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Dossier : 2006-2838(EI)

 

ENTRE :

GROUPE J.L. LECLERC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

J.L. Leclerc et fils inc. (2006-2840(EI))

le 30 mai 2007, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 2008.

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


 

 

 

Dossier : 2006-2840(EI)

 

ENTRE :

J.L. LECLERC ET FILS INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Groupe J.L. Leclerc inc. (2006-2838(EI))

le 30 mai 2007, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

       L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 2008.

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


 

 

Référence : 2008CCI157

Date : 20080325

Dossiers : 2006-2838(EI),

2006-2840(EI)

ENTRE :

GROUPE J.L. LECLERC INC.,

J.L. LECLERC ET FILS INC.,

appelantes,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Jorré

 

Les questions en litige

 

[1]              Les deux causes ont été entendues sur preuve commune.

 

[2]              La question en litige est de savoir si le travail de Gilles, de Michel et de Jean Leclerc (les « trois frères ») était exclu de la notion d’emploi assurable en raison du lien de dépendance qui existait entre eux et les appelantes (l’« entreprise »)[1].

 

[3]              Les appelantes prétendent que le ministre aurait mal exercé son pouvoir discrétionnaire reconnu par l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi, en ce qu’il n’est pas raisonnable de conclure que les travailleurs et l’entreprise auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, n’eût été leur lien de dépendance. Les périodes visées sont : du 1er janvier au 28 août 2004 dans le cas de J.L. Leclerc et fils inc. et du 29 août 2004 au 30 août 2005 dans le cas de Groupe J.L. Leclerc inc.

[4]              L’existence du lien de dépendance n’est pas contestée.

 

[5]              Les appelantes ont avancé un argument subsidiaire selon lequel il s’agissait non pas d’un contrat de travail entre les trois frères et les appelantes, mais plutôt d’un contrat d’entreprise.

 

Les faits

 

[6]              Il s’agit d’une entreprise familiale qui détient certains bâtiments et fait la conception et la fabrication de produits pour des marchés des secteurs de l’énergie et du transport. Elle avait de 100 à 115 employés et un chiffre d’affaires d’environ 12 millions de dollars pour l’année se terminant le 31 août 2004 et de presque 16 millions de dollars pour l’année se terminant le 31 août 2005.

 

[7]              Chacun des trois frères a reçu une rémunération de 950 $ par semaine du 1er janvier au 31 août 2004. Du 1er septembre au 31 décembre 2004, chaque frère a reçu une rémunération fixe de 950 $ par semaine plus le versement d’un boni de 43 550 $. Ce boni visait l’année se terminant le 31 août 2004. Du 1er janvier au 30 août 2005, chaque frère a reçu une rémunération de 1 925 $ par semaine, mais il n’y a pas eu de boni.

 

[8]              Les trois frères sont actionnaires de l’entreprise depuis 1988[2]. Le conseil d’administration, pendant la période en question, était composé des trois frères et d’un administrateur externe, Serge Olivier.

 

[9]              Les trois frères travaillaient à temps plein pour l’entreprise.

 

[10]         Pendant la période en question, Michel Leclerc était le directeur général; il gérait les ressources humaines et était responsable de l’administration et des finances de l’entreprise. Gilles Leclerc était le directeur des opérations; il gérait les opérations, l’inventaire et supervisait les contremaîtres et les chefs d’équipe. Jean Leclerc était le directeur des ventes; il travaillait surtout sur la route au maintien de bonnes relations avec les clients et à la recherche de nouveaux clients.

 

[11]         Il y avait un bureau de direction composé, avant septembre 2004, des trois frères. En septembre 2004, ils ont ajouté quatre membres au bureau de direction. Ceux-ci étaient Julie Leclerc (la fille de Michel Leclerc), Pierre Laroche, François Matte, et Jérôme Leclerc (le fils de Michel Leclerc) (les « quatre autres »).

 

[12]         Jérôme Leclerc gagnait 720 $ par semaine en 2004 et il avait 24 ans; il était directeur des finances et du marketing. Julie Leclerc gagnait 675 $ par semaine en 2004 et elle avait 27 ans; elle était directrice de l’amélioration continue. Pierre Laroche s’est joint à la compagnie en 1997 en tant que directeur de la production à la division des produits industriels; auparavant, il avait travaillé chez AMT Marine et chez Bombardier. François Matte gagnait 1 035 $ par semaine comme directeur de la recherche et du développement. Il était ingénieur et avait 10 ans d’expérience au service de la recherche à la division « Jet Boat » de Bombardier.

 

[13]         Les trois frères avaient au-delà de 25 ans d’expérience à diriger l’entreprise.

 

[14]         Michel Leclerc a témoigné que les sept membres du bureau de direction étaient interchangeables dans une certaine mesure et que, hypothétiquement, un des membres aurait pu en remplacer un autre pour une période déterminée.

 

[15]         Michel Leclerc a également dit que le poste de l’un des trois frères aurait pu être comblé par quelqu’un d’autre[3] après une période d’ajustement.

 

[16]         Les trois frères travaillaient de 50 à 60 heures par semaine tandis que les quatre autres membres du bureau de direction travaillaient 40 heures par semaine.

 

[17]         Michel Leclerc a témoigné que, si les trois frères avaient travaillé seulement 40 heures par semaine, il aurait peut-être fallu ajouter un ou deux membres au bureau de direction.

 

[18]         Le bureau de direction tenait des réunions une fois par mois.

 

[19]         L’intimé a déposé l’organigramme de l’entreprise tel qu’il était avant le 1er septembre 2005 (pièce I-2, onglet M, page 1). Sur l’organigramme, les trois frères se trouvent au-dessus des quatre autres, ce qui implique normalement qu’ils ont des postes plus élevés dans l’entreprise. Toutefois, en témoignant, Michel Leclerc a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un organigramme « conventionnel »[4].

 

[20]         Michel Leclerc a aussi témoigné qu’il était le « coach » de Jérôme Leclerc, dont les fonctions tombaient sous sa responsabilité. De même, Gilles Leclerc était responsable vis-à-vis de Pierre Laroche et de François Matte; il était également responsable de l’amélioration continue (Julie Leclerc)[5].

 

[21]         Gilles Leclerc a témoigné qu’à part les trois frères, seul Jérôme Leclerc avait accès aux bureaux de l’entreprise hors des heures de travail.

 

[22]         Les appelantes ont mis en preuve certains avantages que les trois frères avaient et que les quatre autres n’avaient pas, notamment :

 

a)  Les trois frères étaient mieux payés que les autres membres du bureau de direction (voir ci-dessus).

b)  Les trois frères avaient un régime de retraite, ce que les quatre autres membres n’avaient pas. Ce régime avait été mis en place en 2004, et c’est à ce moment que l’entreprise avait payé entre 60 000 $ et 65 000 $ pour le « rachat de services passés » pour chacun des frères.

c)  Les trois frères avaient une assurance dentaire, ce que les quatre autres membres et les autres employés n’avaient pas.

d)  Les trois frères avaient une assurance-vie de 300 000 $ tandis que les quatre autres membres et les autres employés n’avaient qu’une fois leur salaire comme assurance-vie.

e)  L’entreprise fournissait une automobile aux trois frères, mais non aux autres employés.

f)  Les trois frères avaient plus de vacances que tous les autres employés.

 

[23]         Michel Leclerc a également témoigné relativement à la rémunération des cadres supérieurs[6].

 

[24]         Gilles Leclerc a témoigné que les trois frères avaient une assurance-vie « de partnership » de deux millions de dollars payée par l’entreprise. Les quatre autres membres du bureau de direction n’avaient pas cette assurance-là.

 

[25]         Le témoignage de Gilles Leclerc n’a pas expliqué la nature de cette assurance-vie « de partnership ». Il n’a pas témoigné concernant qui en serait le bénéficiaire.

 

[26]         Il y a une convention entre actionnaires (pièce I-2, onglet I) datée du 21 juillet 2004 qui prévoit certaines obligations entre les actionnaires en cas de décès (clause 7b) de la convention). La convention prévoit également des obligations de prendre et de maintenir de l’assurance-vie sur les autres actionnaires de façon à financer les obligations énoncées à la clause 7b) (clauses 9 à 11 de la convention).

 

[27]         Le témoignage de Gilles Leclerc ne permet pas d’être certain si l’assurance « de partnership » dont il parle est la même assurance que celle prévue dans la convention entre actionnaires. Sur cette question, je conclus que les appelantes n’ont pas démontré que les trois frères étaient bénéficiaires d’une assurance-vie de deux millions de dollars en tant qu’employés.

 

Analyse

[28]         Les appelantes soutiennent que les conditions d’emploi des trois frères étaient très différentes de celles qui auraient existé s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre les trois travailleurs et l’entreprise.

 

[29]         Pour affirmer cela, les appelantes comparent les conditions d’emploi des trois frères (salaires et avantages beaucoup plus élevés) avec ceux des quatre autres membres du bureau de direction.

 

[30]         Je suis d’accord que les conditions d’emploi des trois frères sont très différentes de celles des quatre autres. Par contre, pour décider si les conditions d’emploi des quatre autres sont une base de comparaison valable, il faut examiner la question suivante : est-ce que les postes et les fonctions qu’occupent les trois frères sont comparables à ceux des quatre autres?

 

[31]         Les appelantes ont pris la position que, si l’un des trois frères était parti pour une période de six mois ou d’un an, n'importe lequel des quatre autres du bureau de direction aurait été en mesure de prendre sa place après une période de rodage, sans plus.

 

[32]         La preuve ne démontre pas cette prétention. Il se peut que l’un des autres membres du bureau de direction puisse remplacer l’un des trois frères pour une courte période — par exemple, pendant une période de vacances. Par contre, les différents degrés d’expérience, les différences dans les domaines d’expérience et les différences de formation entre les sept membres sont tels qu’il ne serait pas si facile de remplacer l’un des trois frères par n'importe lequel des autres membres du bureau de direction.

 

[33]         Même si cette prétention était prouvée, le fait qu’une personne est capable d’assumer un poste ne veut pas dire que l’ancien poste qu’occupait la personne est comparable au nouveau poste. Par exemple, le fait qu’un vice-président est promu président ne démontre pas que le poste de vice-président est comparable en ce qui concerne les fonctions et les responsabilités.

 

[34]         Il faut donc examiner si les fonctions et les responsabilités des trois frères et des quatre autres sont comparables.

 

[35]         Bien que les trois frères et les quatre autres soient tous membres du bureau de direction et qu’ils aient tous un titre de directeur, en examinant globalement la preuve, j’arrive à la conclusion que les postes ne sont pas comparables et que les trois frères occupent des postes de nature différente. Ceci se voit, notamment, dans le fait que les trois frères travaillent de plus longues heures, qu’il serait nécessaire d’engager une ou deux personnes de plus s’ils ne travaillaient que 40 heures par semaine, qu’ils sont les seuls — à part Jérôme Leclerc — à avoir accès aux bureaux hors des heures de travail et qu’ils sont — à part Jean Leclerc — responsables de certains autres membres du bureau de direction.

 

 

 

[36]         Non seulement il ne s’agit pas de postes comparables, mais il s’agit de postes qui comportent plus de responsabilités et qui exigent plus de travail que ceux des quatre autres. Il est donc tout à fait normal qu’ils soient mieux rémunérés.

 

[37]         Les appelantes semblent invoquer une deuxième comparaison[7], selon laquelle les trois frères auraient facilement été en mesure de gagner beaucoup plus d’argent s’ils avaient travaillé dans une autre entreprise.

 

[38]         La façon de faire une telle comparaison est bien décrite par le juge Archambault dans la décision Lacroix c. M.R.N., 2007 CCI 81, aux paragraphes 40 à 43 :  

 

40        Est‑ce que la décision rendue par le ministre par l'intermédiaire de l'agente des appels apparaît toujours raisonnable après avoir entendu la preuve des travailleurs? Avant de répondre à cette question, il est important d'analyser à nouveau le texte de l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Ce que devait déterminer le ministre était : est‑ce qu'il pouvait lui apparaître raisonnable de conclure que les travailleurs auraient conclu avec le payeur un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux et le payeur? Il ne s’agit pas de déterminer si les conditions de travail reflètent nécessairement les conditions normales du marché, quoique, généralement, cela puisse être une circonstance pertinente dont il faudrait tenir compte.

 

41        La raison pour laquelle je souligne cette nuance est le fait que nous sommes ici en présence de trois travailleurs qui, en même temps, détiennent par l'intermédiaire de leur société de placement respective un tiers du payeur. Ils  sont en quelque sorte les propriétaires indirects du payeur et de son entreprise. Quand l'alinéa 5(3)b) de la Loi exige qu’il soit déterminé si le contrat de travail aurait été à peu près semblable n'eût été le lien de dépendance, il faut, je crois, tenir compte du fait qu'il s'agit de trois travailleurs qui sont en même temps les propriétaires indirects du payeur. De façon individuelle, aucun des trois ne contrôle le payeur et, par conséquent, n'eût été le lien de parenté qui existe entre eux, aucun des travailleurs n'aurait été une personne liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt, de sorte qu’il n'y aurait pas eu de lien de dépendance légal. D’ailleurs, l'alinéa 5(3)b) de la Loi n'indique pas qu'il faut faire abstraction des intérêts financiers que les travailleurs détiennent dans la société. Par conséquent, il est possible d'imaginer trois travailleurs n'ayant aucun lien de parenté entre eux, détenant chacun un tiers du capital‑actions du payeur et n'ayant aucun lien de dépendance avec celui‑ci6. La question que devait trancher le ministre pourrait donc être reformulée ainsi : si les trois travailleurs avaient détenu chacun un tiers des actions du payeur sans qu'il y ait de lien de dépendance entre eux et le payeur, auraient‑ils conclu un contrat de travail à peu près semblable?

 

42        Il est de connaissance judiciaire que des travailleurs qui sont à la fois salariés d'un employeur et propriétaires (comme actionnaires) de cet employeur adoptent des comportements différents de ceux qui ne sont que de simples salariés. En effet, la rémunération d'un salarié‑actionnaire peut tenir compte du fait que les salaires non versés vont constituer des bénéfices non répartis du payeur qui pourront être déclarés notamment comme dividendes à une date ultérieure. En outre, les salariés préfèrent souvent recevoir un dividende plutôt qu'un salaire lorsqu'ils sont actionnaires de leur employeur, parce que cela est souvent plus avantageux fiscalement. Par contre, pour avoir droit de cotiser à un régime enregistré d'épargne‑retraite, il est nécessaire (de façon générale) que ces salariés‑actionnaires reçoivent un salaire. Il s'agit là du contexte dans lequel oeuvrent des salariés qui sont aussi actionnaires de leur entreprise, et dont le ministre et la Cour doivent tenir compte. Ici, il n'est pas surprenant de constater que les revenus que les travailleurs tirent d'un emploi peuvent varier d'une année à l'autre. Comme actionnaires, les travailleurs peuvent tenir compte des besoins financiers de leur société, notamment si elle doit affronter une situation économique difficile.

 

43        Est‑ce que la décision du ministre apparaît toujours raisonnable? Est‑ce qu'il était raisonnable que le ministre conclue que les travailleurs actionnaires auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable n'eût été leur lien de dépendance avec le payeur? À mon avis, les travailleurs n'ont pas réussi à démontrer que la décision du ministre apparaît déraisonnable, compte tenu des circonstances de cette affaire. Il ne s'agit pas ici d'un cas où la Cour devrait intervenir pour substituer son opinion à celle du ministre. Si les trois travailleurs avaient été engagés comme simples exécutants sans détenir d'intérêts dans le payeur, soit comme travailleurs du granit ou comme personnes effectuant l'entretien de la machinerie, dont le travail est normalement rémunéré à l'heure, ils n'auraient pas, j’en conviens, accepté de faire des heures supplémentaires sans être rémunérés. Par contre, il s'agit ici de personnes occupant des postes de cadre dont le travail n'est pas rémunéré à l'heure, mais plutôt à l'année ou, à tout le moins, à la semaine. Il est tout à fait normal que des travailleurs occupant de telles fonctions soient rémunérés comme l'ont été les travailleurs en l’espèce et qu’ils aient une grande autonomie pour décider quand ils exécuteront leurs tâches. D'ailleurs, leur implication comme cadres du payeur et comme actionnaires indirects de celui‑ci a fait qu'ils ont travaillé durant les périodes normales de vacances. Il s'agit là d'un comportement tout à fait usuel pour des cadres, même lorsqu'il n'existe pas de lien de dépendance entre eux  et leur payeur. Par contre, si l'un des travailleurs n'avait travaillé que trois heures par semaine à longueur d'année tout en recevant un salaire égal à celui des deux autres, qui en travaillaient 65, la situation aurait pu être tout autre. Que la rémunération ait été déterminée en fonction des besoins des salariés (à supposer que tel soit effectivement le cas) n'est pas non plus inhabituel pour des travailleurs qui sont aussi les propriétaires du payeur. En outre, il est tout à fait usuel pour un cadre d'utiliser une carte de crédit (même sans limite de crédit) au bénéfice de son employeur.

 

[39]         Au paragraphe 41 le juge Archambault formule la question que doit trancher le ministre ainsi : « si les trois travailleurs avaient détenu chacun un tiers des actions du payeur sans qu’il y ait de lien de dépendance entre eux et le payeur, auraient-ils conclu un contrat de travail à peu près semblable? »

 

[40]         Dans cette cause, les faits sont un peu différents, mais le principe reste le même; il faut comparer le contrat de chaque travailleur (chaque frère) qui est actionnaire[8] et qui est lié au payeur avec le contrat de travail qui aurait été conclu dans une situation comparable, y compris le fait d’être actionnaire, par un travailleur qui n’est pas lié au payeur.

 

[41]         Sur cette question la preuve qui a été faite est très générale et ne permet pas de tirer la conclusion que des personnes non liées au payeur n’auraient pas conclu un contrat à peu près semblable[9].

 

[42]         En conséquence, les appelantes n’ont pas démontré que la décision du ministre est déraisonnable.

 

Argument subsidiaire

 

[43]         Les appelantes ont présenté un argument subsidiaire selon lequel il ne s’agissait pas d’un contrat de travail et, en conséquence, les trois frères n’étaient pas assurables[10].

 

[44]         Bien que par la nature de leurs fonctions, les trois frères jouissent sans doute d’une grande autonomie, ils consacrent tout leur travail à l’entreprise, sont pleinement intégrés à l’entreprise, occupent des postes élevés et travaillent aux bureaux de l’entreprise (à l’exception de Jean Leclerc, qui est directeur des ventes)[11]. Les trois frères font partie d’un régime de retraite mis en place par la compagnie. Il existe un contrat de travail au sens du Code civil du Québec entre l’entreprise et chacun des frères.

 

Conclusion

 

[45]         Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 2008.

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI157

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2006-2838(EI), 2006-2840(EI)

 

INTITULÉS DES CAUSES :             GROUPE J.L. LECLERC INC. c. M.R.N., J.L. LECLERC ET FILS INC. c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 30 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 mars 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelantes :

Me Jérôme Carrier

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

 

                     Nom :                            Me Jérôme Carrier

 

                 Cabinet :                           Lévis (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]     Le rôle respectif des deux compagnies appelantes, et d'une compagnie à dénomination numérique qui est propriétaire des actions des appelantes, n'a aucun impact sur la question en litige.

[2]       Michel Leclerc contrôle 40 % des actions de la compagnie à dénomination numérique. Gilles et Jean Leclerc contrôlent chacun 30 % des actions de la compagnie à dénomination numérique. Chaque frère est actionnaire et contrôle une fiducie familiale qui est également actionnaire. La compagnie à dénomination numérique détient 100 % des actions de l’entreprise. 

[3]     Son témoignage était que quelqu'un d'autre aurait été en mesure de remplacer l’un des trois frères et non que n'importe quel membre du bureau de direction aurait été en mesure de le faire :

 

Q.  Puis à ce moment-là, est-ce que je dois comprendre que le poste de directeur occupé par l’un des appelants aurait pu être comblé par quelqu’un d’autre?

R.   Tout à fait.

Q.  Oui?

R.   Oui.

Q.  Sans aucune difficulté ou...

R.   Ben, il y aurait eu sûrement une période d’ajustement là, mais...

Q.  Oui.

R.   Ça aurait pu se faire.

[4]     Transcription, pages 101 à 105.

[5]     Transcription, pages 103 à 105.

[6]     Témoignage de Michel Leclerc, pages 39 à 41.

[7]     Transcription, page 111, deuxième paragraphe.

6       Il est important de souligner que ce n'est pas parce qu'une personne est un actionnaire de son employeur qu'il existe nécessairement un lien de dépendance entre elle et son employeur. On pourrait imaginer un employeur dont les actions sont détenues par cinq ou dix actionnaires qui seraient tous des salariés de cet employeur. À supposer que les actions soient détenues en parts égales, aucun de ces actionnaires ne serait en mesure de dicter une ligne de conduite au payeur et, par conséquent, ne serait en mesure de le contrôler. Dans ce cas, à moins de circonstances spéciales, on ne pourrait pas conclure non plus à un lien de dépendance factuel. Pour une discussion de l'existence d’un lien de dépendance factuel entre les membres d’un groupe d'actionnaires n'ayant aucun lien de dépendance légal avec la société, voir la décision Gestion Yvan Drouin Inc. c. La Reine, 2001 DTC 72; [2001] 2 C.T.C. 2315, aux par. 73 et suiv. et en particulier aux par. 80 et suiv. Ici, je ne crois pas qu'il y ait d'indices pouvant démontrer l'existence d'un lien de dépendance factuel entre les travailleurs et le payeur.

 

 

[8]     Et qui contrôle une fiducie familiale qui détient aussi des actions du payeur.

[9]       Témoignage de Michel Leclerc, transcription : pages 39 à 41.

[10]     L’avis d’appel ne soulève pas l’argument subsidiaire. Il n’y a pas eu d’objection de la part de l’intimé. Je n’ai pas décidé (i) s’il était approprié ou non de considérer l’argument et (ii) s’il était nécessaire ou non d’imposer des conditions advenant une décision de considérer l’argument.

[11]    C'est tout à fait normal que le directeur des ventes soit absent fréquemment. Jean Leclerc voyage dans une automobile fournie par l'employeur.

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