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Dossier : 2006-1519(EI)

ENTRE :

LUANA FRUCHTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 14 mars 2007, à Montréal (Québec)

 

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

Oscar Handelman

 

 

Représentante de l’intimé :

Nadia Golmier (étudiante en droit)

MStéphanie Côté (avocate)

 

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par le ministre du Revenu national en application de la Loi sur l’assurance‑emploi est rejeté, et la décision du ministre est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2008.

 

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2008CCI46

Date : 20080122

Dossier : 2006-1519(EI)

ENTRE :

LUANA FRUCHTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Jorré

 

[1]     Le présent appel[1] est interjeté à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») dans laquelle celui‑ci a rejeté l’appel de l’appelante d’une décision[2] selon laquelle l’appelante n’occupait pas un emploi assurable auprès de Mitchco Inc. du 1er mai  2003 au 16 avril 2004. Cette décision était fondée sur l’alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »).

 

[2]     Il n’est pas contesté que l’appelante exerçait un emploi aux termes d’un contrat de travail et que l’appelante et l’employeur avaient entre eux un lien de dépendance. La question en litige est l’application de l’alinéa 5(3)b) de la Loi, qui est rédigé en ces termes :

 

l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées […], sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre […] est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, […] qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[3]     La réponse indique que, pour prendre cette décision, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

          [traduction]

 

a)   le payeur, constitué en société le 18 juillet 1989, exploite une entreprise dans le domaine de la vente et de la distribution de textiles;

 

b)   l’appelante aurait commencé à rendre des services au payeur dès le début de l’exploitation de l’entreprise;

 

c)   au début de son emploi, l’appelante travaillait dans le bureau et effectuait des écritures dans les livres comptables, faisait du classement et s’occupait de l’acquisition de nouveaux tissus;

 

d)   l’appelante a aidé son époux à exploiter son entreprise pendant de nombreuses années, et certaines années, elle a travaillé sans être payée;

 

e)   pendant la période visée, l’appelante travaillait en se déplaçant pour acheter de nouveaux tissus; elle accompagnait notamment son époux lorsqu’il voyageait à l’extérieur;

 

f)    l’appelante n’avait pas d’horaire de travail à respecter;

 

g)   le 14 février 2006, l’appelante a dit à un représentant de l’intimé que pendant la période visée, il y avait eu des semaines où elle n’avait pas rendu de services au payeur;

 

h)   pendant la période visée, l’appelante a reçu un salaire fixe de 750 $ par semaine, et ce, indépendamment du nombre d’heures de travail réellement effectuées;

 

i)    pendant la période visée, l’appelante ne travaillait pas beaucoup et elle n’a pas été en mesure de préciser combien d’heures de travail elle avait effectuées;

 

j)    le payeur soutient que l’appelante travaillait sur demande et qu’elle travaillait environ dix heures par semaine;

 

k)   si l’appelante travaillait seulement dix heures par semaine, elle a donc reçu une rémunération de 75 $ l’heure pendant la période;

 

l)    selon le relevé d’emploi, l’appelante était payée pour 25 heures de travail par semaine, donc 30 $ l’heure;

 

m)  les tâches que l’appelante accomplissait étaient minimes, et rien ne justifie la rémunération que le payeur lui a versé.

 

[4]     Pendant la période en cause, l’appelante était mariée avec Mitchell Gantman (ci‑après « M. Gantman »), l’unique actionnaire du payeur, Mitchco Inc. L’appelante et M. Gantman se sont séparés en mai 2004 et ont divorcé par la suite. L’appelante et M. Gantman ont deux enfants, qui sont nés en 1991 et en 1993, respectivement.

 

[5]     Mitchco fabriquait et vendait des textiles.

 

[6]     L’appelante a témoigné que, pendant les années au cours desquelles son époux exploitait son entreprise, elle l’aidait de diverses façons. Elle l’aidait dans le bureau en s’occupant des dossiers et des tâches à effectuer avec l’ordinateur. La plupart du temps, elle se déplaçait et visitait des magasins, des librairies et des bibliothèques pour trouver des idées pour des thèmes ou des tendances. Elle achetait également des vêtements. Les idées et les vêtements étaient utilisés pour faire des planches de tendances pour les fabricants de vêtements.

 

[7]     Elle a également mentionné dans son témoignage qu’elle travaillait environ 25 heures par semaine et qu’elle gagnait plus de 30 000 $. (Elle n’a pas précisé de période, mais, selon la pièce A‑1, elle a gagné 37 043,04 $ au cours de l’année civile 2003 en travaillant pour Mitchco.)

 

[8]     Lors du contre‑interrogatoire, on lui a posé la question suivante et elle a répondu ainsi :

 

          [traduction]

 

Q. Vous souvenez‑vous avoir dit au fonctionnaire que vous receviez un salaire fixe pour que votre époux ait moins d’impôt à payer?

 

R. Oui, je crois bien avoir dit ça, mais je recevais un salaire en fonction de mon travail également.

 

[9]     Le bref témoignage de l’appelante concernant les tâches qu’elle accomplissait était très général. Elle n’a pas du tout fourni de description concernant son travail habituel ou le cycle saisonnier de son travail.

 

[10]    Pendant la période en cause, l’appelante occupait aussi un emploi à temps partiel à une école[3] dans le cadre duquel elle travaillait deux heures par semaine.

 

[11]    Le représentant de l’appelante a produit la pièce A‑2, un document tiré d’Internet sur lequel le symbole de droits d’auteur est suivi de l’année 2005 et qui porte le logo du gouvernement du Canada[4]. Le document semble provenir du site Web Appareljobs.ca. Il indique que le salaire annuel moyen au Canada pour la profession de dessinateur de mode est de 53 900 $. Il comporte, à la page 1, une description en 12 points des fonctions d’un dessinateur de mode[5].

 

[12]    L’intimé a appelé l’agente des appels à témoigner. Son rapport sur l’appel a été déposé sous la cote R‑1. Le relevé d’emploi a été déposé sous la cote R‑2.

 

[13]    L’agente des appels a entre autres témoigné au sujet de l’établissement de son rapport. Pour établir ce rapport, elle a parlé à l’appelante, à M. Gantman, au comptable de l’appelante et à deux employés du payeur.

 

[14]    Elle a témoigné que l’appelante lui avait dit ce qui suit :

 

a)    elle ne se souvenait pas quel était son taux de salaire horaire;

 

b)    elle n’avait pas d’horaire de travail fixe ni de nombres d’heures de travail minimum ou maximum;

 

c)    elle travaillait lorsque son époux lui disait qu’il y avait quelque chose à faire et elle s’arrangeait pour effectuer le travail dans le temps dont elle disposait en tenant compte des besoins des enfants;

 

d)    elle ne pouvait pas faire la moyenne du nombre d’heures qu’elle travaillait.

 

[15]    Dans son rapport concernant l’appel (la pièce R‑1), elle a indiqué ce qui suit :

 

a)    l’appelante lui avait dit que, pendant la période en cause, elle n’avait pas beaucoup travaillé;

 

b)    l’appelante avait admis que son salaire lui était versé à des fins de fractionnement de revenu pour que son époux ait moins d’impôt à payer et elle avait dit qu’elle pensait que cela était normal et avait renvoyé l’agente des appels à son comptable pour de plus amples renseignements.

 

[16]    L’agente des appels a également indiqué dans son rapport que M. Gantman lui avait dit ce qui suit :

 

a)    il avait ouvert l’entreprise en 1998 avec trois ou quatre employés, laquelle entreprise comptait 20 employés au moment de sa fermeture;

 

b)    il employait l’appelante pour qu’elle recherche et créée de nouveaux styles en raison de son expérience dans le domaine de la mode et, pour ce faire, elle était presque toujours à l’extérieur du bureau;

 

c)    s’il commençait une nouvelle collection, elle faisait le tour des magasins pour acheter des tissus et des vêtements après qu’il lui ait donné une idée de ce qu’il voulait. Lorsqu’elle retournait au bureau, elle lui faisait un compte rendu de ce qu’elle avait fait et lui montrait ce qu’elle avait acheté;

 

d)    il estimait qu’elle travaillait environ 10 heures par semaine et il ne pouvait pas expliquer pourquoi il était indiqué qu’elle travaillait 25 heures par semaine dans le relevé d’emploi.

 

[17]    Lors de contre‑interrogatoire, l’agente des appels a dit qu’elle considérait que le taux horaire était trop élevé, sans toutefois indiquer ce sur quoi elle se fondait pour faire cette déclaration, comme des données sur le salaire gagné pour un travail comparable. Elle a cependant ajouté qu’il y avait des périodes pendant lesquelles l’appelante était payée même si elle ne travaillait pas et que le salaire qu’une personne reçoit lorsqu’elle ne travaille pas ne peut être que trop élevé.

 

[18]    La décision de l’agente des appels était fondée sur de nombreux facteurs, notamment ce qu’elle considérait comme un taux de salaire trop élevé[6], de même que le fait que l’appelante avait très peu travaillé pendant la période, qu’elle contrôlait entièrement son horaire de travail et qu’elle avait admis que son salaire lui était versé à des fins de fractionnement de revenu.

 

[19]    Dans la décision Birkland c. M.R.N.[7], le juge Bowie a examiné le droit relatif à l’alinéa 5(3)b) de la Loi. Il a établi le critère ainsi :

 

4   […] Si je comprends bien ces arrêts, le rôle de la Cour canadienne de l’impôt consiste à mener un procès au cours duquel les deux parties peuvent produire des éléments de preuve concernant les modalités aux termes desquelles l’appelant était employé, les modalités aux termes desquelles des personnes sans lien de dépendance, effectuant le même travail que l’appelant, étaient employées par le même employeur et les conditions d’emploi prévalant dans l’industrie pour le même genre de travail, au même moment et au même endroit. Des éléments de preuve relatifs à la relation existant entre l’appelant et l’employeur peuvent évidemment être produits également. À la lumière de tous ces éléments de preuve et de l’opinion du juge sur la crédibilité des témoins, la Cour doit ensuite déterminer si le ministre aurait pu raisonnablement, en ayant connaissance de l’ensemble de cette preuve, ne pas conclure que l’employeur et une personne avec laquelle il n’avait pas de lien de dépendance auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable. […]

 

[20]    Il y a toutefois un aspect de la preuve qui ressort. À l’alinéa 9)g) de la réponse, il est indiqué que le ministre a supposé qu’il y avait des semaines pendant lesquelles l’appelante n’avait pas rendu de services au payeur, même si elle continuait d’être payée[8]. Comme ce point n’a tout simplement pas été abordé dans le témoignage de l’appelante, je dois tenir pour acquis qu’il y a eu de telles semaines. Abstraction faite des congés de maladie ou des congés annuels, les employeurs ne payent généralement pas les employés qui ne travaillent pas. Cela va plus loin que les horaires de travail flexibles. Cet arrangement est complètement contraire à l’arrangement qu’il pourrait y avoir dans le cadre d’une relation sans lien de dépendance. Le ministre aurait donc raisonnablement pu tirer la conclusion à laquelle il est arrivé, même si toutes les autres modalités avaient été des modalités d’emploi sans lien de dépendance[9].

 

[21]    Je tiens à souligner que je ne considère pas que la déclaration que l’appelante a faite pendant le contre‑interrogatoire selon laquelle elle travaillait en moyenne 25 heures par semaine répond à la question de savoir s’il y avait des semaines pendant lesquelles elle n’a pas travaillé du tout — une question qui n’est devenue en litige qu’en raison de l’alinéa 9)g) de la réponse.

 

[22]    En conséquence, il n’est pas vraiment nécessaire que j’aborde les autres critères, mais je formulerai quand même les commentaires additionnels suivants.

 

[23]    J’accepte le fait que le salaire de l’appelante lui avait été versé à des fins de fractionnement de revenu. Le fait que le salaire a été versé pour une telle raison n’est pas nécessairement déterminant, mais c’est certainement une raison pour examiner minutieusement les modalités d’emploi.

 

[24]    En ce qui concerne la question de savoir si le taux de salaire est compatible avec une relation sans lien de dépendance, on ne peut pas la trancher sans établir combien d’heures de travail ont été effectuées en tout pendant la période. En soi, un salaire de 750 $ pour 25 heures de travail peut très bien être compatible avec des modalités d’emploi sans lien de dépendance. Toutefois, un salaire de 750 $ versé pour des heures non travaillées ne l’est pas. De plus, si l’appelante travaillait bien moins que 25 heures pendant les semaines où elle travaillait, un salaire de 750 $ ne serait pas compatible avec des modalités d’emploi sans lien de dépendance.

 

[25]    Même si l’appelante a témoigné qu’elle travaillait environ 25 heures, elle avait précédemment dit à l’agente des appels qu’elle ne pouvait pas fournir d’estimation de ses heures de travail et qu’elle n’avait vraiment pas beaucoup travaillé pendant la période. Par conséquent, je n’accepte pas la déclaration selon laquelle elle travaillait environ 25 heures par semaine et je conclus que, pendant la période, le nombre d’heures de travail réel était beaucoup moins élevé[10].

 

[26]    Je conclus que le ministre aurait pu raisonnablement ne pas conclure que l’employeur et une personne avec laquelle il n’avait pas de lien de dépendance auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable. Par conséquent, l’appel sera rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2008.

 

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI46

 

NO DU DOSSIER :                             2006-1519(EI)

 

INTITULÉ :                                       LUANA FRUCHTER c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 14 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Oscar Handelman

 

 

Représentante de l’intimé :

Nadia Golmier (étudiante en droit)

Stéphanie Côté (avocate)

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :                 

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]       Un appel interjeté en vertu de l’article 91 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

 

[2]       Une décision rendue en vertu de l’article 90 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[3]       Voir le T‑4 annexé à la pièce A-1 et le paragraphe 6 à la page 3 de la pièce R‑1.

 

[4]       La pièce n’indique pas clairement quel était le rôle exact du gouvernement en ce qui concerne Apparels.ca.

 

[5]       Si on considère la description des fonctions d’un dessinateur de mode figurant à la page 1, de la pièce A‑2, les tâches que l’appelante a dit faire ne constituent qu’une partie des tâches décrites, et l’appelante n’a pas établi que ce qu’elle faisait était comparable au travail d’un dessinateur de mode.

[6]       Elle a considéré qu’il était de 30 $ l’heure aux fins de sa décision basée sur les 25 heures de travail par semaine indiquées dans le relevé d’emploi.

 

[7]       2005 CCI 291, paragraphes 1 à 4.

 

[8]       Cela était sans doute fondé sur les déclarations que l’appelante avait faites à l’agente des appels (voir le paragraphe 6, page 3, pièce R‑1).

 

[9]       Je voudrais également souligner que rien n’indiquait dans la preuve que, comme il n’était pas exigé que l’appelante travaille un nombre d’heures fixe chaque semaine de travail, celle‑ci devait fournir une certaine quantité de services, laquelle était mesurée en fonction du produit final de son travail.

[10]     La déclaration de l’appelante selon laquelle est travaillait environ 25 heures par semaine a été faite lors du contre‑interrogatoire. On ne lui a pas demandé des explications sur ses déclarations antérieures incompatibles. Il aurait clairement été préférable qu’on le fasse.

 

Même si ce point n’a pas été abordé, je me suis demandé si, pour cette raison, je devais ne pas tenir compte des déclarations antérieures incompatibles et simplement accepter le moyenne de 25 heures. Compte tenu de toutes les circonstances, j’ai décidé de tenir compte des déclarations antérieures.

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