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Dossier : 2007-4910(EI)

ENTRE :

LES ENTREPRISES CHARLES MAISONNEUVE LTÉE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 21 avril 2008, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

 

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Dany Leduc

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juin 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI269

Date : 20080604

Dossier : 2007-4910(EI)

ENTRE :

LES ENTREPRISES CHARLES MAISONNEUVE LTÉE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une détermination en vertu de laquelle l’intimé a décidé que le travail effectué par madame Hélène Maisonneuve, du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006, par Monsieur Frédéric Maisonneuve, du 1er janvier 2003 au 16 février 2007, et par monsieur Pierre Maisonneuve, du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006, (les « travailleurs ») pour le compte de l’appelante satisfait aux exigences d’un contrat de louage de services, et cela, malgré le lien de dépendance qui existait entre les parties.

 

[2]              La détermination de l’intimé était fondée sur les faits suivants énoncés aux paragraphes 5, 6 et 7 de la réponse à l’avis d’appel :

 

a)                 l’appelante a été constitué en société en 1997; (admis)

 

b)                l’appelante se spécialise dans le domaine de l’excavation, de nivellement d’aqueduc et d’égouts et fait du déneigement; (nié tel que rédigé)

 

c)                 l’appelante exploite son entreprise à l’année longue car elle fait du déneigement durant la saison hivernale; (admis)

 

d)                les heures d’opération de l’appelante sont en fonction des contrats obtenus de ses clientes; des travaux peuvent s’effectuer durant les fins de semaine; (admis)

 

e)                 l’appelante embauche annuellement environ 50 personnes; (nié tel que rédigé)

 

f)                  les travailleurs sont actionnaires de l’appelante et siègent tous sur le conseil d’administration de l’appelante; (nié tel que rédigé)

 

g)                 M. Charles Maisonneuve, actionnaire majoritaire de l’appelante, est le père des travailleurs et il agit plutôt comme administrateur de l’appelante et a transféré graduellement son pouvoir directionnel à ses enfants (les travailleurs); (admis)

 

h)                 les travailleurs assument les postes de direction de l’appelante; (admis)

 

i)                   les travailleurs prennent toutes les décisions relatives aux opérations majeures et quotidiennes de la gestion et voient au bon fonctionnement de l’entreprise de l’appelante; (admis)

 

j)                   Hélène Maisonneuve agissait à titre de contrôleur administratif. Elle s’occupait des questions comptables, gouvernementales, légales, etc. elle s’occupait principalement :

 

-         des comptes à recevoir et à payer;

-         des paies;

-         des dénonciations;

-         des remises gouvernementales;

-         de la complexité de certains documentes;

-         des soumissions;

-         des commissions;

-         de l’entretien du bâtiment;

-         de la décoration de la place d’affaires.

 

          (admis)

 

k)                 elle travaillait uniquement à la place d’affaires de l’appelante; (nié)

 

l)                   elle n’avait aucun horaire fixe à suivre mais travaillait généralement du lundi au vendredi en journée; elle pouvait travailler en soirée et les fins de semaine lorsque la situation l’exigeait; (nié)

 

m)              durant la période en litige, elle gagnait une rémunération annuelle fixe de 66 417 $ et était admissible à un bonus annuel en fonction du taux de rendement de l’entreprise; (admis)

 

n)                 elle prenait normalement deux semaines de vacances durant l’été et quelques journées durant l’hivers; (nié)

 

o)                Frédéric Maisonneuve s’occupait de la supervision des opérateurs de machinerie lourde du côté commercial et du génie civil; (admis)

 

p)                il s’occupait aussi des contrats de déneigement avec son frère Louis et ses principales fonctions se résumaient à :

-         s’occuper des appels matinaux, de la machinerie, du transport, et des cas problèmes;

-         surveiller les opérateurs;

-         préparer les horaires de travail;

-         compléter les contrats de déneigement.

(admis)

 

q)                il n’avait pas d’horaire rigide de travail à respecter et faisait entre 40 et 70 heures par semaine selon les contrats; (nié tel que rédigé)

 

r)                  il devait, dans le cadre de ses fonctions, se déplacer d’un chantier à l’autre afin de vérifier l’évolution et la qualité des travaux en cours; (admis)

 

s)                 durant la période en litige, il gagnait une rémunération annuelle fixe de 68 204 $ et était admissible à un bonus annuel en fonction du taux de rendement de l’entreprise; (nié)

 

t)                   il prenait normalement de 5 à 6 semaines de vacances par année; (nié)

 

u)                 Louis Maisonneuve occupait le poste de superviseur/contremaître des opérateurs de la machinerie lourde du côté résidentiel; (admis)

 

v)                 il devait gérer le personnel sur les chantiers et s’occuper principalement :

 

-         des urgences;

-         des contrats de déneigement;

-         de la surveillance des opérateurs;

-         de la préparation des horaires de travail;

-         des cas problèmes.

(admis)

 

w)               il n’avait pas à suivre un horaire précis de travail à respecter mais faisait généralement 45 heures par semaine du lundi au vendredi et occasionnellement travaillait le soir ou durant les fins de semaine; (nié)

 

x)                 il devait, dans le cadre de ses fonctions, se déplacer d’un chantier à l’autre afin de vérifier l’évolution et la qualité des travaux en cours; (admis)

 

y)                 durant la période en litige, il gagnait une rémunération annuelle fixe de 71 534 $ et était admissible à un bonus annuel en fonction du taux de rendement de l’entreprise; (nié)

 

z)                 il prenait généralement deux semaines de vacances durant les semaines de la construction, une semaine durant la semaine de relâche et une autre durant le reste de l’année; (nié)

 

aa)             Pierre Maisonneuve occupait le poste de directeur général de l’entreprise; (admis)

 

bb)           il s’occupait principalement :

-         des mécaniciens;

-         de la production;

-         de la gestion;

-         des soumissions.

(admis)

 

cc)            il avait une rémunération annuelle de 85 160 $ et était admissible à un bonus annuel en fonction du taux de rendement de l’entreprise; (nié)

 

dd)           il travaillait à la place d’affaires de l’appelante et parfois à son domicile; (admis)

 

ee)             il n’avait aucun horaire de travail et pouvait travailler entre 20 et 90 heures par semaine selon la période de l’année et du nombre de contrats; (admis)

 

ff)               il pouvait travailler le soir ou durant certaines fins de semaine; (admis)

 

gg)            il prenait deux semaines de vacances durant les vacances de la construction et deux autres au printemps; (nié)

 

hh)            chacun des travailleurs avait un bureau et un espace de travail à la place d’affaires de l’appelante; (admis)

 

ii)                 chacun des travailleurs devait se rapporter ou rendre compte auprès du conseil d’administration de l’appelante; (nié)

 

jj)                 le travail des travailleurs pouvait faire l’objet d’une validation et/ou rectification en tout temps; (nié)

 

kk)            Pierre et Hélène Maisonneuve étaient couverts, comme les autres employés non couverts par la C.S.S.T., par le régime de soins de santé de l’entreprise alors que Louis et Frédéric Maisonneuve n’étaient pas couverts par le dit régime; (admis)

 

ll)                 les travailleurs devaient aviser l’appelante lorsqu’ils devaient s’absenter; (nié)

 

mm)       les travailleurs n’encouraient aucune dépense dans l’exercice de leurs fonctions; (nié)

 

nn)            le matériel, l’équipement, les fournitures, les camions et le local appartenaient à l’appelante. (nié)

 

 

[3]              Il convient de souligner que le représentant de l’appelante a admis lors de l’audience que les travailleurs exerçaient un emploi auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services.

 

[4]              Il convient de rappeler que l’intimé a déterminé que ces emplois étaient assurables puisqu’ils n’étaient pas visés par l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »). En effet, les travailleurs et l’appelante furent réputés, en vertu de l’alinéa 5(3)b) de la Loi, ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de ces emplois, l’intimé ayant été convaincu qu’il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que les travailleurs auraient conclu avec l’appelante des contrats de travail à peu près semblables s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[5]              Je note aussi que chacun des travailleurs a témoigné à l’appui de la position de l’appelante et que personne n’a témoigné à l’appui de la position de l’intimé. Le témoignage des travailleurs m’est apparu très crédible.

 

[6]              La Cour d’appel fédérale a défini à plusieurs reprises le rôle confié par la Loi à un juge de la Cour canadienne de l’impôt. Ce rôle ne permet pas à un juge de substituer sa décision discrétionnaire à celle du ministre du Revenu national (le « ministre »), mais il emporte l’obligation de « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, [. . .] décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable ».[1]

 

[7]              Chacun des travailleurs a témoigné à l’audience notamment pour décrire le rôle qu’il jouait au sein de l’entreprise pendant les périodes pertinentes. Je note que la description que les travailleurs ont donnée de leur rôle correspondait essentiellement à celle alléguée par le ministre dans la réponse à l’avis d’appel.

 

[8]              Chacun des travailleurs a témoigné que, contrairement aux autres travailleurs de l’appelante, personne ne supervisait son travail étant donné que :

 

                               i)            chacun d’eux déterminait son horaire de travail et pouvait modifier ses heures de travail à sa guise. À cet égard, monsieur Pierre Maisonneuve a indiqué qu’il pouvait consacrer de 20 à 90 heures par semaine à son travail. Son horaire pouvait donc varier. Par ailleurs, il a précisé qu’il consacrait en moyenne 50 heures par semaine à son travail. Monsieur Louis Maisonneuve a témoigné qu’il pouvait consacrer de 30 à 90 heures par semaine à son travail. Son horaire pouvait donc varier. Par ailleurs, il a précisé qu’il consacrait en moyenne 55 à 60 heures par semaine à son travail. Madame Hélène Maisonneuve a indiqué qu’elle consacrait en moyenne 45 heures par semaine à son travail, heures qui se répartissaient généralement sur cinq jours par semaine, et ce, pendant les heures d’ouverture du siège social de l’appelante. Enfin, monsieur Frédéric Maisonneuve a indiqué qu’il pouvait consacrer de 30 à 90 heures par semaine à son travail. Son horaire de travail pouvait donc varier. Il a précisé, par ailleurs, qu’il consacrait en moyenne 60 heures par semaine à son travail;

 

                             ii)            chacun d’eux pouvait s’absenter quand il le voulait et planifier son travail en fonction de ses préoccupations familiales et personnelles, et ce, indépendamment des besoins de l’appelante, puisqu’il lui était loisible pendant ses absences de confier ses responsabilités au sein de l’entreprise à un employé de confiance. Chacun d’eux a donné des exemples à cet égard : ainsi, pendant l’hospitalisation de sa conjointe, monsieur Pierre Maisonneuve s’était absenté neuf jours. Il s’était aussi absenté pendant quelques jours pour aider sa fille (qui avait été admise à l’université) à trouver un appartement. Enfin, il a expliqué qu’il suivait des cours d’anglais pendant les heures d’ouverture de l’entreprise. Monsieur Louis Maisonneuve a indiqué qu’il s’absentait de son travail pour conduire sa fille à des cours de violon. La preuve a révélé qu’il consacrait environ 30 heures par année à cette tâche. Enfin, il a tenu à dire qu’à l’occasion, il prolongeait ses weekends. Madame Hélène Maisonneuve a indiqué qu’elle s’absentait régulièrement du bureau pour aller chez son coiffeur, chez son dentiste et chez son esthéticienne. Elle a aussi tenu à préciser qu’à l’occasion elle prolongeait ses weekends. Enfin, monsieur Frédéric Maisonneuve a indiqué qu’il s’absentait de son travail pour assouvir sa passion des chevaux, sans pour autant préciser la fréquence et la durée de ses absences liées à cette passion;

 

                           iii)            chacun d’eux déterminait lui-même la date et la durée de ses vacances qui étaient d’ailleurs rémunérées. La preuve a révélé que chacun des travailleurs prenait, au moment qui lui convenait, quatre semaines de congé annuel en moyenne;

 

                           iv)            les travailleurs étaient rémunérés, peu importe le nombre de jours de congé de maladie qu’ils prenaient. Par contre, la preuve n’a pas révélé si ces derniers prenaient de nombreux jours de congé de maladie;

 

                             v)            chacun d’eux déterminait sa rémunération. Chacun d’eux a soutenu qu’il pouvait augmenter sa rémunération sans l’accord des autres travailleurs. Chacun d’eux a expliqué qu’il informait les autres travailleurs de l’augmentation de rémunération désirée, non pas pour obtenir leur consentement, mais bien par respect ou par délicatesse. Ils ont ajouté qu’en aucun temps les autres travailleurs n’avaient empêché un travailleur d’augmenter sa rémunération. Je souligne que les travailleurs ne m’ont pas convaincu de ce fait. Il m’apparaît invraisemblable qu’un travailleur, même s’il est actionnaire de son employeur, puisse augmenter sa rémunération sans le consentement des autres actionnaires. Je suis d’avis qu’en l’espèce chaque travailleur informait de façon informelle les autres travailleurs de l’augmentation désirée, non pas par égard pour ces derniers, mais bien pour obtenir leur assentiment. Je suis d’avis que le travailleur concerné interprétait le silence des autres travailleurs comme une acceptation tacite de sa demande d’augmentation de rémunération. Je suis aussi d’avis que les autres actionnaires n’ont jamais, en l’espèce, empêché le travailleur concerné d’augmenter son salaire tout simplement parce que l’augmentation leur semblait déraisonnable dans les circonstances. L’exemple suivant relaté par les travailleurs illustre bien le modus operandi de l’appelante à l’égard des augmentations salariales désirées. Les travailleurs ont expliqué que leur frère Frédéric a eu besoin en 2003 d’une rémunération supplémentaire de 4 000 $ pour couvrir les coûts de son passe‑temps (les chevaux). Ils ont relaté que Frédéric leur a fait part de ses besoins et qu’ils avaient acquiescé à sa demande et décidé (fort probablement par souci d’équité) que l’appelante verserait à chacun d’eux un bonus de 4 000 $ en 2003.

 

[9]              La preuve a aussi révélé que les travailleurs avaient reçu de l’appelante la rémunération suivante pendant les périodes concernées :

 

 

2003

 

2004

2005

2006

Pierre Maisonneuve

82 096 $

81 074 $

87 812 $

85 160 $

Louis Maisonneuve

71 273 $

58 832 $

64 644 $

71 534 $

Hélène Maisonneuve

59 691 $

56 878 $

70 276 $

66 417 $

Frédéric Maisonneuve

70 770 $

67 362 $

67 904 $

68 404 $

 

 

Analyse

 

[10]         Est-ce que la décision rendue par le ministre semble toujours raisonnable compte tenu de la preuve des travailleurs? Je rappelle que le ministre devait déterminer s’il était raisonnable de conclure que les travailleurs auraient conclu avec l’appelante un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance. Il ne s’agit pas de déterminer si les conditions de travail reflètent nécessairement les conditions du marché, quoique, généralement, cela puisse être une circonstance pertinente dont il faudrait tenir compte. À mon avis, en ce qui concerne l’alinéa 5(3)b) de la Loi, la question de savoir si l’employeur et les employés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, il faut tenir compte du fait qu’il s’agit de quatre travailleurs qui étaient non seulement les seuls dirigeants de l’appelante, mais aussi ses administrateurs et ses propriétaires. L’alinéa 5(3)b) de la Loi n’indique pas qu’il faut faire abstraction des intérêts financiers que les travailleurs détiennent dans la société. Par conséquent, nous pouvons construire une hypothèse avec quatre travailleurs n’ayant aucun lien de parenté entre eux, détenant chacun plus ou moins le quart du capital‑action de l’appelante (et n’ayant aucun lien de dépendance avec celle-ci) en plus d’être les seuls administrateurs et dirigeants de cette dernière. La question que devait trancher le ministre pourrait donc être reformulée ainsi : si les quatre travailleurs avaient détenu chacun plus ou moins le quart des actions de l’appelante et qu’il n’y ait pas eu de lien de dépendance entre eux et l’appelante, auraient-ils conclu un contrat à peu près semblable?

 

[11]         Il est de connaissance judiciaire que les travailleurs, qui sont à la fois salariés d’un employeur et propriétaires (comme actionnaires) de cet employeur, adoptent des comportements différents de ceux qui sont de simples salariés. En effet, la rémunération d’un salarié‑actionnaire peut tenir compte du fait que des salaires non versés vont constituer des bénéfices non répartis qui pourront être déclarés comme dividendes à une date ultérieure. Comme actionnaires, les travailleurs doivent souvent tenir compte des besoins financiers de leur société, notamment si elle a des problèmes de liquidité. C’est ce qui explique probablement que certains travailleurs ont reçu une rémunération moindre en 2004.

 

[12]         Est-ce que la décision du ministre semble toujours raisonnable? Est-ce qu’il était raisonnable pour le ministre de conclure que les travailleurs‑actionnaires auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance avec l’appelante? À mon avis, l’appelante n’a pas réussi à démontrer que la décision du ministre semble déraisonnable. Il ne s’agit pas ici d’un cas où la Cour devrait intervenir pour substituer son opinion à celle du ministre. Certes, certaines hypothèses du ministre ont été réfutées lors de l’audience. Toutefois, il restait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si les quatre travailleurs n’avaient pas eu d’intérêt financier dans l’appelante, ils n’auraient pas, j’en conviens, travaillé aussi souvent les weekends et la nuit pour régler des problèmes urgents. Si madame Hélène Maisonneuve n’avait pas eu une participation financière (à titre d’actionnaire) dans l’appelante, elle n’aurait probablement pas nettoyé à l’occasion les toilettes ni fait le ménage au bureau. Personne ne lui a imposé ce fardeau. Il s’agit encore une fois d’un comportement usuel pour des travailleurs qui sont actionnaires de leur employeur, peu importe qu’ils soient liés à ce dernier ou non. Un employé qui est actionnaire de son employeur, qu’il soit lié à celui‑ci ou non, se dévoue habituellement pour son employeur plus qu’un simple travailleur ne le ferait, car il est davantage dans son intérêt de le faire. Je le répète, un tel comportement n’a rien d’anormal.

 

[13]         En outre, il est tout à fait usuel pour un cadre important (et d’autant plus usuel s’il est en outre un actionnaire de son employeur) :

 

                               i)            de s’absenter du travail à l’occasion (comme l’ont fait en l’espèce les travailleurs) pour des raisons personnelles sans demander la permission à son employeur. Je ne crois pas que les cadres supérieurs demandent la permission à leur employeur d’aller au chevet d’un proche parent, d’aller chez le médecin, d’aller jouer au golf avec des amis un vendredi après‑midi ou même la permission de prolonger à l’occasion un weekend;

 

                             ii)            d’avoir une grande autonomie dans l’exécution de ses tâches. À cet égard, les travailleurs ne m’ont absolument pas convaincu qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient dans l’entreprise ou prendre toute décision qui leur semblait opportune. La preuve a révélé, certes, que chacun des travailleurs avait une grande autonomie dans l’exécution de ses tâches, mais que, pour toute décision importante touchant l’appelante, ils devaient consulter informellement les autres travailleurs, essentiellement pour obtenir leur consentement;

 

                           iii)            de déterminer lui-même la date et la durée de ses vacances;

 

                           iv)            d’être rémunéré, peu importe le nombre de jours de maladie qu’il prend;

 

                             v)            de recevoir une rémunération (tel le bonus de 4 000 $ en 2005) en fonction de ses besoins plutôt que de son rendement.

 

 

[14]         Si l’un des travailleurs n’avait travaillé que dix heures par semaine à longueur d’année et avait reçu un salaire égal à celui des trois autres, qui en auraient travaillé en moyenne 50, j’aurais rendu une toute autre décision. Il est tout à fait normal que des travailleurs occupant de telles fonctions soient rémunérés comme l’ont été les travailleurs en l’espèce et qu’ils aient une grande autonomie dans l’exécution de leurs tâches. À mon avis, si les quatre travailleurs avaient chacun détenu le même nombre d’actions de l’appelante et qu’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre eux et l’appelante, ils auraient conclu un contrat à peu près semblable.

 

[15]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juin 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI269

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4910(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LES ENTREPRISES CHARLES MAISONNEUVE LTÉE ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 21 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 4 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

 

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Dany Leduc

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (QL) au paragraphe 4

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