Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2007-2033(IT)G

2007-3490(IT)G

 

ENTRE :

 

KNIGHTS OF COLUMBUS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 14, 15, 16, 17 et 18 janvier 2008,

à Toronto (Ontario).

 

Devant l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

MWilliam I. Innes, Me Chia‑yi Chua

et Me Brendan Bissell

Avocats de l’intimée :

Me Marie-Thérèse Boris et

Me Justin Kutyan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu des parties I, I.3 et XII.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2000 et 2002 sont accueillis, et les cotisations sont annulées à l’égard de l’impôt cotisé, des pénalités imposées et de l’intérêt imposé au motif que, au cours de ces années, les Knights of Columbus n’exerçaient pas au Canada leur activité par l’intermédiaire d’un établissement stable.

 


          Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de février 2009.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2008CCI307

Date : 20080516

Dossiers : 2007-2033(IT)G

2007-3490(IT)G

ENTRE :

KNIGHTS OF COLUMBUS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]              Les Knights of Columbus (l’« appelante » ou les « Chevaliers de Colomb »), une société résidant aux États-Unis, offrent de l’assurance-vie à leurs membres canadiens. La société s’en remet à des agents canadiens pour ce faire. La question qui m’est soumise est celle de savoir si les Chevaliers de Colomb sont assujettis au Canada à l’impôt sur les bénéfices d’entreprise découlant de leurs activités d’assurance. La question dépend de l’application de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (« Convention Canada - États-Unis »), en particulier il s’agit de savoir si les Chevaliers de Colomb ont un établissement stable au Canada du fait de l’un ou l’autre des aspects suivants :

 

(1)     l’exercice de leur activité par l’intermédiaire d’une installation fixe d’affaires au Canada (paragraphe V(1) de la Convention Canada - États-Unis).

 

(2)     l’utilisation d’agents, autres que des agents indépendants qui agissent dans le cadre ordinaire de leur activité, qui exercent habituellement au Canada des pouvoirs leur permettant de conclure des contrats au nom des Chevaliers de Colomb (paragraphes V(5) et (7) de la Convention Canada - États-Unis).

 

[2]              L’avocat des Chevaliers de Colomb a souligné d’entrée de jeu la complexité des dispositions de la Convention, et il a par conséquent appelé trois experts pour les expliquer. En toute déférence, ma réaction initiale à l’affirmation de l’avocat selon laquelle le Modèle de convention de l’Organisation de coopération et de développement économique (« Modèle de convention de l’OCDE ») équivaut quant à sa complexité à la théorie spéciale de la relativité était qu’il s’agissait simplement d’une exagération d’avocat, malgré que, après avoir entendu les experts, j’aie une plus grande appréciation de ce que visait l’avocat par ses observations liminaires.

 

Le contexte

 

[3]              Les Chevaliers de Colomb ont été constitués en une société d’aide mutuelle catholique romaine à New Haven, au Connecticut, en 1882. Cette société s’est établie au Canada en 1897. La société a quatre niveaux de conseils : local, de district, d’état (ou provincial) et suprême. Un des objets de la société, par l’intermédiaire de son programme d’assurance, consistait à aider les veuves et les orphelins des membres décédés. Cet objet a évolué en un programme d’assurance officiel.

 

[4]              En 2006, environ 25 p. 100 des fonds des Chevaliers de Colomb provenaient de leurs activités d’assurance. Les activités d’assurance des Chevaliers de Colomb ne sont pas assujetties à l’impôt sur le revenu aux États-Unis.

 

[5]              Les activités d’assurance des Chevaliers de Colomb sont menées par l’entremise d’agents. Au Canada, il y a environ 220 agents itinérants, 22 agents généraux, un directeur local et un agent principal. Je vais décrire le rôle de chacun, puis les activités de l’entreprise aux États-Unis, notamment le processus de souscription.

 

L’agent principal

 

[6]              M. Tom Brockett, le chef comptable adjoint des Chevaliers de Colomb à New Haven, a décrit les fonctions et les responsabilités de l’agent principal. L’agent principal des Chevaliers de Colomb au Canada pendant la période en cause, M. Soden, est décédé en 2001.

 

[7]              Le Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF ») exige que des organisations comme les Chevaliers de Colomb aient un agent principal au Canada. Il exige de plus que l’agent principal maintienne certains dossiers à l’égard des activités d’assurance au Canada. M. Brockett veillait à la préparation de la déclaration annuelle canadienne, du formulaire visant l’établissement de la suffisance de la provision pour sinistres et des rapports mensuels et trimestriels. Des rapports étaient présentés au BSIF par l’intermédiaire du bureau de l’agent principal et ces rapports devaient porter la signature de ce dernier. Des documents étaient conservés au bureau de l’agent principal. Ainsi, si le BSIF menait un examen de conformité, il avait accès aux dossiers au Canada.

 

[8]              M. Soden était comptable agréé. Il touchait des honoraires payés à l’heure à titre d’agent principal. Il présentait aux Chevaliers de Colomb des réclamations quant à ses dépenses. Son bureau ne comportait aucune indication d’un lien avec les Chevaliers de Colomb, et personne parmi les Chevaliers de Colomb n’avait accès à son bureau. M. Soden n’était pas membre du conseil d’administration des Chevaliers de Colomb ni de quelque comité de gestion. Il ne jouait aucun rôle dans la vente d’assurance ni aucun rôle auprès de l’un ou l’autre des agents ou des assurés. Il devait assister aux vérifications menées par le BSIF, mais il y assistait avec le chef comptable des Chevaliers de Colomb ou avec M. Brockett.

 

[9]              L’agent principal était un signataire du compte bancaire détenu par les Chevaliers de Colomb à la Banque de Montréal quant aux rentrées de fonds, mais il n’était pas un signataire du compte de débours. Des fonds étaient virés du compte des rentrées de fonds au compte des débours par le service de la trésorerie à New Haven. M. Brockett a expliqué que la participation de l’agent principal aux ententes bancaires était une exigence du BSIF. Le BSIF exigeait de plus qu’une fiducie canadienne conserve des placements au Canada afin d’assurer la suffisance des actifs ou des obligations. Les Chevaliers de Colomb ont engagé CIBC Mellon à titre de fiduciaire canadien.

 

Le directeur local

 

[10]         Aucun argument n’était axé sur le rôle du directeur local, alors je mentionne simplement que le directeur local était un employé des Chevaliers de Colomb, dont le rôle consistait à être en quelque sorte un mentor pour les agents généraux au Canada.

 

Les agents généraux

 

[11]         M. Brockett et un agent général, M. Darrell Gall, qui travaillait en Nouvelle‑Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador, ont décrit le travail des agents généraux.

 

[12]         L’agent général doit être membre des Chevaliers de Colomb. Il supervise de huit à dix agents itinérants. L’agent général ne participe pas activement à la vente aux membres, mais il n’est pas interdit qu’il le fasse. L’agent général tire sa rémunération de commissions qu’il touche sur les ventes des agents itinérants de son territoire selon un taux établi par les Chevaliers de Colomb. Les Chevaliers de Colomb fournissent en outre les avantages suivants à l’agent général : de l’assurance provisoire, un régime de pension, un régime d’assurance médicale collective, de la formation à New Haven et certaines mesures incitatives. L’agent général est chargé du recrutement, de la formation, de la gestion et de la motivation des agents itinérants.

 

[13]         L’agent général travaille principalement de chez lui. Les Chevaliers de Colomb n’ont pas accès aux locaux de l’agent général. Il n’y a pas d’enseigne indiquant quelque lien entre la maison de l’agent général et les Chevaliers de Colomb. Les Chevaliers de Colomb ne remboursent pas les dépenses de l’agent général, bien qu’il y ait une allocation pour frais calculée selon un pourcentage des commissions sur les ventes. L’agent général n’a pas à rendre des comptes quant aux dépenses afin de recevoir l’allocation pour frais qui, selon ce que M. Gall a indiqué, n’est pas établie en fonction des dépenses. Il considérait l’allocation pour frais comme une commission additionnelle.

 

[14]         L’obligation de recrutement de l’agent général est continue. M. Gall a décrit que ce qu’il faisait à cet égard consistait à demander à ses agents itinérants d’ouvrir l’œil, de faire de la publicité dans les bulletins paroissiaux, d’assister aux réunions des Chevaliers de Colomb et de communiquer avec les prêtres locaux. M. Gall rencontrait à plusieurs reprises des agents potentiels. Lorsque, à son avis, un agent est acceptable, il subit une vérification de sécurité et il fait de plus l’objet d’une sélection par les Chevaliers de Colomb à New Haven, bien que, selon ce que M. Gall a indiqué, les Chevaliers de Colomb n’aient jamais rejeté la candidature de ses agents potentiels. M. Tom Smith, un vice-président exécutif des Chevaliers de Colomb, a déclaré dans son témoignage que les Chevaliers de Colomb examinent chaque année approximativement 350 demandes présentées par un agent général en vue de faire examiner la candidature d’un agent itinérant. M. Smith examine lui-même les demandes les plus compliquées et les approuve toutes à l’exception de dix ou douze. L’agent itinérant, l’agent général et un représentant du siège social des Chevaliers de Colomb à New Haven signent ensuite un contrat.

 

[15]         L’agent général décide dans quels conseils travaillera l’agent itinérant. Le nouvel agent itinérant présente un budget à l’agent général qui décide des fonds dont cet agent aura besoin et il présente une demande d’avance aux Chevaliers de Colomb. On s’attend à ce que l’agent itinérant rembourse ces fonds à mesure qu’il touche des commissions. Cependant, si l’agent itinérant ne gagne pas suffisamment de commissions et qu’on le congédie, l’agent général devient responsable de la dette qui demeure due aux Chevaliers de Colomb.

 

[16]         L’agent général est principalement chargé de la formation des agents itinérants. D’ailleurs, M. Gall a élaboré son propre programme de trois semaines pour ses agents itinérants. L’agent itinérant reçoit également une formation de la part des Chevaliers de Colomb à New Haven. L’agent général paye les frais d’hébergement de l’agent itinérant alors que les Chevaliers de Colomb paient le reste des dépenses. Les Chevaliers de Colomb offrent en outre un programme de formation appelé « Pro Start » qui comporte la lecture d’un guide et des examens réguliers qui sont notés par l’agent général.

 

[17]         L’agent général supervise et surveille régulièrement l’agent itinérant. Il connaît bien la façon selon laquelle tous ses agents itinérants exercent leurs activités et il assure un suivi lorsqu’il constate qu’ils ne présentent pas suffisamment de propositions d’assurance. Un agent général peut offrir des programmes incitatifs qui vont au-delà de ceux que peuvent offrir les Chevaliers de Colomb. De même, l’agent général peut établir des exigences qui vont au-delà de celles auxquelles s’attendent les Chevaliers de Colomb. M. Gall exige de ses agents itinérants qu’ils aient un espace de travail privé fermé par une porte, un téléphone, une table de travail, un télécopieur et un accès Internet haute vitesse.

 

[18]         M. Gall considérait que son rôle était semblable à celui d’un franchisé. Bien qu’il exerce ses activités dans le cadre des lignes directrices des Chevaliers de Colomb, il exploite son entreprise à sa façon pour lui-même, mais non tout seul. Il doit fournir des rapports mensuels à un vice-président des Chevaliers de Colomb.

 

Les agents itinérants

 

[19]         Les agents itinérants sont les travailleurs de première ligne. Ils doivent être membres des Chevaliers de Colomb et ils ne peuvent solliciter des propositions que pour la vente des produits d’assurance des Chevaliers de Colomb et alors seulement à des membres des Chevaliers de Colomb. Les agents itinérants sont rémunérés au moyen d’une commission et ils reçoivent une allocation pour frais selon ce qui a été décrit précédemment. Les agents itinérants peuvent en outre toucher des primes de rendement si certains quotas sont atteints.

 

[20]         Le contrat conclu entre un agent itinérant et un agent général et les Chevaliers de Colomb prévoit en partie ce qui suit :

 

3.  L’Agent itinérant est autorisé à solliciter et à obtenir des propositions d’assurance de la part des membres des conseils qui lui sont assignés. Ladite assurance peut porter sur la vie du membre, de son épouse ou de ses enfants mineurs pourvu, toutefois, qu’aucun membre ne puisse faire une demande d’assurance pour un fils de 18 ans ou plus, même si le fils est encore considéré comme mineur en vertu des lois étatiques ou provinciales en vigueur. L’Agent itinérant est également autorisé à percevoir des primes d’assurance initiales et à exécuter les autres tâches qui lui incombent en tant que représentant de l’Ordre.

 

L’Agent itinérant n’est pas habilité à engager l’Ordre à émettre une police d’assurance. Il n’est également pas habilité à renoncer ou à apporter des modifications aux clauses de toute police d’assurance ou de tout avenant émis par l’Ordre, à prolonger le délai de paiement de toute prime, à engager l’Ordre en faisant une promesse ou en acceptant toute représentation ou information ne faisant pas partie d’une proposition d’assurance quelconque ou à percevoir ou recevoir toute prime ou prime partielle, autre que la prime initiale, à moins que l’Ordre ne lui en donne explicitement l’autorisation.

 

4.  Aucun énoncé contenu dans le présent Contrat ne doit être interprété de façon à établir une relation employeur-employé entre l’Ordre et l’Agent itinérant, entre l’Ordre et l’Agent général ou entre l’Agent général et l’Agent itinérant. L’Agent itinérant doit être libre d’exercer un jugement indépendant quant au choix des personnes qui feront l’objet d’une sollicitation pour une proposition d’assurance et quant au moment et au lieu de ladite sollicitation. L’Agent itinérant doit se conformer aux règlements et procédure établis par l’Ordre; toutefois, lesdits règlements et procédures ne doivent pas être interprétés de façon à entraver la liberté d’action de l’Agent itinérant telle que décrite dans le présent contrat.

 

[21]         Sauf en ce qui a trait aux attentes de l’agent général à l’égard du bureau à la maison des agents itinérants, les Chevaliers de Colomb n’ont aucune exigence à l’égard des bureaux. Les représentants des Chevaliers de Colomb n’ont pas accès aux locaux des agents itinérants. Les bureaux à la maison des agents itinérants ne comportent aucune enseigne des Chevaliers de Colomb. Les agents itinérants qui ont témoigné, M. Raymond Bechard et M. Mark John Lewans, ont tous deux déclaré qu’ils avaient une ligne téléphonique d’affaires séparée à leur nom, non au nom des Chevaliers de Colomb. Ils rencontraient rarement des clients à leur bureau à la maison. Le bureau était utilisé principalement à des fins administratives. Il y avait certains indices montrant qu’un des agents itinérants ait pu rencontrer plus souvent des clients à son bureau à la maison. Les agents itinérants exercent leurs activités à partir de leur bureau à la maison, de leurs véhicules automobiles et de la résidence des membres des Chevaliers de Colomb dont ils sollicitent la clientèle.

 

[22]         En plus des commissions (de la commission de base, de celle liée aux dépenses et de celle fondée sur les quotas), les Chevaliers de Colomb offrent ce qui suit aux agents itinérants :

 

- une certaine formation, un livre de barème et une trousse pour les échantillons de salive, des avantages comme une pension, de l’assurance médicale et de l’assurance provisoire, le paiement de leur permis initial et des cartes professionnelles et du papier à en-tête, à moins que leur production baisse en deçà des quotas.

 

[23]         L’agent itinérant se rend chez un membre des Chevaliers de Colomb afin de discuter des produits d’assurance des Chevaliers de Colomb et d’effectuer une analyse des besoins. Cela a pour but de mener à la détermination de la couverture d’assurance appropriée. Afin de l’aider à faire cette détermination, l’agent itinérant a reçu une formation sur les répercussions de certains états de santé. L’agent itinérant a le livre de barème des Chevaliers de Colomb à partir duquel il peut établir la prime approximative pour l’assurance suggérée. L’agent itinérant remplit la proposition d’assurance, la fait signer et perçoit la prime initiale. Les documents sont ensuite envoyés à New Haven. L’agent itinérant ne peut changer aucune modalité de la proposition d’assurance. L’agent itinérant remet au proposant un reçu et un certificat à l’égard de la convention d’assurance provisoire.

 

[24]         La convention d’assurance provisoire fait partie de la proposition; en effet, une proposition ne peut être présentée sans que cette convention y soit jointe. Ses modalités figurent sur une page de la proposition qui comporte également le reçu. Certaines des modalités pertinentes sont les suivantes :

 

 

Paiement d’assurance provisoire

 

L’assurance provisoire sera versée au bénéficiaire nommé dans la proposition d’assurance si une personne quelconque protégée par le contrat d’assurance demandé décède pendant que l’assurance provisoire est en vigueur.

 

Montant d’assurance provisoire

 

Ce contrat fournit une assurance provisoire à toute personne protégée par ledit contrat d’assurance demandé, audit montant demandé ou 100 000 $, selon le moindre des deux montants.

 

Début de l’assurance provisoire

 

L’assurance provisoire débutera à la plus tardive des dates suivantes : (a) la date du reçu susmentionné; (b) au terme de tout examen médical requis au moment de la proposition d’assurance.

 

Durée de l’assurance provisoire

 

À moins que cette assurance provisoire ne se termine plus tôt pour une des trois raisons indiquées au paragraphe « Résiliation de l’assurance provisoire » ci-dessous, elle prendra fin quatre-vingt-dix (90) jours après son entrée en vigueur.

 

Résiliation de l’assurance provisoire

 

1.      L’assurance provisoire sera résiliée lorsque les Chevaliers de Colomb émettront le contrat d’assurance tel que proposé.

 

2.      L’assurance provisoire sera résiliée lorsque les Chevaliers de Colomb émettront un contrat d’assurance autre que celui proposé et que le contrat sera accepté par le propriétaire.

 

3.      L’assurance provisoire sera résiliée lorsque les Chevaliers de Colomb auront remboursé la prime initiale ou restauré la valeur ayant servi à payer la prime initiale.

 

[25]         La convention d’assurance provisoire procure une assurance à un proposant pendant le traitement de la proposition, en vigueur pendant 90 jours ou jusqu’à ce que les Chevaliers de Colomb, au moyen de leur processus de souscription, refusent la proposition ou rendent l’assurance permanente, si ce moment survient plus tôt. M. Smith a témoigné que la convention d’assurance provisoire est offerte afin que l’assurance des Chevaliers de Colomb soit compétitive dans l’industrie de l’assurance. M. Brockett a déclaré que la convention d’assurance provisoire joue un très petit rôle dans les activités d’assurance des Chevaliers de Colomb. Les réclamations payées en vertu des conventions d’assurance provisoire sont bien en deçà de 1 p. 100 des réclamations totales. Les primes perçues quant aux conventions d’assurance provisoire par rapport au pourcentage du total des primes sont encore moindres, étant une petite fraction de 1 p. 100. Le Dr Michael Conforti, le directeur médical des Chevaliers de Colomb, a indiqué qu’il n’est pas tenu compte du traitement ou du paiement des réclamations faites en vertu des conventions d’assurance provisoire dans le calcul du prix des produits d’assurance des Chevaliers de Colomb.

 

Le processus de souscription

 

[26]         Le processus de souscription se déroule entièrement aux États-Unis. Le service qui traite des nouvelles transactions (le New Business Department ) à New Haven étudie chaque proposition, vérifie les renseignements auprès du Medical Information Bureau et examine les renseignements médicaux existants. Le Medical Information Bureau est manifestement un bureau central d’information sur l’état de santé et les rapports antérieurs quant à l’assurance des particuliers. La proposition est ensuite envoyée au service des souscriptions pour examen.

 

[27]         Le Dr Conforti a témoigné que c’était lui, avec le chef de la souscription, qui déterminait les critères médicaux essentiels pour que certaines conditions d’ordre médical soient imposées. Il s’appuyait également sur un guide suisse portant sur la réassurance pour établir les taux quant à des troubles en matière de santé. Le Dr Conforti joue également un rôle dans l’examen des réclamations contestables.

 

[28]         Le service de la souscription peut approuver une proposition, établir qu’elle est inférieure aux normes, la reporter ou la refuser. Approximativement 90 à 92 p. 100 des propositions sont approuvées, mais le Dr Conforti a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

Toutefois, vous devez comprendre que la majorité de ces 90 à 92 p. 100 sont des propositions pour des âges et des montants pour lesquels on impose des conditions d’ordre médical, et même pour celles qui sont dans les normes, très souvent – vous pouvez encore être dans les normes, mais avoir quand même des antécédents médicaux qui nécessitent de la part du tarificateur une enquête plus à fond.

 

Environ 2 p. 100 des propositions sont reportées ou refusées. Si le tarificateur établit qu’il est nécessaire d’avoir des renseignements additionnels, il peut demander une déclaration d’un médecin traitant ou des examens additionnels. Le service de la souscription fournit aux agents les questionnaires se rapportant aux déficiences les plus courantes. Les résultats de tout examen additionnel sont transmis directement au service de la souscription. Si un proposant décède alors que la souscription est en cours, le processus de souscription se poursuit et, si la proposition est approuvée, la convention d’assurance provisoire s’appliquera pour fournir la couverture d’assurance.

 

[29]         Le Dr Conforti a expliqué que le livre de barème que l’agent a en sa possession pour l’aider à faire l’évaluation appropriée du proposant porte sur divers facteurs, tant médicaux que non médicaux, qui auraient une incidence sur le risque, même au point d’établir dans quels cas l’agent peut refuser de prendre une proposition. L’agent a également suffisamment de renseignements pour établir si un examen médical est requis.

 

La preuve d’expert

 

[30]         L’appelante a appelé trois témoins experts : Brian Arnold, David Rosenbloom et Richard Vann, tous trois étant éminemment compétents pour faire des commentaires sur l’interprétation de l’expression « établissement stable » utilisée dans le Modèle de convention de l’OCDE, dans le Modèle de convention des Nations Unies et dans les commentaires s’y rapportant. M. Rosenbloom, un ancien directeur du Bureau des affaires fiscales internationales du Département des finances des États-Unis (Office of International Tax Affairs of the United States Treasury Department) et le négociateur en chef de la Convention Canada - États-Unis, a en outre fourni le point de vue américain quant aux dispositions pertinentes de cette convention.

 

[31]         L’intimée a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que la preuve d’expert de tous les témoins experts était inadmissible. Les motifs invoqués par l’intimée à l’égard de la preuve d’expert étaient les suivants :

 

(i)      elle n’est pas nécessaire;

(ii)      elle n’est pas pertinente;

(iii)     elle porte sur des questions de droit interne;

(iv)     elle défend une cause.

 

[32]         L’appelante a répondu que les experts fournissaient une preuve quant à ce que les dispositions du Modèle de l’OCDE devaient signifier, et à l’égard de la preuve de M. Rosenbloom, quant à ce que les dispositions de la Convention Canada - États-Unis devaient accomplir d’un point de vue américain. Dans ce contexte, l’appelante soutient que la preuve ne va à l’encontre d’aucune des règles d’admissibilité exposées dans l’arrêt R. c. Mohan[1] de la Cour suprême du Canada.

 

[33]         Plutôt que de comparer les observations détaillées des deux parties en analysant l’admissibilité de la preuve d’expert dans son ensemble, je vais exposer seulement les aspects de la preuve d’expert sur lesquels j’entends me fonder et je vais indiquer pourquoi j’estime qu’une telle preuve est admissible. Il n’y a que deux domaines de la preuve d’expert dont je tiendrai compte dans mon analyse :

 

(i)      l’importance de l’exigence d’un droit pour les Chevaliers de Colomb d’avoir à leur disposition des locaux au Canada pour conclure qu’il existe pour les Chevaliers de Colomb une installation fixe d’affaires au Canada;

 

(ii)      l’inférence devant être tirée selon laquelle d’importantes activités d’assurance peuvent être exercées par une société américaine comme les Chevaliers de Colomb au Canada sans qu’elle soit assujettie à l’impôt canadien, en raison de l’absence dans la Convention Canada - États-Unis d’une clause d’assurance semblable au paragraphe 5(6) de la convention fiscale du Modèle des Nations Unies.

 

[34]          À l’égard de ces deux questions, c’est l’intention des rédacteurs de la Convention que je tente d’établir. Je peux sans difficulté conclure qu’une telle preuve est pertinente. Comme l’a indiqué M. le juge La Forest dans l’arrêt Thomson c. Thomson[2]:

 

Il serait étrange qu’un traité international auquel la législature a tenté de donner effet ne soit pas interprété dans le sens que les États parties au traité doivent avoir souhaité.

 

En outre, comme M. le juge Iacobucci a déclaré au début de son analyse dans l’arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada[3]:

 

L’interprétation d’un traité vise d’abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l’intention des parties.

 

Manifestement, l’intention est pertinente.

 

[35]         À l’égard de la question de savoir si la preuve d’expert était nécessaire, je me demande vers quoi je dois me tourner pour avoir des indications quant à l’intention des rédacteurs. Dans l’arrêt Crown Forest Industries Ltd., la Cour suprême du Canada a accepté qu’il était tout à fait régulier de s’appuyer sur des documents extrinsèques pour aider à l’interprétation d’un traité. Est‑il nécessaire que j’aille au-delà de ces documents (le Modèle des Nations Unies, le Modèle de l’OCDE, les commentaires, les travaux savants, la jurisprudence internationale)? Je crois que oui. Les experts ont apporté une richesse de savoir et de contexte quant à l’élaboration de l’expression « établissement stable » dans le Modèle de l’OCDE et dans le Modèle des Nations Unies. En fait, ils ont participé à cette même élaboration. Il y a eu un résumé et des contre-interrogatoires et, par conséquent, cela m’a fourni la preuve nécessaire pour apprécier aussi complètement que possible le sens envisagé de l’expression « établissement stable », tant dans le Modèle de l’OCDE que, d’un point de vue américain, dans la Convention Canada - États-Unis.

 

[36]         L’intimée soutenait que, même si j’arrive à surmonter les difficultés de la pertinence et de la nécessité, je devrais conclure que la preuve d’expert est inadmissible étant donné que :

 

(i)      elle porte sur le droit interne;

(ii)      elle défend une cause.

 

[37]         À l’égard de l’intention des rédacteurs en rapport avec la définition d’un établissement stable par une installation fixe d’affaires, et en particulier de l’exigence d’avoir un certain pouvoir de disposer, je ne conclus pas qu’il s’agit d’une question de droit interne, de façon certaine en ce qui se rapporte au Modèle de l’OCDE. En outre, l’opinion de M. Rosenbloom à cet égard se rapportait au point de vue américain seulement et non au point de vue canadien.

 

[38]         À l’égard de l’inférence devant être tirée du fait qu’il n’y a pas de clause d’assurance, que je décrirai plus en détail sous peu, je ne considère pas non plus qu’il s’agit d’une question d’interprétation du droit interne. Je reconnais qu’il m’appartient de déterminer le sens de l’expression établissement stable en ce qui a trait à l’assujettissement éventuel des Chevaliers de Colomb à l’impôt canadien en vertu de la Convention Canada - États-Unis. La preuve qui amène à tirer une inférence par l’exclusion d’une clause d’assurance qu’on retrouve dans un autre modèle, et en fait qu’on trouve dans d’autres conventions fiscales signées par le Canada, n’est pas une preuve de droit interne : il s’agit simplement d’une preuve de ce que les rédacteurs avaient l’intention de faire en omettant d’inclure une telle clause.

 

[39]         Je conclus que ces deux domaines de preuve d’expert ne vont pas à l’encontre des critères exposés dans l’arrêt Mohan, pas plus qu’ils défendent une cause. Alors, en quoi consistait la preuve d’expert?

 

L’installation fixe d’affaires

 

[40]         Bien que les commentaires portant sur le Modèle de l’OCDE renvoient à une installation d’affaires « à la disposition » de l’entreprise, les experts ont fourni des renseignements précieux quant à ce qui était envisagé par cet aspect de l’installation fixe d’affaires. Cela ne signifie pas simplement que les Chevaliers de Colomb doivent avoir une clé des locaux de l’agent, état donné que cela contournerait facilement l’objet de cette exigence, bien que, selon M. Vann, il soit nécessaire de montrer un droit de disposition indépendant quant au mandant, dans la présente affaire les Chevaliers de Colomb. M. Vann n’a, d’aucune façon détaillée, clarifié le droit indépendant, sauf pour souligner l’importance de faire la distinction entre l’installation fixe d’affaires de l’agent et l’installation fixe d’affaires de l’entreprise. Cela soulève la question de savoir quelle est l’activité exercée par l’agent à son installation d’affaires, ou comme M. Rosenbloom l’expose :

 

[traduction]

Il faut faire la distinction entre une installation d’affaires qui est simplement utile ou utilisée par l’agent pour exercer ses fonctions en tant qu’agent et une installation d’affaires qui est utilisée par les Chevaliers pour exercer leur activité, et l’outil que nous avons pour faire la distinction est l’expression « à la disposition ».

 

M. Rosenbloom a apporté une aide à cet égard en faisant observer qu’un agent exploite la plupart du temps une agence d’assurance, mais que lorsqu’il rencontre à proprement parler un membre des Chevaliers de Colomb en vue d’une éventuelle proposition d’assurance, sa démarche pourrait être considérée comme l’exercice de l’activité des Chevaliers de Colomb. Si ces rencontres avec des clients ont de façon régulière lieu à l’installation d’affaires de l’agent, M. Rosenbloom a reconnu que, dans de telles circonstances, l’installation d’affaires pouvait être considérée comme étant à la disposition de l’entreprise non résidente. Ce qui me frappe de la part des experts, c’est à quel point ils ont eu de la difficulté avec la question de savoir quelle est l’activité exercée par l’agent. De nouveau, M. Rosenbloom déclare ce qui suit :

 

          [traduction]

La distinction est l’installation fixe d’affaires utilisée pour les propres activités de l’agent, même si cela aide les Chevaliers, et une installation fixe d’affaires utilisée pour l’activité des Chevaliers. C’est la distinction que je tente de faire. […] J’attire votre attention sur le paragraphe 23 des commentaires portant sur l’article 5. J’y renvoie à la page 16 de mon rapport. Je l’avais cherché en vain jusqu’à maintenant. Les commentaires de l’OCDE disent que le critère décisif est celui de savoir si l’activité exercée dans une installation fixe d’affaires constitue une partie essentielle et importante des activités de l’entreprise dans l’ensemble. C’est essentiellement ce que j’essaie de dire.

 

[41]         Tout cela pour dire que les experts n’ont pas répondu à la question même qui m’est soumise, mais cela a assurément apporté un éclairage sur la difficulté d’établir précisément ce qu’on entendait par une installation fixe d’affaires.

 

L’inférence tirée de l’absence d’une clause d’assurance

 

[42]         Il est pertinent de donner un certain contexte. Le paragraphe 39 des commentaires de l’OCDE à l’égard de l’article 5 est rédigé comme suit :

 

La définition de l’expression « établissement stable » permet d’imposer une compagnie d’assurances d’un État dans l’autre État pour ses opérations d’assurance, si elle y dispose d’une installation fixe d’affaires au sens du paragraphe 1, ou si elle y exerce ses activités par l’intermédiaire d’une personne répondant à la définition du paragraphe 5. Comme les agences de compagnies d’assurances étrangères ne répondent pas toujours à l’une ou l’autre de ces deux conditions, il est possible que ces compagnies se livrent à des opérations importantes dans l’un des États sans être imposées dans cet État sur les bénéfices découlant de leurs activités. Pour parer à cette éventualité, plusieurs conventions conclues par des pays Membres de l’OCDE contiennent une disposition prévoyant que les compagnies d’assurances d’un État sont considérées comme ayant un établissement stable dans l’autre État si elles y perçoivent des primes par l’intermédiaire d’un agent qui y est établi autre qu’un agent qui a déjà la qualité d’établissement stable en vertu du paragraphe 5 ou assurent des risques dans ce territoire par l’intermédiaire de cet agent. Le point de savoir si une disposition de ce genre devra être incluse dans une convention dépendra de la situation de droit et de fait qui prévaut dans les États contractants concernés. Il sera donc fréquent qu’une telle disposition ne soit pas envisagée. De ce fait, il n’a pas paru opportun d’insérer une disposition en ce sens dans le Modèle de Convention.

 

[43]         J’ai désigné la disposition à laquelle ce commentaire renvoie comme la « clause d’assurance ». La clause d’assurance est incorporée dans le paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies qui est rédigé comme suit :

 

Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, une entreprise d’assurance d’un État contractant est considérée, sauf en matière de réassurance, comme ayant un établissement stable dans l’autre État si elle perçoit des primes sur le territoire de cet État ou assure des risques qui y sont encourus, par l’intermédiaire d’une personne autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 7.

 

 

 

[44]         Le paragraphe 26 des commentaires portant sur cet article énonce ce qui suit :

 

Ce paragraphe ne correspond à aucune disposition du Modèle de convention de l’OCDE. Le Groupe l’a inclus parce qu’il a eu le sentiment unanime que la définition donnée par l’OCDE de l’établissement stable ne couvre pas suffisamment certains aspects du commerce d’assurance. Des experts de pays en développement avaient fait observer que si un agent d’assurance était indépendant les bénéfices ne seraient pas imposables, conformément aux dispositions suggérées au paragraphe 7 de l’article 5 du Modèle de convention des Nations Unies (sur la base du paragraphe 6 de l’article 5 du Modèle de convention de l’OCDE); si l’agent n’était pas indépendant, aucun impôt ne lui serait applicable du fait qu’en général les agents d’assurance ne disposent pas du pouvoir de conclure des contrats, comme le voudraient les dispositions suggérées à l’alinéa 5 a) (sur la base du paragraphe 5 de l’article 5 du Modèle de convention de l’OCDE). Ces experts avaient estimé qu’il serait souhaitable d’imposer les bénéfices d’assurance dans le pays où les primes étaient versées, abstraction faite de la situation de l’agent. Ils ont en conséquence suggéré que le Modèle de convention des Nations Unies comporte une disposition spéciale pour le commerce d’assurance. Toutefois, une telle imposition repose sur l’hypothèse que la personne (employé ou représentant) par l’intermédiaire de laquelle les primes sont perçues et les risques assurés habite dans le pays où le risque est situé.

 

[45]         Le professeur Arnold tire ensuite les inférences suivantes :

 

[traduction]

4.6.14 Certaines inférences peuvent être tirées du paragraphe 39 des commentaires sur l’article 5 du Modèle de l’OCDE, du paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies et du paragraphe 26 des commentaires sur cet article selon ce qui est exposé dans les paragraphes précédents. D’abord, si la Convention fiscale Canada - États-Unis, dans sa version modifiée, contenait une disposition correspondant au paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies, alors les Chevaliers de Colomb seraient réputés avoir un établissement stable (ES) au Canada parce qu’ils perçoivent des primes et assurent des risques au Canada par l’entremise de leurs agents. Deuxièmement, en tant que membres de l’OCDE, tant le Canada que les États-Unis et leurs négociateurs de la Convention doivent être considérés comme ayant été au courant de la possibilité, expressément énoncée au paragraphe 39 des commentaires sur l’article 5 du Modèle de l’OCDE, que les compagnies d’assurances qui résident dans un pays puissent se livrer à des opérations importantes dans l’autre pays sans y avoir un ES. En outre, ils doivent être considérés comme ayant été au courant de la possibilité, à laquelle il est fait allusion au paragraphe 39 des commentaires sur l’article 5 du Modèle de l’OCDE et qui est démontrée par le paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies, d’inclure une disposition expresse à l’égard des compagnies d’assurances en s’inspirant du paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies. Le fait qu’ils n’ont pas inclus une telle disposition indique qu’ils ont accepté la possibilité que des compagnies d’assurances qui résident dans un pays organisent leurs affaires de façon à être imposées seulement dans leur pays de résidence bien qu’elles exercent d’importantes activités d’entreprise dans l’autre pays. Troisièmement, compte tenu du fait qu’il est reconnu de façon très répandue et claire que les dispositions de l’article 5 du Modèle de l’OCDE puissent ne pas permettre à un pays d’imposer des compagnies d’assurances qui résident dans des pays partenaires dans une convention, et étant donné que le Canada et les États-Unis sont membres de l’OCDE, il est juste et raisonnable de tenir pour acquis que chaque pays accepte l’absence d’imposition des bénéfices découlant des entreprises d’assurances menées dans le pays par des compagnies d’assurances qui résident dans l’autre pays parce que l’absence d’imposition s’applique de façon réciproque. En d’autres mots, les États-Unis acceptaient que les compagnies d’assurances qui résident au Canada exercent d’importantes activités d’entreprise aux États-Unis sans l’imposition de quelque impôt américain parce que les compagnies d’assurances qui résident aux États-Unis pouvaient exercer des activités semblables au Canada sans l’imposition d’impôt canadien. Cette réciprocité est un principe fondamental des conventions fiscales et ne devrait pas être amoindrie par une partie à la convention qui adopte une interprétation déformée et dénaturée du paragraphe 5(5) à l’égard des agents dépendants, afin d’assujettir à l’impôt une compagnie d’assurances qui réside dans l’autre pays.

 

Le professeur Arnold conclut ensuite ce qui suit :

 

          [traduction]

L’inclusion de dispositions expresses traitant de l’assurance dans plusieurs conventions fiscales canadiennes et dans quelques conventions fiscales américaines renforce la conclusion tirée dans les paragraphes précédents sur le fondement des commentaires sur l’article 5 du Modèle de l’OCDE et du paragraphe 5(6) du Modèle des Nations Unies, à savoir que l’intention des parties à la convention fiscale Canada - États-Unis n’était pas d’imposer des compagnies d’assurances qui résident dans un pays et qui exercent d’importantes opérations dans un autre pays dans certaines circonstances.

 

[46]         Le professeur Vann a confirmé que l’OCDE a expressément décidé de ne pas inclure de clause d’assurance, en disant :

 

[traduction]

« même si cela signifiait que d’importantes activités d’assurance pouvaient être menées dans un pays sans qu’il y ait un établissement stable et sans qu’il y ait une imposition dans ce pays. »

 

Il a expliqué qu’on préconise l’inclusion de la disposition d’assurance dans les conventions des pays en développement, bien qu’elle ne soit d’aucune façon exclusive à ces pays. Le Canada et l’Australie ont tous deux inclus cette disposition dans de nombreuses conventions.

 

L’analyse

 

[47]         Le gouvernement du Canada a établi une cotisation à l’endroit des Chevaliers de Colomb principalement au motif qu’ils avaient au Canada un établissement stable réputé résultant de l’application des paragraphes V(5) et (7) (l’ « établissement stable d’un agent dépendant »), et deuxièmement, au motif qu’ils avaient un établissement stable par une installation fixe d’affaires conformément au paragraphe V(1) (l’« établissement stable par une installation fixe d’affaires »).

 

[48]          Les dispositions de la Convention sont jointes à titre d’annexe « A ». Avant de traiter des questions précises de l’établissement stable d’un agent dépendant et de l’établissement stable par une installation fixe d’affaires, je vais fournir de brèves indications générales quant à l’application de la Convention Canada - États-Unis. Conformément à l’alinéa 2(3)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, un non-résident est imposé sur les bénéfices d’entreprise gagnés au Canada, s’il exploite une entreprise au Canada. Toutefois, l’article VII de la Convention Canada - États-Unis prévoit que les bénéfices d’entreprise ne sont imposables au Canada que si le non-résident exerce son activité par l’intermédiaire d’un établissement stable. Nous passons ainsi à l’article V qui a deux types d’établissement stable. Il est important de souligner que la Convention Canada - États-Unis est inspirée du Modèle de l’OCDE et les commentaires à l’égard de ce modèle sont utiles lorsqu’il s’agit de l’interpréter. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour suprême a clairement établi dans l’arrêt Crown Forest qu’il est approprié que les tribunaux donnent aux traités une interprétation large, en s’appuyant pour ce faire sur des documents extrinsèques comme les commentaires.

 

L’établissement stable d’un agent dépendant

 

[49]         Étant donné que l’intimée appuie principalement sa position quant à la cotisation sur l’établissement stable d’un agent dépendant, je vais en traiter en premier lieu. Les paragraphes 5, 6 et 7 de l’article V de la Convention Canada - États-Unis s’appliquent ensemble de la façon suivante :

 

(i)      Il doit y avoir une personne qui exerce habituellement les pouvoirs lui permettant de conclure des contrats au nom des Chevaliers de Colomb.

 

(ii)      Cette personne ne peut pas être un agent jouissant d’un statut indépendant agissant dans le cadre ordinaire de son activité.

 

(iii)     Il n’y a pas un établissement stable d’un agent dépendant dans les cas où la personne au Canada se livre seulement à certaines activités, notamment à « la publicité, la fourniture de renseignements, la recherche scientifique ou des activités analogues de caractère préparatoire ou auxiliaire ».

 

Les commentaires de l’OCDE apportent une certaine clarification à ces dispositions en faisant observer ce qui suit :

 

(4)     Les pouvoirs permettant de conclure des contrats doivent couvrir les contrats qui ont trait aux opérations constituant les activités propres des Chevaliers de Colomb. (Voir le paragraphe 33 des commentaires de l’OCDE.)

 

[50]         Je ne vais pas examiner de façon approfondie le grand nombre d’arguments à l’égard de la dépendance ou de l’indépendance des agents itinérants. J’ai conclu que ni l’agent principal ni les agents généraux ne dépendent des Chevaliers de Colomb sur le plan légal ou sur le plan économique et qu’ils sont en fait des agents jouissant d’un statut indépendant agissant dans le cadre ordinaire de leur propre activité. Il en est autrement pour les agents itinérants. Ils ne sont pas, je pense, aussi indépendants que le sont les agents d’American Income Life Insurance Company. Toutefois, je n’ai pas à tirer une conclusion définitive quant à leur statut pour décider si les Chevaliers de Colomb ont un établissement stable d’un agent dépendant. La question de l’établissement stable d’un agent dépendant est tranchée à la suite de l’examen de l’exercice habituel des pouvoirs de conclure des contrats. Je suis d’avis que ni l’agent principal, ni les agents généraux, ni les agents itinérants, même si l’un ou l’autre était dépendant, n’exercent de tels pouvoirs.

 

[51]         L’intimée avance qu’il y a trois contrats qui peuvent satisfaire aux critères énoncés dans la Convention en ce qui a trait à ce qui peut habituellement être exercé par des agents :

 

(i)      le contrat d’assurance permanente lui-même;

(ii)      la convention d’assurance provisoire;

(iii)     les contrats par lesquels les agents généraux s’assurent des services d’agents itinérants.

 

Le recrutement d’agents itinérants

 

[52]         Je vais d’abord traiter du dernier contrat, étant donné qu’il peut facilement être écarté. Le contrat en vertu duquel des agents itinérants sont engagés n’est pas un contrat constituant les activités propres des Chevaliers de Colomb. Les contrats constituant les activités propres sont des contrats pour la vente d’assurance. Au paragraphe 33 des commentaires de l’OCDE, ce type de pouvoir de conclure des contrats est expressément mentionné :

 

Il importerait peu, par exemple, que la personne ait le pouvoir d’engager du personnel pour l’entreprise afin de l’aider dans les activités qu’elle exerce pour l’entreprise […].

 

[53]         En outre, je suis d’avis que de toute façon l’embauche d’agents itinérants n’est pas conclue par les agents généraux. La preuve établissait que tous les agents itinérants devaient faire l’objet d’une sélection par les Chevaliers de Colomb, et même si tous les agents éventuels présentés par M. Gall étaient approuvés, il y avait tout de même une procédure qui empêchait expressément les agents généraux de conclure ces contrats : les contrats étaient conclus à New Haven.

 

Les contrats d’assurance permanente

 

[54]         L’intimée soutient que les contrats d’assurance permanente sont conclus au Canada par les agents itinérants parce que les agents sollicitaient et prenaient des propositions d’assurance qui étaient ordinairement approuvées. L’intimée appuie sa thèse à cet égard sur le paragraphe 32.1 des commentaires de l’OCDE :

 

Par exemple, on peut considérer qu’un agent possède le pouvoir effectif de conclure des contrats lorsqu’il sollicite et reçoit les commandes (sans les finaliser de manière formelle), lesquelles sont envoyées directement à un entrepôt d’où sont livrées les marchandises, et lorsque l’entreprise étrangère ne fait qu’approuver les transactions de façon routinière.

 

[55]         Je respecte la position de l’intimée, mais je ne la partage pas. Les commentaires renvoient à la livraison de marchandises. Le processus de souscription intervenant dans l’approbation des propositions d’assurance est loin du processus qui consiste à préparer des commandes dans un entrepôt pour la livraison de marchandises. En outre, j’estime qu’il est inexact de décrire un pourcentage d’approbation de propositions de 90 p. 100 comme une approbation routinière. Il n’y a rien de routinier dans les enquêtes complexes et détaillées de nature médicale qui font partie du processus de proposition, lesquelles ont été élaborées à New Haven et non par les agents itinérants. Même à l’égard des 90 p. 100 des propositions qui étaient approuvées, comme le Dr Conforti l’a souligné, un bon nombre d’entre elles nécessitait quand même des enquêtes plus approfondies qui étaient enclenchées à New Haven.

 

[56]         L’intimée a reconnu qu’environ 8 p. 100 des propositions ne sont pas approuvées de façon routinière. Toutefois, toutes les propositions font l’objet de la même vérification. Cette vérification, peu importe le résultat, ne peut pas être considérée comme une approbation de routine.

 

[57]         L’intimée soutient en outre que « conclure un contrat » comporte plus qu’une formalité de nature légale. Cela peut signifier une négociation, non pas une négociation de chacune des clauses, mais lorsqu’il s’agit d’un contrat normalisé, cela peut signifier l’utilisation de la persuasion et la discussion. Selon ce que soutient l’intimée, c’est ce que l’agent itinérant fait. L’article 33 des commentaires de l’OCDE énonce ce qui suit à propos de la conclusion des contrats :

 

Une personne autorisée à négocier tous les éléments et détails d’un contrat de manière à obliger l’entreprise peut être considérée comme exerçant ses pouvoirs « dans cet État », même si le contrat est signé par une autre personne dans l’État où est située l’entreprise ou si la première personne n’a pas reçu formellement un pouvoir de représentation. Toutefois, le simple fait qu’une personne ait assisté ou même participé à des négociations dans un État entre une entreprise et un client ne suffit pas en lui-même pour conclure que la personne a exercé dans cet État le pouvoir de conclure des contrats au nom de l’entreprise.

 

[58]         On ne m’a pas convaincu que ce que font les agents itinérants c’est de la négociation dans la mesure envisagée par ce commentaire, lorsqu’il renvoie à tous les éléments et détails d’un contrat, même dans les cas où il s’agit de ce que l’intimée appelle un contrat normalisé. C’est le siège social à New Haven qui établit la forme et le contenu du contrat d’assurance permanente. Certains de ces détails sont établis à l’avance et certains sont établis par suite du processus de souscription. La participation des agents itinérants à la présentation des produits des Chevaliers de Colomb ne s’étend pas à la négociation des détails de ces produits. Franchement, je vois leur rôle comme correspondant plus à celui d’un technicien qu’à celui d’un négociateur de contrat. Même si je voyais les activités des agents itinérants comme une certaine forme de négociation, le commentaire établit clairement qu’il se peut qu’une participation à de la négociation ne soit pas suffisante. Dans ces circonstances, je conclus que les activités des agents itinérants ne sont pas en fait suffisantes pour qu’il s’agisse de conclusion d’un contrat. Ils n’ont simplement pas un contrôle quant aux détails du contrat.

 

[59]         Il est indiscutable que les contrats d’assurance permanente ne deviennent légalement contraignants qu’une fois que les Chevaliers de Colomb à New Haven ont achevé le processus de souscription : le contrat est conclu aux États-Unis. L’agent sollicite des propositions, les propositions sont examinées à New Haven et c’est à New Haven que le contrat est parachevé.

 

Les conventions d’assurance provisoire

 

[60]         Il reste à traiter de la convention d’assurance provisoire. Si je conclus, comme je l’ai fait dans American Income Life Insurance Company c. Sa Majesté la Reine[4], que la convention d’assurance provisoire et l’assurance permanente constituent un seul contrat, alors, pour les motifs que je viens tout juste d’énoncer dans la section précédente, l’intimée ne peut avoir gain de cause quant à sa prétention. Cela n’est que si je conclus que la convention d’assurance provisoire est un contrat séparé que je dois alors examiner la question de savoir si les agents itinérants exerçaient en fait habituellement les pouvoirs permettant de conclure la convention d’assurance provisoire. Fait intéressant, l’avocat de l’intimée a adopté la position voulant que la convention d’assurance provisoire et l’assurance permanente soient en fait un contrat, mais, de façon subsidiaire, il a fait valoir son point de vue si je concluais que la convention d’assurance provisoire est un contrat séparé.

 

[61]         La convention d’assurance provisoire fait-elle partie intégrante du contrat d’assurance permanente? Aucune des parties n’a traité de cette question en détail, contrairement à la situation dans American Income Life Insurance dans laquelle la question a été traitée à fond. Dans l’affaire American Income Life, j’ai conclu que le reçu conditionnel (équivalent à la convention d’assurance provisoire des Chevaliers de Colomb) n’était pas un contrat séparé, mais faisait partie du contrat d’assurance permanente. Bien que le libellé de la convention d’assurance provisoire soit différent du reçu conditionnel dans American Income Life, la couverture dépend toujours de l’achèvement favorable du processus de souscription. La convention d’assurance provisoire ne contient pas le même libellé que contenait le reçu conditionnel de l’American Income Life qui prévoyait expressément que [traduction] « la totalité du contrat consiste en la proposition et en la police ». Toutefois, il était clair selon les représentants des Chevaliers de Colomb qu’une réclamation présentée en vertu de la convention d’assurance provisoire ne pouvait être acceptée que si le proposant était approuvé pour une assurance permanente par suite du processus de souscription; en effet, si aucune assurance permanente n’était fournie, on ne pouvait prétendre avoir une assurance provisoire. La convention d’assurance provisoire ne peut exister par elle-même. Le proposant paie une prime pour une couverture permanente, non pour une couverture provisoire; une couverture provisoire résulte d’une souscription acceptée, bien qu’elle soit en vigueur à la date de la proposition. À cet égard, elle fait partie intégrante de l’assurance permanente et il s’agit seulement d’une question du moment de l’entrée en vigueur de la couverture en cause et non d’une question d’un certain contrat d’assurance séparé. J’adopte en outre les motifs que j’ai énoncés dans la décision American Insurance Life sur ce point pour conclure que la convention d’assurance provisoire n’est pas un contrat séparé. Toutefois, étant donné que les parties ont traité de la question comme si l’assurance provisoire était un contrat séparé, je vais faire de même.

 

[62]         L’appelante soutient d’abord que la convention d’assurance provisoire n’est aucunement un contrat, mais qu’il s’agit plutôt d’une forme de cadeau promotionnel. Bien que je convienne qu’il s’agit d’un outil promotionnel, je ne partage pas l’opinion selon laquelle il ne s’agit pas d’un contrat. Un cadeau promotionnel suppose qu’il y a absence de contrepartie; pourtant le proposant doit effectivement fournir quelque chose pour obtenir une couverture d’assurance provisoire. Le proposant doit fournir la proposition ainsi que la prime initiale. Manifestement, les Chevaliers de Colomb se sentent liés et ils conservent une certaine contrepartie pour couvrir les frais afin de satisfaire à leur obligation. La prime initiale elle-même est une contrepartie pour l’assurance permanente, mais la proposition entièrement remplie est la contrepartie pour l’assurance provisoire. Tous les éléments d’un contrat sont en place pour faire en sorte que la convention d’assurance provisoire constitue un contrat. Cela peut faire partie de la proposition comme une forme de motivation pour le proposant ou, comme M. Smith l’a dit, pour simplement être compétitif dans l’industrie, mais cela ne fait pas qu’il s’agisse d’autre chose que d’un contrat.

 

[63]         Les agents itinérants concluaient-ils des conventions d’assurance provisoire? L’intimée soutient que, puisque les Chevaliers de Colomb sont obligés de fournir l’assurance provisoire, après que les agents ont accepté la proposition du proposant ainsi que la prime initiale, les agents ont effectivement « conclu » un contrat. L’appelante soutient que, puisque les agents itinérants n’ont pas le pouvoir ou la capacité de modifier, d’ajouter ou d’enlever quelque modalité de la convention d’assurance provisoire – une proposition au proposant par les Chevaliers de Colomb à prendre ou à laisser – on ne peut pas dire que les agents itinérants ont « conclu » le contrat.

 

[64]         Que faisaient les agents itinérants relativement à la convention d’assurance provisoire? Fondamentalement, ils la présentaient aux proposants comme une mesure incitative à demander une assurance permanente. Si vous présentez une demande d’assurance permanente auprès des Chevaliers de Colomb, ils vous fourniront cette couverture provisoire jusqu’à l’approbation de l’assurance permanente. Oui, les Chevaliers de Colomb étaient liés au moment où l’agent itinérant prenait la proposition et les primes initiales (ou un peu plus tard selon les examens médicaux), mais ce n’est pas l’agent itinérant qui les liait. Les Chevaliers de Colomb étaient liés par les modalités mêmes du contrat présenté au proposant, modalités élaborées par les Chevaliers de Colomb et non modifiables par l’agent itinérant. Par rapport à l’assurance provisoire, l’agent itinérant était simplement le messager. Contrairement à la couverture d’assurance permanente, ce pour quoi le proposant présente une demande, et qui n’est pas complète jusqu’à l’achèvement du processus de souscription, l’assurance provisoire est en vigueur immédiatement. Il s’agit effectivement d’une offre qui lie les Chevaliers de Colomb une fois que le proposant accepte en remplissant une proposition et en déposant la prime initiale auprès de l’agent itinérant. Mais à quoi les Chevaliers de Colomb sont-ils tenus? Ils sont tenus de poursuivre le processus de souscription, même après le décès du proposant, et de payer une réclamation de couverture provisoire. Le rôle de l’agent itinérant dans le processus entourant la convention d’assurance provisoire est minime. Je suis d’avis que l’agent itinérant ne conclut pas le contrat dans ces circonstances.

 

[65]         Si j’avais décidé que les agents itinérants concluent les contrats, il aurait fallu traiter de deux autres questions. D’abord, le contrat pour l’assurance provisoire faisait-il partie des activités propres des Chevaliers de Colomb? Il s’agit d’une qualification additionnelle soulevée par les commentaires de l’OCDE et à laquelle aucune partie ne s’est opposée. De façon certaine, les Chevaliers de Colomb se livraient à l’activité de la vente d’assurance-vie, et l’assurance provisoire était de l’assurance-vie. Mais cette couverture provisoire doit être mise en contexte : il s’agissait de quelque chose que les Chevaliers de Colomb offraient pour être compétitifs. Il s’agissait d’une mesure incitative pour obtenir une proposition d’assurance permanente. Bien que j’aie conclu qu’il ne s’agissait pas légalement d’un cadeau, étant donné qu’il y avait une certaine contrepartie, il s’agissait pour l’entreprise d’un produit promotionnel donné par les Chevaliers de Colomb. La prime initiale était pour l’assurance permanente; ce n’est que si le proposant décédait avant l’approbation finale et que les Chevaliers de Colomb devaient payer en vertu de la convention d’assurance provisoire, et par conséquent qu’ils conservaient une partie de la prime, que la prime pouvait être considérée comme se rapportant à la convention d’assurance provisoire. Le Dr Conforti a clairement affirmé toutefois que le prix de l’assurance n’était pas influencé par la couverture d’assurance provisoire. Je tire de cette affirmation que les Chevaliers de Colomb ne vendaient pas de l’assurance provisoire. Ils récupéraient simplement à même la prime initiale certains coûts se rapportant à l’administration d’une réclamation. L’appelante a décrit cette couverture comme une [traduction] « assurance vendue à perte ». Je ne crois pas que cela soit précisément exact. Cela suppose que l’assurance provisoire fait partie de ce que les Chevaliers de Colomb vendent, une portion qui n’est simplement pas rentable. Je pense que le portrait le plus vrai est celui que les Chevaliers de Colomb n’exploitent pas une entreprise de vente d’assurance provisoire; ils fournissent de l’assurance provisoire seulement à titre de mesure incitative. Cette mesure incitative aurait facilement pu être une croisière de cinq jours. Je suis d’avis que la couverture d’assurance provisoire, comme forme de mesure incitative, n’est pas une des activités propres des Chevaliers de Colomb plus que le serait la croisière si elle avait été la mesure incitative. Je suis d’avis qu’il n’y a pas d’établissement stable d’un agent dépendant, même s’il avait été décidé que les agents disposaient des pouvoirs permettant de conclure des conventions d’assurance provisoire, et même en tenant pour acquis que ces conventions étaient des contrats séparés.

 

[66]         J’aimerais toutefois traiter de la deuxième question qui serait soulevée si j’avais décidé que les agents itinérants concluaient des contrats d’assurance provisoire, et si cette assurance provisoire est considérée comme faisant partie des activités propres des Chevaliers de Colomb. La question consiste à savoir si les activités des agents itinérants ont simplement un caractère préparatoire ou auxiliaire et, par conséquent, suivant l’alinéa V(6)e), si elles sont insuffisantes pour constituer un établissement stable d’un agent dépendant. Il s’agit d’une enquête plus large que celle consistant simplement à examiner les activités des agents itinérants en rapport avec la convention d’assurance provisoire. Il faut, pour qu’il soit réputé suivant le paragraphe V(6) que l’agent itinérant n’est pas un établissement stable réputé, conclure que l’agent itinérant est engagé « seulement dans l’exercice de l’une ou de plusieurs » des activités énumérées. D’un différent point de vue, l’agent itinérant est-il engagé dans l’exercice de quelque activité autre que celles énumérées au paragraphe V(6)? Si oui, alors il s’ensuit que l’agent n’était pas engagé seulement dans l’exercice des activités énumérées. Le libellé de la Convention Canada - États-Unis et celui du Modèle de l’OCDE sont différents cet égard. La disposition contenue dans la Convention Canada - États-Unis s’applique à l’établissement stable par une installation fixe d’affaires et à l’établissement stable d’un agent dépendant. La disposition de l’OCDE s’applique à un établissement stable par une installation fixe d’affaires, mais seulement à un établissement stable d’un agent dépendant si les activités sont exercées par l’intermédiaire de l’établissement stable par l’installation fixe d’affaires. La nature déformée de l’interaction entre les paragraphes de ces conventions est parfois tortueuse.

 

[67]         Le libellé de la Convention Canada - États-Unis ne semble pas permettre la limitation de l’analyse des activités des agents itinérants à leurs activités en lien avec la convention d’assurance provisoire seulement. La convention d’assurance provisoire, par elle-même, pourrait bien être considérée comme un outil promotionnel pour entrer dans la catégorie de « la publicité […] ou des activités analogues de caractère préparatoire ou auxiliaire ». Mais cette conclusion en elle-même est insuffisante pour qu’un agent itinérant soit réputé ne pas être un établissement stable. Le libellé du paragraphe V(6) exige que soient examinées plus largement toutes les activités des agents itinérants pour établir si toutes leurs activités sont de la nature énoncée à la liste contenue au paragraphe V(6). Il faut garder en tête, à la présente étape, que j’examine encore l’application du paragraphe V(6) à l’établissement stable d’un agent dépendant, non à l’établissement stable par une installation fixe d’affaires. En appliquant le paragraphe V(6) à un établissement stable d’un agent dépendant, on ne peut que considérer qu’un agent qui dispose des pouvoirs permettant de conclure un contrat pour les activités propres du non-résident peut encore être engagé seulement dans l’exercice d’activités préparatoires ou auxiliaires. Comment les activités d’un agent peuvent-elles n’être que préparatoires ou auxiliaires si l’agent peut en fin de compte conclure les contrats mêmes des activités propres du mandant. Les commentaires de l’OCDE apportent peu d’aide étant donné que le Modèle de l’OCDE s’applique seulement aux activités d’un agent dépendant si elles sont exercées par l’intermédiaire d’une installation fixe d’affaires, ce qui fait intervenir des considérations tout à fait différentes. C’est à cette étape, l’une des nombreuses étapes, que j’ai une meilleure appréciation de la théorie de la relativité de M. Innes.

 

[68]         Les agents itinérants font-ils quelque chose de plus que les activités énumérées au paragraphe V(6)? Ils prennent contact avec les membres des Chevaliers de Colomb, prennent des rendez-vous pour les rencontrer, discutent des produits d’assurance offerts par les Chevaliers de Colomb avec les membres et établissent s’il y a un produit qui répond aux besoins et au profil du membre, obtiennent des propositions et des primes initiales et transmettent le tout aux Chevaliers de Colomb à New Haven. Heureusement, compte tenu de mes conclusions selon lesquelles aucun contrat n’est conclu, et même si un contrat avait été conclu, il ne s’agit pas des activités propres des Chevaliers de Colomb, et je n’ai pas à régler la question de la nature auxiliaire ou préparatoire de ces activités. Toutefois, j’ai effectivement certaines préoccupations que, si l’agent itinérant est considéré comme ayant conclu le contrat pour les activités propres des Chevaliers de Colomb, il serait difficile de conclure que toutes ces activités ont simplement un caractère préparatoire ou auxiliaire. On m’a renvoyé à des commentaires contenus dans l’arrêt Western Union Financial Service Inc. v. Additional Director of Income Tax[5], mais cette affaire traitait de la nature préparatoire ou auxiliaire des activités dans le contexte d’un établissement stable par une installation fixe d’affaires, et n’était pas utile dans le contexte qui n’est soumis.

 

[69]         Ainsi, mes conclusions font qu’il n’est aucunement nécessaire de traiter de la question de savoir si les agents au Canada jouissaient d’un statut indépendant et agissaient dans le cadre ordinaire de leur activité (paragraphe V(7)). Toutefois, j’aimerais faire un commentaire sur l’interaction entre le paragraphe V(5) et le paragraphe V(7). J’interprète de la façon suivante le langage quelque peu maladroit de ces paragraphes. Si on conclut que l’agent est dépendant sur le plan légal et sur le plan économique, alors le paragraphe V(7) n’entre simplement pas en jeu, étant donné qu’il concerne seulement les agents jouissant d’un statut indépendant. Si les agents jouissent d’un statut indépendant, alors on doit se demander s’ils agissent dans le cadre ordinaire de leur propre activité. Comme je l’ai précédemment indiqué, je suis d’avis que les agents généraux et l’agent principal jouissent d’un statut indépendant et en outre qu’ils agissent dans le cadre ordinaire de leur activité. J’ai conclu que les agents itinérants, indépendamment du fait qu’ils soient ou non dépendants, ne disposent pas des pouvoirs permettant de conclure des contrats. La question de savoir quelle activité est exercée par les agents itinérants est importante pour déterminer l’établissement stable par une installation fixe d’affaires, dont je vais maintenant traiter.

 

L’établissement stable par une installation fixe d’affaires – paragraphe V(1)

 

[70]         La position de repli de l’intimée était que les Chevaliers de Colomb avaient un établissement stable par une installation fixe d’affaires. L’intimée s’appuyait dans une large mesure sur la décision du président Thorson dans l’arrêt Panther Oil & Grease Manufacturing Co. of Canada Ltd[6]. Comme je l’ai indiqué dans mes motifs dans la décision American Income Life, l’affaire Panther Oil est manifestement différente de la situation de l’application de la Convention Canada - États-Unis à des compagnies d’assurances comme American Income Life, ou aux Chevaliers de Colomb, qui exercent leur activité au Canada. En outre, la Cour suprême du Canada, dans un arrêt subséquent, Sunbeam Corporation (Canada) Ltd. v. Minister of National Revenue[7], se penchait sur le même règlement en litige dans l’affaire Panther Oil, et elle a tiré une conclusion différente de celle tirée dans l’arrêt Panther Oil quant à ce qui constituait un établissement stable par une installation fixe d’affaires. Une organisation bien établie qui se livre à la vente n’est pas suffisante pour constituer une succursale, et par conséquent un établissement stable. Je conclus de l’arrêt Sunbeam qu’il est nécessaire d’avoir une installation physique, non le simple réseau nébuleux d’agences. J’accorde peu d’importance à la décision rendue dans l’arrêt Panther Oil.

 

[71]         L’intimée soutient que, s’il est nécessaire d’avoir une installation physique, alors les bureaux des agents itinérants servent de telle installation physique étant donné qu’ils exercent effectivement l’activité qui consiste à vendre, qui constitue l’activité des Chevaliers de Colomb, à partir de leurs bureaux, malgré que les véritables sollicitations aient lieu presque entièrement dans les locaux des proposants, non dans ceux des agents. Selon l’intimée, on ne peut pas diviser ce que fait l’agent itinérant entre l’activité de l’agent (exercée seulement à partir de son bureau à la maison) et l’activité des Chevaliers de Colomb, exercée par l’entremise de l’agent ailleurs que dans son bureau à la maison.

 

[72]         Pour que le bureau de l’agent itinérant constitue un établissement stable par une installation fixe des Chevaliers de Colomb, il faut ce qui suit :

 

(i)      qu’il s’agisse d’une installation qui a une certaine stabilité;

(ii)      qu’il s’agisse d’une installation d’affaires;

(iii)     que l’activité des Chevaliers de Colomb soit exercée par l’intermédiaire de cette installation.

 

[73]         Je soulève seulement la question des bureaux des agents itinérants, étant donné que l’intimée n’a pas énergiquement soutenu que le bureau de l’agent principal ou ceux des agents généraux étaient des installations fixes d’affaires des Chevaliers de Colomb, et ce, à juste titre. Je suis d’avis que l’agent principal et les agents généraux n’exerçaient pas l’activité des Chevaliers de Colomb à partir de leurs bureaux, mais qu’ils exerçaient leur propre activité. Dans le cas de l’agent principal, son travail pour les Chevaliers de Colomb faisait partie de sa pratique de comptable indépendant. Quant aux agents généraux, leur activité consistait à créer un réseau d’agences : ils ne se livraient pas à la vente de l’assurance des Chevaliers de Colomb.

 

[74]         Les bureaux à la maison des agents itinérants constituent des installations stables, mais sont-ils des installations d’affaires? L’appelante soutient qu’ils ne le sont pas, étant donné qu’une installation d’affaires exige une activité d’entreprise d’un certain niveau minimal et type devant être menée à l’installation fixe. Je reconnais que la maison d’un individu ne serait pas normalement considérée comme une installation d’affaires lorsque seulement un nombre peu important d’activités de l’entreprise a lieu à la maison. Mais que font les agents itinérants des Chevaliers de Colomb à partir de leurs bureaux à la maison? Ils organisent leurs activités d’entreprise, prennent des dispositions pour des rencontres de sollicitations avec des proposants potentiels, conservent des dossiers, préparent des rapports et font ce que les gens qui travaillent à commission font, en plus de la véritable sollicitation face à face. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante lorsqu’elle dit qu’il s’agit d’un nombre peu important d’activités qui fait que le bureau à la maison ne constitue pas une installation d’affaires. Je conclus que les bureaux à la maison des agents itinérants étaient stables et constituaient des installations d’affaires.

 

[75]         La question d’un établissement stable par une installation fixe d’affaires doit être déterminée en examinant la troisième condition. L’activité des Chevaliers de Colomb était-elle exercée par l’intermédiaire des bureaux à la maison des agents itinérants? J’estime que c’est là que la preuve d’expert apporte la plus grande aide. M. Rosenbloom s’appuie sur les commentaires de l’OCDE pour conclure que le concept clé à l’égard cette question consistait à savoir si une installation est « à la disposition » de l’entreprise, les Chevaliers de Colomb. M. Rosenbloom a ensuite déclaré ce qui suit dans son témoignage :

 

[traduction]

Maintenant, je peux voir -- je pense que c’est une question qui n’est pas réglée. Je ne pense pas qu’il y ait de la jurisprudence à cet égard. Je peux voir quelqu’un qui dit que l’expression « à la disposition » signifie que les Chevaliers, en réalité un représentant des Chevaliers, doivent avoir un accès, mais je vous dis que je serais préoccupé par une situation dans laquelle, même si les Chevaliers n’avaient pas accès, l’installation était utilisée régulièrement pour exercer l’essentiel de l’activité des Chevaliers de Colomb.

 

[76]         M. Vann confirme cet appui sur le concept des locaux qui sont à la disposition de l’entreprise. Dans l’avis qu’il a présenté, il déclare ce qui suit :

 

[traduction]

La séparation claire entre les deux types d’établissements stables qui existe maintenant dans le Modèle de l’OCDE et dans le Modèle des Nations Unies exige qu’on fasse une distinction entre une installation fixe d’affaires de l’entreprise et une installation fixe d’affaires d’un agent dépendant de l’entreprise. Lorsque la séparation a eu lieu, cette distinction a été tirée en fonction de savoir si l’installation d’affaires était « à la disposition » de l’entreprise. […] Ce qui est clair c’est que l’installation fixe d’affaires doit être celle de l’entreprise, non celle d’un agent ou d’une entreprise associée.

 

[77]         En outre, dans son avis, après avoir cité les commentaires de l’OCDE, M. Vann clarifie la position de la façon suivante :

 

[traduction]

Il ressort de ces extraits qu’il est clair qu’une installation d’affaires d’un représentant d’une entreprise ne peut pas être une installation d’affaires de l’entreprise à moins que l’entreprise elle-même ou par l’entremise d’autres représentants ait accès à l’installation fixe d’affaires de plein droit et non simplement parce qu’il s’agit de l’installation d’affaires du représentant.

 

[78]         Il faut, pour que la résidence d’un agent itinérant soit considérée comme une installation fixe d’affaires des Chevaliers de Colomb, que les Chevaliers de Colomb aient un droit de disposition de ces locaux. Un droit de disposition n’est pas un droit pour les Chevaliers de Colomb de vendre la maison de l’agent. Les Chevaliers de Colomb pourraient être considérés comme ayant les locaux des agents à leur disposition, par exemple, s’ils payaient toutes les dépenses liées aux locaux, exigeaient que les agents aient ce bureau à la maison et prévoyaient ce que le bureau doit contenir, et en outre exigeaient que les rencontres avec des clients aient lieu au bureau à la maison et qu’en fait les rencontres avec les membres des Chevaliers de Colomb avaient lieu à cet endroit. Dans de telles circonstances, même si les Chevaliers de Colomb n’avaient pas une clé des locaux, les locaux pourraient être considérés comme étant à leur disposition. Cela serait compatible avec les commentaires de M. Rosenbloom.

 

[79]         Cela revient à faire la distinction entre les activités d’entreprise des agents et les activités d’entreprise des Chevaliers de Colomb. Si un nombre suffisant des activités d’entreprise des Chevaliers de Colomb sont exercées aux bureaux à la maison des agents, alors la condition voulant que les locaux soient à la disposition des Chevaliers de Colomb serait remplie. L’intimée soutient que les activités des agents ne peuvent pas être séparées – toutes leurs activités visent à obtenir une proposition, et il s’agit de l’activité des Chevaliers de Colomb. Je ne suis pas d’accord avec l’intimée.

 

[80]         Une fois qu’il a été établi que les agents itinérants sont des entrepreneurs indépendants, ce qui a été admis, à savoir qu’ils exploitent une entreprise pour leur propre compte, alors il est illogique de conclure que toute l’organisation et tout le maintien de dossiers qu’ils effectuent à la maison sont autre chose que les activités de leur propre entreprise. Les Chevaliers de Colomb n’ont aucun droit de disposer à l’égard de ces locaux. L’argument voulant que le paiement d’une commission pour des dépenses crée un tel droit n’est pas fondé. Une commission pour des dépenses est simplement une commission additionnelle qui n’a aucun lien avec les dépenses réelles, qui sont totalement supportées par l’agent. De même, les agents n’emploient pas du personnel des Chevaliers de Colomb, n’arborent pas d’enseigne des Chevaliers de Colomb sur leur propriété, ne sont pas soumis au contrôle des Chevaliers de Colomb quant à ce que le bureau à la maison doit contenir, et ne donnent simplement pas un accès aux Chevaliers de Colomb. Les agents ne rencontrent pas des proposants dans les locaux[8]. Les Chevaliers de Colomb ne prennent aucune décision opérationnelle à l’égard des locaux des agents itinérants. Il n’y avait pas de dirigeant, d’administrateur ou d’employé des Chevaliers de Colomb qui allait même visiter les bureaux à la maison des agents, encore moins qui y avait quelque accès régulier. Tous les risques liés à l’exercice des activités du bureau à la maison sont supportés par les agents eux-mêmes. Les agents n’exercent pas l’essentiel de l’activité des Chevaliers de Colomb à partir de ces locaux. On ne peut pas par conséquent considérer que leurs locaux sont un établissement stable par une installation fixe d’affaires.

 

[81]         Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner le paragraphe V(6) dans le contexte de l’analyse d’un établissement stable par une installation fixe d’affaires, compte tenu de ma conclusion, si j’avais eu à examiner l’application du paragraphe V(6) au paragraphe V(1), j’aurais conclu qu’il s’appliquait effectivement pour faire en sorte que les bureaux des agents itinérants soient réputés ne pas être des établissements stables. Contrairement à l’analyse de l’établissement stable d’un agent dépendant, dans laquelle j’ai examiné le paragraphe V(6) à la lumière de toutes les activités des agents, pas seulement des activités exercées à partir du bureau à la maison, en appliquant le paragraphe V(6) à une installation fixe, seules les activités à l’installation fixe (le bureau à la maison) doivent être examinées. Les activités des agents itinérants exercées à partir de la maison consistent, je crois, seulement à de l’entreposage, à la collecte de renseignements, à la fourniture de renseignements et à des activités auxiliaires ou préparatoires analogues.

 

[82]         En se fondant sur le paragraphe 7 de l’article V de la Convention Canada - États-Unis, l’appelante a soutenu que les bureaux d’un agent indépendant ne peuvent pas constituer un établissement stable par une installation fixe d’affaires. Compte tenu de mes conclusions, je n’ai pas à traiter de cet argument. Je souhaite toutefois faire un commentaire selon lequel, en dépit de l’avis de M. Rosenbloom, je conclus que le paragraphe V(7) ne semble pas entrer en jeu à l’égard du paragraphe V(1) quant à un établissement stable par une installation fixe d’affaires. Comme il ressort clairement de l’analyse quant à l’installation fixe d’affaires, il y a dans cette analyse un facteur inhérent quant à la question de savoir quelle activité exerce l’agent à partir de son bureau à la maison. Il m’apparaît redondant d’avoir à renvoyer au paragraphe V(7) dans ce contexte : la question a déjà été traitée. J’interprète le rôle du paragraphe V(7) comme se rapportant à l’établissement stable d’un agent dépendant ou à l’établissement stable réputé d’un agent dépendant. Franchement, malgré les points de vue des experts selon lesquels chaque mot de ces conventions a été scrupuleusement négocié, mon impression est que les mots ne sont pas des balises de clarté. C’est peut-être là le risque découlant du fait qu’une douzaine de négociateurs négocient en plusieurs langues le Modèle de l’OCDE, puis du fait que deux pays essaient d’adopter ce modèle à leur situation – il en résulte un chameau plutôt qu’un cheval.

 

Les inférences tirées de l’absence d’une clause d’assurance

 

[83]         Finalement, je souhaite traiter du deuxième domaine pour lequel j’estime que les points de vue des experts sont précieux, à savoir l’importance de l’absence d’une clause d’assurance dans la Convention Canada - États-Unis. La clause d’assurance contenue dans le Modèle des Nations Unies prévoit qu’une entreprise d’assurances étrangère est réputée avoir un établissement stable dans l’autre État si l’assureur étranger perçoit des primes ou si l’assureur étranger assure des risques dans l’autre État par l’entremise d’une personne autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant. Cela déplace manifestement l’accent sur le statut d’agent dépendant par rapport au statut d’agent indépendant. En effet, il n’est pas suffisant pour se soustraire à l’assujettissement au Canada qu’il s’agisse d’un agent dépendant qui ne dispose pas des pouvoirs permettant de conclure des contrats. Si des primes sont perçues ou si des risques sont assurés par l’entremise d’un agent dépendant, la clause d’assurance créerait un assujettissement au Canada. La Convention Canada - États-Unis ne contient pas cette disposition, que les Nations Unies ont incluse étant donné qu’elles avaient le sentiment que le Modèle de l’OCDE n’était pas approprié pour traiter de la façon selon laquelle l’industrie de l’assurance exerce ses activités. Aucun des experts n’a avancé que le Canada a omis d’inclure cette clause parce que le gouvernement canadien croyait que les dispositions actuelles de la Convention étaient appropriées pour imposer les compagnies d’assurances américaines qui exercent des activités au Canada par l’entremise d’agents canadiens. En fait, c’est plutôt le contraire. Comme le professeur Arnold l’a expliqué (voir le paragraphe 45), on peut tenir pour acquis que le gouvernement américain et le gouvernement canadien, en reconnaissant le principe de la réciprocité des conventions fiscales, aient envisagé que d’importantes activités d’entreprise en matière d’assurance puissent avoir lieu dans l’autre pays sans assujettissement à l’impôt.

 

[84]         Au cours de plusieurs années, le Canada a eu de nombreuses occasions d’ajouter la clause d’assurance à la Convention Canada - États-Unis, mais il a choisi de ne pas le faire. Il a inclus cette clause dans d’autres conventions. J’estime que les inférences appuient d’une manière extraordinaire la conclusion que j’ai tirée à l’égard de l’interprétation des dispositions actuelles de la Convention. Les Chevaliers de Colomb peuvent effectivement exercer une activité importante au Canada sans établir un établissement stable, et ainsi ne pas être assujettis à l’impôt au Canada.

 

[85]         En résumé, l’appel de l’appelante est accueilli et les cotisations sont annulées au motif que les Chevaliers de Colomb n’exerçaient pas au Canada leur activité par l’intermédiaire d’un établissement stable, qu’il s’agisse d’un établissement stable par une installation fixe d’affaires ou d’un établissement stable d’un agent dépendant. Il n’a pas été démontré que l’une ou l’autre des formes d’établissement stable existait. Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de février 2009.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe « A »

Article V – Établissement stable

1.         Au sens de la présente Convention, l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle un résident d’un État contractant exerce tout ou partie de son activité.

 

2.         L’expression « établissement stable » comprend notamment :

 

a) Un siège de direction;

 

b) Une succursale;

 

c) Un bureau;

 

d) Une usine;

 

e) Un atelier; et

 

f)Une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles.

 

3.         Un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable si et uniquement si sa durée dépasse douze mois.

 

4.         L’utilisation, dans un État contractant, d’une tour de forage ou d’un navire pour explorer ou exploiter les ressources naturelles constitue un établissement stable si et uniquement si une telle utilisation est pour plus de trois mois au cours de toute période de douze mois.

 

5.         Une personne agissant dans un État contractant pour le compte d’un résident de l’autre État contractant - autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 7 - est considérée comme un établissement stable dans le premier État si cette personne dispose dans cet État de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom du résident.

 

6.         Nonobstant les dispositions des paragraphes 1, 2 et 5, on considère qu’il n’y a pas « établissement stable » lorsqu’une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins de, ou une personne visée au paragraphe 5 est engagée seulement dans, l’exercice de l’une ou de plusieurs des activités suivantes :

 

a)         L’usage d’installations aux fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant au résident;

 

b)         L’entreposage de marchandises appartenant au résident aux fins de stockage, d’exposition ou de livraison;

 

c)         L’entreposage de marchandises appartenant au résident aux fins de transformation par une autre personne;

 

d)         L’achat de marchandises ou la collecte d’informations pour le résident; et

 

e)         La publicité, la fourniture de renseignements, la recherche scientifique ou des activités analogues de caractère préparatoire ou auxiliaire, pour le résident.

 

7.         Un résident d’un État contractant n’est pas considéré comme ayant un établissement stable dans l’autre État contractant du seul fait qu’il y exerce son activité par l’entremise d’un courtier, d’un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d’un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

 

8.         Le fait qu’une société qui est un résident d’un État contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l’autre État contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l’intermédiaire d’un établissement stable ou non) ne suffit pas à faire de l’une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l’autre.

 

9.         Au sens de la Convention, les dispositions du présent article s’appliquent pour déterminer si une personne quelconque a un établissement stable dans un État.

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI307

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2007-2033(IT)G; 2007-3490(IT)G

 

INTITULÉ :                                       KNIGHTS OF COLUMBUS ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 14, 15, 16, 17 et 18 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me William I. Innes, Me Chia‑yi Chua

et Me Brendan Bissell

Avocats de l’intimée :

Me Marie-Thérèse Boris et Me Justin Kutyan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Noms :                    Me William I. Innes et Me Chia‑yi Chua

 

                            Cabinet :                Fraser Milner Casgrain LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           [1994] 2 R.C.S. 9.

 

[2]           [1994] 3 R.C.S. 551.

 

[3]           [1995] 2 R.C.S. 802.

[4]           2008CCI306.

[5]           (2006) 8 ITLR 1067 (Tribunal fiscal d’appel de l’Inde).

[6]           61 D.T.C. 1222.

 

[7]           62 D.T.C. 1390 (C.S.C.).

[8]           Il y avait certains éléments de preuve selon lesquels il était possible qu’un agent ait rencontré des proposants à son bureau à la maison. Cela n’a aucune importance dans la vue d’ensemble du modus operandi des Chevaliers de Colomb et des agents itinérants de façon générale. Ce n’est pas suffisant pour conclure que les Chevaliers de Colomb avaient un établissement stable d’une installation fixe d’affaires.

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