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Dossier : 2007-3958(IT)I

ENTRE :

BERNADINE JACKSON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 12 mars 2008 à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Claude Lamoureux

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2000 et 2001 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mai 2008.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


 

 

 

 

Référence : 2008CCI188

Date : 20080414

Dossier : 2007-3958(IT)I

ENTRE :

BERNADINE JACKSON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

 

[1]     La Cour est saisie d’un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2000 et 2001 de l’appelante.

 

[2]     Les points en litige sont les suivants :

 

a)       Le ministre a‑t‑il imposé à juste titre, en application du paragraphe 163(2) de la Loi, des pénalités relativement aux reçus de dons frauduleux qui ont été utilisés afin de demander des crédits d’impôt non remboursables pour les années d’imposition 2000 et 2001?

 

b)      La Cour a‑t‑elle un pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi d’accorder une réduction du montant des intérêts fixés dans une cotisation?

 

[3]     Les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour déterminer le montant de l’impôt que devait payer l’appelante pour les années d’imposition 2000 et 2001 sont exposés au paragraphe 10 de la réponse à l’avis d’appel, lequel est reproduit ci‑dessous :

 

[traduction]

 

a)         Dans ses déclarations de revenus produites pour les années d’imposition 2000 et 2001, l’appelante a déclaré des dons d’un total de 3 718 $ pour l’année 2000 et de 5 320 $ pour l’année 2001;

 

b)         À la suite d’une enquête qu’il a menée concernant le spécialiste en déclarations de revenus engagé par l’appelante pour remplir ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2000 et 2001, le ministre a conclu que les reçus de dons délivrés par L’Oratoire Saint-Joseph du Mont‑Royal et Our Lady Fatima Parish (ci‑après « les reçus de dons ») avaient été établis et soumis de façon frauduleuse;

 

c)         L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal et Our Lady Fatima Parish ont confirmé au ministre qu’ils n’avaient pas recueilli de dons correspondant aux montants des reçus de dons soumis par l’appelante et qu’ils n’avaient pas délivré les reçus de dons à celle‑ci.

 

[4]     Les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour imposer les pénalités en cause en application du paragraphe 163(2) de la Loi sont exposés au paragraphe 12 de la réponse à l’avis d’appel, lequel est ainsi rédigé :

 

          [traduction]

 

a)                  L’appelante avait signé ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2000 et 2001;

 

b)                  Les œuvres de bienfaisance pour lesquelles la déduction de dons a été refusée ont confirmé au ministre qu’elles n’avaient pas reçu les sommes en cause ni délivré les reçus en cause à l’appelante;

 

c)                  L’appelante aurait dû se rendre compte de l’existence des reçus de dons frauduleux lors de l’examen de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en cause étant donné que ces reçus faisaient partie intégrante des déclarations de revenus qu’elle avait signées, et elle aurait dû constater qu’il ne s’agissait pas de reçus qu’elle avait soumis au spécialiste qui a rempli ses déclarations de revenus;

 

d)                  L’appelante aurait été au courant du fait qu’elle obtiendrait un plus grand remboursement d’impôt en engageant le spécialiste en déclarations de revenus qu’elle avait embauché, vers lequel des personnes qu’elle connaissait l’avaient dirigée;

 

e)                  L’appelante a confirmé au ministre qu’elle n’avait pas fait les dons déclarés;

 

f)                    L’appelante a admis qu’elle avait payé une somme anormalement élevée pour faire remplir ses déclarations de revenus par le spécialiste en cause;

 

g)                  Les montants des reçus de dons ont permis à l’appelante d’augmenter le montant de ses crédits d’impôt non remboursables de 991,56 $ pour l’année d’imposition 2000 et de 1 518,05 $ pour l’année d’imposition 2001;

 

h)                  Grâce aux reçus de dons, l’appelante a réduit son impôt à payer sur son revenu imposable de 34 % et de 55 % respectivement pour les années d’imposition 2000 et 2001;

 

i)                    Les montants des reçus de dons et la réduction de son impôt sur le revenu à payer attribuable aux reçus en question représentent une somme substantielle pour l’appelante.

 

[5]     L’avis d’appel est ainsi rédigé :

 

[traduction]

 

[...]

 

      La présente lettre concerne l’appel introduit dans ma cause à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001. Une cotisation a été établie le 11 juin 2007 pour les années d’imposition 2000 et 2001. Vous trouverez ci‑joint une copie de l’avis de cotisation.

 

      Comme des centaines d’autres personnes, j’ai fait remplir mes déclarations de revenus par une société que je croyais être légitime nommée Gaavi Taxes. Celle‑ci a fait le travail, et j’ai expédié par la poste les formules d’impôt immédiatement après avoir quitté le bureau de la société, et ce, étant donné que le délai pour la production de déclarations de revenus était déjà échu. J’ai par la suite reçu un remboursement pour les deux années en question. Ce n’est que lors de l’année en cours, où Revenu Canada a communiqué avec moi, que j’ai constaté que quelque chose n’allait pas dans ces déclarations de revenus. Depuis lors, j’ai découvert que la société de spécialistes en déclarations de revenus avait produit des reçus de dons frauduleux avec les documents légitimes que je lui avais remis. À cause de ces faux reçus, le remboursement que j’ai obtenu était plus élevé qu’il aurait dû l’être.

 

      Si j’avais su que j’étais tenue de rembourser le gouvernement, je l’aurais fait. J’ai toujours rempli mes déclarations de revenus en toute légalité et j’ai toujours effectué les remboursements exigés avec promptitude. Je n’ai jamais eu de démêlés avec la justice auparavant et je n’aurais pas délibérément fraudé le gouvernement. Je me considère comme victime d’un crime. J’ai, depuis lors, tenté de communiquer avec la société de spécialistes en déclarations de revenus en question et de parler à quelqu’un au sujet de la situation, mais j’ai été incapable de repérer la société. Celle‑ci fait maintenant l’objet d’une enquête pour fraude envers le gouvernement. Je travaille actuellement avec Claude Ayotte de la Division de l’exécution de Revenu Canada afin de trouver la société de spécialistes en déclarations de revenus et de la poursuivre en justice. Il est disposé à vous fournir tout renseignement supplémentaire concernant mon dossier. Je vous prie de communiquer avec lui.

 

      Puisque l’erreur de remboursement s’est produite il y a six ans, des frais d’intérêts et de pénalité ont été ajoutés. Je suis d’accord pour dire que toute somme d’argent que je n’aurais pas dû recevoir doit être remboursée, mais je crois qu’une réduction des frais de pénalité et d’intérêts est nécessaire parce que moi et tous les autres clients de cette société de spécialistes en déclarations de revenus sommes des victimes des activités illégales de la société. Je ne lui ai pas remis ces reçus de dons, et il ne serait pas juste que des personnes innocentes doivent subir les conséquences des actes répréhensibles de la société. En tant que victime, je demande l’indulgence.

 

      Depuis que j’ai découvert que je devais un solde à Revenu Canada, j’ai pris des mesures concrètes pour rembourser la somme totale due et j’ai réussi à le faire.

 

      Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ma demande.

 

[…]

 

[6]     En l’espèce, les témoins étaient les suivants : pour le compte de l’appelante, l’appelante elle‑même, et pour le compte de l’intimée, François Bernier, Sonia Lavallée, Edwin Ricafort et Diane Charette.

 

[7]     Dans son témoignage, l’appelante a essentiellement repris les faits énoncés dans l’avis d’appel. Sa déposition a aussi permis à la Cour d’apprendre ce qui suit :

 

a)       elle a obtenu un diplôme en sciences infirmières du cégep Vanier;

 

b)      au cours de son année d’imposition 2000, elle a travaillé comme infirmière à l’Hôpital général juif et comme serveuse dans un restaurant connu sous le nom de  « Waldorf »;

 

c)       au cours de son année d’imposition 2001, elle a travaillé comme infirmière à l’Hôpital général juif;

 

d)      elle n’a pas été dirigée vers Gaavi Tax Services (ci‑après « Gaavi ») par des personnes qu’elle connaissait; elle a expliqué qu’elle avait trouvé une carte professionnelle de Gaavi qui traînait sur le comptoir d’un restaurant dans son quartier et qu’elle avait décidé de faire remplir ses déclarations de revenus par la société simplement parce que le bureau de celle‑ci était situé dans son voisinage immédiat;

 

e)       elle ne se souvient pas du montant des honoraires qu’elle a payés pour les services rendus par Gaavi;

 

f)       elle ne doutait guère de la légalité des remboursements d’impôt qu’elle avait reçus puisqu’elle croyait que son employeur avait probablement retenu trop d’impôts sur son salaire;

 

g)       son revenu net pour l’année 2000 s’élevait à 26 230 $, dont le montant total correspondait à un revenu d’emploi;

 

h)       son revenu net pour l’année 2001 s’élevait à 29 418 $, dont le montant total correspondait à un revenu d’emploi;

 

i)        son remboursement d’impôt pour l’année 2000 s’élevait à 915 $;

 

j)        son remboursement d’impôt pour l’année 2001 s’élevait à 1 577 $.

 

[8]     La preuve portée à ma connaissance m’a également permis d’apprendre ce qui suit :

 

a)       au cours des années 2000, 2001 et 2002, à peu près 1 200 contribuables ont retenu les services de Gaavi pour l’établissement de leurs déclarations de revenus, et ils ont tous produit des reçus de dons frauduleux pour ces années‑là;

 

b)      le cerveau derrière la fraude fiscale colossale qui est en cause, le véritable propriétaire de Gaavi, a quitté le pays lorsque le ministre a entrepris son enquête.

 

[9]     Edwin Ricafort a témoigné que les honoraires qu’il avait payés à Gaavi pour l’établissement de ses déclarations de revenus constituaient un pourcentage des montants des reçus de dons frauduleux produits.

 

[10]    Dans la décision Venne v. The Queen, [1984] C.T.C. 223, 84 DTC 6247 (C.F., 1re inst.), le juge Strayer a fait le commentaire suivant au sujet de la signification du terme « faute lourde » aux fins de l’imposition de pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi :

 

[…] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. […]

 

[11]    Dans la décision DeCosta v. The Queen, 2005 DTC 1436 (C.C.I., procédure informelle), le juge en chef Bowman a renvoyé à la décision Udell v. M.N.R., [1969] C.T.C. 704, 70 DTC 6019 (Cour de l’Échiquier), ainsi qu’à deux décisions du juge Rip de la Cour (maintenant juge en chef adjoint), et il a formulé les commentaires suivants :

 

[9]        Je n’ai aucune difficulté à concilier la décision du juge Cattanach avec celles du juge Rip. Elles découlent toutes d’une conclusion de fait tirée par la cour concernant le rôle joué par les contribuables. Les questions qui se posent dans chaque cas, si on fait abstraction de la question de la préméditation qui n’est pas pertinente en l’espèce, sont les suivantes :

 

a)         « le contribuable a‑t‑il commis une faute en faisant un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus? »

 

b)         « la faute était‑elle assez grave pour justifier l’utilisation de l’épithète "lourde" qui est quelque peu péjorative? »

 

Selon moi, ces questions rejoignent le principe énoncé par le juge Strayer dans la décision Venne v. The Queen, 84 DTC 6247.

 

[...]

 

[11]      Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l’importance de l’omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l’erreur, ainsi que le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu’il convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve.

 

[12]      Qu’en est‑il ici? Un homme fort intelligent qui déclare un revenu d’emploi de 30 000 $ et qui omet de déclarer des ventes brutes d’environ 134 000 $ et des bénéfices nets de 54 000 $. Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au‑delà du simple manque d’attention.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]    En l’espèce, je suis d’avis que l’appelante n’a pas délibérément fait de faux énoncés. Cependant, j’estime que sa faute était assez grave pour justifier l’utilisation de l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjorative. La réduction de l’impôt sur le revenu qu’elle devait payer à laquelle ont donné lieu ses faux énoncés était importante par rapport au revenu qu’elle a gagné. Les faux reçus de dons ont permis à l’appelante d’augmenter le montant de ses crédits d’impôt non remboursables de 991 $ pour l’année d’imposition 2000 et de 1 518 $ pour l’année d’imposition 2001. Je ferais observer qu’en déclarant les montants des faux reçus de dons l’appelante a réduit l’impôt qu’elle devait payer sur son revenu imposable de 34 % et de 55 % pour les années d’imposition 2000 et 2001 respectivement. Les montants des reçus de dons et la réduction de son impôt sur le revenu à payer qui est attribuable à ces reçus étaient substantiels pour l’appelante. Un examen rapide des postes relatifs aux dons de charité figurant dans les déclarations de revenus de l’appelante pour les années d’imposition 2000 et 2001, et des reçus joints à ces déclarations, qu’elle a signées et expédiées par la poste, lui aurait permis de constater la présence des faux énoncés et des faux reçus. Ceux‑ci étaient suffisamment évidents pour qu’une femme aussi instruite et intelligente que l’appelante les remarque. À mon avis, son omission de déceler les faux énoncés et les faux reçus lorsqu’elle a signé et expédié par la poste les déclarations de revenus ne constitue pas qu’un simple manque d’attention. En ne se donnant pas la peine d’examiner ses déclarations de revenus pour les années en cause avant de les signer, l’appelante a adopté, à mon avis, une attitude si cavalière qu’elle va au‑delà du simple manque d’attention. La production tardive de ses déclarations de revenus pour les années 1998, 2000, 2001 et 2002 et l’omission de déclarer son revenu d’emploi pour l’année 1994 révèlent elles aussi son indifférence au respect de la Loi. J’estime que l’appelante ne peut pas se disculper en alléguant qu’elle a aveuglément confié ses affaires fiscales à Gaavi.

 

[13]    Je suis aussi d’avis que la Loi ne confère pas à la Cour de pouvoir discrétionnaire d’accorder une réduction du montant des intérêts fixés dans les nouvelles cotisations pour les années en cause.

 

[14]    Par conséquent, l’appel est rejeté.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’avril 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mai 2008.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI188

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007‑3958(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Bernadine Jackson et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ : Le 30 avril 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Claude Lamoureux

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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