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Dossier : 2004-1311(IT)G

ENTRE :

PAN-O-LAC LTÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 20, 21 et 22 février 2007, à Jonquière (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Jean Dauphinais

Me Jean-François Poirier

 

Avocate de l'intimée :

Me Janie Payette

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

 

L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 1999 est rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Frédéricton (Nouveau-Brunswick), ce  9e jour de juin 2008.

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

 

Référence : 2008CCI223

Date : 20080609

Dossier : 2004-1311(IT)G

ENTRE :

PAN-O-LAC LTÉE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition se terminant le 31 décembre 1999, l’appelante a reporté un montant de 567 856 $ (soit 757 142 x ¾) au titre d’une perte en capital déductible qu’elle aurait subie en 1992 à l’égard de débentures de la société Normick Chambord Inc. (ci-après Normick) qu’elle détenait. Les débentures en question ont été achetées du Syndicat des producteurs de bois de Saguenay - Lac St‑Jean (le « Syndicat ») au prix de 757 142 $, le 11 décembre 1992.

 

[2]              Par avis de nouvelle cotisation en date du 22 juillet 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a refusé le report de perte au motif que la perte en capital subie par l’appelante à cet égard était nulle. Le Ministre a décidé qu’au moment où l’appelante a fait l’acquisition des débentures, il existait entre elle et le Syndicat un lien de dépendance dans les faits au sens de l’alinéa 251(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Étant donné que les débentures avaient une valeur marchande nulle à la date de l’opération, l’appelante est présumée les avoir acquises à un prix nul en application de l’alinéa 69(1)a) de la Loi. En conséquence, lors de la faillite de Normick le 16 décembre 1992, l’appelante n’a subi aucune perte fiscale relative aux débentures de Normick et elle n’aurait par conséquent pas droit à un report de perte quelconque pour l’année d’imposition en question.

 

[3]              De son côté, l’appelante a reconnu en début d’audience que la question du lien de dépendance n’est pas en litige. Les mêmes administrateurs siègent au conseil d’administration des deux entités et elle reconnaît que les débentures de Normick avaient une juste valeur marchande nulle en date du 11 décembre 1992. Cependant, ce que l’appelante fait valoir, c’est que le Syndicat s’est porté acquéreur des débentures de Normick en son nom et qu’il les détenait pour l’appelante conformément à une convention de mandat et qu’en réalité le contrat d’achat/vente des débentures entre l’appelante  et le Syndicat en date du 11 décembre 1992 a été fait dans le but de régulariser le tout puisqu’en tout temps l’appelante était la véritable propriétaire de ces débentures.

 

[4]              La question en litige est donc de déterminer quelle était la véritable intention de l’appelante et du Syndicat quant à l’acquisition des débentures de Normick. Est‑ce que le Syndicat les a acquises pour lui-même en dehors du mandat que lui a confié l’appelante ou ont-elles été acquises à l’intérieur de ce mandat?

 

[5]              Le Syndicat dont il est question a été constitué en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels (L.R.Q. c. S-40) et la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (L.R.Q. c. M-35.1) du Québec. Il regroupe des propriétaires de lots boisés privés ayant comme but de créer un plan conjoint visant la vente et la commercialisation du bois. Il regroupe environ 5 000 membres.

 

[6]              Toute cette affaire a commencé au début des années 1980. En forêt privée, environ la moitié des arbres sont des feuillus (trembles et bouleaux) et ils ont très peu de valeur marchande. Le Syndicat s’est donc proposé de financer une étude de faisabilité sur un usage possible des feuillus. Le résultat de cette étude a donné lieu à la création d’une usine de panneaux gaufrés. Pour assurer une disponibilité de la matière première à une telle usine, le Syndicat a demandé au gouvernement du Québec de s’engager étant donné que les lots boisés privés ne suffisaient pas à la demande. Il lui a aussi demandé une participation financière.

 

[7]              Le Syndicat a aussi demandé à d’autres associations telle que la Fédération des coopératives forestières du Saguenay Lac St-Jean (la « Fédération ») et la Coopérative des travailleurs du Royaume (la « Coopérative »)de s’engager dans son projet d’usine. En fait, ces deux entités et le Syndicat sont identifiés comme étant le groupe régional dans les diverses conventions qui ont été signées en rapport avec la création de l’usine.

 

[8]              Quoique le Syndicat était le promoteur et qu’il était engagé activement, il voulait toutefois demeurer en quelque sorte détaché du projet afin d’éviter tout conflit d’intérêts potentiel et permettre de séparer la commercialisation du bois de la transformation. Il a donc vu à la constitution de l’appelante en 1985 dans le but de confier à celle-ci la tâche d’investir les fonds nécessaires dans le projet d’usine.

 

[9]              Le Syndicat a procédé à des campagnes de financement en se tournant vers ses membres et la communauté en 1984 et au début de 1987, lorsque le projet a vraiment pris de l’ampleur. L’objectif a été fixé à trois millions de dollars et il fût dépassé. Plus de 2000 de ses membres ont investi et sont devenus, par le fait même, actionnaires de l’appelante.

 

[10]         Il devenait donc nécessaire de s’associer à une compagnie familière avec la construction de panneaux gaufrés. Or, la société s’est donc adressé à Normick Perron Inc. et, à la suite de négociations, la Société Normick Chambord Inc. (« Normick ») a été constituée le 31 mars 1987 dans le but d’entreprendre la construction et la mise en exploitation d’une usine de panneaux gaufrés dans la municipalité de Chambord au Lac St-Jean.

 

[11]         À cette même date, soit le 31 mars 1987, neuf conventions ont été signées par Normick Perron Inc., le Syndicat, la Fédération et la Coopérative (ces trois derniers étant collectivement identifiés comme étant le groupe régional) et Normick. Selon le témoignage de monsieur Jean Louis Vigneault, le directeur général du Syndicat, Normick Perron Inc. insistait pour que le groupe régional soit parti aux conventions. Elle insistait pour que le Syndicat et la Fédération, qui représente plusieurs coopératives, soient leurs associés dans ce projet afin d’assurer leur participation financière et surtout un approvisionnement en bois. En fait, selon monsieur Vigneault, Normick Perron Inc. ne voulait rien avoir à faire avec d’autres entités, notamment l’appelante, dont l’existence n’était pas connue par Normick Perron Inc. et qui n’avaient pas participé aux négociations.

 

[12]         Les mises de fonds initiales ont donc été effectuées par les parties selon la convention signée à cet effet. En retour, les parties, dont le Syndicat, ont reçu des certificats d’actions ordinaires et privilégiées en fonction de leurs investissements respectifs. Normick Perron Inc. détenait 51% des actions avec droit de vote et le solde était détenu par les trois membres du groupe régional.

 

[13]         La deuxième convention signée le 31 mars 1987 par les parties, porte sur une mise de fonds additionnelle, en cas de besoin. Cette mise de fonds devait se faire par l’achat de débentures et d’actions ordinaires selon la formule contenue dans la convention. Parmi les autres conventions, on y trouve une convention relative à la conception et à l’aménagement, une convention unanime des actionnaires et engagement, une convention relative à la gestion de l’usine, à la mise en marché et à l’approvisionnement, une contre-lettre d’interprétation de différentes clauses de certaines conventions et ainsi de suite.

 

[14]         Étant donné que le Syndicat était partie aux différentes conventions conclues avec Normick Perron Inc. et les autres et qu’il détenait des actions dans Normick, alors que cela allait à l’encontre de son idée première, une convention de mandat entre l’appelante et le Syndicat a été conclue le 2 mars 1988 dans le but de régulariser leur relation à savoir que le Syndicat s’engageait à agir au nom de l’appelante en ce qui concerne les opérations avec Normick Perron Inc. et à détenir des actions de Normick. Cette convention prévoit entre autres que :

 

a)       l’appelante confirme avoir confié un mandat au Syndicat dans le cadre du projet de l’usine de panneaux gaufrés de Chambord et qu’à ce titre, le Syndicat a procédé à la signature de différentes conventions avec les partenaires dont, entre autre, une convention relative à la mise de fonds initiale, à la mise de fonds additionnels et une convention entre actionnaires;

 

b)      l’appelante reconnaît être liée par les conventions comme si elle les avait elle-même signées;

 

c)       l’appelante s’engage à tenir le Syndicat quitte et indemne de toute poursuite découlant des conventions signées par le Syndicat comme mandataire et de lui rembourser tout montant qu’il aurait déboursé en exécution des conventions et dans l’exécution de son mandat.

 

[15]         La convention reconnaît que le Syndicat a effectivement investi dans Normick en sa qualité de mandataire et que l’argent provenait des actionnaires de l’appelante. À titre de mandataire de l’appelante, le Syndicat détenait des actions ordinaires d’une valeur de 1 810 000 $ et des actions privilégiées d’une valeur de 2 631 600 $. Pour les fins de la présente décision, il est important de reproduire intégralement les clauses 4.1, 4.2 et 4.3 de la convention.

 

4.1    Gestion des fonds et placements

 

La Société confirme et continue le mandat donné au Syndicat de gérer les fonds recueillis afin d’effectuer les mises de fonds prévues dans le projet de construction d’une usine de panneaux gaufrés à Chambord.

 

La Société donne aussi un mandat et une procuration au Syndicat d’exercer tous les droits afférents aux actions ordinaires qu’elle a acquises, et en particulier les droits de vote ainsi que les droits résultants de la convention unanime des actionnaires intervenus entre tous les actionnaires de Normick Chambord Inc..

 

Le Syndicat s’engage cependant, sur réception de tout montant représentant le rachat d’actions privilégiées ou le paiement de dividendes sur actions privilégiées, à verser intégralement ces montants à la Société.

 

Cependant, la Société reconnaît que le Syndicat pourra déduire, à même les montants reçus de Normick Chambord Inc.. à titre de rachat d’actions ordinaires ou de dividendes sur lesdites actions ordinaires, le montant de sa rémunération et honoraires, ainsi que les remboursements de ses dépenses, tel que les modalités exposées ci-après.

 

4.2    Administration des affaires de la Société

 

Par les présentes, la Société, afin de réduire ses frais administratifs, confie l’ensemble de la gestion de ses opérations et généralement toute l’administration de ses affaires au Syndicat, ce dernier jouissant, dans l’exécution de ce mandat de tous les pouvoirs accessoires ou ancillaires dans l’exécution de sa tâche, et sans restreindre ce qui précède, jouissant de pouvoirs similaires à ceux d’un commandité dans le cas d’une société en commandite au sens des articles 1871 et suivants du Code civil de la province de Québec.

 

4.3    Gestion des conventions

 

La Société reconnaît que le Syndicat aura la responsabilité de veiller à ce que toutes les conventions intervenues avec les membres du Groupe Régional, Normick Perron Inc.. et Normick Chambord Inc. soient respectées et dans le cadre de ce mandat, assumera la gestion des différentes conventions et en particulier, la convention d’approvisionnement en vertu de laquelle les membres du Syndicat fourniront une partie de l’approvisionnement en matière ligneuse nécessaire aux opérations de Normick Chambord Inc. Afin d’assurer que les membres du Syndicat fournissant ladite matière ligneuse à Normick Chambaord Inc.. reçoivent en tout temps un juste prix, la Société autorise par les présentes le Syndicat à procéder à tous les ajustements qu’il jugera appropriés pour conférer auxdits producteurs un prix raisonnable, la répartition de ces ajustements effectués par le Syndicat étant finale et sans appel. Le montant des ajustements résultant de cette répartition sera ajouté à l’ensemble des honoraires généraux chargés par le Syndicat à la Société en vertu des présentes, conformément aux dispositions du paragraphe V ci-après.

 

[16]         Il est à noter que, dans sa déclaration de revenu pour son année d’imposition se terminant le 31 décembre 1999, l’appelante a aussi déduit une perte en capital équivalant au montant d’argent ayant servi à l’achat des actions ordinaires et privilégiées de Normick par le Syndicat pour son compte. L’intimée a accepté le report de perte en capital à l’égard des actions.

 

[17]         À la fin de 1989, Normick faisait face à de sérieuses difficultés financières nécessitant l’application de la convention relative au financement additionnel conclu par les différents intervenants. Dans une lettre datée du 20 décembre 1989, Normick a informé les intervenants qu’elle prévoyait une insuffisance de fonds le ou vers le 31 mars 1990. Elle précisait les montants requis et demandait qu’ils agissent en conséquence.

 

[18]         L’appelante n’avait pas les moyens d’investir les sommes additionnelles demandées et n’avait pas de nouveaux souscripteurs. Selon monsieur Vigneault, c’est à ce moment‑là que le Syndicat a décidé de faire une mise de fonds temporaire en attendant que l’appelante puisse elle-même le faire.

 

[19]         Le 14 février 1990, un chèque de 162 488,80 $ provenant du Syndicat a été remis à Normick en réponse de la demande de fonds. En retour, des débentures pour le même montant ont été émises au Syndicat avec certaines actions tel que prévu au paragraphe 4.8 de l’entente de financement additionnel.

 

[20]         Les difficultés financières ont cependant persisté et, le 7 juin 1990, une deuxième demande pour des fonds additionnels a été faite auprès du Syndicat et des autres intervenants. Pour le Syndicat, la mise de fonds exigée était de 594 652 $. Selon monsieur Vigneault, devant l’urgence de la situation et l’incapacité de l’appelante de verser les fonds, le Syndicat a contracté un emprunt auprès de la Caisse Populaire St‑François Xavier le 6 juillet 1990 pour un montant de 594 000 $ remboursable sur 10 ans. En garantie du remboursement, le Syndicat a donné en sûreté les actions qu’il détenait avec l’appelante et avec Normick, en plus de ses épargnes et de ses comptes clients, ainsi que le capital et les intérêts des débentures émises par Normick. Dans une résolution de son conseil d’administration en date du 30 août 1990, l’appelante a accepté la remise en garantie des actions détenues par le Syndicat en faveur de la Caisse Populaire de St-François Xavier. Le Syndicat, en date du 4 juillet 1990, faisait parvenir à Normick un chèque daté du 21 juillet 1990 au montant de 594 652 $, soit le montant correspondant à la mise de fonds additionnels exigée en date du 7 juin 1990. Des débentures furent émises par Normick en faveur du Syndicat pour le montant équivalent.

 

[21]         La situation ne s’est cependant pas améliorée et aucun des actionnaires majoritaires ou minoritaires ne voulait injecter de fonds additionnels. Normick a dû cesser ses opérations en octobre 1990. Le Syndicat a, par la suite, entrepris plusieurs démarches afin de trouver des appuis dans le but de relancer l’usine. La démarche du Syndicat n’a pas porté fruit en 1991 en raison d’un contexte économique peu favorable. En 1992, le Syndicat a confié un mandat pour projet d’affaires. La situation sur les marchés se rétablissait. Une entente pour relancer l’usine a été conclue par différents intervenants. L’appelante devait contribuer 1 000 000 $ au projet de relance.

 

[22]         La firme comptable de l’appelante, qui, en l’occurrence, est la même que celle du Syndicat, a été mandatée afin de proposer un projet de réorganisation financière de l’appelante dans le cadre de la nouvelle mise de fonds à effectuer pour relancer une nouvelle usine. Les objectifs recherchés par le Syndicat étaient de protéger les investissements déjà consentis par les actionnaires de l’appelante en leur donnant une valeur quelconque lors de la réorganisation et d’assurer une rentabilité suffisamment intéressante aux nouveaux investisseurs de façon à les inciter à investir. Le 12 octobre 1992, des propositions de réorganisation de l’appelante ont été envoyées au Syndicat et celle choisie fut le remaniement du capital‑actions actuel de l’appelante de façon à convertir les anciennes mises de fonds faites sous forme d’actions ordinaires et privilégiées en de nouvelles actions subalternes. La nouvelle mise de fonds devait être comptabilisée comme des actions ordinaires avec droit de vote et de participation. Parmi les étapes à suivre, il fallait transférer les sommes investies par le Syndicat dans Normick en faveur de l’appelante en contrepartie d’actions privilégiées de l’appelante en faveur du Syndicat. Par l’expression « sommes investies », on faisait référence ici aux débentures. Selon le comptable Albert Lemieux, l’auteur de la proposition choisie, ce transfert aurait été demandé par l’appelante.

 

[23]         À cette époque, la Banque Nationale avait repris possession des actifs de Normick. Une entente a été conclue pour faire l’achat des actifs et une nouvelle société fut incorporée pour relancer cette nouvelle usine de panneaux gaufrés. Quant à Normick, elle faisait faillite le 16 décembre 1992.

 

[24]         Pour mettre à exécution la proposition de la firme comptable, une convention d’achat-vente des débentures a été conclue le 11 décembre 1992 par l’appelante et le Syndicat. Selon monsieur Vigneault, il fallait régulariser cette affaire de débentures afin de faire en sorte que le Syndicat soit remboursé vu la nouvelle relance d’une usine. Dans le préambule de cette convention, il est écrit que les débentures avaient été souscrites par le Syndicat à la demande de l’appelante. Il est également écrit que le Syndicat est le détenteur des débentures et qu’il entend transférer à l’appelante les débentures en contrepartie d’actions du capital‑actions de l’appelante. Dans la convention les termes « vend » et « achète » sont utilisés en ce qui concerne la nature de l’opération et celle‑ci y est désignée comme une « vente ».

 

[25]         Plusieurs procès-verbaux des réunions des conseils d’administration de l’appelante et du Syndicat de 1987 à 1993 ont été déposés en preuve. À sa réunion du 16 octobre 1992, le conseil d’administration de l’appelante recevait l’auteur de la proposition, monsieur Albert Lemieux, qui était venu expliquer comment se ferait la restructuration de l’appelante. Cette partie de la réunion avait été tenue conjointement avec le conseil d’administration du Syndicat. On comprend qu’il s’agit des mêmes personnes. Dans le résumé de sa présentation sur l’investissement de l’appelante dans Normick, il est écrit que le Syndicat a contribué lui-même une mise de fonds additionnelle de 757 142 $. Par ailleurs, au cours d’une autre réunion du conseil d’administration de l’appelante en date du 11 décembre 1992, il est résolu que l’appelante achète du Syndicat les débentures en contrepartie d’actions. Le préambule de la résolution indique que le Syndicat est propriétaire des débentures, qu’il les a souscrites à la demande de l’appelante et que le Syndicat à l’intention de les transférer à l’appelante et que l’appelante à l’intention de les acheter.

 

[26]         Quant aux procès-verbaux du Syndicat, on y trouve mention d’une résolution du conseil d’administration en date du 11 décembre 1992 autorisant la vente de la totalité des débentures à l’appelante en contrepartie d’actions de l’appelante. Le préambule de la résolution du conseil d’administration du Syndicat est semblable à celui de la résolution du conseil d’administration de l’appelante. On peut toutefois lire, sous la rubrique « débentures » au point E, que les débentures acquises par le Syndicat dans Normick doivent être acquises par l’appelante pour faire partie de la restructuration proposée par l’appelante. Ce commentaire précède le préambule et la résolution en question.

 

[27]         Les états financiers de l’appelante et du Syndicat pour les années pertinentes au litige ont également été déposés en preuve. Dans les états financiers de l’appelante au 31 décembre 1991, il n’y a aucune mention de débentures sous la rubrique « placements ». Par contre, dans ceux du 31 décembre 1992, on peut y lire une note expliquant qu’en conformité avec la convention de gestion conclue le 2 mars 1988 entre l’appelante et le Syndicat et la convention relative au financement additionnel de Normick, les états financiers de l’appelante ont été redressés au 31 décembre 1991 afin de présenter le placement en débentures de Normick et la dette afférente à titre de placement dans Normick. Sous la rubrique « placements », on trouve les débentures. La preuve a révélé que les renseignements nécessaires à la préparation des états financiers étaient fournis par la direction de l’appelante au comptable et que tous les états financiers avaient dûment été acceptés par résolution du conseil d’administration de l’appelante.

 

[28]         Les états financiers de l’appelante au 31 décembre 1992 ont été préparés le 16 février 1993. Pour ce qui est de la note de redressement, elle a été faite le 25 mai 1993. Dans une lettre en date du 13 mai 1993 de l’entreprise comptable Mallette Maheu au Syndicat, le comptable Albert Gagnon soulève le problème de la valeur des débentures détenues par le Syndicat au 10 décembre 1992 par rapport à l’opération d’achat-vente du 11 décembre 1992 et la faillite de Normick le 16 décembre 1992, à savoir que la valeur des débentures est nulle. Il soulève aussi certains problèmes juridiques et de nature fiscale. Il soulève dans sa lettre une question qu’il a qualifiée de grande question qu’il pose comme suit :

 

Se pourrait-il que cette transaction d’achat de débentures ait été mal comptabilisée et que le Syndicat aurait dû avoir acheté des actions dans l’appelante et que cette dernière se devait d’acheter des débentures dans Normick. Une telle erreur nous semble possible considérant le mandat de gestion du Syndicat.

 

[29]         Il suggère ainsi le redressement que l’on trouve aux états financiers de l’appelante au 31 décembre 1992.

 

[30]         Les débentures ont cependant été comptabilisées dans les états financiers du Syndicat au 31 décembre 1990 sous la rubrique « placements ». Il n’y a aucune information pouvant démontrer que le Syndicat a fait une avance à l’appelante pour la valeur des débentures et on constate le prêt à la Caisse Populaire pour l’emprunt en rapport avec la deuxième débenture sous la rubrique « engagements contractuels et passif éventuel ». On ne parle que des actions en référence au mandat reçu de l’appelante. Le comptable Gagnon a témoigné qu’il n’y a eu aucune discussion concernant les débentures par rapport à l’appelante dans la préparation des états financiers.

 

[31]         Dans les états financiers du Syndicat au 31 décembre 1992, sous la rubrique « placements », on constate que la valeur des débentures en question est nulle alors qu’à la fin de l’exercice du 31 décembre 1991, elles avaient une valeur de 757 142 $. Dans les notes complémentaires aux états financiers, on explique que le Syndicat a accepté de vendre à l’appelante la totalité des débentures pour une contrepartie totale de 757 142 $ payables en actions. Le comptable s’est fié aux documents afin de préparer les états financiers.

 

[32]         Dans le contexte du redressement des états financiers de l’appelante au 31 décembre 1992 fait le 25 mai 1993, on y trouve sous la rubrique « avances au Syndicat » une dette de 757 142 $ de l’appelante en faveur du Syndicat. Dans les notes du comptable Albert Gagnon en date du 23 mai 1993 (pièce I-1, onglet 9), où il mentionne une dette de l’appelante au Syndicat, le comptable fait référence aux débentures et aux modalités de paiement qu’il reconnaît ne pas être attestées dans aucun document. Le comptable se serait fié aux directives données par des avocats, selon qui les débentures auraient dû être comptabilisées comme appartenant à l’appelante. Selon le comptable, il aurait plutôt été nécessaire de faire une cession des débentures en faveur de l’appelante plutôt qu’une convention d’achat/vente. Il ne peut expliquer pourquoi ses notes (onglet 9 de la pièce I-1) parlent d’une dette à l’appelante alors que les états financiers au 31 décembre 1993 du Syndicat font état d’une vente, sauf qu’il suivait les directives des avocats de l’appelante. Le comptable reconnaît qu’il s’agit d’une situation étrange, mais il n’a été informé qu’en mai 1993 de la situation entre le Syndicat et l’appelante par une lettre de leurs avocats.

 

[33]         Ainsi, en 1999, l’appelante ayant réalisé un gain en capital important, elle a demandé la déduction de sa perte en capital de 4,9 millions de dollars, perte qui incluait ses placements en actions chez Normick et les débentures en question. L’intimée a reconnu la perte en ce qui concerne les actions mais refuse celle liée aux débentures au motif que le Syndicat les a acquises pour lui-même et non pour l’appelante et au nom de celle‑ci en vertu du mandat conclu le 2 mars 1988. L’intimée fait valoir d’ailleurs que le mandat n’est pas suffisamment large pour autoriser le Syndicat à agir comme il l’a fait relativement aux débentures de Normick.

 

[34]         L’appelante a présenté trois arguments principaux à l’appui de son droit de déduire une perte en capital concernant les débentures de Normick. En premier lieu, l’appelante a fait valoir que, selon les arrêts Shell Canada Ltée c. la Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 et Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, la Cour doit tenir compte de la situation juridique du contribuable. Plus particulièrement, elle doit prendre en considération les rapports juridiques établis par le contribuable en matière fiscale.

 

[35]         En deuxième lieu, l’appelante a soutenu que le Syndicat avait toujours été engagé dans le projet de mise sur pied de l’usine. Cependant, il n’avait jamais eu l’intention d’investir personnellement dans ce projet. L’appelante a précisé que le mandat dictait sa relation avec le Syndicat conformément aux dispositions du Code civil du Bas-Canada (ci-après le C.c.B.-C.). L’appelante a expliqué la formulation et l’étendue du mandat, les obligations du mandataire (le Syndicat) et celles du mandant (l’appelante) et, finalement a décrit les conditions d’extinction du mandat. Selon l’appelante, celle‑ci a été liée lorsque le Syndicat, à titre de mandataire, a payé 757 142 $ pour l’achat de débentures de Normick à titre de placements et, par conséquent, l’appelante a le droit de déduire une perte en capital de ses gains en capital. L’appelante fait un lien entre l’opération concernant les débentures et les mises de fonds effectuées par ses actionnaires, dont le Syndicat, sous forme d’actions de Normick. L’appelante a soutenu que ce sont pour des raisons économiques que les actionnaires de Normick Perron avaient exigé que le Syndicat soit le seul intervenant dans Normick.

 

[36]         En troisième lieu, l’appelant a énuméré les éléments qui pourraient ne pas appuyer la thèse du mandat et a expliqué comment la convention de mise de fonds additionnels incluait non seulement les actions reconnues par l’intimée mais aussi des débentures de Normick détenues par le Syndicat pour l’appelante. L’appelante a expliqué la composition de son conseil d’administration et celle du Syndicat, l’emprunt du Syndicat pour acheter les débentures de Normick, la convention d’achat-vente et a essayé de tirer au clair des imprécisions figurant dans les procès‑verbaux et dans les états financiers.

 

[37]         De son côté, l’intimée a affirmé être d’accord avec l’appelante concernant l’interprétation juridique que la Cour devrait donner aux rapports juridiques établis par le contribuable. Elle a admis aussi l’existence du mandat confié par l’appelante au Syndicat pendant les années en question. L’intimée conteste cependant la suggestion voulant que l’appelante ait conféré au Syndicat le pouvoir de procéder, à l’avenir, à l’acquisition de débentures auprès de Normick pour le compte de l’appelante, particulièrement la suggestion voulant que le Syndicat ait reçu le mandat d’acheter ces débentures avec ses propres fonds. L’intimée a affirmé que le mandat ne prévoyait pas que le Syndicat ait le pouvoir d’emprunter des fonds pour faire l’acquisition des débentures.

 

[38]         En deuxième lieu, l’intimée a fait valoir que le Syndicat est le véritable propriétaire des débentures de Normick. Elle a soutenu que le Syndicat s’est comporté en tout temps comme le propriétaire des débentures et elle a présenté huit arguments à l’appui de sa prétention comme suit :

 

1.                 Le Syndicat a avancé les fonds de 757 142 $ nécessaires à l’acquisition des débentures.

 

2.                 Aucune reconnaissance par l’appelante d’une dette de 757 142 $ en faveur du Syndicat n’a été présentée en preuve.

 

3.                 Le Syndicat a emprunté en son nom un montant de 594 000 $ et a donné les débentures Normick en garantie sans l’autorisation de l’appelante.

 

4.                 Le Syndicat s’est chargé de toutes les dépenses relatives aux débentures.

 

5.                 La convention d’achat-vente du 11 décembre 1992.

 

6.                 Le Syndicat a engagé en son nom plus de 400 000 $ dans le cadre de la relance de l’usine.

 

7.                 Les procès-verbaux des assemblées de l’appelante et du Syndicat.

 

8.                 Les renseignements figurant dans les états financiers du Syndicat et de l’appelante.

 

[39]         L’intimée a soutenu que le Syndicat et l’appelante avaient un lien de dépendance factuel et que, par conséquent, la juste valeur marchande des débentures était nulle et non pas de 757 142 $ parce que la véritable valeur des contreparties dans le cadre de la convention d’achat-vente était nulle selon le paragraphe 69(1) de la Loi. Lorsque Normick a fait faillite, l’appelante n’a subi aucune perte en capital.

 

[40]         Existe-t-il donc un mandat entre le Syndicat et l’appelante et, si oui, quelle est l’étendue des pouvoirs conférés en vertu de ce mandat entre 1988 et 1992 et est-ce que le Syndicat a agi conformément à celui-ci?

 

[41]         Il me semble que les parties conviennent qu’il existe un mandat entre le Syndicat et l’appelante. Est-ce que le mandat était suffisamment large pour permettre l’acquisition des débentures de Normick par le Syndicat?

 

[42]         Le mandat confié par l’appelante au Syndicat est soumis au C.c.B.-C. qui s’appliquait pendant la période en question et à la définition de « mandat » qui s’y trouve. L’article 1701 définit le terme mandat comme suit :

 

Le mandat est un contrat par lequel une personne, qu’on appelle le mandant, confie la gestion d’une affaire licite à une autre personne qu’on appelle mandataire, et qui, par le fait de son acceptation, s’oblige à l’exécuter. L’acceptation peut s’inférer des actes du mandataire, et même de son silence en certains cas.

 

[43]         L’article 1703 revêt aussi une certaine importance en l’espèce.

 

Le mandat peut être soit spécial pour une affaire particulière, ou général pour toutes les affaires du mandant.

 

Le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration.

 

S’il s’agit d’aliéner ou hypothéquer, ou de tout acte quelconque de propriété autre que les actes d’administration, le mandat doit être exprès.

 

[Je souligne.]

 

[44]         Les auteurs Henri Roch et Rodolphe Paré, dans leur traité Droit civil du Québec, tome treize, à la page 28, expliquent les dispositions ci-dessus comme suit :

 

Si le mandat est en termes généraux, les pouvoirs du mandataire se limitent aux actes d’administration, c’est ce qu’énonce en deuxième lieu notre article; et ces actes d’administration sont tous les actes nécessaires pour bien administrer. Mais, et c’est la troisième règle posée par notre article, l’aliénation ou l’hypothèque de même que tout acte quelconque de propriété autres que les actes d’administration doivent être l’objet d’un mandat exprès.

 

Dans tous les cas, il est de principe que le mandat doit s’interpréter restrictivement. Si le mandant veut conférer au mandataire le pouvoir de faire des actes autres que d’administration il doit s’en exprimer formellement et alors le mandataire ne peut accomplir d’autres actes que ceux mentionnés dans le mandat.

 

[Je souligne.]

 

[45]         Cela étant dit, il est important, à mon avis, pour mettre le tout en contexte par rapport à la raison d’être du mandat, de regarder le préambule du mandat qui a été signé avant l’émission des débentures. Les trois paragraphes du préambule se lisent comme suit :

 

ATTENDU QUE dans le cadre de la construction et de la mise en opération d’une usine de panneaux gaufrés à Chambord, le Syndicat a agi à titre de mandataire de la Société pour effectuer les différentes mises de fonds et signer diverses conventions avec, entre autre, Normick Perron Ltée, Normick Chambord Inc., La Fédération des coopératives forestières du Saguenay/Lac St-Jean et ses coopératives membres et la Coopérative des Travailleurs du Royaume;

 

ATTENDU QUE dans le cadre de l’exécution de ce mandat, la Société a avancé des sommes importantes au Syndicat, afin de lui permettre d’effectuer, au nom de la Société, les mises de fonds prévues par les conventions à cet effet;

 

ATTENDU QU’il est opportun que des ententes écrites interviennent entre les parties, pour ratifier les actes et gestes posés par le Syndicat, pour et au nom de la Société, en raison des courts délais dans lesquels ce dossier s’est finalisé de façon définitive.

 

 

[46]         Dans les clauses qui suivent, il n’y a aucune mention de l’acquisition dans l’avenir de débentures. Sous la rubrique « mandat », l’appelante confirme qu’elle a confié un mandat « afin de procéder à la signature de certaines conventions avec les partenaires impliqués dans le projet de la construction et de mise en marche de l’usine de panneaux gaufrés à Chambord ». Les termes utilisés sont larges et généraux et ne visent pas de situations spécifiques, à l’exception des conventions conclue incluant celle du financement additionnel. Le C.c.B.-C. qui régit le mandat, dispose que le mandat peut être spécial pour une affaire particulière ou général. Le mandat conçu en termes généraux ne vise que les actes d’administration. Pour le reste, le mandat doit être exprès (article 1703 du C.c.B‑C).

 

1703. Le mandat peut être soit spécial pour une affaire particulière, ou général pour toutes les affaires du mandant.

 

Le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration.

 

S’il s’agit d’aliéner ou hypothéquer, ou de tout acte quelconque de propriété autre que les actes d’administration, le mandat doit être exprès.

 

 

[47]         Sous la rubrique intitulée « mise de fonds », on y énumère celles qui sont autorisées par l’appelante et on n’y prévoit aucune demande de fonds additionnels à celles-ci. Cette rubrique mentionne des certificats d’actions émis par Normick en faveur du Syndicat mais ne mentionne rien concernant des débentures et les actions qui devraient les accompagner.

 

[48]         Dans la section intitulée « Gestion des fonds et placements, administration des affaires de la société », à laquelle j’ai déjà fait référence, il est stipulé, au paragraphe 4.1, que la « société confirme et continue le mandat donné au Syndicat de gérer les fonds recueillis afin d’effectuer les mises de fonds prévues dans le projet de construction d’une usine de panneaux gaufrés à Chambord ». Il n’y a aucune mention visant les débentures ni des possibilités d’emprunter et de donner des biens en garantie. À mon avis, le mandat du Syndicat sur cette question se limite à la gestion des fonds recueillis auprès des actionnaires de l’appelante et le mandat ne prévoit pas que le Syndicat puisse engager ses propres fonds au nom de l’appelante pour effectuer des mises de fonds additionnelles pour acheter des débentures.

 

[49]         Dans cette même section, en ce qui a trait à l’administration des affaires de la société (4.2 ci-haut), on y mentionne que les pouvoirs du Syndicat sont similaires à ceux d’un commandité dans le cas d’une société en commandite au sens des articles 1871 et suivants du C.c.B.-C. Ces articles, en particulier l’article 1876, prévoient que les commandités sont les seuls autorisés à administrer les affaires de la société et à l’obliger. Malgré que ces pouvoirs puissent paraître assez larges, la convention de mandat stipule que l’appelante, afin de réduire ses frais administratifs, confie l’ensemble de la gestion de ses activités et généralement toute l’administration de ses affaires au Syndicat mais elle ne fait aucunement mention spécifique de la possibilité d’acquérir des débentures et encore moins d’emprunter une somme importante comme celle en l’espèce en son nom. Même si la convention relative au financement additionnel fait référence à l’acquisition de débentures, il est certain qu’elle n’autorise pas le Syndicat à les acquérir avec ses propres fonds. Le mandat ne l’autorise pas de façon expresse et aucun autre document ne l’autorise non plus.

 

[50]         Je suis donc d’avis que le mandat confié au Syndicat ne lui permettait pas d’agir comme il l’a fait en ce qui concerne les débentures et encore moins en ce qui concerne les emprunts pour les acquérir. Qui plus est, je suis convaincu que l’ensemble de la preuve me permet de conclure selon la prépondérance des probabilités qu’en l’espèce le Syndicat s’est comporté en propriétaire.

 

[51]         Il faut se rappeler que, selon monsieur Vigneault, le Syndicat avait un intérêt dans la construction et le démarrage de l’usine Normick et ce, principalement parce qu’il approvisionnait l’usine. Le Syndicat en était en quelque sorte le promoteur et il avait tout intérêt à ce que le projet soit viable, malgré le fait qu’il voulait prendre ses distances par rapport au projet afin d’éviter toute possibilité de conflit d’intérêt. Ce n’est d’ailleurs qu’après le fait, soit presqu’un an plus tard, que la convention de mandat a été signée afin de ratifier les faits et gestes du Syndicat en l’espèce.

 

[52]         À mon avis, et non à titre de mandataire de l’appelante, c’est toujours dans cette optique de promoteur que le Syndicat décidait, en 1990, d’utiliser ses propres fonds et d’emprunter de l’argent pour acquérir des débentures pour la somme de 757 142 $. À mon avis, la décision du Syndicat de faire cette mise de fonds n’avait rien de temporaire et n’était pas due au fait que l’appelante n’avait pas les moyens d’investir des sommes additionnelles. Le Syndicat était tout simplement celui qui pilotait le projet et qui avait tout intérêt à ce qu’il soit viable et qu’il demeure ainsi. La survie du projet était tellement cruciale que, lors de la seconde demande de fonds additionnels, le Syndicat a, de son propre chef, emprunté auprès de la Caisse populaire St-François Xavier la somme de 594 000 $. Nulle part ne peut on lire que cette demande est faite par le Syndicat en sa qualité de mandataire de l’appelante. Le Syndicat a même donné en garantie les actions qu’il détenait avec l’appelante et avec Normick en plus de ses propres épargnes et ses comptes client. C’est donc le Syndicat qui a avancé les fonds nécessaires à l’acquisition des débentures.

 

[53]         À mon avis, si le Syndicat avait agi pour l’appelante et en son nom, en utilisant ses propres fonds pour l’appelante et au nom de celle‑ci, il aurait sûrement exigé une reconnaissance de dettes de l’appelante ou une preuve quelconque que les fonds investis par le Syndicat pour l’acquisition des débentures était un prêt en faveur de l’appelante. Une autre possibilité est que l’appelante aurait pu émettre des actions ou des débentures en faveur du Syndicat comme elle l’avait fait pour ses investissements lors de la campagne de mise de fonds. Je ne peux ignorer le fait que les états financiers de l’appelante n’ont jamais rapporté une dette de 757 142 $ de l’appelante au Syndicat. Ce n’est qu’en mars 1993, lorsque les états financiers ont été redressés, que l’on y fait état de cette date. Ce sont tous là, à mon avis, des indices qui démontrent que le Syndicat a agi en son propre nom quant à l’acquisition des débentures de Normick.

 

[54]         En ce qui concerne les frais d’intérêt liés au prêt de la caisse au Syndicat, c’est ce dernier qui a payé ces frais tout au moins au cours des deux années qui ont suivi l’emprunt et ces frais n’ont pas été facturés à l’appelante comme il en aurait été le cas dans une relation mandant-mandataire (voir article 1724 du C.c.B.‑C.).

 

[55]         Un autre facteur qui tend à démontrer que le Syndicat a agi en son nom propre en ce qui concerne l’acquisition des débentures est le fait que le Syndicat et l’appelante ont signé une convention d’achat/vente dans laquelle le Syndicat vend, cède et transfère les débentures de Normick au prix de 757 142 $ en contrepartie de 142 actions ordinaires et 7 570 actions privilégiées du capital-actions de l’appelante. Il ne s’agit pas ici d’un remboursement pour les sommes avancées à l’égard des débentures, comme le prétend monsieur Vigneault. À mon avis, il n’existait aucune dette à laquelle l’appelante était engagée envers le Syndicat dans le cadre d’une relation mandat-mandataire et qu’il s’agit plutôt de la mise en exécution de la proposition en vue de la relance de l’usine par les comptables. La convention, il me semble, reflète précisément ce qu’elle fait, c’est-à-dire une vente et un achat. Comme on peut le voir à la lecture de son préambule, la convention ne fait pas référence à une rétrocession quelconque, ni à un remboursement ou autre chose.

 

[56]         Comme je l’ai déjà mentionné, tous les faits appuient la thèse que le Syndicat a agi de son propre chef et de sa propre initiative et a agi comme s’il était le vrai propriétaire des débentures de Normick. La situation juridique réelle entre les parties est donc celle que reflètent les actes que l’on connaît, la documentation produite tant au niveau des contrats, des états financiers et des procès-verbaux, c’est-à-dire que le Syndicat était, bien qu’il puisse avoir été le mandataire de l’appelante en ce qui concerne les actions, le véritable propriétaire des débentures Normick et qu’il les a par la suite vendu à l’appelante le 11 décembre 1992.

 

[57]         Il serait difficile de conclure, comme le voudrait l’appelante, que le but du redressement des états financiers de 1991 en date du 25 mai 1993 était de corriger une erreur dans les états financiers. Il leur a pris beaucoup de temps à repérer l’erreur lorsqu’on considère que les comptables n’en ont été avisés qu’en mai 1993 et qu’aucune documentation n’appuie la thèse qu’une telle erreur ait été commise. La non reconnaissance par l’appelante de l’existence d’une obligation (dette) envers le Syndicat en 1990, 1991 et 1992, l’emprunt du Syndicat pour la deuxième demande de fonds additionnels, la cession en garantie des débentures par le Syndicat, les procès-verbaux qui mentionnent que le Syndicat est propriétaire, la convention d’achat/vente et les états financiers traduisent tous l’intention du Syndicat d’investir de son propre chef dans Normick, de sorte que la réalité juridique réelle entre le Syndicat et l’appelante est que le Syndicat était le véritable propriétaire de ces débentures.

 

[58]         Étant donné cette conclusion et le fait que l’appelante reconnaît l’existence du lien de dépendance entre elle et le Syndicat, j’en conclus que la vente des débentures à l’appelante en 1992 a été conclue par des parties ayant un lien de dépendance entre elles et, comme l’appelante les a acquises pour une somme de 757 142 $ alors que leur juste valeur marchande était nulle, elle est donc réputée les avoir acquises pour une somme égale à leur juste valeur marchande, c’est-à-dire une valeur nulle, conformément à l’alinéa 69(1)a) de la Loi. L’appel est donc rejeté avec dépens.

 

Signé à Frédéricton (Nouveau-Brunswick), ce 9e jour de juin 2008.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI223

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-1311(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              PAN-O-LAC LTÉE ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Jonquière (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 les 20, 21 et 22 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 9 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Jean Dauphinais

Me Jean-François Poirier

 

Avocate de l'intimée :

Me Janie Payette

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Noms :                          Me Jean Dauphinais et

                                                          Me Jean-François Poirier

 

                 Cabinet :                           Cain Lamarre Casgrain Wells

                                                          Avocats S.E.N.C.

                                                          Chicoutimi (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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