conclusion de l’opération; il s’agit d’une condition de la conclusion de l’opération. Si c’est là ce que cela représente pour l’actionnaire minoritaire, comme peut‑il s’agir de quelque chose de plus qu’une condition de la conclusion de l’opération pour tous ceux qui vendent les actions, y compris l’appelante et M. Glegg? C’est ce qu’exige l’accord. Je ne suis pas prêt à lui accorder une plus grande importance.
[25] En outre, le fait que je n’ai entendu aucun témoignage d’un représentant quelconque de General Electric qui aurait confirmé que la vente d’actions était effectivement un accord global comportant trois volets, influe sur mon avis. Cela étant, je n’accepte pas l’argument de l’appelante lorsqu’elle dit que le marché était autre chose que ce qui est clair à son vu – à savoir la vente d’actions, au prix de 110 175 000 $.
[26] Avant de conclure sur ce point et d’examiner l’application de l’article 68, j’aimerais parler des décisions américaines et britanniques que Me Fitzsimmons a citées. Me Fitzsimmons a clairement dit que l’imposition d’ententes de non‑concurrence aux États‑Unis est passablement différente du traitement de ces ententes au Canada. En effet, l’Internal Revenue Code américain exige que ceux qui reçoivent des paiements en échange d’engagements de non‑concurrence incluent les paiements dans leur revenu, et il permet aux payeurs d’amortir ces paiements sur la durée de l’engagement. Lorsque des actions sont vendues et qu’un engagement de non‑concurrence est pris, sans que les parties se soient entendues sur la répartition du prix entre les actions et l’engagement, les tribunaux américains attribuent un montant à l’engagement s’ils sont convaincus qu’il existait un motif d’ordre commercial véritable sous‑tendant l’engagement et qu’il existait une substance économique réelle. Me Fitzsimmons cite les décisions Wilson Athletic Goods Mfg. Co., Inc. v. C.I.R.[3], et Ansan Tool and Manufacturing Company, Inc. v. C.R.R.[4]. Dans l’affaire Wilson, il y avait eu une vente d’actifs composés d’actifs à court terme d’une valeur de 270 000 $, de matériel et d’outillage d’une valeur de 157 000 $, d’un engagement de non‑concurrence d’une valeur de 132 000 $ et de la survaleur, d’une valeur de 10 000 $. Le tribunal fiscal américain avait conclu que les 132 000 $ auraient dû faire partie de la survaleur. La Cour d’appel a annulé cette décision et a attribué les 132 000 $ à l’entente de non‑concurrence. La cour a fait une remarque intéressante :
[traduction] Cependant, en matière fiscale, nous ne sommes pas liés par les termes stricts de l’accord; nous devons examiner les circonstances afin de déterminer la réalité et nous pouvons confirmer ou méconnaître l’effet d’une disposition écrite ou de l’omission d’une disposition, si cela sert mieux l’objet de la loi fiscale. Higgins v. Smith, 308 U.S. 473, page 477, 60 S. Ct. 355, 84 L.Ed. 406. L’incidence de l’imposition dépend de la substance de l’opération. Les conséquences fiscales ne doivent pas être déterminées d’une façon définitive uniquement par les termes techniques employés pour accomplir le transfert du titre légal. Il faut tenir compte de la réalité.
[27] Avec égards, ce n’est tout simplement pas l’état du droit au Canada. Si je fais une comparaison entre cette approche et l’approche suivie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Shell Canada c. R.[5], je conclus qu’il ne serait pas approprié en l’espèce de chercher à nous inspirer des décisions américaines.
[28] L’appelante a également invoqué une décision de la Chambre des lords, Aberdeen Construction Group Ltd. v. Inland Revenue Commissioners[6]. La société Aberdeen avait acquis des actions d’une filiale, Rock Fall Co. Ltd., au prix de 114 000 £ et avait prêté 500 000 £ à sa filiale. L’acquéreur, Westminster, avait offert d’acheter, pour 250 000 £, les actions de Rock Fall détenues par Aberdeen, à condition que celle‑ci renonce au prêt de 500 000 £ consenti à Rock Fall. Lord Wilberforce a dit ce qui suit, dans une décision rendue à trois juges contre deux :
[traduction] L’argument de Revenu selon lequel le montant de 250 000 £ se rapportait uniquement aux actions était en fin de compte fondé, si je comprends bien, sur l’emploi du mot « conditions ». Aux dires de Revenu, le contrat se rapportait aux actions, mais l’entente en vue de l’achat des actions au prix mentionné était assortie de la condition selon laquelle il devait être renoncé au prêt. Il fallait procéder à la renonciation avant la vente et indépendamment de la vente, pour qu’une vente au prix de 250 000 £ puisse avoir lieu. Je ne puis accepter cet argument. Une obligation peut être, ou peut être appelée, une condition, tout en étant une disposition contractuelle. Le fait de qualifier la disposition de condition, bien loin de la rendre non contractuelle, a normalement pour effet d’en faire une disposition contractuelle d’une importance particulière – de sorte qu’en cas d’omission de respecter la condition, l’autre partie peut résilier le contrat. Il est clair qu’il n’avait pas été renoncé au prêt à la date du contrat – en effet, selon le premier paragraphe, le contrat était « à l’heure actuelle de 500 000 £ ».
Il est également clair que, pour que l’obligation de Westminster de payer 250 000 £ prenne effet, les appelantes devaient non seulement transférer les actions, mais aussi renoncer au prêt; il doit donc s’ensuivre que les 250 000 £ ont été versés en échange des deux obligations. Sur ce point, je dois avec égards contredire de l’avis exprimé par les savants juges de la Cour des sessions. Le lord président a conclu que les appelantes avaient procédé à deux dispositions distinctes, mais qu’il y avait uniquement eu une disposition en faveur de Westminster. La société Westminster a conclu un contrat en vue d’acquérir les droits des appelantes à titre d’actionnaires et c’est ce à quoi visait le paiement qu’elle a effectué.
[...]
Mais, selon moi, il ne s’agit pas de savoir s’il y a eu « disposition » de la créance en faveur de Westminster, mais bien de savoir en contrepartie de quoi les 250 000 £ ont été payés, soit une question purement contractuelle.
[29] Cette décision est plus convaincante que les décisions américaines, mais il est possible de faire une distinction à son égard. À coup sûr, Aberdeen possédait les deux immobilisations dont elle a disposé : les actions et la créance. Or, l’appelante ici en cause ne détenait que des actions : il n’y avait rien d’autre dont elle aurait pu disposer. Pour répondre à la question posée par lord Wilberforce, telle qu’elle se rapporte à la vente conclue par l’appelante – en contrepartie de quoi les 54 millions de dollars ont‑ils été versés à l’appelante? Ils ont été versés aux fins de l’acquisition d’actions.
[30] Lord Fraser of Tullybelton, qui souscrivait à l’avis de lord Wilberforce, a fait une distinction entre la condition voulant que l’on doive renoncer au prêt et les autres conditions :
[traduction] À mon avis, cet argument ne s’applique pas aux autres conditions de l’offre. Ces conditions sont tout à fait différentes, quant à leur caractère, de la première condition. Les deuxième et troisième conditions visent toutes deux la conservation des actifs de Rock Fall tels qu’ils existaient à la date de prise d’effet du transfert, ou l’octroi d’une indemnité pour tout changement, en faveur de l’une ou l’autre partie, alors que la première condition imposait au vendeur une nouvelle obligation rigoureuse. [...]
[31] En l’espèce, la condition voulant qu’une entente de non‑concurrence doive être fournie est davantage assimilable à la condition visant à assurer la conservation des actifs de Glegg Industries qu’à l’imposition d’une nouvelle obligation rigoureuse à Glegg Industries. De fait, l’obligation de conclure une entente de non‑concurrence n’était pas du tout imposée aux actionnaires de Glegg Industries; en effet, les actionnaires étaient obligés de fournir l’entente conclue par M. Glegg.
[32] Je tiens également compte des deux avis dissidents exprimés dans la décision Aberdeen, à savoir que les 250 000 £ se rapportaient uniquement à l’achat d’actions. Pour ces motifs, je ne suis pas prêt à me fonder sur la décision Aberdeen pour interpréter le contrat d’une manière favorable à l’appelante. L’appelante n’a pas pu me renvoyer à une décision canadienne similaire ayant valeur de précédent.
[33] J’examinerai maintenant l’application de l’article 68 de la Loi, qui est rédigé en ces termes :
68 Dans le cas où il est raisonnable de considérer que le montant reçu ou à recevoir d’une personne est en partie la contrepartie de la disposition d’un bien d’un contribuable ou en partie la contrepartie de la prestation de services par un contribuable :
a) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de cette disposition est réputée être le produit de disposition du bien, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et la personne qui a acquis le bien à la suite de cette disposition est réputée l’acquérir pour un montant égal à cette partie;
b) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de la prestation de services est réputée être un montant reçu ou à recevoir par le contribuable pour ces services, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et être un montant payé ou payable au contribuable par la personne à qui ces services ont été rendus.
[34] L’article 68 permet au fisc d’imposer une opération en se fondant sur une répartition raisonnable de la contrepartie et non sur les dispositions dont il a été convenu. En effet, aux fins de l’impôt, la Loi exige que l’on passe outre au caractère sacré de tout contrat susceptible d’exister, et « quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat », qu’un impôt soit établi compte tenu de ce que la contrepartie donnée pour le bien, considérée d’une façon raisonnable, aurait dû ou aurait pu être. Cela n’a absolument rien à voir avec la question de savoir ce qu’était en fait le marché conclu entre les parties, ce à quoi la présente analyse s’est jusqu’ici bornée.
[35] Me Fitzsimmons soutient que l’article 68 entre en jeu parce que l’entente de consultation, qui vise la prestation de services, fait partie de l’accord conclu entre l’appelante et General Electric; par conséquent, selon Me Fitzsimmons, les deux éléments nécessaires pour que l’article 68 s’applique sont présents : la disposition d’un bien (les actions) et la prestation de services. Une fois que l’article 68 s’applique, son libellé fait en sorte que seul le montant qu’« il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de cette disposition » constitue la contrepartie se rattachant aux actions. Selon l’argument avancé, cela exclurait de la contrepartie donnée pour les actions tout montant qu’il est raisonnable d’attribuer à autre chose que les actions, y compris la valeur de l’entente de non‑concurrence.
[36] Je ne crois pas qu’il faille adopter une approche aussi complexe. Le début de l’article 68 comporte une proposition disjonctive, c’est‑à‑dire qu’il faut :
a) soit un montant reçu ou à recevoir qu’il est raisonnable de considérer comme faisant partie de la contrepartie de la disposition du bien,
b) soit un montant reçu ou à recevoir qu’il est raisonnable de considérer comme faisant partie de la contrepartie de la prestation de services.
Il suffit qu’une seule de ces conditions soit remplie. À coup sûr, il est possible de se fonder sur l’article 68 pour effectuer une répartition entre un fonds de terre et un bâtiment : un contrat se rapportant à une telle disposition n’inclurait pas un élément de prestation de services.
[37] Je poserai la question comme suit : est‑il raisonnable de considérer le montant que l’appelante a reçu de General Electric comme étant en partie la contrepartie de la disposition d’actions? L’intimée affirme qu’il n’est pas possible de considérer ce montant comme étant en partie la contrepartie de la disposition, mais qu’il est uniquement possible de le considérer comme se rapportant exclusivement à la disposition d’actions, de sorte que l’article 68 ne s’applique pas : on n’a pas à se demander de quelle façon l’alinéa 68a) pourrait s’appliquer. Je ne suis pas d’accord. J’interprète cette disposition comme voulant dire que si General Electric verse un montant quelconque à l’appelante pour la disposition d’actions, la première condition doit être remplie. Si la totalité de la contrepartie, comme l’affirme l’intimée, se rapporte aux actions, cela implique qu’une partie de la contrepartie se rapporte nécessairement aux actions – la partie est comprise dans l’ensemble. Cela permettrait de se demander de quelle façon l’alinéa 68a) pourrait s’appliquer, bien qu’en l’espèce, le résultat soit le même – il n’y a pas lieu de procéder à une attribution.
[38] Quant à l’alinéa 68a), l’intimée fait valoir qu’il n’est pas raisonnable de considérer quelque partie du montant reçu par l’appelante comme étant une contrepartie se rapportant à autre chose que des actions, étant donné que c’était tout ce dont l’appelante pouvait disposer. L’appelante ne pouvait pas conclure l’entente de non‑concurrence, et elle ne pouvait pas fournir de services d’expert‑conseil. L’intimée a raison. L’appelante et tous les autres actionnaires s’étaient engagés à fournir ces documents à General Electric au moment de la conclusion de l’opération, mais seul M. Glegg personnellement aurait pu demander à être payé pour l’entente de non‑concurrence et pour les services d’expert‑conseil. Pour des raisons d’intégrité commerciale, M. Glegg a convenu de ne rien accepter en échange de l’entente de non‑concurrence et de ne rien accepter en échange de ses services d’expert‑conseil. La chose est peut‑être raisonnable sur le plan commercial, mais elle n’empêche pas General Electric d’attribuer une valeur aux ententes de non‑concurrence et de consultation, qui ont été conclues par M. Glegg. L’intimée fait valoir qu’il n’existe aucun élément de preuve émanant de General Electric à l’appui d’une telle conclusion. Toutefois, dans le préambule de l’entente de non‑concurrence, General Electric reconnaît que M. Glegg recevra une contrepartie importante lorsque ses actions seront vendues. Je dispose également du témoignage de M. Glegg selon lequel aucun marché n’aurait été conclu, à ce prix, en l’absence de l’entente de non‑concurrence. Cependant, à vrai dire, de quelle preuve a‑t‑on besoin pour qu’il soit possible de conclure, de façon raisonnable :
(i) qu’une personne ne travaillerait pas gratuitement douze heures par jour pendant plusieurs mois;
(ii) qu’une personne ne se priverait pas gratuitement de ses atouts professionnels pour une période de dix ans.
Cependant, cela se rapporte à la question de la contrepartie versée à M. Glegg – et non à celle qui est versée aux autres actionnaires.
[39] Il vaut la peine de réitérer l’affirmation selon laquelle il ne s’agit pas ici d’analyser ce qu’était le marché, mais d’examiner la façon dont il est raisonnable de considérer la contrepartie pour l’application de l’article 68. Puisqu’il a été conclu que l’article 68 pourrait s’appliquer, l’alinéa 68a) a pour effet d’attribuer aux actions dont l’appelante a disposé uniquement le montant qu’il est raisonnable de considérer comme étant la contrepartie des actions. Je n’hésiterais aucunement à appliquer l’alinéa 68a) afin d’exclure la valeur de l’entente de non‑concurrence de la contrepartie versée pour les actions s’il s’agissait des actions de M. Glegg lui‑même. Je conclurais qu’il est tout à fait raisonnable de considérer que ce que M. Glegg a reçu de General Electric se rapportait en partie à l’engagement de non‑concurrence et aux services d’expert‑conseil. Cependant, il n’est pas question des actions de M. Glegg : c’est de sa société de portefeuille qu’il est question.
[40] Je conclus que l’appelante n’est pas dans une situation différente de celle des autres actionnaires, sauf M. Glegg. L’appelante et les autres actionnaires n’avaient que les actions à offrir. Je n’accepte pas la prétention selon laquelle l’engagement de non‑concurrence que M. Glegg a pris était en fait ou en droit un engagement de non‑concurrence pris par l’appelante. Ce n’était pas le cas. Il était loisible à M. Glegg de transférer son titre de propriété de l’appelante à un tiers, et l’appelante aurait alors été libre de se livrer à la concurrence. L’appelante n’était pas partie à l’entente de non‑concurrence. Il ne serait pas raisonnable de considérer la valeur de l’entente de non‑concurrence comme faisant partie de la contrepartie donnée pour les actions que l’appelante a cédées. L’article 68 peut s’appliquer en vue de répartir la contrepartie, mais la contrepartie doit se rapporter à quelque chose; l’appelante n’avait rien d’autre à offrir qui puisse donner lieu à une répartition.
[41] L’accord aurait pu être structuré d’une façon différente. M. Glegg aurait pu accepter une contrepartie en échange de l’engagement de non‑concurrence. M. Glegg croyait qu’il violerait peut‑être l’entente qu’il avait conclue avec les autres actionnaires s’il agissait ainsi; pourtant, il affirme en même temps que ce sont les « instructions » erronées de l’ARC qui ont fait en sorte qu’aucune contrepartie n’a été attribuée à l’entente de non‑concurrence. De toute évidence, M. Glegg veut le meilleur des mondes, ce qui n’est pas surprenant. Il serait plutôt paradoxal qu’en cherchant à soustraire à l’impôt une importante somme d’argent, M. Glegg traite en fait l’appelante d’une façon tout à fait différente des autres actionnaires, ceux‑ci ne pouvant pas se prévaloir du même avantage.
[42] Je ne suis pas prêt à reprocher à l’ARC la façon dont elle a traité les ententes de non‑concurrence avant que les décisions Fortino et Manrell soient rendues, et à corriger l’erreur de droit qu’elle aurait commise selon Me Fitzsimmons. M. Glegg a demandé conseil à des experts chevronnés au sujet de cette opération. Il ressort du témoignage de Me Barrett que la décision que la Cour de l’impôt a rendue dans l’affaire Fortino n’a pas été prise en considération et que l’on a donné suite, d’une façon diligente, à la préoccupation dominante de M. Glegg, qui voulait que les autres actionnaires bénéficient du même traitement que lui. Dans ces conditions, je conclus qu’il n’y a aucune erreur de droit à corriger.
[43] L’appel est rejeté avec dépens.
Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour de janvier 2008.
« Campbell J. Miller »
Juge Miller
Traduction certifiée conforme
ce 19e jour de février 2008.
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
RÉFÉRENCE : 2008CCI20
No DU DOSSIER DE LA COUR : 2005‑3157(IT)G
INTITULÉ : ROBERT GLEGG INVESTMENT INC.
c.
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Les 29 et 30 octobre 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : L’honorable Campbell J. Miller
DATE DU JUGEMENT : Le 9 janvier 2008
COMPARUTIONS :
Avocat de l’appelante : |
Me Richard Fitzsimmons |
Avocate de l’intimée : |
Me Jenny Mboutsiadis |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour l’appelante :
Nom : Richard Fitzsimmons
Cabinet :
Pour l’intimée : John H. Sims, c.r.
Sous‑procureur général du Canada
Ottawa, Canada