Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2008CCI290

Date : 20070522

Dossier : 2007-4406(IT)I

 

ENTRE :

 

ZOFIA KIEFER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience le 3 mars 2008,

à Vancouver (Colombie-Britannique))

 

Le juge Margeson

 

[1]     Il s’agit certainement d’une situation difficile pour l’appelante. Je comprends ce par quoi elle est passée et le sentiment de découragement profond qu’elle peut éprouver parce qu’elle a l’impression d’avoir été traitée injustement par le système.

 

[2]     Il apparaît très clairement qu’elle avait effectivement obtenu une ordonnance de saisie‑arrêt qui, soit dit en passant, n’a pas été rendue par la Cour et qui ne relève évidemment pas de la compétence de celle‑ci. Elle pensait que le gouvernement aurait dû saisir l’argent de son mari en exécutant l’ordonnance de saisie‑arrêt et il ne l’a pas fait. Elle a pâti de cette situation.

 

[3]     Elle croit que la seule manière de protester qui s’offre à elle consiste à ne pas payer son impôt sur le revenu. À ce que je peux voir, on pourrait résumer sa position ainsi : « Je ne prétends pas que je ne dois pas cet argent, que ma cotisation n’a pas été correctement établie, je ne prétends pas non plus que je n’ai pas reçu l’argent, qu’il ne s’agissait pas d’une pension alimentaire pour conjoint ou que je ne devrais pas la déclarer. » Autrement dit, elle admet que la cotisation est bien fondée. Bien sûr, la question de savoir si la cotisation est exacte ou non est au cœur du présent litige.

 

[4]     La Cour a été créée par la loi et elle ne peut accorder que les réparations évoquées par l’avocat de l’intimée. La Cour a compétence pour entendre les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et pour décider si une cotisation est exacte ou non.

 

[5]     Cela a été souligné dans les différentes décisions auxquelles l’avocat de l’intimée a renvoyé; j’en citerai quelques unes dans un instant. Il ne fait aucun doute que les arguments avancés par l’avocat de l’intimée sont bien fondés. Son exposé des faits est exact. De tous les arguments énoncés dans la réponse à l’avis d’appel, aucun n’a été réfuté. D’ailleurs, l’appelante a confirmé que toutes les hypothèses qui y étaient formulées étaient effectivement exactes.

 

[6]     Il est évident que l’appelante n’a pas payé l’impôt sur le revenu faisant l’objet des cotisations qui ont été établies à son égard pour les années 2003, 2004 et 2005 en signe de protestation. Je ne suis actuellement saisi que de l’année 2005 parce que j’ai déjà rejeté les appels relatifs aux années 2002, 2003 et 2004 pour le motif qu’aucun avis d’opposition valide n’a été signifié. Il n’existe aucun doute quant au fait que le mari devait payer la pension alimentaire, comme l’appelante le prétend. D’après elle, il a omis de payer la somme de 50 000 $ qu’il lui devait. Elle n’a reçu aucun paiement en vertu de l’ordonnance de saisie‑arrêt, et ce, bien que le gouvernement ait versé à son mari la somme de 200 000 $. Elle a soutenu que le gouvernement l’avait ignorée. Elle a protesté en refusant de payer son impôt sur le revenu pour l’année 2005 ainsi que pour les autres années que j’ai mentionnées.

 

[7]     L’appelante demande à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant au gouvernement d’exécuter l’ordonnance de saisie‑arrêt, et de lui accorder les dépens et les intérêts.

 

[8]     Elle a présenté la pièce A‑1, qui a été déposée par consentement et qui énonce les différents faits déjà mentionnés dans d’autres documents.

 

[9]     Au cours du contre‑interrogatoire, l’appelante a admis avoir été mariée à Elmer F. Kiefer. Celui‑ci devait payer une pension alimentaire pour enfants et une pension alimentaire pour conjoint. D’après le témoignage de l’appelante, il n’a ensuite plus eu que la pension alimentaire pour conjoint à verser.

 

[10]    La dernière ordonnance à laquelle il a été fait référence, qu’on trouve à l’annexe B de la pièce A‑1, exigeait de son mari qu’il paie la pension alimentaire pour conjoint. L’appelante en convient. Cette dernière ordonnance exigeait qu’il paie uniquement la pension alimentaire pour conjoint, et non la pension alimentaire pour enfants, et ce, pour les différentes raisons que l’appelante a énumérées et que je ne vais pas répéter. Je ne veux pas attiser ses passions en faisant référence aux moments très difficiles qu’elle a traversés. Les éléments que j’ai devant moi sont ceux dont il est fait mention dans la réponse à l’avis d’appel, et c’est là ce que la Cour doit examiner, la question de la pension alimentaire pour conjoint. L’appelante convient avoir reçu la pension alimentaire pour conjoint.

 

[11]    La pièce R-1 a été déposée par consentement. Il s’agit d’une ordonnance datée du 31 mars 1998 prévoyant le paiement d’une pension alimentaire pour conjoint d’un montant de 1 750 $. L’appelante a déclaré qu’à l’époque, elle sortait d’une période qui avait été très pénible en raison du décès de son enfant. Elle déclare avoir reçu les paiements destinés à subvenir à ses propres besoins grâce aux dispositions législatives portant sur l’exécution d’ordonnances alimentaires.

 

[12]    L’appelante a reconnu la pièce R-2, qui avait été déposée par consentement. Il s’agit d’une déclaration relative à l’année 2005. Elle a bien reçu ces paiements. Ils s’élevaient à 7 051,62 $. Les allégations formulées par le ministre ont été prouvées hors de tout doute. Il n’a pas à les prouver, mais il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’elles sont exactes. L’intimée a déposé la pièce et n’a appelé aucun témoin.

 

[13]    Dans son exposé, l’avocat de l’intimée, qui est d’avis que l’appel devrait être rejeté, a avancé les différents arguments étayant sa position avec précision et de façon exhaustive. Le montant de la pension pour conjoint a été à juste titre ajouté au revenu de l’appelante pour l’année en cause.

 

[14]    La Cour de l’impôt n’a que quelques réparations à sa disposition. Peu importe la nature de la réparation demandée par un contribuable, la Cour a seulement le pouvoir d’accorder les réparations prévues par la Loi. Ces dernières sont définies de manière claire et nette, et leur portée est assez limitée.

 

[15]    L’avocat de l’intimée a affirmé que la Cour ne pouvait accorder de réparation en equity. Par conséquent, si l’appelante demande une réparation en equity, ce qui semble être le cas en l’espèce, la Cour n’a pas le pouvoir de la lui accorder.

 

[16]    L’avocat de l’intimée s’est appuyé sur les premières dispositions de la Loi, ainsi que sur l’article 56.1 et l’alinéa 56.1b), qui représentent le fondement de la cotisation établie par le ministre.

 

[17]    L’intimée a renvoyé à l’arrêt Callon c. Canada, reproduit sous l’onglet 7. Dans l’ensemble, il s’agissait du même genre de situation qu’en l’espèce. L’appelante pensait qu’elle ne serait pas tenue de payer l’impôt sur le revenu sur le montant en cause, et elle a demandé une dispense pour des motifs humanitaires. La Cour d’appel fédérale a déclaré de façon très succincte :

 

Accorder cette dispense outrepasse les pouvoirs de la Cour, tout comme ceux du juge de la Cour de l’impôt et du ministre.

 

Cet arrêt s’applique à la présente situation.

 

[18]    L’avocat de l’intimée a déclaré que le montant versé à titre de pension alimentaire pour conjoint avait été à juste titre inclus dans le calcul du revenu de l’appelante. Il a ajouté que les faits énoncés au paragraphe 10 de la réponse à l’avis d’appel étaient établis. La preuve présentée a confirmé que les faits énoncés aux alinéas 10a), b) et c) de la réponse à l’avis d’appel avaient tous été prouvés hors de tout doute. La Cour en convient. L’avocat de l’intimée a soutenu que l’appel devrait être rejeté.

 

[19]    En ce qui a trait aux réparations, l’avocat de l’intimée s’est référé au paragraphe 171(1) de la Loi, qui énonce clairement que la Cour de l’impôt peut statuer sur un appel en le rejetant, ou en l’admettant et en modifiant la cotisation, et ce, en la renvoyant au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en se fondant sur certaines conclusions de la Cour. C’est là toute l’étendue des pouvoirs de la Cour. Malheureusement, c’est également là leur limite.

 

[20]    L’avocat de l’intimée a aussi fait référence à l’onglet 4 de son recueil des textes de loi et de la jurisprudence, qui contient la décision Hrab c. Canada, et plus particulièrement à la page 6 de celle‑ci. Pour aller à l’essentiel, la Cour a déclaré :

 

La compétence de cette cour est établie en fonction des dispositions exposées à l’article 169 de la section J de la Loi, qui accorde au contribuable le droit d’interjeter appel auprès de cette cour pour faire annuler ou modifier une cotisation.

 

Je le répète, l’article 171 confère à la Cour le pouvoir de statuer sur un appel soit en le rejetant, soit en l’admettant et en annulant la cotisation, en modifiant la cotisation, ou en renvoyant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

 

[21]    En réponse à la demande de dispense de l’appelant, le juge Teskey s’est ainsi exprimé :

 

Je suis persuadé que la compétence de cette cour se limite au calcul du revenu, c'est‑à-dire du revenu imposable, d'un contribuable et du montant de l'impôt à payer. La contestation doit porter sur l'un des éléments dont s'est servi le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour établir l'obligation fiscale d'un contribuable pour l'année en question.

 

C’est la situation dans laquelle je me trouve. Le juge a mentionné un certain nombre d’autres décisions venant renforcer cette position. Ce sont là les limites des pouvoirs de la Cour.

 

[22]    La Cour est liée par les termes de la loi. Elle ne peut modifier la loi. Elle ne peut la changer pour accommoder un contribuable. Elle ne peut la changer pour s’accommoder elle‑même, quel que soit le degré de compassion qu’elle ressent à l’égard d’un contribuable. La Cour de l’impôt doit accepter la loi telle qu’elle est. L’avocat de l’intimée a renvoyé à l’arrêt Chaya c. Canada, qui est reproduit sous l’onglet 8, et notamment au paragraphe 4, page 2, de celui‑ci :

 

[4] Le demandeur soutient que la loi est inéquitable et il demande à la Cour de faire une exception pour lui. Toutefois, la Cour n’a pas le pouvoir de faire droit à sa demande. La Cour doit appliquer la loi telle qu’elle est. Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l’équité. S’il estime que la loi est inéquitable, le demandeur doit avoir recours au Parlement et non pas à la Cour.

 

L’autre décision à laquelle il a renvoyé, Rogutski c. Canada, aboutit pratiquement à la même conclusion.

 

[23]    Malheureusement pour l’appelante, la Cour de l’impôt n’a pas compétence en l’espèce pour lui accorder la réparation qu’elle demande. L’appelante demande à la Cour de rendre une ordonnance contraignant le gouvernement à exécuter l’ordonnance de saisie‑arrêt, et aussi de lui accorder les dépens et les intérêts. Elle ajoute que quand le gouvernement fera cela, quand le gouvernement se conformera à l’ordonnance qu’elle a obtenue, elle paiera ses impôts sur le revenu.

 

[24]    Ce n’est pas la question dont je suis saisi. Je n’ai pas compétence pour accorder la réparation demandée. Je n’ai compétence que pour examiner l’exactitude de la cotisation qui se trouve devant moi. Je suis convaincu hors de tout doute qu’elle a été correctement établie et que je ne peux accorder la réparation demandée par l’appelante. La Cour de l’impôt n’est pas une cour d’equity. Elle ne peut accorder de réparation pour des motifs humanitaires. Pour cela, il faudrait que cette compétence me soit conférée par la loi. À mon avis, ce n’est pas le cas.

 

[25]    La Cour doit malheureusement, au grand déplaisir de l’appelante, j’en suis convaincu, rejeter l’appel et confirmer la cotisation établie par le ministre.

 

[26]    L’avocat de l’intimée a déjà renvoyé l’appelante aux anciennes dispositions d’équité, qui ont été rebaptisées depuis, en vertu desquelles elle peut demander au ministre de rendre un décret relativement aux intérêts. Elle ne pourra pas être dispensée de l’obligation de payer l’impôt qu’elle doit sur l’argent qu’elle a reçu, mais elle peut demander à être dispensée du paiement des intérêts, et il lui est loisible de déposer une telle demande si elle le souhaite. La Cour n’a pas compétence pour examiner cette question, à ce stade tout du moins, dans l’état actuel du droit. À ma connaissance, c’est la seule solution qui s’offre à elle.

 

         


Signé à Ottawa (Ontario), ce 22e jour de mai 2008.

 

« T. E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’octobre 2008.

 

 

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI290

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-4406(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Zofia Kiefer et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge T.E. Margeson

 

DATE DES MOTIFS ÉCRITS

DE JUGEMENT :                               Le 22 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocats de l’intimée :

Mes P. Mahil et F. Wan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                       

                    Cabinet :

 

           Pour l’intimée :                        John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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