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Dossier : 2005-4517(IT)G

ENTRE :

DENNIS BONOTTO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 25 février 2008 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Joseph D’Alimonte

 

Avocat de l’intimée :

Me Shatru Ghan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu par l’avis portant le numéro 21450 et daté du 12 janvier 2005 est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, le 2 mai 2008.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de décembre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2008CCI221

Date : 20080502

Dossier : 2005-4517(IT)G

 

ENTRE :

DENNIS BONOTTO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

Les questions en litige

 

[1]     En l’espèce, il s’agit de décider si, en application du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), l’appelant est responsable de l’omission de Belmont Drywall Systems Ltd. (la « Société ») de verser au receveur général un montant d’impôt sur le revenu fédéral de 88 778,38 $ plus certains montants d’intérêts, comme l’exige l’article 153 de la Loi.

 

[2]     L’appelant est responsable de l’omission visée au paragraphe 227.1(1) s’il est conclu que, pendant les périodes pertinentes, il était un administrateur de droit ou de fait de la Société et que, en cette qualité, il n’était pas exonéré de sa responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(3). Cette disposition dégage l’administrateur de la responsabilité qui lui incombe s’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir l’omission de la société de verser les montants en cause qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Ainsi, les questions sous‑jacentes à trancher ont trait au statut de l’appelant auprès de la Société, et à l’applicabilité du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

 

[3]     En ce qui concerne la défense de diligence raisonnable, l’appelant a fait observer qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’omission totale de la Société d’effectuer les versements. Certains versements ont été faits dans les délais, et d’autres sommes ont été versées en retard. On a fait valoir l’argument voulant qu’il y ait peut‑être lieu d’examiner le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable eu égard à deux périodes distinctes, même si les cotisations visent une période ininterrompue, soit du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003. Cet argument a donné lieu à une autre question, celle de savoir comment devraient s’appliquer les paiements tardifs si le fait de les appliquer d’abord aux arriérés les plus anciens (comme l’a fait l’intimée) a pour effet d’accroître la dette de l’appelant pour une période durant laquelle il était responsable par rapport à la dette dont il serait redevable pour la même période si les paiements en retard avaient été appliqués aux obligations courantes de versement pour cette période.

 

Contexte factuel

 

[4]     L’appelant travaillait comme homme de métier dans l’entreprise de cloisons sèches de son père depuis 1982. À la mort de ce dernier, en 1993, l’appelant a pris l’affaire à son compte.

 

[5]     L’exécuteur testamentaire du père était Me Fiksel. L’une des employés de ce dernier, répondant au nom de Colleen Fitzpatrick, a noué des relations amoureuses avec l’appelant.

 

[6]     L’appelant a témoigné qu’il pensait que Mme Fitzpatrick avait de bonnes idées, l’une d’elles étant, apparemment, qu’ils devraient démarrer une nouvelle entreprise d’installation de cloisons sèches. L’idée, semble‑t‑il, était que l’entreprise appartienne à Mme Fitzpatrick.

 

[7]     En février 1996 fut constituée une nouvelle société portant le nom Belmont Drywall (Concord) Ltd. (« Belmont Concord »). Les rapports sur le profil des sociétés de la Direction des compagnies indiquent que l’administratrice de cette société est Margaret Stroud, une amie de Mme Fitzpatrick selon le témoignage de l’appelant. Le fondateur était Me Fiksel. Son nom et sa signature figuraient sur les statuts constitutifs certifiés.

 

[8]     Peu de preuves ont été produites quant aux activités de Belmont Concord, hormis le témoignage de l’appelant selon lequel Mme Fitzpatrick était propriétaire de la société et il travaillait simplement pour celle‑ci à titre d’homme de métier. Les documents produits à l’audience qui corroborent qu’elle était à tout le moins la présidente de Belmont Concord étaient le rapport de profil susmentionné émanant de la Direction des compagnies, une déclaration solennelle datée d’août 2000 et une entente d’opérations bancaires commerciales avec La Banque Toronto‑Dominion signée par Mme Fitzpatrick à titre de présidente et unique signataire autorisée, et datée d’avril 1996.

 

[9]     Alors que l’avocat de l’intimée a essayé de faire valoir que Belmont Concord n’était qu’une continuation de l’entreprise du père de l’appelant et que Mme Fitzpatrick ne pouvait en avoir été la dirigeante, l’appelant a témoigné qu’il s’agissait de la société de Mme Fitzpatrick, que celle‑ci s’employait à trouver de nouveaux et bons clients et qu’il ne faisait office que de simple employé responsable du travail sur le terrain.

 

[10]    En 1999, la relation amoureuse entre l’appelant et Mme Fitzpatrick a pris fin. Ils ne s’entendaient plus sur le plan personnel. Elle poursuivait la mère de l’appelant relativement à un emprunt garanti par hypothèque pour lequel, d’après l’appelant, aucune somme n’avait en fait été avancée. La garantie hypothécaire signée par sa mère avait été, selon l’appelant, suggérée par Mme Fitzpatrick comme moyen de mettre sa mère à l’abri des créanciers. Par ailleurs, il y avait déjà eu des problèmes avec les syndicats. Apparemment, Mme Fitzpatrick avait été accusée d’avoir détourné des fonds syndicaux pour son propre usage. Quoi qu’il en soit, les arrangements commerciaux pris entre eux se sont poursuivis, quant à l’exploitation de Belmont Concord, au moins jusqu’en juin 2000, date à laquelle la Société (c.‑à‑d. Belmont Systems) a été constituée.

 

[11]    Bien que cela ait été nié, il me semble que l’appelant ait en fait cherché à reprendre l’entreprise à son compte bien avant la date qu’il a avancée devant moi. Il voulait me faire croire qu’il avait en fait usurpé les droits et les pouvoirs de Mme Fitzpatrick en 2002 alors que, ainsi que je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, celle‑ci était sortie du tableau et qu’il avait laissé au comptable de la Société le soin de consigner par écrit ses droits et pouvoirs. Je ne suis pas convaincu, cependant, qu’il était prévu que Mme Fitzpatrick détienne un droit de propriété dans la Société ou en devienne actionnaire. À mon sens, la dégradation de la relation entre l’appelant et Mme Fitzpatrick avant la constitution de la Société ainsi que les actes ultérieurement posés par l’appelant ne tendent qu’à infirmer les déclarations de ce dernier. Qui plus est, ainsi que je le mentionnerai plus loin dans les présents motifs, le départ de Mme Fitzpatrick s’est produit peu de temps après la constitution de la Société, et non en 2002.

 

[12]    Me Fiksel a été présenté comme le fondateur et premier administrateur de la nouvelle entreprise, c’est‑à‑dire la Société. Toutefois, dans le témoignage qu’il a donné au procès, Me Fiksel a indiqué qu’il n’était pas le fondateur de l’entreprise et que sa signature avait été contrefaite dans les statuts constitutifs. Il a déclaré qu’il pensait que c’était Mme Fitzpatrick qui avait imité sa signature.

 

[13]    Me Fiksel a pris connaissance de la contrefaçon lorsque les avocats de l’appelant lui ont envoyé copie des statuts constitutifs, en octobre 2000. Me Fiksel a immédiatement pris des mesures pour faire rectifier les registres de la société à la Direction des compagnies, et Mme Fitzpatrick a été désignée en tant que première administratrice[1]. Mme Fitzpatrick a signé un accord d’indemnisation à la demande de Me Fiksel, étant donné les craintes de ce dernier concernant une éventuelle poursuite en responsabilité dont il pouvait faire l’objet du fait qu’il apparaissait comme l’administrateur fondateur de la Société. Le fait que Mme Fitzpatrick ait signé cet accord d’indemnisation m’amène à croire qu’elle a en fait reconnu sa responsabilité à l’égard de la contrefaçon et que la méfiance de Me Fiksel à son endroit était justifiée.

 

[14]    Je note maintenant qu’une employée de la Société, Mme Kondrashev, a déclaré dans son témoignage que, lors de son embauche, aux alentours d’avril 2000, elle a participé à une entrevue initiale avec Mme Fitzpatrick, qui lui a dit qu’elle et l’appelant étaient associés en affaires et que s’il approuvait lui aussi son embauche, alors elle décrocherait l’emploi.

 

[15]    Mme Kondrashev a témoigné que, pendant les quatre ou cinq premiers mois de son emploi, c’était Mme Fitzpatrick qui s’occupait des affaires courantes de l’entreprise et que, à sa connaissance, Mme Fitzpatrick travaillait à la fois pour la Société (c.‑à‑d. Belmont Systems) et pour Belmont Concord. Mme Kondrashev semblait ignorer que Belmont Concord avait, du moins censément, cessé d’être exploitée après la constitution de la Société. Ce témoignage ainsi que la déclaration solennelle (mentionnée plus haut) concernant Belmont Concord et signée en août 2000 prouvent que Belmont Concord a peut‑être continué d’exercer certaines activités sous sa raison sociale après la constitution de la Société, en juin. On serait donc porté à croire que l’emprise de Mme Fitzpatrick sur les activités de l’entreprise, par l’intermédiaire de Belmont Concord, n’était pas si facilement cédée à cette époque. Une nouvelle forme d’alliance ou d’association aurait pu être envisagée.

 

[16]    Mme Kondrashev a également déclaré que, quatre ou cinq mois après son embauche, Mme Fitzpatrick a cessé de se présenter régulièrement au bureau. Mme Kondrashev a témoigné que Mme Fitzpatrick partait en voyage pendant des périodes prolongées et ne passait pas beaucoup de temps au bureau. Pendant ces longues absences, c’est l’appelant qui s’occupait des affaires courantes de l’entreprise. Elle a témoigné que, en juillet 2001, les choses ont tourné au vinaigre entre Mme Fitzpatrick et l’appelant et que, par la suite, Mme Fitzpatrick a essentiellement été bannie du bureau. Les échanges étaient violents. La police est intervenue et a procédé à des arrestations. L’importance de ce témoignage tient au fait que c’est Mme Fitzpatrick qui semait le trouble, même si c’est l’appelant qu’on a initialement arrêté. Apparemment, Mme Fitzpatrick n’était pas quelqu’un que l’on voulait se mettre à dos.

 

[17]    Dans son témoignage, Mme Kondrashev a ajouté que, vers le mois de septembre 2001, elle a pris tous les registres de la Société pour les apporter au bureau du comptable, afin qu’on y établisse les états financiers. La fin de l’exercice de la Société était le 30 juin. Les états financiers de son premier exercice, se terminant le 30 juin 2001, n’avaient pas encore été établis. Le comptable était M. Scambellone. Il a lui aussi témoigné à l’audience.

 

[18]    M. Scambellone a témoigné que, lors de l’établissement des états financiers, il a découvert qu’il n’y avait pas de registres de procès verbaux. Il s’est ensuite rendu compte, le 7 mars 2002, que Mme Fitzpatrick figurait toujours dans les registres à titre de première administratrice, si bien qu’il a rédigé, à l’intention de l’appelant, un document qui en a fait le remplaçant de Mme Fitzpatrick en tant qu’administrateur. Il a reconnu avoir antidaté cette nomination au 6 juin 2000. Ce document a été déposé auprès de la Direction des compagnies quelque temps après la découverte, par le comptable, du fait que Mme Fitzpatrick était l’administratrice désignée dans les registres. Quoi qu’il en soit, les registres modifiés de la Société rendent compte de cette nomination antidatée et constituent le fondement de l’argument de l’intimée selon lequel l’appelant était un administrateur de droit depuis juin 2000 et tout au long de la période de cotisation qui a suivi.

 

[19]    M. Scambellone a déclaré avoir parlé de tout cela à l’appelant, au téléphone, au moment où il établissait les états financiers[2]. L’appelant était la personne responsable ayant confirmé, à cette époque du moins, le contenu des documents qu’il fallait préparer. La nomination antidatée tenait compte des renseignements que l’appelant avait fournis à M. Scambellone. Malgré cela, l’appelant affirme n’avoir déclaré sa nomination à titre d’administrateur de droit qu’au début 2002, moment auquel on mettait la dernière main aux états financiers pour 2001 et où l’on se penchait sur ces questions.

 

[20]    M. Scambellone a également donné des précisions sur la santé financière de la Société, faisant allusion aux états financiers pour 2001 et 2002, dans lesquels la Société déclarait des pertes respectives de 58 034 $ et de 235 665 $. L’appelant a également parlé de pressions financières. Les obligations de la Société envers ses fournisseurs du domaine de la construction étaient exigeantes et lourdes. M. Scambellone a déclaré que, malgré cela et bien que la Société fût en retard dans ses versements à la fin de l’année civile 2000, elle avait en fait versé des sommes en trop pour l’année civile 2001. Rien de ce qui a été produit ne vient corroborer ce témoignage, lequel ne cadre pas avec les cotisations établies. Son importance est donc limitée[3].

 

[21]    Je constate aussi qu’en juin 2000 l’appelant a signé les documents bancaires de la Société destinés à La Banque Toronto‑Dominion. Sur ces documents, il est qualifié de président ayant le pouvoir de signature, mais les documents ne mentionnent pas l’identité des administrateurs. Aucune résolution des administrateurs n’a apparemment été demandée. Le fait que l’appelant ait signé ces documents indique que, en fait, il se présentait lui‑même à la banque comme étant le dirigeant compétent de la Société. De plus, bien qu’il ait abordé ce point de façon quelque peu hésitante, je considère que la preuve, et même son propre témoignage, confirme qu’il était le seul fondé de signature de la Société dès lors qu’il avait signé ces documents.

 

[22]    Je constate également que, malgré le fait qu’aucun registre de procès verbaux de la Société n’ait été produit en preuve (et il est probable qu’il n’en existe pas), l’intimée n’a pas contesté le témoignage de l’appelant selon lequel il possédait 90 % des actions de la Société, et son frère, 10 %[4]. Bien qu’en vertu du droit des sociétés les administrateurs soient nommés lors des assemblées d’actionnaires ou par des résolutions écrites d’actionnaires (ou encore par un quorum d’administrateurs agissant pour combler une vacance), je n’ai guère de doute, malgré l’inexistence apparente de procès verbaux ou de résolutions signées, que l’appelant avait effectivement, et sans immixtion de la part d’autrui, pris le rôle de tête dirigeante de la Société. Comme je le mentionnerai plus loin, ce facteur pèse beaucoup dans l’analyse de son statut d’administrateur.

 

Le dossier relatif aux versements

 

[23]    La vérification ponctuelle commencée début mai a donné lieu à une série de cotisations, dont la première, datée du 25 mai 2000, portait sur 29 600 $ environ, pour la période du 1er janvier jusqu’à la fin mars 2001. La deuxième cotisation a été établie en octobre 2001 pour la période d’avril à août 2001; elle portait sur le montant le plus élevé, soit quelque 67 700 $[5]. Une série d’autres cotisations ont suivi pour les périodes subséquentes, la dernière période de cotisation ayant pris fin en décembre 2003. L’appelant a rapidement réagi à la première de ces cotisations en envoyant une série de chèques postdatés. Il y a eu pas moins de six chèques postdatés par mois, chacun au montant de 1 444 $, jusqu’à la fin septembre 2001; après quoi, les montants étaient plus élevés et variables, avec une seule interruption de quatre semaines, en juillet 2003. L’intimée a traité tous ces paiements comme des paiements d’arriérés, en les créditant par ordre chronologique (« premier paiement arrivé premier arriéré remboursé »)[6]. C’est donc dire qu’ils n’ont pas été traités comme des versements comptant pour les obligations courantes de versement qui prenaient naissance au moment où les chèques postdatés étaient encaissés.

 

[24]    Outre ces paiements, il y a eu quelques versements se rapportant à des obligations courantes après la vérification ponctuelle, mais certains ont été faits en retard. L’appelant s’appuie sur le montant total des paiements postdatés de type versements échelonnés effectués après la vérification et des versements pour la période courante pour faire valoir qu’il s’agit là d’un important facteur à prendre en considération pour les besoins du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. L’intimée a reconnu que des versements pour la période courante – certains en retard ou d’un montant insuffisant – avaient été effectués après la vérification ponctuelle, et a également fait remarquer qu’aucun versement n’avait été effectué pour certaines périodes. Ces manquements ont entraîné l’établissement d’autres cotisations, ce qui a donné lieu à davantage d’arriérés. Cependant, ce dossier est difficile à reconstituer, du fait que la seule pièce montrant des paiements ne fait état que des versements échelonnés qui ont été appliqués aux arriérés dans l’ordre chronologique. L’explication de la démarche fournie par le témoin de l’intimée n’a pas permis de faire la lumière sur le problème. Néanmoins, le témoin a bel et bien dit que, s’il n’y avait pas de cotisation se rapportant à un mois en particulier, je pouvais présumer que les versements courants ont été faits à temps et au complet pour le mois en question.

 

[25]    Le dossier indique qu’il y a eu trois mois où cela s’est produit, soit octobre 2001, novembre 2001 et juin 2002. En outre, il semble que pour certains mois (p. ex. décembre 2001), un versement pour la période courante a été fait pour un montant inférieur à la somme totale à verser. Les cotisations établies (les 1er mars et 5 juin 2002) pour le mois en question (décembre 2001) indiquent que les versements faits à temps n’ont suffi qu’à honorer l’obligation de versement au titre de l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada.

 

[26]    Il semble aussi que des cotisations ont été établies pour un certain nombre de mois (p. ex. janvier et février 2002) au cours desquels des versements qui ont été effectués dans les délais prescrits à l’égard de certaines obligations et/ou des versements effectués en retard ont peut‑être tous été crédités à l’égard de ces mois plutôt qu’appliqués aux arriérés. C’est ce qui ressort du fait que, pour ces mois, la seule pénalité imposée se rapporte à l’impôt fédéral.

 

[27]    Toujours est‑il que, aussi troublantes que me semblent pareilles anomalies, les dossiers de cotisation indiquent clairement qu’il n’y a pas eu de versements courants (ou de versements crédités comme tels) pour la majorité des mois de la période visée par l’appel. C’est le cas des mois de janvier à août 2001, d’avril 2002, d’août 2002 à mai 2003 et de juillet à décembre 2003. Comme je l’ai mentionné, des paiements ont été effectués au cours de ces périodes (les versements échelonnés par chèques postdatés), mais on les a appliqués aux arriérés. Au cours de la période de trois ans, le montant des cotisations s’est établi en tout à 226 451 $. Ce montant ne tient pas compte des versements appliqués à la période en cours. Le montant dû à la fin de cette période, compte tenu des paiements appliqués aux arriérés (y compris quelques derniers versements échelonnés effectués en janvier 2004), s’élevait à 88 778 $, plus un certain montant d’intérêts courus. Cela souligne l’ampleur du problème d’omission d’effectuer les versements en l’espèce[7].

 

[28]    Je dois cependant dire que la preuve concernant la manière dont les versements ont été faits et traités a été mal exploitée par les parties. Si l’on invoque une défense de diligence raisonnable et que le suivi des paiements est pertinent à ce moyen de défense, il faut produire une meilleure preuve à cet égard, et le fardeau de la preuve n’incombe alors pas uniquement à l’appelant. L’intimée est la mieux placée, sinon la seule capable, lorsqu’il s’agit d’expliquer en détail la façon dont les cotisations ont été établies en ce qui concerne les versements et les paiements. Les annexes sur lesquelles s’est fondée l’intimée pour quantifier l’obligation de l’appelant ne font ni plus ni moins qu’enterrer les informations pouvant s’avérer pertinentes à une défense fondée sur la diligence raisonnable.

 

[29]    Un autre exemple de cela est l’absence de preuve fiable sur ce qui s’est passé entre le 1er juin et le 31 décembre 2000. D’après le témoin de l’intimée, je devrais présumer que les versements ont été faits dans les délais au cours de cette période, puisqu’aucune cotisation n’a été établie pour ces mois. Cela signifie‑t‑il que nous avons un antécédent de respect des délais dont il faudrait tenir compte dans l’application du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable?

 

[30]    D’un autre côté, comme je l’ai dit plus haut, le comptable de l’appelant a témoigné que, d’après ses registres, il y avait des manquements en matière de versements à la fin de 2000. Cela signifie‑t‑il que les sommes ont été versées en retard, mais créditées comme ayant été versées avant la première cotisation datée du 25 mai 2001? Le fait que, en contre‑interrogatoire, l’appelant n’ait pas expressément nié l’existence de manquements en 2000 rend‑il cette thèse plus défendable? Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que la preuve porte à croire que, en 2000, les versements ont été faits dans les délais prescrits. La thèse des versements tardifs ne semble pas tenir puisque, même si l’intimée avait appliqué des versements tardifs à des manquements survenus en 2000, elle aurait établi des cotisations pour les intérêts et les pénalités. Or, dans la preuve produite, il n’est pas question de semblables cotisations, et le témoin même de l’intimée a déclaré que, si aucune cotisation n’avait été établie pour une période donnée, je devais présumer que les versements ont été faits à temps. Le témoignage du comptable qui contredit cette thèse n’est pas fiable.

 

Arguments concernant le statut d’administrateur

 

[31]    L’appelant soulève la question de savoir s’il a déjà été un administrateur, de droit ou de fait, et affirme que, si c’est le cas, c’était au début de l’année 2002, lorsqu’il se serait présenté à tous comme un administrateur. Si j’en arrivais à la conclusion que l’appelant était un administrateur avant cette date, l’argument avancé est que je ne devrais pas conclure qu’il l’était avant le début de la vérification ponctuelle, puisque c’est à partir de cette date que l’on pouvait affirmer qu’il agissait et se présentait comme un administrateur de fait. La quantification de sa responsabilité, compte tenu de la défense de diligence raisonnable, devrait commencer à l’une ou l’autre de ces dates et être effectuée d’une façon qui ne le rendrait pas effectivement responsable des manquements antérieurs.

 

[32]    L’intimée fait valoir que l’on peut se fier à la consignation, dans les registres de la Société, de la nomination de l’appelant à titre d’administrateur de droit, et que les actes que ce dernier a posés début 2002 confirment qu’il était disposé à se présenter comme étant un administrateur depuis juin 2000. Elle ajoute que, quoi qu’il en soit, l’appelant était, au 1er janvier 2001 ou avant, la seule personne agissant à titre d’administrateur et se présentant comme tel.

 

Argument de la diligence raisonnable

 

[33]    Le principal argument avancé par l’appelant repose sur la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Franck c. R.[8], laquelle est invoquée comme étant le précédent jurisprudentiel permettant d’accueillir le présent appel dans le cas où je conclurais que l’appelant était un administrateur. Dans cette affaire, tout comme en l’espèce, l’administrateur, en dépit de sérieuses difficultés financières, s’est constamment efforcé d’acquitter et d’honorer d’importantes obligations de versement. La Cour a conclu que, dans les circonstances de cette affaire, le fait de ne pas avoir fermé les yeux en ne faisant absolument rien établissait que le contribuable avait agi avec un degré de diligence et de soin suffisant pour prévenir les manquements à l’obligation d’effectuer les versements et que, pour ce motif, l’administrateur n’était pas personnellement responsable desdits manquements. Cela vaut principalement pour la période qui a suivi le moment où l’appelant a été mis au courant des omissions d’effectuer les versements.

 

[34]    L’appelant m’a également renvoyé à la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction (Ontario) et a affirmé que les rentrées de fonds provenant de la construction étaient grevées d’une charge en vertu de la loi et détenues en fiducie pour les travailleurs, si bien que la capacité de la société d’effectuer les versements était réduite. Tout en reconnaissant que les charges relatives aux créances de la Couronne avaient préséance sur les autres charges, l’avocat de l’appelant a laissé entendre que les difficultés financières de la Société pouvaient notamment être imputables à ces charges et que cela démontrait encore une fois que l’appelant avait fait preuve de diligence en voyant à ce que ces versements soient effectués.

 

[35]    L’avocat de l’appelant a également soutenu que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») avait aggravé la situation en ne cherchant pas à percevoir ce qui lui était dû aussitôt que possible. L’appelant, en tant que personne responsable, s’est fié à la satisfaction apparente de l’ARC à l’égard des efforts de la Société pour honorer ses obligations de versement. En ne se prévalant pas alors des droits que lui confère la Loi de procéder à une saisie‑arrêt, l’ARC envoyait d’un côté le message : [traduction] « vous faites preuve de prudence », et voilà qu’elle dit maintenant : [traduction] « vous n’avez pas agi prudemment. »

 

[36]    Qu’il suffise de dire que l’intimée n’avait pas grand‑chose à dire au sujet de la décision Franck ou de l’un ou l’autre de ces arguments. L’intimée s’est simplement appuyée sur le fait qu’il était manifeste que l’appelant avait délibérément utilisé des fonds en fiducie pour financer une entreprise en difficulté et qu’en pareil cas la défense de diligence raisonnable ne pouvait être invoquée à bon droit.

 

[37]    L’argument subsidiaire invoqué par l’appelant, ainsi que je l’ai mentionné plus haut, consistait à scinder la période de cotisation en deux parties. Essentiellement, l’appelant a fait valoir que, s’il n’y avait pas de problèmes de versement pour l’année 2000, alors on ne devrait pas présumer qu’il était responsable du changement survenu quant au respect de la Loi par la Société avant début mai, soit le moment où a eu lieu la vérification ponctuelle. C’était certes la première fois qu’il agissait imprudemment en ne réglant pas les problèmes qui, selon ses dires, n’ont été portés à sa connaissance que lorsque le vérificateur lui en a parlé, début mai 2000. En outre, il a indiqué que, jusqu’à cette date, c’est Mme Fitzpatrick, administratrice, qui était chargée de ce volet de l’entreprise, et qu’il pouvait se fier à elle pour ce qui est du respect des règles, comme en témoignaient les agissements de la Société tout au long de l’année 2000. Si tel est le cas, la quantification de la responsabilité de l’appelant ne devrait commencer qu’après avril 2000 et être effectuée d’une manière qui ne le rendrait pas responsable des manquements antérieurs à cette date. L’application des paiements par ordre chronologique a pour effet d’accroître les manquements ultérieurs au chapitre des versements, ce qui, de fait, rend l’appelant responsable des omissions antérieures.

 

[38]    L’intimée soutient que la preuve est insuffisante pour établir que Mme Fitzpatrick a été responsable de quoi que ce soit et que l’appelant a délibérément utilisé des fonds en fiducie pour financer son entreprise en difficulté.

 

Analyse

 

Mme Fitzpatrick

 

[39]    Dans un premier temps, je vais me pencher sur la question de savoir si, ou dans quelle mesure, la Société a été gérée ou dirigée par Mme Fitzpatrick. Il ressort clairement de la preuve que, en 1999, le couple se disputait sérieusement. En fait, Mme Fitzpatrick poursuit la mère de l’appelant au sujet de ce que celui‑ci a qualifié à l’audience de stratagème frauduleux ourdi par Mme Fitzpatrick et visant à mettre la mère de l’appelant à l’abri de ses créanciers. Toujours est‑il que, d’une façon ou d’une autre, cette association commerciale était tolérée dans une certaine mesure. Fait intéressant à noter, en mai 1999, Mme Fitzpatrick a signé une procuration générale en faveur de l’appelant pour qu’il s’occupe de sa participation dans Belmont Concord et d’autres activités. Cela pourrait donner à penser qu’il cherchait à obtenir le contrôle de fait sur Belmont Concord ou qu’elle abandonnait ce contrôle. Quoi qu’il en soit, le témoignage de Mme Kondrashev et la déclaration solennelle signée en août 2000 établissent clairement la présence et les activités continues de Mme Fitzpatrick, à tout le moins au sein de Belmont Concord. Rien de cela ne démontre toutefois qu’elle était une administratrice active ou qu’elle ait assumé des fonctions au nom de la Société; et, même si cela avait été le cas, il semble probable que cette situation a pris fin en septembre 2000, d’après le témoignage de Mme Kondrashev[9].

 

[40]    Cela ne veut pas dire que Mme Fitzpatrick n’a pas mis en place les procédures de versement et qu’elle n’était pas la personne qui y voyait à l’été et à l’automne 2000. À cette époque, elle effectuait du travail de bureau et ce n’est qu’ultérieurement qu’il y a eu des manquements à l’obligation d’effectuer des versements. Si l’appelant s’occupait principalement de l’installation de cloisons sèches, on en conclut qu’elle était responsable du bureau et qu’il n’avait aucune raison de croire que les systèmes ou les pratiques de la Société donneraient lieu aux manquements découverts en mai 2001. L’appelant cherche à se cacher derrière son apparente ignorance des manquements aux obligations de versement jusqu’au début de mai 2001, moment auquel on affirme qu’il a eu vent pour la première fois de pareils manquements.

 

[41]    Je ne crois pas que ces « affirmations » et inférences sont ici suffisantes pour justifier une conclusion favorisant l’appelant. Je retiens la preuve selon laquelle c’était l’appelant et non Mme Fitzpatrick qui était au bureau à l’automne 2000, et que l’appelant, étant la personne qui libellait les chèques, avait su, en janvier 2001, que les versements n’avaient pas été faits. À mon sens, on ne peut tout simplement pas nier que l’appelant était au courant des obligations de versement, qu’il était en mesure de forcer la Société à respecter ses obligations et que, pour financer l’entreprise, il a omis d’effectuer les versements à temps. Je tire cette conclusion pour toute la période visée par l’appel, soit du 1er janvier 2001 à décembre 2003.

 

[42]    J’ajoute ici que j’en serais venu à cette conclusion même si j’avais retenu une version différente de la relation entre l’appelant et Mme Fitzpatrick. Malgré toute la méfiance suscitée par Mme Fitzpatrick, une association commerciale a fort bien pu continuer d’exister en juin 2000 et au‑delà. Le témoignage de Mme Kondrashev corrobore le scénario selon lequel la Société a tout simplement pu être constituée en vue de remplacer Belmont Concord, comme moyen de se dérober aux problèmes éprouvés par celle‑ci. Cela expliquerait pourquoi Mme Fitzpatrick n’a pas été destituée de son poste de première administratrice avant 2002. Il se pourrait même que l’intention ait été d’en faire une actionnaire de la Société et de lui en conférer un pouvoir d’administration analogue à celui qu’elle exerçait vis‑à‑vis de Belmont Concord. À bien des égards, en dépit des problèmes personnels entre l’appelant et Mme Fitzpatrick qui semblent contredire cette version des faits, ce scénario « tient la route » et je n’écarte pas la possibilité que l’appelant ne pouvait pas, ou ne voulait pas, s’affranchir de cette association commerciale impie. Cependant, la nature de l’association a bel et bien changé. L’appelant est devenu le président et unique signataire autorisé de la Société, tandis que Mme Fitzpatrick était la présidente et unique signataire autorisée de Belmont Concord. De la façon dont les choses se déroulaient, à l’automne 2000, l’appelant était la tête dirigeante de la Société. Le scénario de la continuation de l’association n’y change rien. Il demeure indéniable que l’appelant était au courant des exigences relatives aux versements pendant toute la période de cotisation, qu’il était la seule personne en mesure de faire respecter ces exigences et qu’il n’a pas forcé la Société à effectuer les versements dans les délais prescrits parce qu’il voulait utiliser l’argent pour financer l’entreprise.

 

Administrateur de droit

 

[43]    Il ne fait aucun doute que l’article 227.1 impose une responsabilité à un administrateur de droit. Sans nécessairement vouloir dire qu’il y ait un doute quant à la responsabilité qui incombe à un administrateur de fait, la première question qu’il faut trancher dans un cas comme celui‑ci est, en règle générale, de savoir si la personne concernée est un administrateur de droit. Cela étant dit, je crois qu’il me faut, dans ce cas particulier, m’écarter quelque peu de ce schéma. La seule raison pour laquelle j’envisage pareil écart est que, en l’espèce, il m’apparaît clairement que l’appelant était un administrateur de fait de la Société durant toutes les périodes pertinentes et que, sous réserve d’une défense de diligence raisonnable, il est, en l’espèce, responsable en application de l’article 227.1. Il s’ensuit que la question du statut d’administrateur de droit revêt un caractère théorique.

 

[44]    Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que le statut d’administrateur de droit de l’appelant est loin d’être clair. Puisque l’intimée a présumé que l’appelant était un administrateur de la Société, c’est à l’appelant qu’il incombe d’établir qu’il n’était pas un administrateur de droit. Ainsi, l’incertitude entourant cette question peut être résolue simplement en concluant que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait. Je demeure toutefois réticent à tirer cette conclusion. Au contraire, s’il me fallait tirer une conclusion sur ce point, j’aurais accordé le bénéfice du doute à l’appelant, du moins au sujet de son statut avant février 2002.

 

[45]    L’intimée semble se fier entièrement aux mentions antidatées de la nomination apparente de l’appelant comme administrateur de droit dans les registres. Toutefois, pour que l’appelant devienne un administrateur de droit, il faut que la nomination ait été faite conformément au droit des sociétés. Il ressort de la preuve non contredite que le premier administrateur dûment nommé dans les statuts constitutifs de la Société était Mme Fitzpatrick. Il n’y a pas de preuve de sa destitution ni d’une réunion des actionnaires ou d’une résolution écrite pour nommer des administrateurs en remplacement de Mme Fitzpatrick. Aucune preuve n’a été fournie pour démontrer que l’appelant a expressément donné son consentement par écrit pour agir à titre d’administrateur. L’intimée n’a pas efficacement contesté la thèse de l’appelant selon laquelle aucune de ces formalités nécessaires n’a été suivie[10]. Bien que je ne sois pas tout à fait convaincu qu’il n’y ait pas eu de réunion des actionnaires non documentée au cours de laquelle la nomination de l’appelant comme unique dirigeant de l’entreprise à la place de la première administratrice a été approuvée, il me serait difficile de conclure que pareille nomination s’est produite avant février 2002. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné, cette question revêt un caractère théorique.

 

          Administrateur de fait

 

[46]    Je n’ai pas beaucoup d’hésitation à conclure que l’appelant était un administrateur de fait en janvier 2001, moment auquel commençait la première période de cotisation visée par l’appel.

 

[47]    En outre, il ne fait pas de doute qu’un administrateur de fait est, ou à tout le moins peut être, un « administrateur » pouvant être tenu responsable des manquements à l’obligation de faire les versements en application de l’article 227.1. Le « peut être » mérite qu’on s’y attarde davantage.

 

[48]    La question de la responsabilité d’un administrateur de fait en application de l’article 227.1 a été examinée en détail dans l’arrêt Wheeliker c. R., [1999] 2 C.T.C. 395 (C.A.F.), qui infirme la décision [1998] 1 C.T.C. 2021 (C.C.I.). Dans cette affaire, les appelants n’étaient pas des administrateurs de droit car les statuts constitutifs de la société concernée exigeaient que chaque administrateur détienne au moins une action de la société. Aucun des administrateurs ne possédait des actions au cours de la période pertinente. Par ailleurs, il y avait neuf administrateurs durant la période pertinente, alors que les statuts constitutifs limitaient à sept le nombre de membres du conseil d’administration. Le fait que les appelants aient agi à titre d’administrateurs pendant toutes les périodes pertinentes n’a pas été contesté. Il s’agissait de décider si le fait de ne pas répondre aux critères de nomination portait un coup fatal aux cotisations établies en vertu de l’article 227.1.

 

[49]    Dans la décision majoritaire de la Cour d’appel fédérale rendue par le juge Noël, il était d’abord indiqué, au paragraphe 9, que la question qu’il convenait de trancher était celle de savoir si le terme « administrateur » employé à l’article 227.1 renvoie uniquement à une personne qualifiée pour agir à ce titre en vertu du régime législatif applicable à la société. La majorité a statué, aux paragraphes 13, 14 et 15, que les dispositions du régime législatif concerné reconnaissaient que des personnes pouvaient agir à titre d’administrateur sans être qualifiées et pouvaient être tenues responsables à titre d’administrateurs lorsqu’elles se présentaient comme étant des administrateurs. Toutefois, au paragraphe 18, la majorité en est arrivée à la conclusion que les dispositions législatives reconnaissant qu’il y a des conséquences au fait de se présenter comme un administrateur ne faisaient pas d’une personne non qualifiée un administrateur. Cela n’a pas empêché la Cour d’appel d’en arriver à la conclusion que les appelants étaient responsables en vertu de l’article 227.1, en appliquant les principes de common law. Plus précisément, la décision majoritaire de la Cour d’appel a confirmé que, pour protéger les personnes qui se sont fiées à des individus agissant ou prétendant agir comme des administrateurs, la common law posait le principe selon lequel nul ne peut tirer profit de sa propre turpitude. Ainsi, une personne qui se comporte comme un administrateur et qui est présentée comme tel n’a pas de moyen de défense contre une cotisation établie en vertu de l’article 227.1. C’est donc dire que, même si rien, dans la loi, ne fait des appelants des « administrateurs » de la société, les appelants ne pouvaient se soustraire aux responsabilités liées à cette fonction.

 

[50]    Il est intéressant de noter que ce raisonnement ne fait pas appel au concept – pas plus qu’il n’y est nécessairement apparenté – des administrateurs de fait tenus responsables en vertu de l’article 227.1. Il convient également de noter que, à la Cour canadienne de l’impôt, les appelants, dans la décision Wheeliker ont été considérés comme des administrateurs de fait qui, à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kalef c. R., [1996] 2 C.T.C. 1, n’ont pas été considérés comme des « administrateurs » aux fins de l’article 227.1, et n’ont pas été tenus responsables des manquements de la société en cause à l’obligation d’effectuer les versements.

 

[51]    Dans l’arrêt Wheeliker, le juge Létourneau a rédigé une opinion dissidente[11] qui va dans le même sens que la décision majoritaire pour ce qui est d’infirmer la décision de la Cour canadienne de l’impôt, mais il l’a fait pour des motifs différents. En premier lieu, il a estimé que le jugement Kalef ne devrait pas être considéré comme faisant autorité à l’appui de la thèse voulant que seuls des administrateurs de droit soient responsables en vertu de l’article 227.1. En deuxième lieu, il a jugé que l’analyse correcte aboutissait à la conclusion que le terme « administrateur » employé dans l’article 227.1 signifiait tout type d’administrateur, de droit ou de fait. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est appuyé sur une série de précédents jurisprudentiels du droit des sociétés dans lesquels un « administrateur » comprend un administrateur de fait.

 

[52]    Bien que le juge Létourneau fût dissident dans les motifs qu’il a exprimés dans l’arrêt Wheeliker, il semble qu’il ait finalement réussi à mieux faire accepter ses opinions dans McDougall c. R., [2002] G.S.T.C. 127 (C.A.F.). On y disait brièvement que le juge Beaubier de la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas erré en droit lorsqu’il s’était appuyé sur l’arrêt Wheeliker pour conclure que la responsabilité incombait à l’appelant dans cette affaire du fait qu’il se comportait comme un administrateur de fait. Depuis, diverses décisions de la Cour canadienne de l’impôt se sont fondées sur l’arrêt Wheeliker quant à la proposition selon laquelle les administrateurs de fait sont responsables en application de l’article 227.1 de la Loi et de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, par exemple les jugements Hartrell c. R., [2007] 1 C.T.C. 2109 (C.C.I.), conf. par 2008 CAF 59, Bremner c. R., [2007] G.S.T.C. 113 (C.C.I., inf.) et Thibeault c. R., [2006] G.S.T.C. 165 (C.C.I., inf.)[12].

 

[53]    Le principe voulant que les administrateurs de fait soient des administrateurs aux fins de l’application de l’article 227.1 semble désormais bien établi. Cependant, il est assujetti à certaines restrictions pour ce qui est de décider qu’une personne a agi à titre d’administrateur de fait pour les besoins de l’article 227.1. Une des restrictions en question, énoncée dans une décision du juge en chef Bowman, applique le raisonnement que le juge Noël a adopté dans Wheeliker, alors qu’il s’exprimait au nom de la majorité de la Cour d’appel, à savoir que, pour qu’un administrateur de droit soit tenu responsable en vertu de l’article 227.1, il faut que la personne se soit présentée comme assumant les pouvoirs et les responsabilités de gestion en tant qu’administrateur.

 

[54]    Dans la décision Scavuzzo, un ancien administrateur avait dûment démissionné de ses fonctions. Il était resté directeur général de la société et exerçait des pouvoirs correspondant à cet emploi. L’ARC a établi une cotisation à l’égard de l’appelant à titre d’administrateur de fait de la société. En accueillant l’appel de l’appelant, le juge en chef Bowman a déclaré ce qui suit :

 

[27]     Je crois qu’il sera évident qu’il faut employer l’expression « administrateur de fait » avec prudence. Cette expression n’a pas une portée aussi étendue que celle qui lui est parfois attribuée. Ainsi, elle ne s’applique pas, du moins pas pour ce qui est de la responsabilité dérivée des administrateurs en vertu de la LIR et de la LTA, à quiconque exerce un pouvoir au sein de la société. Elle peut s’appliquer à des personnes qui, bien qu’elles soient élues à titre d’administrateurs, ne le sont peut‑être pas à cause de certaines exigences techniques. Elle peut également inclure des personnes qui se présentent comme des administrateurs, de sorte que les tiers se fondent sur leurs pouvoirs à titre d’administrateurs. Tel est essentiellement le principe sur lequel le juge Noël a fondé sa conclusion au paragraphe 20 de l’arrêt Wheeliker.

 

[55]    Bien que cela donne à croire que les personnes qui gèrent une société dans le cadre des fonctions de leur poste ne peuvent pas être tenues responsables en vertu de l’article 227.1 (qu’elles soient considérées comme des administrateurs de fait ou non) à moins qu’elles ne se présentent comme exerçant leurs fonctions de gestion en tant qu’administrateurs, le principe peut aussi être exprimé par la conclusion que ces personnes ne sont pas des administrateurs de fait aux fins de l’application de l’article 227.1. La distinction entre les deux me semble représenter la diversion dont parle le juge Létourneau dans ses motifs dans l’arrêt Wheeliker[13]. Néanmoins, aux fins de la présente analyse, je choisis de retenir la formulation récente du principe, à savoir qu’une personne qui exerce des fonctions de gestion comparables à celles d’un administrateur ne peut pas être un administrateur de fait aux fins de l’application de l’article 227.1 à moins qu’elle ne se soit présentée comme exerçant ces fonctions en tant qu’administrateur ou qu’il y ait d’autres facteurs connexes qui amènent à cette conclusion.

 

[56]    Je crois qu’il est juste de dire que le juge en chef Bowman de la Cour (tel est son titre actuel) a exprimé ce principe en des termes similaires dans la décision Mosier c. R., [2001] G.S.T.C. 124 (C.C.I.). Dans cette affaire, l’ARC avait établi une cotisation à l’égard de l’ancien directeur général et président d’une société qui a fait faillite. Celui‑ci avait été embauché par les trois administrateurs de la société. Il avait exercé de vastes pouvoirs sur les activités de la société et tenté de la remettre à flot sans y parvenir en fin de compte. En décidant, à partir des faits de l’espèce, que l’appelant n’était pas un administrateur de fait, l’actuel juge en chef a fait observer ce qui suit :

 

[27]      L’appelant était‑il administrateur de fait? Il n’a pas été élu au poste d’administrateur, il ne détenait aucune action de TRS et il ne s’est jamais présenté comme administrateur. Les administrateurs, les frères Esposito, ne l’ont d’ailleurs jamais présenté comme administrateur à qui que ce soit. Il était soumis au contrôle légal d’administrateurs dûment élus, soit Tony, Sam et Rocco Esposito. Je ne crois pas qu’ils aient jamais renoncé à leur rôle d’administrateurs. Ils ont fait ce que les administrateurs font généralement : ils ont nommé l’appelant à un poste supérieur et ont pris la résolution de déclarer la faillite de la société. L’appelant n’a pas participé à ces actes des administrateurs. Il n’aurait en effet pu participer à ces actes purement directoriaux, ni même y prétendre. On peut imaginer une situation où l’actionnaire contrôlant d’une société prend toutes les décisions s’appliquant à l’entreprise et nomme des administrateurs fantoches. C’était le cas de l’oncle dans l’affaire Dirienzo, et ce dernier aurait eu bien du mal à se désister de sa responsabilité en tant qu’administrateur.

 

[57]    Ce passage me plaît, non seulement parce qu’il renferme le principe voulant que, lorsque la personne ne se présente pas comme un administrateur, ses pouvoirs et le poste de gestion qu’elle occupe n’en font pas inévitablement un administrateur de fait, mais aussi parce qu’il touche à d’autres facteurs connexes qui permettent de conclure à l’existence d’un poste d’administrateur de fait. L’un de ces facteurs découle de la remarque voulant qu’un actionnaire contrôlant qui nomme un administrateur fantoche puisse être reconnu responsable en tant qu’administrateur.

 

[58]    Qu’en est‑il alors du cas où un actionnaire contrôlant permet à une personne indigne de confiance, hostile, absentéiste, avec qui il est en conflit, de rester administratrice, au sens d’administrateur de droit seulement, tout en annonçant à tout le monde que cette personne n’a jamais été censée être une administratrice, mais que c’était plutôt lui, qui s’est présenté clairement comme la personne ayant été l’unique administrateur depuis le début, qui était censé être l’administrateur de droit depuis toujours? Telles sont les circonstances de l’affaire en instance. L’appelant a reconnu, lors des discussions avec M. Scambellone, qu’il n’avait jamais été question que la première administratrice désignée soit l’administrateur de la Société. Même si la nomination de Mme Fitzpatrick en tant qu’administratrice de droit a subsisté jusqu’au changement ultérieurement apporté dans les registres de la société, cette reconnaissance cimente le scénario susmentionné, selon lequel l’appelant devait avoir agi comme l’administrateur de fait autoproclamé bien avant que la situation de droit n’ait été rectifiée. Assurément, on ne saurait douter que, dans ces circonstances, l’appelant ait été, durant toutes les périodes pertinentes, un administrateur de fait aux fins de l’application de l’article 227.1. À ce titre, il est donc responsable en vertu de l’article 227.1, sous réserve de la présentation du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

 

[59]    Avant de conclure cette partie de l’analyse, il me semble à propos de mentionner que le paragraphe 115(1) de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario porte que les fonctions d’un administrateur consistent à diriger ou à superviser les activités commerciales et les affaires internes d’une société. Compte tenu de cette disposition législative, il va de soi, il me semble, que le dirigeant unique d’une société qui se supervise lui‑même (l’unique dirigeant en l’espèce est l’appelant, qui est le président et signataire autorisé), qui ne relève de personne et qui ne reçoit d’instructions de personne, et qui, en outre, est – ou déclare être, et ce, sans contestation – l’actionnaire dominant de la société, est un administrateur de fait aux fins de l’application de l’article 227.1. En pareil cas, les fonctions de gestion assumées par l’appelant ne sont pas de simples tâches s’apparentant à celles d’un administrateur, ce sont des tâches qui, par définition, sont accomplies par l’appelant à titre d’administrateur. Dans les circonstances, il ne semble certes pas nécessaire de conclure expressément que l’appelant s’est présenté lui‑même comme un administrateur ou que la Société l’a présenté comme tel. Il s’agit de circonstances qui correspondent aux éléments fondamentaux de la fonction d’administrateur de fait et qui, pourrait‑on dire, cadrent parfaitement avec la définition de ceux‑ci. Bien qu’elle n’ait pas été exprimée de cette façon, une conclusion similaire a été tirée dans la décision Hartrell.

 

[60]    Dans cette affaire, l’appelant n’a, à aucun moment, été officiellement nommé administrateur de la société. Le seul administrateur dont le nom figurait dans les registres de la société était l’avocat qui s’était occupé de sa constitution en personne morale, lequel ignorait apparemment qu’il demeurait un administrateur de la société et n’avait jamais pris part aux activités commerciales de cette dernière. Lorsque la société a commencé à battre de l’aile, l’appelant a commencé à prendre une part plus active dans la gestion de la franchise. Considérant que l’appelant était un administrateur de fait, le juge Paris a fait les commentaires suivants :

 

[27]     Toutefois, dans des cas comme celui en l’espèce, où une société est en exploitation, mais n’est pas dotée d’une structure appropriée, et où l’unique administrateur inscrit dans les registres de la société ne participe pas à son exploitation, les personnes qui prennent en charge la direction des affaires de la société peuvent être considérées comme étant des administrateurs de fait, qu’elles se soient expressément présentées ainsi à des tiers ou non. La question fondamentale est de savoir si ces personnes ont, dans les faits, assumé le rôle d’administrateur de la société.

 

[61]    Depuis le départ de Mme Fitzpatrick, à l’automne 2000, si ce n’est depuis la création de la société par actions, l’appelant s’était lui‑même chargé – avait lui‑même pris la responsabilité – de diriger les activités de la société et d’assumer les fonctions d’un administrateur. S’il y avait un autre administrateur dans le portrait, en l’occurrence Mme Fitzpatrick, il ressort de la preuve que cette dernière n’a joué aucun rôle dans la gestion de la Société, du moins après s’en être essentiellement désintéressée, dès septembre 2000. Même si la présence de Mme Fitzpatrick avant cette date étaye la thèse selon laquelle, lors de la création de la Société, on n’avait pas l’intention de changer la structure de l’entreprise par rapport à ce qu’elle était lors de son exploitation sous la raison sociale Belmont Concord, l’appelant avait, délibérément ou pas, effectivement assumé la responsabilité totale de la Société et de la gestion de ses activités à la fin de 2000.

 

Application de la défense de diligence raisonnable à des périodes distinctes

 

[62]    Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelant a fait valoir que, si j’en arrivais à la conclusion qu’il était un administrateur, le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, à défaut d’être une défense pleine et entière, devrait s’appliquer d’une façon qui ne le rendrait pas responsable des manquements à l’obligation d’effectuer des versements pendant une période où il agissait de façon diligente. Comme je l’ai dit, l’argument présenté visait à m’amener à la conclusion selon laquelle il y avait, en l’espèce, deux périodes distinctes au cours desquelles la défense de diligence raisonnable pouvait s’appliquer, en l’occurrence la partie de la période de cotisation antérieure à la vérification ponctuelle (de janvier au 30 avril 2001), et la période subséquente (du 1er mai 2001 au 31 décembre 2003). On a quelque peu insisté sur la période antérieure à la vérification ponctuelle au motif que, disait‑on, une grande partie de la dette établie dans la cotisation se rapportait à ladite période antérieure[14].

 

[63]    Je conviens que l’on peut et doit appliquer la défense de diligence raisonnable à des périodes distinctes lorsque cela peut donner lieu à un résultat différent pour chaque période. Cette conclusion découle naturellement du libellé du paragraphe 227.1(1) qui impose la responsabilité aux administrateurs de la société. En vertu de cette disposition, une personne n’est pas considérée comme responsable à moins qu’elle ait été un administrateur de la société « au moment où celle‑ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer » les sommes en cause. Pour plus de commodité, je me reporterai à cela comme à la « période de responsabilité de l’administrateur », qui est distincte de la période au cours de laquelle la Société a manqué à ses obligations de versement, que j’appellerai « période de responsabilité de la société ».

 

[64]    Prenons l’exemple d’une société dont la période de responsabilité est une année civile; si l’administrateur à l’égard duquel une cotisation a été établie était un administrateur de ladite société au cours des quatre premiers mois seulement de l’année en question, la période de responsabilité de l’administrateur correspondrait à ces quatre premiers mois. L’administrateur ne pourrait être imposé que pour cette période. On trouve un bon exemple de cette situation dans une décision citée par l’appelant, Farrell c. R., [1997] 2 C.T.C. 2934 (C.C.I.), dans laquelle un administrateur a démissionné au cours de la période de responsabilité d’une société. Le juge en chef adjoint Rip (tel est son titre actuel) a naturellement conclu que l’administrateur n’était pas responsable de la partie du montant visé par la cotisation que la société avait omis de verser après la date de sa démission. On devrait arriver à une conclusion identique si, plutôt que de démissionner, l’administrateur, après le quatrième mois de l’année en cause, avait commencé à faire tout en son pouvoir pour remédier aux manquements à l’obligation d’effectuer les versements, au point que, dès lors, la conclusion qu’il avait agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté nécessaire pour pouvoir se soustraire à la responsabilité en ce qui a trait aux huit derniers mois de l’année en cause serait justifiée dans les circonstances. Là encore, la période de responsabilité de l’administrateur est plus courte que la période de responsabilité de la société. De la même façon, lorsqu’un nouvel administrateur arrive à un moment où il y a des arriérés, les versements partiels effectués pendant son mandat doivent être portés au crédit de sa responsabilité d’administrateur, quelle que soit la période de responsabilité de la société.

 

[65]    L’argument présenté par l’avocat de l’intimée laisse entendre que les deux responsabilités devraient être calculées de la même manière. Toutefois, la jurisprudence sur laquelle il s’appuie ne saurait, à mon sens, étayer cette thèse. L’avocat de l’intimée se fonde sur la décision 464734 Ontario Inc. c. La Reine, 90 D.T.C. 6206 (C.F. 1re instance), dans laquelle le juge Cullen, s’appuyant sur les principes de droit applicables aux relations débiteur-créancier, a conclu qu’un créancier tel que l’intimée pouvait appliquer les paiements à n’importe lequel des montants dus et que, de plus, dans le cas de versements tardifs, le débiteur n’avait même pas le droit de désigner quelle dette était remboursée, puisque les sommes dues n’appartiennent pas au débiteur. Il s’agit de fonds détenus en fiducie pour la Couronne.

 

[66]    Cependant, cette décision n’explore pas entièrement les préoccupations et arguments soulevés dans l’appel en instance. La responsabilité d’un administrateur en vertu de l’article 227.1 ne peut être régie par les principes ordinaires de droit applicables aux débiteurs et aux créanciers. L’analyse sous l’angle de la relation débiteur‑créancier ne s’applique qu’à la société et à la Couronne. La façon dont l’ARC applique les versements au compte des dettes de la Société, invoquant tel ou tel droit que lui reconnaît la loi ou tel principe juridique, ne saurait accroître la responsabilité d’un administrateur au‑delà de ce que prévoit expressément la disposition d’imputabilité de responsabilité qu’on trouve dans la Loi. C’est là le principe sur lequel s’appuie l’appelant.

 

[67]    L’appelant affirme que, s’il était un administrateur pouvant se prévaloir de la protection du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable pour les quatre premiers mois de la période visée par la cotisation, les arriérés se rapportant à cette période n’engagent pas sa responsabilité. D’autre part, s’il n’est pas protégé par la défense de diligence raisonnable pendant la période postérieure, il ne peut être tenu responsable des versements non effectués que pour cette dernière période, et ces sommes doivent être calculées nettes de tout versement et paiement effectués au cours de la période ultérieure. Du point de vue de la Société, il n’y a pas de mal à appliquer ces versements et paiements aux arriérés des quatre premiers mois pour calculer la responsabilité de la Société. Cependant, les appliquer aux arriérés des quatre premiers mois pour quantifier la responsabilité de l’administrateur de la société en vertu de l’article 227.1 se rapportant à la période postérieure est une tout autre affaire. Si l’on procédait ainsi au sujet de sa responsabilité personnelle, cela aurait pour effet, en fait, de diminuer artificiellement la responsabilité afférente à une période dont il n’est pas responsable, avec pour résultat d’augmenter au‑delà de ce qui est expressément prévu dans la Loi son obligation à l’égard de la période dont il est responsable.

 

[68]    Je suis d’accord avec l’appelant. La question de la responsabilité d’un administrateur ne saurait être analysée en fonction du droit régissant les relations débiteur‑créancier. Le contexte exige d’étudier la question sous un angle différent, lequel doit mettre l’accent sur la responsabilité d’un surveillant chargé d’accomplir cette fonction avec prudence. Cet angle d’analyse est mieux servi si l’on reconnaît que les versements et autres paiements effectués au cours d’une période durant laquelle un administrateur a agi de façon responsable doivent d’abord être imputés aux dettes qui auraient autrement pris naissance pendant cette période. Seules les sommes excédentaires devraient être appliquées aux arriérés afférents aux manquements de la société survenus avant que l’administrateur devienne chargé, de façon permanente, d’assumer un rôle de surveillant. Ayant cela à l’esprit, il pourrait être indiqué, voire utile, d’examiner les manquements à l’obligation d’effectuer les versements dans le contexte de segments ou de périodes de temps distinctes et, selon les constatations de fait, d’appliquer les paiements soit par ordre chronologique ou de façon inversement chronologique eu égard à chaque segment, selon ce que dictent les circonstances.

 

[69]    Par conséquent, je me prononcerai sur l’application de la défense de diligence raisonnable à chacune des deux périodes distinctes proposées par l’appelant dans son argument subsidiaire.

 

          La défense de diligence raisonnable en ce qui concerne la période postérieure à la vérification ponctuelle de mai 2001

 

[70]    L’appelant affirme que, dès le début de la vérification ponctuelle, il a agi de façon responsable et avec prudence pour veiller à ce que l’on remédie aux manquements en matière de versements qui ont été révélés par la vérification et que, pour ce motif, je devrais conclure qu’il a fait preuve de diligence et qu’il ne devrait pas être tenu personnellement responsable de toute somme n’ayant pas été versée pendant cette période. Il veut que j’applique les paiements échelonnés aux obligations en matière de versement se rapportant à la période postérieure au mois d’avril 2000, et que je me fonde sur les efforts qu’il a déployés pour veiller à la satisfaction des obligations courantes de versement, efforts qui, affirme‑t‑il, étaient largement suffisants pour résoudre le problème à partir de ce moment.

 

[71]    La preuve n’étaye pas l’affirmation de l’appelant. Il y a eu, après le 30 avril 2001, d’importants manquements au chapitre des versements. L’appelant a régulièrement utilisé les fonds en fiducie pour financer les activités de la Société. Bien que le dossier soit insuffisant et qu’une part de responsabilité revienne à l’intimée à cet égard, la preuve est, à mon sens, suffisante pour appuyer cette conclusion.

 

[72]    L’insuffisance du dossier découle de l’absence d’une liste des manquements au chapitre des versements à la fin d’avril 2001.

 

[73]    La première cotisation, en date du 25 mai 2001, portait sur quelque 27 000 $ (à l’exclusion des pénalités et intérêts) pour la période de janvier à mars 2001. La deuxième cotisation, datée du 12 octobre 2001, portait sur 61 000 $ environ (pénalités et intérêts non compris) pour la période d’avril à août 2001. C’est donc dire que, pour les huit premiers mois de l’année civile 2001, les manquements en matière de versements se sont élevés à quelque 88 000 $, tandis que les versements échelonnés, qui ont commencé fin mai 2001, ont totalisé une somme approximative de 23 000 $ à la fin d’août 2001. Les sommes n’ayant pas été versées s’élèvent donc à 65 000 $ pour les huit premiers mois de 2001, si on applique aux arriérés les paiements effectués.

 

[74]    Dans son argumentation, l’appelant a laissé entendre que le montant impayé de 65 000 $ était dû aux manquements à l’obligation d’effectuer les versements se rapportant aux quatre mois ayant précédé la vérification, soit la période de janvier à début mai 2001[15]. Cela semble peu probable. Le montant impayé pour les trois premiers mois s’élevait à 27 000 $, et celui pour les cinq mois suivants, à 38 000 $. Tout cela n’aurait pu être le fait du seul mois d’avril. Si 20 % de la somme se rapportait au mois d’avril (c.‑à‑d. quelque 7 600 $), les montants impayés avant la vérification pour les quatre premiers mois de l’année seraient de 34 600 $ environ[16]. Ainsi, les sommes non versées s’élèveraient à quelque 29 000 $ pour la période de quatre mois postérieure à la vérification qui s’est terminée à la fin août 2001. Parallèlement aux manquements ayant fait l’objet d’une cotisation, des paiements d’environ 23 000 $ ont été faits entre la fin mai et la fin août 2001. Si nous appliquons ces paiements à cette période de quatre mois, on en arrive à une somme non versée de 6 000 $ pour cette période postérieure à la vérification ponctuelle. Cela n’est certes pas un écart appréciable, mais si on le conjugue au solde de la période postérieure à la vérification, les choses ne s’améliorent pas.

 

[75]    La somme de toutes les cotisations s’élevait à 226 451 $. En supposant encore une fois que les manquements antérieurs à la vérification se chiffraient à quelque 34 600 $, les cotisations postérieures à la vérification seraient de l’ordre de 192 000 $. Le total des paiements effectués s’élevait à environ 137 600 $. Même en déduisant, pour la période postérieure à la vérification, un montant approximatif de 30 000 $ en pénalités et intérêts[17], il est clair que l’appelant n’arrivait pas à se mettre en règle après la vérification ponctuelle, même si l’on présume que les versements échelonnés devraient être crédités, du point de vue de sa responsabilité personnelle, aux obligations courantes. L’appelant se servait des montants destinés aux versements comme d’une source de financement. Je ne vois donc pas de raison d’appliquer la défense de diligence raisonnable à la période postérieure à la vérification ponctuelle.

 

[76]    Décider dans quelle mesure la Société était à jour dans ses versements est une chose, mais il est peut‑être plus important encore d’évaluer la conduite de l’appelant. L’appelant a‑t‑il agi avec autant de soin que l’aurait fait une personne raisonnablement prudente? Le soin dont il aurait dû faire preuve aurait dû traduire son respect de ce qu’il était tenu de faire, à savoir de veiller à ce que la Société traitât les montants retenus, mis de côté et détenus en fiducie pour la Couronne comme de l’argent appartenant à l’État. À mon avis, l’appelant s’est montré réfractaire lorsqu’il s’est agi d’assumer ce devoir imposé aux personnes dans sa position. Même après la vérification ponctuelle, il s’est contenté de faire ce qu’il fallait pour éviter les recouvrements. Certes, on peut dire qu’il a été à l’origine du paiement de sommes dues importantes pour satisfaire aux obligations de versement. Cependant, il effectuait ces paiements par versements échelonnés pour donner l’impression de donner satisfaction à l’ARC tout en continuant de se servir des montants retenus pour financer les activités de la Société. Peut‑il affirmer qu’il s’agit là de ce qu’une personne d’affaires raisonnablement prudente aurait fait dans des circonstances comparables? Si la réponse à cette question est « oui », les fondements de l’ensemble des dispositions de la Loi relatives à la fiducie seraient complètement sapés.

 

[77]    Bien que cela puisse sembler sévère à l’égard d’un profane n’ayant pas reçu de formation juridique ou n’ayant pas été professionnellement formé aux subtilités des dispositions législatives en matière de versements, et bien que je sois conscient du fait qu’il existe un élément de subjectivité dans l’application du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable[18], je ne suis pas convaincu que même une analyse totalement subjective aurait servi l’appelant. L’appelant travaillait dans l’entreprise familiale depuis 19 ans environ avant la période visée par la cotisation, et il avait géré l’entreprise pendant plusieurs années avant l’arrivée de Mme Fitzpatrick. À l’automne 2000, il a chargé son avocat de communiquer avec Me Fiksel, au sujet de la constitution de la Société en personne morale. C’est donc dire qu’il avait accès à des professionnels pour l’aider. Il était au courant des autres obligations que la loi imposait aux autres joueurs du milieu de la construction et semblait prêt à s’y conformer. On pourrait affirmer que le fait d’appliquer ses connaissances de la loi à certaines obligations, mais pas à d’autres arrangeait l’appelant. Toujours est‑il que, à mon sens, il est certain que l’appelant n’a pas exercé le degré de diligence, d’habileté et de soin qu’on attendait de lui, dans le poste qu’il occupait, pour satisfaire aux obligations de versement de la Société.

 

[78]    Qui plus est, on a peine à croire que l’appelant, étant un homme de métier, est une personne à l’égard de laquelle la barre de la responsabilité devrait être abaissée. Il était le seul à pouvoir effectuer les versements, et c’est effectivement lui qui s’en chargeait. Il avait suffisamment d’expérience pour remplir ce rôle et doit accepter la responsabilité liée à la façon dont il s’en est acquitté. À ce sujet, je ferais observer que je n’ai trouvé aucun motif d’adopter, en l’espèce, l’approche énoncée dans la décision Franck. Dans le cas qui nous occupe, l’appelant se montre quelque peu irrévérencieux quant à la fiducie imposée relativement à l’argent destiné aux versements. Il ne s’agit tout simplement pas de fonds qu’on peut utiliser à sa guise pour financer une entreprise en difficulté. L’indulgence de l’ARC et les accommodements qu’elle consent pour éviter de forcer les sociétés à déclarer faillite ne sauraient être des motifs l’empêchant de recourir par la suite à des recours judiciaires en recouvrement. Je suis en fait d’avis que le principe qui est énoncé dans la décision Franck et sur lequel se fonde l’appelant – principe dont on peut dire qu’il ne constituait pas la ratio decidendi de cette décision[19] – doit être appliqué avec circonspection. J’ajouterais, de toute façon, que je ne suis pas convaincu, en l’espèce, que l’appelant ait rempli les critères de bonne volonté, de sincérité et de sacrifice énoncés dans la décision Franck. L’appelant a amené la Société à payer d’importantes sommes à Mme Fitzpatrick au cours de l’été et de l’automne de l’année 2000. Des frais élevés de gestion ont été payés, sur les liquidités de la Société, au cours de son exercice 2002. De telles actions, demeurées inexpliquées, ne cadrent pas avec le principe énoncé dans Franck. Les versements et paiements effectués après la vérification ponctuelle, même si on les applique collectivement aux obligations courantes en matière de versements, étaient délibérément et intentionnellement insuffisants. L’appelant a sciemment détourné des fonds détenus en fiducie pour le gouvernement.

 

          La défense de diligence raisonnable en ce qui concerne la période antérieure à la vérification ponctuelle de mai 2001

 

[79]    J’ai déjà conclu que l’appelant assurait la direction durant cette période. Il n’a pas de meilleur moyen de défense ici qu’il n’en avait pour la période ultérieure (à la vérification). En fait, l’affirmation selon laquelle il pouvait s’en remettre à des antécédents de conformité reposant largement sur le rôle et les responsabilités de Mme Fitzpatrick heurte mon impression générale de la preuve. L’appelant avait toutes les raisons du monde de se méfier de tout ce que pouvait faire Mme Fitzpatrick. Il a essayé de se dépeindre en simple homme de métier, mais ceci ne cadre manifestement pas avec les agissements d’une personne qui a pris les rennes de l’entreprise des mains de son père et a pris part aux manœuvres douteuses de Mme Fitzpatrick – étant ou non sous l’influence de cette dernière. L’appelant s’est présenté à moi comme un homme d’affaires tout à fait capable de s’occuper du bureau, ce qu’il a précisément fait à partir de l’automne 2000, aux dires de Mme Kondrashev. À cette époque, il était au courant d’un autre exploit de Mme Fitzpatrick – son imitation de la signature de Me Fiksel. Continuer de faire confiance à celle-ci aurait été aux antipodes de l’exercice du soin dont aurait fait preuve une personne raisonnablement prudente en pareilles circonstances. Selon les dires de l’appelant, si l’on donnait une corde à Mme Fitzpatrick, cela reviendrait à lui donner les outils nécessaires pour pendre quelqu’un – y compris lui‑même dans ce cas. Bien qu’il ait pu croire qu’il avait lui‑même des limites (perçues ou réelles) et qu’il pouvait compter sur elle pour apporter un complément à ses propres aptitudes, je ne peux croire qu’une personne raisonnablement prudente, dans de semblables circonstances, se serait fiée à Mme Fitzpatrick pour se conformer à un quelconque régime de réglementation. Lui faire confiance à ce chapitre reviendrait à fermer les yeux sur la possibilité qu’elle fasse fi d’un tel régime, au gré de ses intérêts personnels.

 

[80]    Une personne raisonnablement prudente en pareille situation, ou dans des circonstances comparables, aurait retenu les services de quelqu’un pour se mettre sur la bonne voie dès le départ, mais ceci impliquerait que l’appelant se préoccupait réellement de la bonne voie; et c’est justement là que se pose l’un des problèmes auxquels se heurte l’appelant : en l’occurrence, je ne suis pas convaincu que l’appelant se souciait de la bonne voie à suivre. En fait, il se pourrait fort bien qu’il ait été attiré par Mme Fitzpatrick justement en raison de sa propension aux machinations. Dans ces circonstances, il apparaîtrait clairement à tout observateur que l’appelant prenait plaisir à fermer les yeux sur tout problème de conformité, y compris au chapitre de l’obligation d’effectuer des versements. Ce n’est pas ce qu’une personne prudente ferait à sa place.

 

Conclusion

 

[81]    En conséquence, l’analyse des deux segments de temps distincts formant la période visée par la cotisation n’a pas aidé l’appelant. Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable ne peut s’appliquer à l’un ou l’autre des segments en question.

 

[82]    Pour tous ces motifs, l’appel doit être rejeté. Les dépens de la cause sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2008.

 

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de décembre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI221

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-4517(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Dennis Bonotto et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 25 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Joseph D’Alimonte

Avocat de l’intimée :

Me Shatru Ghan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Joseph D’Alimonte

 

                          Cabinet :                  Faga & D’Alimonte

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, Q.C.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Le motif de la demande initiale présentée en octobre 2000 au sujet de la signature contrefaite n’a jamais été exposé. Une explication possible pourrait être que l’appelant et les nouveaux avocats cherchaient alors à confirmer le statut de sa nouvelle société. Toujours est‑il que l’on n’a pas fourni d’explications quant à la raison pour laquelle Mme Fitzpatrick a été nommée première administratrice après la découverte de la contrefaçon.

 

[2] Les états financiers ont été signés le 28 février 2002 par l’appelant, à titre d’administrateur, même si le statut de Mme Fitzpatrick a été découvert ou confirmé une semaine après. En disant que l’on ne pouvait joindre, à l’époque, Mme Fitzpatrick, M. Scambellone a dit s’être fié à l’appelant, en tant que personne responsable, pour recevoir ses instructions.

 

[3] M. Scambellone a déclaré que, d’après ses notes, une somme de 19 000 $ n’avait toujours pas été versée à la fin de l’année civile 2000 et un trop‑payé de 2 300 $ avait été fait à la fin de l’année civile 2001. Ces chiffres ne correspondent pas aux dossiers de l’intimée sur les cotisations et les soldes dus. Les dossiers de l’intimée ne renferment pas d’information sur l’année civile 2000 et font état d’un manque de 67 000 $ dans les versements pour l’année civile 2001. Ces dossiers ont été déposés comme pièces dans un recueil conjoint de documents, et leur exactitude n’est pas remise en question. Le témoignage du comptable sur ce point n’était pas fiable.

 

[4] Étant donné l’absence de registres de la Société, il est possible, pour ne pas dire probable, qu’il n’y ait jamais eu émission d’actions et qu’un certain flou ait entouré la propriété de l’entreprise tout au long de la période visée par l’appel. Quoi qu’il en soit, l’appelant affirme détenir une participation de 90 % et avoir exercé ce degré de participation et de contrôle dès le jour de la constitution de l’entreprise en société. L’intimée ne conteste pas cette affirmation, si bien que, d’un point de vue factuel, je dois accepter que cette participation n’est pas remise en cause en l’espèce. Si la question de la participation majoritaire avait été contestée, il demeurerait loisible à la Cour de considérer l’appelant comme l’actionnaire majoritaire, même en l’absence d’une émission en bonne et due forme d’actions, au motif qu’il avait le statut d’actionnaire de fait selon les principes énoncés dans Cooper v. Cayzor Athabaska Mines Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 544 (C.A. Ont.).

 

[5] Les cotisations établies pour ces montants se rapportaient aux manquements à l’obligation de verser, au cours de ces périodes, les sommes relatives à l’assurance-emploi, au Régime de pensions du Canada, à l’impôt provincial et à l’impôt fédéral, et comprenaient les intérêts et pénalités afférents à chacun de ces manquements.

 

[6] Après les avoir imputés au paiement des intérêts et des pénalités, on a appliqué les versements, dans l’ordre, à l’assurance-emploi, au Régime de pensions du Canada, à l’impôt provincial et à l’impôt fédéral. Cet ordre s’est également appliqué à la façon dont les intérêts et pénalités ont été crédités.

[7] Les manquements en tant que tels portaient sur une somme totalisant environ 35 000 $ de moins que les 88 778 $, puisque cette dernière somme comprenait les intérêts et les pénalités. Les manquements à l’obligation de verser les sommes en question n’en demeurent pas moins importants.

[8] 2005 DTC 994.

[9] Dans son témoignage, l’appelant a indiqué que, dans certains cas, Mme Fitzpatrick avait bel et bien agi d’une façon conforme aux pouvoirs dont elle était investie. Par exemple, elle a radié un privilège que l’appelant a inscrit au nom de la Société. Toutefois, c’est là le seul exemple cité. Il s’est produit à l’automne 2000 et n’enlève rien au fait que la preuve indique qu’elle était sortie du portrait avant janvier 2001. En outre, cet exemple démontre que, même si Mme Fitzpatrick avait pu être en mesure d’user des pouvoirs liés au poste qu’elle occupait de droit, cela ne signifie pas que l’appelant ne se présentait pas comme le détenteur des pouvoirs.

[10] Articles 115 à 119 de la Loi sur les sociétés par actions (Ontario).

 

[11] Le jugement « dissident » du juge d’appel Létourneau souscrit à la décision majoritaire quant au résultat, mais non quant aux motifs.

 

[12] Dans les jugements Scavuzzo c. R., [2006] 2 C.T.C. 2429 (C.C.I.) et Parisien c. R., [2005] G.S.T.C. 59 (C.C.I., inf.), le juge en chef Bowman et la juge Lamarre ont chacun cité la dissidence que le juge d’appel Létourneau a exprimée dans l’arrêt Wheeliker concernant la question de l’administrateur de fait.

 

[13] Au paragraphe 3, il dit : « Comme c’est souvent le cas de toutes les diversions, celle‑ci soulève des questions intéressantes, quoique non pertinentes pour la plupart. »

[14] Les raisons pour lesquelles on insistait sur une période en particulier ne sont bien entendu pas pertinentes. Quoi qu’il en soit, je note que l’affirmation selon laquelle le gros de la dette établie se rapporte à la période antérieure à la vérification ponctuelle n’a pas été prouvée. De fait, comme je l’expliquerai ultérieurement dans les présents motifs, il est probable qu’une bonne partie de la dette se rapporte bel et bien à la période postérieure à la vérification ponctuelle.

 

[15] L’inclusion du mois de mai dans la période postérieure à la vérification est justifiée puisque la vérification a commencé au début de ce mois. Sans aller jusqu’à suggérer que l’appelant était déjà au courant des manquements, on peut dire qu’il avait, à tout le moins, été personnellement alerté d’un problème début mai.

 

[16] La nature des activités de la société donne à penser que, à mesure que l’on avance dans l’été, les travaux et les versements augmentent, si bien qu’une quantification à 20 % ou l’estimation des versements selon la méthode linéaire favorisent l’appelant.

 

[17] Il n’est pas possible de calculer le montant exact des intérêts et pénalités s’appliquant à la période postérieure à la vérification car la première cotisation chevauche les deux périodes. Le montant de 30 000 $ représente une approximation calculée par une répartition linéaire des intérêts et pénalités durant cette première période.

 

[18] Soper c. R., [1997] 3 C.T.C. 242 (C.A.F.).

 

[19] Il est conclu que la cotisation était frappée de prescription, si bien que l’appel aurait été accueilli que la défense de diligence raisonnable se soit appliquée ou non.

 

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