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Dossier : 2005-1788(IT)G

ENTRE :

GUY LAFLAMME,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 21 et 22 mars 2007, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me Serge Fournier

Me Geneviève Bergeron

Avocat de l'intimée :

Me Benoit Mandeville

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (« LIR ») à l'égard de l'année d'imposition 1999 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que le montant de 15 M$ ne doit pas être inclus dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1999, en application du paragraphe 56(2) de la LIR.

 

          Le tout avec dépens en faveur de l'appelant, selon les termes des motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2008.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

 

Référence : 2008CCI255

Date : 20080430

Dossier : 2005-1788(IT)G

ENTRE :

GUY LAFLAMME,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              L’appelant conteste une cotisation établie par le ministre du Revenu national (« Ministre ») par laquelle un montant de 15 M$ a été ajouté à son revenu pour l'année d’imposition 1999, en application du paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). En termes généraux, le Ministre soutient que l’appelant a fait en sorte de transférer un intérêt économique de 15 M$ au profit ou à l’avantage de son fils, Jean Laflamme, et/ou de la société de gestion que ce dernier contrôle, sans contrepartie, avec comme conséquence que ce montant doit être inclus dans son revenu aux termes de cette disposition législative.

 

[2]              De façon subsidiaire, dans l’hypothèse où le paragraphe 56(2) de la LIR ne trouverait pas application, l’intimée soutient que l’appelant devrait être imposé sur un gain en capital de 11,25 M$ (75% de 15 M$) en conséquence de la disposition, par lui, d’un intérêt économique de 15 M$ en faveur de son fils, Jean Laflamme, et/ou de sa société de gestion. Selon l’intimée, l’appelant ayant disposé de cet intérêt économique sans contrepartie, par application du sous‑alinéa 69(1)b)(i) de la LIR, l’appelant et son fils ou la société de gestion de ce dernier, étant liés, l’appelant est présumé avoir disposé de cet intérêt économique pour une contrepartie équivalente à la juste valeur marchande (15 M$). Il est à noter que ce dernier argument n’était pas le fondement de la cotisation, mais qu'il a été avancé au stade des plaidoiries.

 

[3]              L’appelant conteste ces deux arguments. Il soutient, de façon générale, qu’il n’a pas conféré un avantage ou transféré ou disposé d’un intérêt économique d’une valeur de 15 M$ en faveur de son fils ou de la société de gestion de ce dernier.

 

Dispositions législatives

 

[4]               

◄ 56(2) 

      (2) Paiements indirects. Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne − sauf la cession d’une partie d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi ou d’un régime provincial de pensions visé par règlement − doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

 

ARTICLE 69 : Contreparties insuffisantes

 

            (1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi :

 

[...]

 

b) le contribuable qui a disposé d’un bien en faveur :

 

(i) soit d’une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance sans contrepartie ou moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de la disposition,

[...]

 

est réputé avoir reçu par suite de la disposition une contrepartie égale à cette juste valeur marchande;

 

Faits

 

[5]              L’appelant est un entrepreneur qui a poursuivi l’entreprise de son père, fondée en 1940. Cette entreprise qui porte le nom de Industries Rive‑Sud Limitée (« IRSL ») s’est spécialisée au cours des années dans la fabrication de mobilier de chambre à coucher. L’appelant en est devenu le principal actionnaire et dirigeant en 1968. À cette époque, l’entreprise avait un chiffre d’affaires annuel de 700 000 $. Il est passé à 32 M$ (bénéfices nets de 2 à 3 M$) en 1993, pour grimper à 46 M$ (bénéfices nets de 4,7 M$) en 1996, et finalement atteindre 99 M$ (bénéfices nets de 19,5 M$) en 1999. Lors de l’audition, le chiffre d’affaires avait nettement baissé et l’entreprise était exploitée à perte.

 

[6]              En 1991, l’appelant dirigeait l’entreprise avec son fils Jean Laflamme, et un troisième individu, non lié à la famille, M. André Lamothe. Ce dernier agissait comme président de l’entreprise, Jean Laflamme était vice‑président, et l’appelant président du conseil et chef de la direction. L’appelant était consulté pour toute décision concernant les investissements, les sorties de fonds, ou l’orientation de l’entreprise.

 

[7]              En 1991, l’appelant détenait 50% du capital‑actions de IRSL par le biais de sa société de gestion 118 280 Canada Inc. (« 118 Canada »), Jean Laflamme, 25%, par l’intermédiaire de sa société de gestion 2165‑1153 Québec Inc. (« 2165 Québec ») et André Lamothe, 25%, à titre personnel.

 

[8]              En 1996, suite à des ennuis de santé, l’appelant, de concert avec son comptable, Gilles Cadieux, a commencé à songer à sa planification testamentaire. Il voulait que son fils Jean prenne la relève dans l’entreprise, tout en ne négligeant pas ses quatre autres enfants et sa conjointe. M. Cadieux lui a parlé de la possibilité de faire un gel successoral de ses actions dans l’entreprise pour faire en sorte que la plus‑value de ces actions bénéficie à ses enfants. C’est alors que l’idée de créer une fiducie, dans laquelle les cinq enfants seraient bénéficiaires, a germé.

 

[9]              À cette époque, la société de gestion de l’appelant, 118 Canada, détenait 50% des actions de IRSL, tel que mentionné plus haut, mais détenait également d’autres placements. Il fut donc décidé de conserver tous les actifs autres que les actions de IRSL dans 118 Canada, lesquels actifs profiteraient à l’appelant et à sa conjointe, et les actions de IRSL furent transférées à une société nouvellement constituée, 3325016 Canada Inc. (« 332 Canada »), dont les actionnaires étaient l’appelant et la fiducie. Le transfert de ces actions s’est fait en se servant des dispositions de roulement de l’article 85 de la LIR, sans conséquences fiscales au moment du transfert.

 

[10]         Les parties au présent litige ont cru bon de déposer une entente partielle sur les faits, laquelle résume toutes les transactions effectuées à ce stade des événements, soit à compter du 18 décembre 1996, eu égard au transfert des actions de IRSL, et impliquant tant la fiducie, la société nouvellement constituée 332 Canada et les sociétés de gestion de l’appelant, de son fils Jean Laflamme, et d'André Lamothe.

 

[11]         Cette entente partielle sur les faits est reproduite ci‑après :

 

1.         Avant le 18 décembre 1996, les actions ordinaires du capital‑actions de la société par actions Les Industries de la Rive Sud Ltée (IRSL) étaient détenues à 50% par la société par actions 118280 Canada inc. (118280 Canada), à 25% par la société par actions 2165‑1153 Québec inc. (2165‑1153 Québec) et à 25% par monsieur André Lamothe (Lamothe). (alinéa 21a) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

2.         À ce moment, l’appelant détenait la totalité des 300 actions ordinaires du capital‑actions de 118280 Canada. (alinéa 21b) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

3.         À ce moment, monsieur Jean Laflamme, le fils de l’appelant (fils de l’appelant) détenait la totalité des actions du capital‑actions de 2165‑1153 Québec. (alinéa 21c) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

4.         Lamothe et l’appelant sont des personnes sans lien de dépendance, (alinéa 21d) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

5.         Le ou vers le 18 décembre 1996, la Fiducie Guy Laflamme (Fiducie Guy Laflamme) a été créée par madame Marthe Vaillancourt, l’épouse de l’appelant. (alinéa 21e) de la réponse modifiée à l’avis d’appel.

 

6.         L’acte de fiducie de Fiducie Guy Laflamme prévoyait que les fiduciaires seraient l’appelant et monsieur Robert Després. (alinéa 21f) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

7.         Les bénéficiaires du revenu de Fiducie Guy Laflamme étaient les cinq enfants de l’appelant (i.e. Jean, Jacques, Marc, Richard et Marie‑Josée Laflamme) et leurs enfants au premier degré nés ou à naître. (alinéa 21g) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

8.         Les bénéficiaires du capital de Fiducie Guy Laflamme étaient l’appelant et ses cinq enfants (et leurs enfants au premier degré nés ou à naître). (alinéa 21h) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

9.         L’article 7.1 de l’acte de fiducie de Fiducie Guy Laflamme prévoyait, entre autres, que : « Toute décision devait être prise à la majorité et Guy Laflamme, s’il était un des fiduciaires, devait faire partie de cette majorité », (alinéa 21i) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

10.       Le ou vers le 18 décembre 1996, la société par actions 3325016 Canada inc. (3325016 Canada) fut constituée par l’appelant. (alinéa 21j) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

11.       L’appelant était, pendant la période en litige, l’administrateur unique de 3325016 Canada. (alinéa 21k) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

12.       3325016 Canada a été constituée aux fins d’effectuer un gel successoral des actions du capital‑actions de 118280 Canada que détenait l’appelant. (alinéa 21l) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

13.       Suite à la constitution de 3325016 Canada, Fiducie Guy Laflamme a souscrit à 100 actions catégorie « A » de son capital‑actions, tandis que l’appelant a souscrit à 10 actions catégorie « D » et 500 actions catégorie « E ». (alinéa 21m) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

14.       Les actions catégorie « A » du capital‑actions de 3325016 Canada, détenues par Fiducie Guy Laflamme, étaient, en cas de liquidation, des actions pleinement participantes dans le reliquat des biens de cette société. (alinéa 21n) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

15.       Les actions détenues par Fiducie Guy Laflamme dans le capital‑actions de 3325016 Canada ne donnaient à cette fiducie que 0,002%[1] de droits de vote lors des assemblées des actionnaires de 3325016 Canada. Le reste des droits de vote était rattaché aux actions détenues par l’appelant. (alinéa 21o) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

16.       Les actions catégorie « E » du capital‑actions de 3325016 Canada, acquises par l’appelant, donnaient droit à 100 votes par action. (alinéa 21p) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

17.       Les actions catégorie « D » détenues par l’appelant dans le capital‑actions de 3325016 Canada étaient des actions non participantes dans le reliquat des biens et comportant un droit de conversion, au gré du détenteur, à raison d’une action catégorie « D » pour 1 million d’actions catégorie « A ». (alinéa 21q) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

18.       La description du capital‑actions de 3325016 Canada prévoyait qu’advenant la disposition réelle ou présumée, par l’appelant de la totalité ou d’une partie de ses actions catégorie « D », le droit de conversion y rattaché serait automatiquement annulé. (alinéa 21r) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

19.       La description du capital‑actions de 3325016 Canada prévoyait également que si l’avis de conversion était donné par l’appelant à l’intérieur d’une certaine période avant son décès, l’avis de conversion était réputé ne pas avoir été donné. (alinéa 21s) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

20.       Le ou vers le 18 décembre 1996, l’appelant a transféré 180 actions ordinaires du capital‑actions de 118280 Canada en faveur de 3325016 Canada en contrepartie de 180 actions privilégiées catégorie « B » de cette dernière société (les actions de gel). (alinéa 21u) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

21.       Le transfert mentionné au point précédent s’est effectué par roulement fiscal en vertu de l’article 85 de la LIR. Les parties se sont entendues sur une juste valeur marchande de 6.5 M$ pour l’ensemble des actions ainsi transférées. (alinéa 21v) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

22.       Le ou vers le 18 décembre 1996, 118280 Canada a transféré la totalité de ses actions ordinaires du capital‑actions de IRSL en faveur de 3325016 Canada en contrepartie de 50 actions privilégiées catégorie « C » de cette dernière société. (alinéa 21w) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

23.       Le transfert mentionné au point précédent, s’est effectué par roulement fiscal en vertu de l’article 85 de la LIR. Les parties se sont entendues sur une juste valeur marchande de 6,5 M$ pour l’ensemble des actions ainsi transférées. (alinéa 21x) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

24.       Suite aux transferts mentionnés aux paragraphes 20 et 22 de la présente entente (alinéas 21u) et 21w) de la réponse modifiée à l’avis d’appel), les actions émises en contrepartie de ces transferts (les actions catégorie « C » détenues par 118280 Canada dans le capital‑actions de 3325016 Canada et les actions ordinaires détenues par 3325016 Canada dans le capital‑actions de 118280 Canada) ont été rachetées par l’émission de deux billets de 6,5 M$ chacun. Par la suite, ces billets ont été éteints par compensation. (alinéa 21y) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

25.       Le ou vers le 23 janvier 1997, le capital‑actions de IRSL a été modifié par la création des nouvelles catégories d’actions ordinaires « A » et « B ». (alinéa 21z) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

26.       3325016 Canada a alors reçu 50 actions catégorie « A » en échange de ses actions ordinaires et 2165‑1153 Québec et Lamothe ont reçu, respectivement, 25 actions catégorie « B » en échange de leurs actions ordinaires. (alinéa 21aa) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

27.       Le ou vers le 27 juillet 1999, Lamothe a constitué les sociétés par actions Placements André Lamothe inc. (Placements André Lamothe) et 9079‑9891 Québec inc. (9079‑9891 Québec). (alinéa 21bb) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

28.       Le ou vers le 27 juillet 1999, Lamothe a transféré sa participation (25%) dans IRSL en faveur de 9079‑9891 Québec Inc. en contrepartie de 23 438 actions catégorie « A » et 1 562 actions catégorie « B » du capital‑actions de 9079‑9891 Québec inc. (alinéa 21cc) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

29.       Par la suite le même jour, Lamothe a transféré, en faveur de Placements André Lamothe, ses 23 438 actions catégorie « B » du capital‑actions de 9079‑9891 Québec inc. en contrepartie de 23 438 actions ordinaires catégorie « A » du capital‑actions de Placements André Lamothe. (alinéa 21dd) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

30.       Le 30 juillet 1999, Lamothe a vendu sa participation (25%), directe et indirecte, dans IRSL en transférant les actions qu’il détenait directement et indirectement, par l’entremise de Placements André Lamothe, dans le capital‑actions de 9079‑9891 Québec en faveur de 2165‑1153 Québec (la société de gestion du fils de l’appelant) pour un montant de 8 M$. (alinéa 21ee) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

31.       Aux fins de l’acquisition mentionnée au point précédent, 2165‑1153 Québec avait obtenu un prêt de 8 M$ d’une personne sans lien de dépendance (tiers acquéreur) qui, peu de temps après, deviendra actionnaire de IRSL. (alinéa 21ff) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

32.       Le ou vers le 2 août 1999, le capital‑actions de IRSL a été remanié et les actions ordinaires catégorie « B » détenues alors par 2165‑1153 Québec et 9079‑9891 Québec ont été fractionnées à raison de 10 actions pour chacune des actions alors émises. Ces sociétés détenaient donc, après ce fractionnement, chacune 250 actions catégorie « B » du capital‑actions de IRSL. Quant aux 50 actions catégorie « A » détenues par 3325016 Canada dans le capital‑actions de IRSL, celles-ci ont été converties dans le cadre de ce remaniement en 100 actions catégorie « B » et 400 actions catégorie « C ». (alinéa 21gg) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

33.       Le ou vers le 2 août 1999, Fiducie Guy Laflamme a transféré 20 de ses 100 actions catégorie « A » du capital‑actions de 3325016 Canada en faveur de 2165‑1153 Québec en contrepartie de 100 actions catégorie « E » du capital‑actions de cette dernière. (alinéa 21hh) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

34.       Le ou vers le 2 août 1999, 3325016 Canada a transféré 100 actions catégorie « B » du capital‑actions de IRSL en faveur de 2165‑1153 Québec en contrepartie de 100 actions catégorie « D » du capital‑actions de cette dernière. (alinéa 21kk) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

35.       Un choix en vertu du paragraphe 85(1) de la LIR a été effectué à l’égard du transfert mentionné au paragraphe 34 de la présente entente (alinéa 21kk) de la réponse modifiée à l’avis d’appel). La somme convenue était égale au prix de base rajusté des actions transférées et les parties se sont entendues sur une juste valeur marchande de 15 M$ pour l’ensemble de ces actions. (alinéa 21ll) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

36.       Suite aux transferts mentionnés aux paragraphes 33 et 34 de la présente entente (alinéa 21hh) et 21kk) de la réponse modifiée à l’avis d’appel), les actions émises en contrepartie de ces transferts (les 20 actions catégorie « A » détenues par 2165‑1153 Québec dans le capital‑actions de 3325016 Canada et les 100 actions catégorie « D » détenues par 3325016 Canada dans le capital‑actions de 2165‑1153 Québec) ont été rachetées par l’émission de deux billets de 15 M$ chacun (les rachats croisés). Par la suite, ces billets ont été éteints par compensation. (alinéa 21mm) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

37.       Les rachats croisés ont été faits suivant les instructions ou avec l’accord de l’appelant. (alinéa 21nn) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

38.       Le ou vers le 2 août 1999, IRSL a déclaré un dividende au montant de 15 M$ qui fut payé à 2165‑1153 Québec (3,75 M$), 9079‑9891 Québec (3,75 M$) et 33250156 Canada (7,5 M$). (alinéa 21uu) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

39.       Le prêt consenti à 2165‑1153 Québec par le tiers acquéreur a été remboursé par 2165‑1153 Québec à l’aide d’un montant de 8 M$ provenant de 7,5 M$ de dividende reçu par 2165‑1153 Québec et 9079‑9891 Québec et d’un montant de 500 000 $ avancé par IRSL à 2165‑1153 Québec. (alinéa 21vv) de la réponse modifiée à l’avis d’appel)

 

40.       Le ou vers le 23 septembre 1999, le tiers acquéreur a acquis 265 actions de catégorie « A » du capital‑actions de IRSL pour un montant de 33,15 M$. (alinéa 21ww) de la réponse modifiée à l’avis d’appel.

 

[12]         En ce qui concerne le transfert d'actions effectué en 1996, faisant en sorte que 332 Canada devienne actionnaire de IRSL en lieu et place de 118 Canada (paragraphes 20 à 24 de l'entente partielle sur les faits), le Ministre n'a pas remis en question, en établissant la cotisation pour l’année d’imposition 1996, la juste valeur marchande de 6,5 M$ établie entre les sociétés concernées, et le bien‑fondé des rachats croisés, sans conséquences fiscales. (voir rapport du vérificateur, pièce A-2, page 19 de 20).

 

[13]         En ce qui concerne la vente en juillet 1999 des actions de IRSL anciennement détenues par André Lamothe, et transférées par ce dernier à sa société de gestion 9079‑9891 Québec Inc. (« 9079 Québec ») et ensuite à la société de gestion de Jean Laflamme (« 2165 Québec ») pour la somme de 8 M$ (paragraphes 27 à 30 de l'entente partielle sur les faits), le Ministre n'a pas, à ma connaissance, remis en question non plus le bien‑fondé de ces transactions. L'appelant a expliqué que M. Lamothe a été malade en 1999 et qu'il a quitté l'entreprise deux ans avant le terme de 10 ans prévu à l'origine. Selon la convention des actionnaires, c'est Jean Laflamme ou sa société de gestion qui devait racheter les parts que détenait M. Lamothe, directement ou indirectement, dans IRSL. C'est alors que Jean Laflamme a pris contact avec le groupe Beaudier pour financer l'acquisition par sa société de gestion, 2165 Québec, des actions de Placements André Lamothe. En fait, 9079 Québec détenait les anciennes actions de M. Lamothe dans IRSL et les actions de 9079 Québec étaient détenues par Placements André Lamothe. En retour, Beaudier exigeait de devenir actionnaire à 50% de IRSL. C'est à ce moment qu'on en est venu à une entente sur la valeur de toutes les actions de IRSL à 150 M$ et que Beaudier s’est engagé à acheter 50% des actions de IRSL sur une période de cinq ans. L'appelant a dès lors considéré qu'il était temps pour lui de se retirer de l'entreprise et de laisser la place à son fils Jean Laflamme et au groupe Beaudier. L'objectif était de garder 50% de l'entreprise (IRSL) dans la famille Laflamme et transférer l’autre 50% à Beaudier. 332 Canada détenait alors 50% des parts dans IRSL et la fiducie détenait les actions participantes dans 332 Canada (les 100 actions de catégorie A); ainsi la fiducie possédait donc des actions d'une valeur de 75 M$ (soit 15 M$ par enfant bénéficiaire). Puisque Jean Laflamme était le seul des enfants de l'appelant qui s'était investi dans l'entreprise, il fut décidé que la fiducie lui attribuerait directement sa part de 15 M$. Ainsi, la fiducie a transféré à la société de gestion de Jean Laflamme, 2165 Québec, 20 actions de catégorie A qu'elle détenait dans le capital‑actions de 332 Canada en contrepartie de 100 actions de catégorie E du capital‑actions de 2165 Québec. Parallèlement, 332 Canada a transféré 100 actions de catégorie B qu'elle détenait dans le capital‑actions de IRSL (soit 10% du capital‑actions de IRSL) en faveur de 2165 Québec en contrepartie de 100 actions de catégorie D du capital‑actions de cette dernière. Ces deux transferts d’actions se sont faits en effectuant le choix en vertu de l’article 85 de la LIR, en désignant une valeur marchande de 15 M$ pour ces actions. Puis, il y eut rachats croisés des actions détenues mutuellement par 332 Canada et 2165 Québec et extinction des billets émis en contrepartie de ces rachats par compensation (voir paragraphes 33 à 37 de l'entente partielle sur les faits). Ceci faisait en sorte que 2165 Québec n'était plus actionnaire de 332 Canada, et vice versa. Par la suite, la fiducie a distribué les 100 actions catégorie E qu’elle détenait dans le capital‑actions de 2165 Québec à l’un de ses bénéficiaires, soit Jean Laflamme, en satisfaction de la totalité de sa participation comme bénéficiaire de la fiducie (voir pièce A‑1, onglet 21). Ainsi, suite à cette distribution de capital, Jean Laflamme n'était plus bénéficiaire de la fiducie mais obtenait sa part du gel successoral en recevant 10% des actions du capital‑actions de IRSL, soit 100 actions de catégorie B de IRSL, par l'intermédiaire de sa société de gestion, 2165 Québec.

 

Litige

 

[14]         Ce sont précisément les rachats croisés des 20 actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada détenues par 2165 Québec et des 100 actions de catégorie D du capital‑actions de 2165 Québec détenues par 332 Canada, et l'émission des billets d'une valeur de 15 M$ (paragraphe 36 de l’entente partielle sur les faits), qui font l'objet de contestation par le Ministre.

 

[15]         Le Ministre est d'avis que les 20 actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada transférées par la fiducie à 2165 Québec ne valaient pas 15 M$ au moment du transfert et qu'un billet au même montant ne pouvait donc être émis lors du rachat de ces 20 actions de catégorie A. En conséquence, soutient le Ministre, il ne pouvait y avoir rachats croisés des actions pour ce montant, et 2165 Québec s'est retrouvée avec les 100 actions de catégorie B dans le capital‑actions de IRSL, anciennement détenues par 332 Canada et évaluées à 15 M$, sans verser de contrepartie. L'intimée soutient donc que 2165 Québec, la société de gestion de Jean Laflamme, a reçu un avantage de 15 M$.

 

[16]         Les parties s’entendent pour dire que le litige repose principalement sur la valeur qu’il faut attribuer aux 20 actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada que détenait la fiducie au moment du transfert à 2165 Québec.

 

[17]         Selon l’intimée, ces actions n’avaient qu’une valeur nominale. L’appelant prétend qu’elles valaient 15 M$.

 

[18]         Pour l’intimée, les actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada n’avaient qu’une valeur nominale à cause de la « nuisance value »[2] créée par les 10 actions de catégorie D du capital‑actions de 332 Canada détenues par l’appelant. Selon l’intimée, le droit d’échange, au gré du détenteur, rattaché aux 10 actions de catégorie D, en 10 millions d’actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada, faisait en sorte d’enlever toute valeur aux 100 actions de catégorie A détenues par la fiducie dans le capital‑actions de 332 Canada.

 

[19]         L’intimée soutient qu’il ne faut pas prendre comme hypothèse que le détenteur des actions de catégorie D, en l’occurrence l’appelant, avait ou aurait renoncé au droit d’échange rattaché à ses actions. Tant que le détenteur des 10 actions de catégorie D pouvait se prévaloir de son droit d’échanger une action de catégorie D en un million d’actions de catégorie A, ceci lui conférait, selon les deux témoins experts de l’intimée, l’entière propriété de la société comme telle. Ces experts soutiennent que pour un tiers indépendant, les droits et privilèges rattachés aux actions de catégorie D font en sorte que les autres actions n’ont plus de valeur. Un tiers indépendant se serait assuré, avant de payer 15 M$ pour les 20 actions de catégorie A, que les actions de catégorie D n’avaient plus les droits et privilèges rattachés à leur droit d’échange. Or, l’appelant détenait toujours ses 10 actions de catégorie D et n’avait pas renoncé à son privilège de conversion au moment du transfert des 20 actions de catégorie A par la fiducie à 2165 Québec. En d’autres termes, même si les actions de catégorie D, prises individuellement, avaient une valeur minimale, elles avaient un pouvoir de dilution important, donnant ainsi une valeur négligeable aux actions de catégorie A. Selon les experts, toute la valeur de l’entreprise appartenait à l’appelant, par la possession de ses actions de catégorie D.

 

[20]         Les experts de l’intimée reconnaissent que si ce n’était du droit de conversion rattaché aux actions de catégorie D, ces actions n’auraient qu’une valeur de 1 $ l’action (soit la valeur de rachat).

 

[21]         De son côté, l’expert de l’appelant n’est pas d’accord avec la « nuisance value » attribuée par les experts de l’intimée aux actions de catégorie D, laquelle anéantirait toute valeur attribuable aux actions de catégorie A.

 

[22]         Selon l’expert de l’appelant, aux pages 3 et 4 de son Rapport (pièce A‑5) :

 

 

 

. . .

 

We disagree with the conclusions expressed in the 2001 CRA [Respondent] Opinion Letter. The reasons for our disagreement are illustrated with a walk‑through of a potential transaction involving 20 of the Class A Shares of 3320516:

 

 

·        The shareholder of 3325016 decides to sell 20 of its Class A Shares in 3320516 and is able to find a potential purchaser for said shares. The potential purchaser is interested in acquiring the 20 Class A Shares for the value of 3320516’s investment in IRSL.

 

 

·        The potential purchaser conducts his due diligence and is confronted with the convertible Class D Shares. Understandably, the potential purchaser would refuse to purchase the Class A Shares unless he were guaranteed that the Class D Shares would not be converted and would not therefore dilute the value of his newly acquired Class A Shares.

 

 

. . .

 

Implicit in CRA’s analysis is the assumption that the owner of the Class D Shares would not be prepared to provide a guarantee of non‑conversion. As a result, no sale of the 20 Class A shares could ever be consummated. CRA’s implicit assumption is incorrect in that it does not reflect the commercial realities specific to 3320516 and its investment in IRSL.

 

 

The definition of fair market value assumes that all parties to a transaction act at arm’s length (i.e. “n’ont aucun lien de dépendance”). A consistent interpretation of this definition is that parties should always be considered to be at arm’s length, i.e. at the creation of the relationship through the issuance of shares, during the period that the parties hold shares in 3320516 and at the end of the relationship when one party wishes to sell its shares in 3320516. When 3320516 was created, there was a clear intention that future value accrue to the Class A Shares. It is nonsensical to think that two parties acting at arm’s length would have created a class of shares (the Class A Shares) that could be stripped of all value at the whim of the holder of the Class D Shares. If this was the desire of the holder of the Class D Shares, then he would have simply issued himself the Class A Shares and not bothered with any Class D Shares.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Given the clear intention to create value for the Class A Shares, it is reasonable to expect that the required guarantee of non‑conversion would be provided by the holder of the Class D Shares.

 

 

One might ask why the Class D Shares included the conversion feature. A possible explanation is that it was put in place as a safety measure to protect the interests of the shareholders of IRSL. If all of the Class A Shares in 3320516 were to be sold to a potential purchaser deemed unacceptable to the other shareholders of IRSL, the conversion feature provided a safety mechanism for the holder of the Class D Shares to maintain control of 3320516 and, by extension, IRSL. Given that the contemplated transaction involved only 20 Class A Shares, no protective measures would be required and therefore there would be no reason for the guarantee of non‑conversion to be withheld.

 

 

 

. . . A more complete analysis of the facts, including the intentions of the parties when 3320516 was created and their actions from creation to the transaction involving the 20 Class A Shares, would justify only a marginal, if any, nuisance value for the Class D Shares in 3320516.

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

Nous ne souscrivons pas aux conclusions exprimées dans la lettre d’opinion de 2001 de l’ARC [l'intimée]. Les motifs de notre désaccord sont illustrés par l'exemple suivant d’une transaction éventuelle visant 20 actions de catégorie A de 3320516 :

 

·           L’actionnaire de 3325016 décide de vendre 20 de ses actions de catégorie A de 3320516 et trouve un acheteur éventuel pour ces actions. L’acheteur éventuel est intéressé à acheter les 20 actions de catégorie A en raison de la valeur de l’investissement de 3320516 dans IRSL.

 

·        L’acheteur éventuel effectue ses vérifications préalables et découvre l’existence des actions convertibles de catégorie D. Naturellement, l’acheteur éventuel refuserait d’acheter les actions de catégorie A, sauf s’il obtenait la garantie que les actions de catégorie D ne seraient pas converties et n’iraient donc pas diluer la valeur des actions de catégorie A qu’il se propose d’acquérir.

 

[...]

 

Dans l'analyse de l'ARC on suppose implicitement que le propriétaire des actions de catégorie D ne consentirait pas à fournir une garantie de non‑conversion et que, par conséquent, aucune vente des 20 actions de catégorie A ne pourrait jamais se faire. Cette supposition implicite de l’ARC est erronée car elle ne tient pas compte des réalités commerciales propres à 3320516 et à son investissement dans IRSL.

 

La définition de juste valeur marchande tient pour acquis que l’ensemble des parties à une transaction n’ont entre elles aucun lien de dépendance. Cette définition a été interprétée, et ce, de façon constante, comme signifiant que les parties doivent toujours être présumées n’avoir aucun lien de dépendance, ce qui veut dire, en l'occurrence, que les parties n’avaient aucun lien de dépendance au moment de la création de la relation par l’émission des actions, qu'elles n'ont pas de tel lien au cours de la période pendant laquelle elles détiennent des actions de 3320516 et qu'elles n'en auront pas à la fin de la relation lorsqu’une partie voudra vendre ses actions de 3320516. Lorsque 3320516 a été créée, l'intention manifeste des parties était que la valeur future profite aux actions de catégorie A. Il est absurde de penser que deux parties qui n’avaient aucun lien de dépendance auraient créé une catégorie d’actions (les actions de catégorie A) qui pourraient être dépouillées de toute valeur au gré du détenteur des actions de catégorie D. Si c’était ce que voulait le détenteur des actions de catégorie D, il se serait tout simplement attribué les actions de catégorie A et n’aurait pas créé d'actions de catégorie D.

 

Compte tenu de l'intention manifeste de faire en sorte que les actions de catégorie A aient de la valeur, il est raisonnable de s’attendre à ce que la garantie exigée de non‑conversion soit fournie par le détenteur des actions de catégorie D.

 

On pourrait se demander pourquoi les actions de catégorie D comportent un privilège de conversion. Il se pourrait qu’il ait été accordé à titre de mesure de protection visant à protéger les intérêts des actionnaires de IRSL. Si toutes les actions de catégorie A de 3320516 devaient être vendues à un acheteur éventuel jugé inacceptable par les autres actionnaires de IRSL, le privilège de conversion constituerait un mécanisme de protection qui permettrait au détenteur des actions de catégorie D de conserver le contrôle de 3320516 et, par voie de conséquence, de IRSL. Comme la transaction envisagée ne visait que 20 actions de catégorie A, aucune mesure de protection n’était nécessaire et, par conséquent, il n’y avait aucune raison de refuser de donner la garantie de non‑conversion.

 

[...] Une analyse plus exhaustive des faits, notamment des intentions des parties lors de la création de 3320516 ainsi que de leurs actes à partir du moment de la création jusqu'au moment de la transaction visant les 20 actions de catégorie A, mènerait à la conclusion que l'existence des actions de catégorie D de 3320516 ne présente, tout au plus, que des inconvénients minimes.

 

 

 

[23]         Lors de son témoignage, l’expert de l’appelant a mentionné qu'en réalité, il y a tout lieu de croire que le détenteur des actions de catégorie D, en l’occurrence, l’appelant, ferait tout ce qui est nécessaire pour que la transaction de vente des actions de catégorie A se réalise, si tel était son désir que la fiducie se départisse des actions de catégorie A. Il ne bloquerait certainement pas la vente en menaçant de se servir de son droit de conversion sur ses actions de catégorie D. Au contraire, il y renoncerait pour s’assurer que la transaction se complète. Si l’appelant, dès le départ, ne voulait pas que la fiducie dispose des actions de catégorie A, il aurait déjà exercé son droit de conversion de façon à ne plus craindre de perdre le contrôle sur le nombre d'actions qu'il détient dans le capital‑actions de 332 Canada, elle‑même actionnaire de IRSL. Tout le concept derrière la création de la fiducie et de la détention par celle‑ci des actions participantes de catégorie A, était justement pour l’appelant, la volonté de se départir de l’entreprise.

 

[24]         Il est dès lors évident qu’à partir du moment où l’appelant ou la fiducie, dont il est l’un des fiduciaires, accepte l’acheteur, l’appelant, détenteur des actions de catégorie D à titre personnel, renoncerait à son droit de conversion, et la « nuisance value » deviendrait alors minime, si on peut parler d’une telle « nuisance value ».

 

[25]         Dans l’opinion de l’expert de l’appelant, les concepts théoriques retenus par l’intimée ne devraient pas avoir prédominance sur la réalité des activités commerciales. Selon la définition de la juste valeur marchande, il faut regarder la valeur attribuée par un acheteur désireux d’acheter, et un vendeur désireux de vendre.

 

[26]         Toujours selon lui, une « nuisance value » s’applique plutôt dans le contexte où des actionnaires minoritaires tenteraient de bloquer la vente par un actionnaire majoritaire de toutes les actions de l’entité corporative en question. En ce cas, il faudrait donner une valeur un peu plus élevée aux actions détenues par les actionnaires minoritaires afin d’encourager ceux‑ci à accepter de se départir de leurs actions. C’est ce qu’on définit comme étant la « nuisance value ».

 

[27]         La situation présente est différente et n’est pas typique de situations où l’on doit considérer une « nuisance value ». En effet, on ne peut parler ici d'actionnaire minoritaire. Nous sommes dans la situation où il est de la volonté du détenteur des actions de catégorie D que le transfert des actions de catégorie A se fasse. La « nuisance value » ou la baisse de valeur des actions de catégorie A serait très minime dans les circonstances.

 

Analyse

 

[28]         L’une des phrases clé que l’on retrouve au rapport d’expert de l’intimée (pièce I‑6, page 3), se lit comme suit :

 

[...]

 

En utilisant ce pouvoir de conversion, le détenteur des actions de catégorie « D » peut prendre la contrôle de la société en tout temps et à son gré.

 

De ce fait, il est capable d’empêcher une planification initiée par l’actionnaire majoritaire pour son propre bénéfice. Il peut effectivement être en position de bloquer la vente pour un changement de contrôle.

 

[29]         Dans le contexte spécifique du gel successoral effectué en 1996, on a voulu donner la plus‑value des actions aux actions de catégorie A, détenues par la fiducie, et laisser le contrôle entre les mains de l’appelant en lui donnant une autre catégorie d’actions, soit les actions de catégorie E, lesquelles lui donnaient 100 droits de vote par action (comparativement à 0,002% de droits de vote pour les actions de catégorie A) (voir entente partielle sur les faits, aux paragraphes 15 et 16). Même si l’appelant exerçait son droit de conversion et convertissait ses 10 actions de catégorie D en 10 millions d’actions de catégorie A, cela ne changerait rien au contrôle de 332 Canada qui lui était déjà acquis de toute façon par ses actions de catégorie E.

 

[30]         Donc, l’expert de l’intimée n’a pas raison de dire que c’est en utilisant le pouvoir de conversion rattaché à ses actions de catégorie D (pouvoir d’ailleurs qui était personnel à l’appelant puisque lui seul, selon la structure établie, pouvait exercer ce pouvoir (paragraphes 18 et 19 de l’entente partielle sur les faits)), que le détenteur des actions de catégorie D, soit l'appelant, pouvait prendre le contrôle de 332 Canada.

 

[31]         Ainsi, lorsque l’expert de l’intimée affirme que « le détenteur des actions de catégorie « D » [...] est capable d’empêcher une planification initiée par l’actionnaire majoritaire pour son propre bénéfice [en bloquant] la vente pour un changement de contrôle », à mon avis, il se méprend. Selon la structure existante, c'est l'appelant qui détient le contrôle de 332 Canada par la détention de ses 500 actions de catégorie E, lesquelles lui donnent 50 000 droits de vote. Il a tous les pouvoirs d'un actionnaire majoritaire. Qu'il exerce son droit de conversion et s'approprie les actions de catégorie A, ou à l'inverse, qu'il accepte que la fiducie se départisse de ses actions au profit d'un acheteur qu'il approuve, au bout du compte c'est lui qui décide si la vente d'actions de catégorie A aura lieu. Ceci n'affecte en rien la valeur des actions de catégorie A. Dans un autre contexte, par exemple, si un actionnaire a un droit préférentiel d'acquérir des actions à un prix moins élevé que la valeur marchande, et qu'il n'exerce pas ce droit, cela ne diminue en rien la valeur marchande de ces actions. Si l'actionnaire n'exerce pas ce droit, ces actions seront vendues à la valeur du marché. Ici, c'est le même principe. À partir du moment où l'appelant n'a pas exercé son droit de conversion et qu'il accepte le transfert des actions de catégorie A, le droit de conversion non exercé n'affecte en rien la valeur intrinsèque des actions de catégorie A ainsi transférées. Le droit qu'avait l'appelant d'exercer la conversion de ses actions de catégorie D, et ce qu'il en serait résulté s'il l'avait exercé après le transfert des actions de catégorie A, devient une question purement hypothétique. Il faut analyser les faits tels qu'ils se sont présentés et non tels qu'ils auraient pu se présenter.

 

[32]         Toute cette structure a été conçue pour permettre à l’appelant de se retirer progressivement de l’entreprise, en se prévalant des règles fiscales appropriées pour effectuer un gel successoral au bénéfice de ses enfants.

 

[33]         Dès le départ, l’intention était de transférer la plus‑value de l’entreprise aux enfants. Il est illogique de prétendre que l’appelant exercerait son droit d'échange pour diluer la valeur des actions de catégorie A détenues par la fiducie pour le bénéfice des enfants. Ceci est certainement aussi vrai dans le cas spécifique où il accepte le transfert d'une partie de ces actions à celui de ses enfants qui gère l'entreprise avec lui depuis plusieurs années. Les actions de catégorie D auraient été mises en place lors du premier gel successoral de 1996 dans l’éventualité où l’appelant changerait d’idée et voudrait profiter lui-même de la plus‑value de l’entreprise. Le comptable de l’appelant, monsieur Cadieux, a affirmé que ce mécanisme avait été instauré à l’initiative du fiscaliste de l’époque, sans autre consultation. L’appelant n’en a pas fait de cas car, lors de son témoignage, il a mentionné qu'il n’avait pas vraiment porté attention à l'existence de ces actions. Pour lui, ce qui comptait c’était de se retirer de l’entreprise familiale et d’en transférer la plus‑value à ses enfants. Il est donc très peu probable qu’il ait jamais eu l’intention d’exercer son droit de conversion.

 

[34]         Même si l'appelant avait été pleinement conscient de ce droit de conversion, le fait que la fiducie (et lui‑même) acceptent de distribuer à son fils Jean la part de son capital en initiant le transfert de 20 actions de catégorie A, correspond exactement au but visé par la planification successorale conçue par l’appelant lui-même dès le départ. On voit mal comment l’appelant aurait pu avoir l’intention en même temps d'échanger ses actions de catégorie D, ce qui irait directement à l’encontre du but de la création de la fiducie et de la détention par celle-ci, au profit de ses bénéficiaires, des actions de catégorie A, donnant droit de participer aux profits et à la distribution des actifs de 332 Canada et ultimement de IRSL.

 

[35]         C’est pourquoi je suis d’accord avec l’expert de l’appelant pour dire que l’on ne doit pas, dans ce cas précis, attribuer de « nuisance value » aux actions de catégorie D, ce qui enlèverait toute valeur aux actions de catégorie A dans le capital‑actions de 332 Canada.

 

[36]         Dans Corner Brook Pulp and Paper Limited v. The Queen, 2006TCC70, [2006] A.C.I. no 63 (QL) cité par l’avocat de l’appelant, le juge en chef Bowman de notre cour s’exprime ainsi aux paragraphes 28, 29 et 30 :

 

[28]      Dans l'arrêt Gold Coast Selection Trust, Ltd. v. Humphrey (Inspector of Taxes), [1948] A.C. 459, le vicomte Simon a affirmé ce qui suit à la page 473 :

 

« [...] L'évaluation est un art et non une science exacte. Aucune certitude mathématique n'est exigée en la matière et, en réalité, aucune n'est possible.

 

Cette observation est souvent citée, mais je dois avouer que je ne suis pas tout à fait certain de sa signification. La frontière entre la science et l'art est au mieux indistincte et elle a fait l'objet de bien des débats entre universitaires. Cette assertion suppose à tout le moins que l'évaluation nécessite des compétences qui vont au‑delà de l'application mécanique de règles. De telles compétences englobent le jugement, l'intuition, l'expérience et le bon sens.

 

[29]      Ma conclusion voulant que le contrat d'électricité conclu par Deer Lake et Corner Brook, qui ont entre elles un lien de dépendance, ne doive pas être pris en compte pour établir la JVM des actions de Deer Lake n'est pas une conclusion de droit et elle ne se fonde pas de manière particulière sur des opinions d'expert. Il s'agit plutôt d'une simple appréciation, fondée sur le bon sens, du fait que l'évaluation des éléments d'actif d'une entreprise ne relève pas d'un exercice théorique. Elle se fait dans le monde réel et dans un contexte commercial. Les conclusions tirées par l'évaluateur doivent être appréciées au regard du bon sens ou, si vous préférez, du point de vue du bon père de famille.

 

[30]      La présente affaire intéresse une société propriétaire de biens qui valent entre 150 000 000 $ et 300 000 000 $, mais dont la valeur serait pourtant réduite à environ 17 000 000 $ parce que la société a conclu avec son unique propriétaire un contrat à long terme prévoyant la fourniture d'électricité à un prix sensiblement moindre que celui du marché. Je conviens que, si ce contrat ne pouvait être résilié – par exemple, s'il était intervenu avec un tiers sans lien de dépendance –, cela pourrait avoir une incidence importante sur la valeur et même rendre les actions invendables. L'examen vise à établir quelle sorte d'entente serait conclue entre un acheteur et un vendeur bien informés. Aucun acheteur intelligent n'envisagerait d'acquérir les actions de Deer Lake si le contrat d'électricité de 1955 avec Corner Brook demeurait en vigueur. Que ferait Corner Brook si elle voulait vendre les actions de Deer Lake? De toute évidence, elle se débarrasserait du contrat, ce qui ne présenterait aucune difficulté pour elle. Il ne s'agit pas d'une conclusion de droit ni d'une question relevant d'un expert en évaluation. Ce n'est qu'une simple question de bon sens.

 

[37]         Ainsi, l’évaluation des actions n’est pas un exercice théorique. Il faut se remettre dans le contexte et utiliser un certain bon sens. Dans l’affaire Corner Brook, le juge Bowman en est venu à la conclusion que Corner Brook se départirait facilement d’un contrat de fourniture d’électricité à un prix sensiblement moindre que celui du marché conclu avec sa filiale si Corner Brook voulait vendre ses actions à un tiers afin de redonner toute la valeur à ces actions. De même dans le cas présent, si on avait voulu vendre les actions de catégorie A à un tiers, l’appelant qui contrôlait 332 Canada, aurait renoncé sans difficulté à sont droit de conversion rattaché à ses actions de catégorie D, afin de donner pleine valeur aux actions de catégorie A. C’est le gros bon sens.

 

[38]         Voilà pourquoi, à mon avis, il ne faut pas attacher d’importance aux actions de catégorie D dans le contexte actuel des transactions effectuées et donner pleine valeur aux actions de catégorie A. L’intimée reconnaît que si l’on fait abstraction du droit de conversion, les actions de catégorie D n’ont qu’une valeur de 1,00 $ chacune, donnant ainsi toute leur valeur aux actions de catégorie A.

 

[39]         Par ailleurs, dans ses notes écrites, le procureur de l’intimée soulève en son paragraphe 25, un nouvel argument qui se lit comme suit :

 

25.       L’intimée soutient que si, immédiatement avant le transfert de participation, l’ensemble des actions alors émises du capital‑actions de la société 3325016 valait 75 M $ (ce qui n’est pas contesté) et que l’appelant détenait 180 actions de catégorie B du capital-actions de la société 3325016 ayant une valeur de rachat de 6,5 M $ (ce qui n’est pas contesté), les actions de catégorie A de ce capital-actions ne pouvaient pas avoir une valeur de 75 M $. Elles ne pouvaient, en aucun cas, avoir une valeur supérieure à 68,5 M $ (75 M $ moins 6,5 M $).

 

[40]         Dans sa réplique, l’avocat de l’appelant rétorque ceci aux paragraphes 2, 3, et 4 :

 

2.         Ainsi, au paragraphe 25 du Mémoire de l’intimée, il est représenté que l’on ne peut se référer à une valeur de 75 M $ mais qu’on doit bien se limiter à une valeur de 68,5 M $.

 

3.                  Or, cette position de l’intimée présume qu’il n’y a pas eu rachat de ces actions privilégiées alors que monsieur Laflamme a témoigné à l’effet qu’il y avait eu au cours de la période pertinente rachat desdites actions.

 

4.                  C’est donc effectivement le montant de 75 M $ qui doit être retenu et non un montant différent. La preuve sur cette question est claire.

 

[41]         Ce nouvel argument de l'intimée a été avancé pour la première fois au moment où l'avocat a produit ses notes écrites. Rien de tel n'a été soulevé lors des plaidoiries et l'avocat de l'intimée n'a pas relevé ce point dans sa preuve. L'appelant affirme que ces actions ont déjà fait l'objet d'un rachat au cours de la période pertinente. Compte tenu de la façon impromptue utilisée par l'avocat de l'intimée pour soulever ce nouvel argument et de l'absence de preuve apportée par l'intimée au soutien de celui‑ci, je ne me prononcerai pas sur ce point et j'accepte que la valeur des actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada avaient une valeur de 75 M$ au cours de la période en litige.

 

[42]         Par ailleurs, compte tenu de ma conclusion sur la valeur des actions de catégorie A, je ne peux accepter l’argument de l’intimée que le fils de l’appelant s’est vu conférer un avantage, au sens du paragraphe 56(2) de la LIR.

 

[43]         Dans l'arrêt McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, p. 1051 , le juge Dickson, tel qu'il était alors, s'exprime ainsi au nom de la majorité :

 

41        Il est utile, pour tenter de découvrir l'objet du par. 56(2), de se reporter à la jurisprudence traitant de ce paragraphe. Une décision ancienne concernant la disposition qui a précédé le par. 56(2), l'arrêt Miller c. M.N.R., 62 D.T.C. 1139 (C. de l'É.) constitue un excellent point de départ. Dans cette affaire, le juge Thurlow, alors juge puîné, a fait lors de son examen du par. 16(1) de la Loi quelques observations générales, à la p. 1147, encore pertinentes aujourd'hui, sur l'objet de cette disposition, c.-à-d. empêcher l'évitement fiscal:

[TRADUCTION] À mon avis, l'art. 16(1) vise les cas où un contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui, entre ses mains, serait un revenu lorsqu'il fait en sorte que le montant soit reçu par une autre personne dont il souhaite qu'elle tire un avantage ou par une autre personne pour son propre avantage. La portée de ce paragraphe n'est pas équivoque, car on ne peut prétendre qu'un contribuable qui conclut un contrat commercial à titre onéreux avec une autre personne lui accorde un avantage au sens du paragraphe.

Le juge Strayer fait observer, à la p. 4, relativement à l'affaire Miller:

Deux réserves importantes sont mises en évidence ici. En premier lieu, le contribuable doit avoir cherché « à éviter de recevoir » un revenu qui lui aurait censément été payé. En second lieu, la distinction est faite entre le concept de versement d'un « avantage » et le paiement fait pour une contrepartie suffisante.

42        À mon avis, les points de vue des juges Thurlow et Strayer constituent un bon point de départ pour l'interprétation du par. 56(2). Ce paragraphe vise manifestement à empêcher le contribuable d'éviter le paiement de l'impôt en versant à un tiers les recettes qu'il aurait autrement touchées. Je suis d'accord avec la qualification de l'objet de cette disposition faite par les juges Thurlow et Strayer et, plus particulièrement, je conviens avec eux qu'on ne peut raisonnablement croire que le législateur a voulu que cette disposition s'applique aux avantages conférés moyennant une contrepartie suffisante dans le cadre d'une relation d'affaires légitime.

 

[44]         Ainsi, puisque j'ai conclu que les 20 actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada, transférées à 2185 Québec, avaient une valeur de 15 M$ au moment du transfert, je peux conclure que les rachats croisés faisant l'objet d'une contestation par l'intimée, ont été faits moyennant une contrepartie suffisante. En conséquence, suivant l'objectif premier du paragraphe 56(2) de la LIR, repris plus haut dans l'arrêt McClurg, cette disposition ne devrait pas trouver application. L'intimée toutefois semble vouloir soumettre l'ensemble de la planification successorale à l'application du paragraphe 56(2). Cette planification aurait eu pour effet, selon l'intimée, que 10% des actions de la société IRSL, passe du contrôle de l'appelant vers celui de son fils Jean, sans conséquences fiscales immédiates.

 

[45]         Pour trouver application, le paragraphe 56(2) exige que quatre conditions soient remplies : 1) la présence d'un paiement ou d'un transfert; 2) le paiement doit être fait suivant les instructions ou l'accord du contribuable (l'appelant); 3) le contribuable doit vouloir conférer un avantage ou un bénéfice au bénéficiaire (2165 Québec ou Jean Laflamme) du paiement ou du transfert; et 4) le montant aurait dû être normalement inclus dans le revenu de l'auteur du paiement ou du transfert.

 

[46]         Même si l'on peut concevoir qu'il y a eu un transfert d'actions avec l'accord de l'appelant (donnant ainsi effet aux deux premières conditions), on ne peut en dire autant de la troisième condition, qui dès le départ n'est pas remplie. En effet, tel que mentionné plus haut, les 20 actions de catégorie A du capital‑actions de 332 Canada ayant une valeur marchande de 15 M$ ont été transférées par roulement à 2165 Québec en échange d'une contrepartie égale à leur juste valeur marchande selon les règles de l'article 85 de la LIR.

 

[47]         De même, 100 actions de catégorie B du capital‑actions de IRSL, ayant une valeur marchande de 15 M$ ont été transférées par roulement à 2165 Québec, également en échange d'une contrepartie égale à leur juste valeur marchande. On ne peut donc parler d'avantage ou de bénéfices découlant de ces transferts puisqu'ils se sont faits à l'intérieur des paramètres permis par la LIR quant au choix d'une somme convenue et moyennant une contrepartie équivalente à leur juste valeur marchande. Par ailleurs, l'intimée n'a pas considéré la distribution de la part du capital de la fiducie à Jean Laflamme, soit le transfert des 100 actions de catégorie E du capital‑actions de 2165 Québec, comme un transfert visé au paragraphe 56(2) de la LIR. Jean Laflamme a reçu ces actions en conformité avec l'acte de fiducie puisqu'il était l'un des bénéficiaires du capital. L'intimée semble reconnaître que cette distribution, sans conséquences fiscales immédiates pour Jean Laflamme, ne soit pas un avantage au sens du paragraphe 56(2) de la LIR.

 

[48]         Ainsi, il est difficile pour l'intimée de prétendre que l'appelant avait l'intention de conférer un avantage à son fils Jean, étant donné qu'il n'y a pas d'avantages, selon les termes de la LIR, résultant des diverses opérations effectuées dans le cadre de la planification successorale de l'appelant.

 

[49]         En dernier recours, l'intimée a tenté de mettre en preuve que l'appelant avait dans le passé conféré un avantage à son fils. De fait, l'avocat de l'intimée a longuement interrogé son expert sur la valeur marchande d'IRSL en 1996, lorsque l'appelant avait transféré 180 des 300 actions qu'il détenait dans le capital‑actions de 118 Canada au profit de 332 Canada. Alors que la valeur de rachat des actions reçues en échange avait été établie à 6,5 M$, valeur non contestée par le Ministre à l'époque, l'avocat remet maintenant en question cette valeur. Il a tenté par ses experts de leur faire affirmer que la valeur réelle en 1996 était autour de 10 M$, et que l'appelant avait donc tenté d'avantager ses enfants pour la différence, soit 3,5 M$.

 

[50]         L'expert de l'appelant, quant à lui, a témoigné pour dire que la valeur de 6,5 M$ établie à l'époque par le comptable, M. Cadieux, était raisonnable, tout autant que pouvait l'être celle maintenant établie par l'intimée, avec le bénéfice du recul. Selon l'expert de l'appelant, l'approche utilisée par M. Cadieux était très prudente alors que celle utilisée par l'expert de l'intimée est très audacieuse.

 

[51]         Je suis d'avis que l'intimée ne peut à ce stade remettre en question l'évaluation de IRSL en 1996. Le Ministre ne l'a jamais contestée et l'année 1996 est maintenant prescrite. Je considère donc que la valeur établie par M. Cadieux en 1996 est présumée valide et que l'avocat de l'intimée ne peut se servir de sa propre évaluation, faite dans le cadre du présent litige, pour tenter de prouver que l'appelant a voulu, dans le passé, avantager son fils.

 

[52]         La preuve a révélé le contexte dans lequel toutes les transactions ont été effectuées. L'appelant, en procédant à un gel successoral, voulait transférer la plus‑value de la participation qu'il détenait dans IRSL dans la fiducie créée pour le bénéfice de ses enfants. Tout ceci a été fait en conformité des règles permises par la LIR. Compte tenu de l'objectif visé par le paragraphe 56(2), on ne peut donc dire que l'appelant avait l'intention, ou qu'il a conféré un avantage à son fils, au sens de cette disposition.

 

[53]         Quant à savoir si l'appelant aurait été lui‑même imposable si les actions lui avaient été retransférées, pour répondre à la quatrième condition du paragraphe 56(2), le résultat n'aurait pas été différent si les opérations avaient été faites en faveur d'une société appartenant à l'appelant plutôt qu'à son fils. Tout se serait fait dans le cadre des paramètres permis par la LIR en matière de roulement.

 

[54]         Dans Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585, la Cour d'appel fédérale s'exprimait ainsi à la page 593 :

 

Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrice de « recette présumée » et qu'elle vise principalement les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s'arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu'un d'autre, et ce pour son propre bénéfice (par exemple pour éteindre une dette) ou pour le bénéfice de cette autre personne. [...]

 

[55]         Il est clair dans la présente instance que l’appelant ne cherchait pas à éviter de recevoir un revenu qui lui était dû. Il s’est prévalu des dispositions de la LIR  pour transférer sa participation indirecte dans IRSL à la fiducie. La fiducie a attribué à Jean Laflamme la portion de capital qui lui revenait. On ne peut vraiment pas parler d’un transfert d’un revenu par l’appelant en faveur du fils. Lors du transfert des 20 actions de catégorie A, ce n’est pas l’appelant qui se départissait de ces actions, mais la fiducie. Quant au transfert des 100 actions de catégorie B du capital‑actions de IRSL en faveur de 2165 Québec, ce n’est pas l’appelant qui se départissait de ses actions, mais 332 Canada. Ce n’est pas l’appelant qui aurait reçu le produit de disposition dont l’impact fiscal, de toute façon, était couvert par les dispositions de la LIR, permettant le transfert immédiat sans conséquences fiscales. C’est ultimement 2165 Québec qui assumera l’impôt à payer lors de la disposition de ces actions.

 

[56]         L’intimée semble confuse quant à la véritable nature des opérations réalisées dans cette affaire. Tout d’abord, le gel successoral de 1996 visait le transfert de la plus-value future de l’entreprise sur des actions ne faisant pas partie du patrimoine de l’appelant, mais plutôt du patrimoine d’affectation autonome[3] de la fiducie. L’acte de fiducie charge le fiduciaire d’administrer les biens inclus dans ce patrimoine distinct et d’assurer leur distribution en conformité avec ses dispositions. Le fils de l’appelant, Jean Laflamme est l’un des bénéficiaires de cette fiducie et la transaction en litige a simplement eu pour effet de lui remettre les biens conservés en son nom par la fiducie. La plus-value réalisée entre 1996 et l’année en litige sur ces biens n’appartenaient pas à l’appelant, mais plutôt à l’ensemble des bénéficiaires de la fiducie.

 

[57]         Je vois donc difficilement comment on peut prétendre que l’appelant lui‑même aurait été imposable sur un revenu de 15 M$ qui aurait pu lui être attribué. La quatrième condition requise pour l’application du paragraphe 56(2) est donc loin d’être remplie.

 

[58]         En conséquence, le paragraphe 56(2) ne peut trouver application dans les circonstances.

 

[59]         Finalement, l'intimée a soulevé un dernier argument, à savoir que l'appelant a disposé d'un intérêt économique engendrant l'imposition d'un gain en capital en vertu de l'alinéa 69(1)b). Cet argument repose, selon ma compréhension, sur la preuve qu'a voulu faire l'intimée que toute la valeur de 332 Canada se retrouvait principalement entre les mains du détenteur des actions de catégorie D, soit l'appelant. Comme je n'accepte pas le point de vue de l'intimée et que je reconnais la pleine valeur de 75 M$ aux actions de catégorie A, il n'est pas nécessaire d'exposer ni d'analyser la thèse très étriquée de l'intimée à ce sujet.

 

Décision

 

[60]         L'appel est accueilli et la cotisation est déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif qu'un montant de 15 M$ ne doit pas être inclus dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1999, en application du paragraphe 56(2) de la LIR.

 

[61]         Le tout avec dépens en faveur de l'appelant, incluant les frais d'expertise et les frais de témoignage de l'expert à l'audience, tel que demandé par l'avocat de l'appelant.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2008.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI255

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-1788(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GUY LAFLAMME c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 21 mars 2007

 

Argumentation écrite

de l'appelant :

 

20 avril 2007

Argumentation écrite

de l'intimée :

 

18 mai 2007

Réplique de l'appelant :

28 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 30 avril 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Serge Fournier

Avocat de l'intimée :

Me Benoit Mandeville

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Serge Fournier

 

                 Cabinet :                           Brouillette Charpentier Fortin

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           À la note infrapaginale 5, que l'on retrouve au paragraphe 8 des notes écrites de l'intimée, l'avocat indique que les actions détenues par la fiducie dans le capital-actions de 332 Canada lui donnaient 0,2% des droits de vote. À mon avis, le pourcentage exact est 0,002%. Si l'on considère que chaque action de catégorie A conférait un droit de vote par action, la fiducie avec ses 100 actions détenait donc 100 droits de vote. L'appelant détenait 50 000 droits de vote avec ses actions de catégorie E (voir par. 16 de l'entente partielle sur les faits et les statuts constitutifs de 332 Canada, pièce A‑1, onglet 1). Aucune autre action ne lui donnait droit de vote. Donc, 100 droits de vote sur un total de 50 100 droits de vote, nous donne un pourcentage de 0,002%, attribuable à la fiducie.

[2]           Pour les fins des présents motifs, nous utiliserons l'expression anglaise « nuisance value », utilisée par les parties tout au long de l'audience afin de simplifier le texte.

[3]               Selon les termes utilisés à l'article 1261 du Code civil du Québec.

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