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Dossier : 2007-4239(IT)I

ENTRE :

HENRY RACHFALOWSKI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 23 avril 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable D.G.H. Bowman, juge en chef

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Bonnie Boucher

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est admis et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, en vue de supprimer du revenu de l’appelant le montant de 2 047 $ versé au Barrie Country Club au titre des frais d’adhésion payés pour le compte de l’appelant.

 

          L’appelant a droit à ses dépens, le cas échéant, conformément au tarif.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

D.G.H. Bowman, juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


 

 

Référence : 2008CCI258

Date : 20080515

Dossier : 2007-4239(IT)I

ENTRE :

HENRY RACHFALOWSKI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Bowman

 

[1]     Le présent appel se rapporte à une cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 de l’appelant. Par cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus un montant de 2 047 $ dans le revenu de l’appelant, soit le montant des frais d’adhésion à un club de golf, le Barrie Country Club, pour l’année 2002, que l’employeur avait payés.

 

[2]     L’appelant a commencé à travailler pour Canada‑Vie en 1998 à titre de vice‑président, Service des placements. Il était responsable des placements américains. Dans le cadre de sa rémunération globale, il s’est vu offrir l’adhésion, aux frais de l’employeur, à un club de golf de son choix, à condition qu’il ait le privilège de pouvoir y prendre des repas toute l’année durant. L’appelant ne jouait pas au golf et il a demandé s’il pouvait obtenir l’équivalent en argent des frais d’initiation et des frais d’adhésion. Sa demande a été refusée. Il a demandé s’il pouvait devenir membre d’un club de curling à la place du club de golf, mais cela n’était pas permis. Il affirme avoir essayé de refuser de devenir membre du club de golf, mais qu’on lui avait dit qu’il se ferait remarquer et qu’il aurait l’air d’un non‑conformiste ou d’un rebelle. Il a donc accepté de devenir membre du Barry Country Club. Les frais d’initiation d’environ 5 000 $ ont été payés par l’employeur ainsi que les frais d’adhésion pour chaque année jusqu’à l’année 2002 comprise. En 2002, les frais annuels s’élevaient à 2 047 $. Ce n’est qu’en 2002 que l’appelant a été assujetti à l’impôt pour son adhésion au club de golf. L’appelant utilisait parfois le club pour recevoir des clients et il est arrivé une ou deux fois qu’il joue au golf avec des clients, mais il y a renoncé parce qu’il jouait fort mal. Il a amené sa femme au club une ou deux fois et il a lui‑même payé les repas.

 

[3]     L’argument de l’appelant a essentiellement été énoncé comme suit dans son avis d’appel :

 

[traduction]

A.     Moyens invoqués

 

         •     C’était surtout l’employeur, la Compagnie d’Assurance du Canada sur la Vie, qui bénéficiait de l’adhésion;

         •     Pour qu’une valeur, un avantage économique ou un avantage économique matériel soit conféré au contribuable, celui‑ci doit en avoir en fait reçu un, ce qui n’est pas ici le cas;

         •     L’adhésion à un club de golf, lorsque le contribuable déteste le golf et ne joue pas au golf, n’est pas un avantage, contrairement à ce qui est le cas lorsqu’une voiture (même si elle n’est pas utilisée) ou une place de stationnement (même si elle n’est pas utilisée) est mise à la disposition du contribuable;

         •     La valeur d’une chose qui est reçue peut être fort différente de la valeur conférée;

         •     Dans ce cas‑ci, l’ARC a négligé les processus de cotisation, d’examen et d’opposition, qui ont par conséquent été retardés d’une façon indue, parce que l’ARC a supposé par erreur que le contribuable était partie à l’appel collectif interjeté par les employés de Canada‑Vie, ce qui n’était pas le cas. Par conséquent, le contribuable n’a pas obtenu en temps opportun de renseignements complets, exacts, et clairs et l’affaire n’a pas été traitée en temps opportun.

 

B.      Énoncé des faits pertinents à l’appui de l’appel :

 

         •     Le contribuable détestait le golf, ne pouvait pas jouer au golf et ne jouait pas au golf;

         •     Les quelques rares fois où les installations ont été utilisées, c’était pour des réunions du personnel de Canada‑Vie ou pour établir des contacts d’affaires pour Canada‑Vie;

         •     Le contribuable ne s’est pas vu offrir d’autre possibilité que l’adhésion au club de golf. En outre, en refusant d’y adhérer, le contribuable se serait mis à dos son patron et ses collègues, qui avaient tous accepté l’avantage.

 

[4]     Le fondement de la cotisation du ministre est énoncé au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel :

 

[traduction]

6.      En déterminant la dette fiscale de l’appelant pour l’année d’imposition 2002, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

            a)      l’appelant occupait un poste de direction en sa qualité de vice‑président, Service des placements, à Canada‑Vie (l’«employeur ») au cours de l’année d’imposition 2002;

 

            b)      la politique de l’employeur était de fournir l’adhésion à un club de golf aux employés qui occupaient le poste de vice‑président d’un service;

 

            c)      la lettre d’offre d’emploi que l’employeur remettait aux vice‑présidents mentionnait l’adhésion à un club sous le titre « Conditions applicables à la direction »;

 

            d)      la seule condition imposée aux vice‑présidents par l’employeur à l’égard de l’adhésion à un club de golf était que le club de golf devait offrir toute l’année durant une installation pour recevoir les clients et prendre des repas;

 

            e)      l’appelant était membre du Barrie Country Club;

 

            f)       les frais annuels exigés par le Barrie Country Club s’élevaient à 2 049 $;

 

            g)      l’employeur n’a pas inclus d’avantage imposable pour les frais d’adhésion au club, lesquels s’élevaient à 2 049 $, dans le revenu d’emploi de l’appelant pour l’année d’imposition 2002.

 

[5]     Cela est plus amplement énoncé dans la lettre de la Section des appels de l’Agence du revenu du Canada :

 

[traduction]

Analyse :

 

1.      Le programme d’adhésion n’est pas offert à tous les employés de Canada‑Vie.

2.      Le programme d’adhésion vous a été offert lorsque vous avez été promu au poste de vice‑président. Cet avantage a été conféré dans l’occupation de votre emploi. Il s’agissait d’un « à‑côté », d’un symbole et d’une preuve que le rang comporte des privilèges dans la structure d’entreprise; cela vous conférait un avantage économique.

3.      Le programme d’adhésion faisait partie de l’ensemble des avantages sociaux qui vous étaient conférés. Il vous était offert en tant que condition d’emploi, indépendamment de son utilisation dans le cadre des fonctions de votre emploi.

4.      Vous n’étiez pas tenu d’organiser toutes les réunions d’affaires formelles et informelles, toutes les réunions d’affaires internes ou tous les événements au club dont vous étiez membre. Vous pouviez choisir le lieu où vous rencontriez vos clients et vos collègues. Rien ne montre qu’il serait plus rentable de rencontrer au club vos clients, vos collègues ou les membres du personnel, plutôt que de les rencontrer dans d’autres installations offrant des services de restauration ou des salles de réunion. Vous choisissiez d’utiliser le club pour les réunions d’affaires formelles et informelles pour plus de commodité seulement.

5.      C’est vous qui êtes membre du club, plutôt que l’employeur. Vous pouvez choisir le club. Vous pouvez l’utiliser à des fins personnelles sans aucune restriction. Vous pouvez l’utiliser à votre guise et amener quelqu’un avec vous. L’avantage qu’offrait l’adhésion était une chose dont vous profitiez et cet avantage n’était pas transmis à votre employeur.

6.      Le maximum admissible à l’égard des frais d’initiation de 5 000 $ et les frais annuels de 2 047 $ ne sont pas des montants insignifiants. Il s’agit d’un avantage économique matériel qui vous est conféré.

7.      Rien ne montre qu’il y ait eu une augmentation possible du chiffre d’affaires et que l’image de Canada‑Vie ait été meilleure dans l’industrie des assurances du fait que le programme d’adhésion vous était offert, d’autant plus en particulier que vous n’utilisiez qu’à l’occasion le club pour jouer au golf avec vos clients.

8.      Le maintien de bonnes relations avec les contacts d’affaires du fait que vous les invitiez à prendre un repas ou à jouer au golf vous permettait d’accomplir votre tâche plus facilement. Cela était avantageux pour vous. Canada‑Vie n’a reçu aucun avantage monétaire quantifiable en échange de la fourniture du programme d’adhésion.

9.      Les tribunaux ont établi qu’un avantage est un avantage même lorsqu’il est conféré unilatéralement. Par conséquent, le fait que nous n’aimiez pas jouer au golf ne devrait pas être déterminant.

 

En conclusion, le programme d’adhésion était offert dans l’occupation de l’emploi. C’était surtout vous, plutôt que l’employeur, qui tiriez parti de l’adhésion au club de golf. En payant les frais d’adhésion, votre employeur vous conférait un avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi.

 

[6]     La présente affaire, qui est relativement peu importante, suscite une question de principe importante et difficile qui influe sur la manière dont les « avantages » sont imposés lorsqu’ils font partie de l’ensemble des conditions de travail et qu’ils sont conférés, et ce, peu importe que l’employé le veuille ou non.

 

[7]     Je citerai au départ la disposition législative applicable elle‑même. L’alinéa 6(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dans la mesure où il est pertinent, est rédigé comme suit :

 

(1)     Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

         aValeur des avantages — la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu’il a reçus ou dont il a joui au cours de l’année au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi, à l’exception des avantages suivants :

[...]

 

La version anglaise est rédigée comme suit :

(1)     There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable.

 

         (avalue of benefits — the value of board, lodging and other benefits of any kind whatever received or enjoyed by the taxpayer in the year in respect of, in the course of, or by virtue of an office or employment, except any benefit

...

 

[8]     Il doit donc y avoir un « avantage » (« benefit ») qui doit être reçu ou dont le contribuable a joui. Les mots « recevoir » ou « receive » ont des sens étendus bien établis. Le mot « enjoy » (jouir) est défini comme suit dans le Canadian Oxford Dictionary :

 

enjoy verb 1 transitive take delight or pleasure in. 2 transitive have the use or benefit of (something pleasant or advantageous). 3 transitive experience (enjoy good health). 4 intransitive esp. N. Amer. have an enjoyable experience. ? enjoy oneself experience pleasure. ? enjoyment noun [Old French enjoier give joy to or enjoïr enjoy, ultimately from Latin gaudère rejoice]

 

Le mot « jouir » a lui aussi deux sens en français. La définition du mot « jouir » figurant dans le Petit Robert est longue, mais le sens qui est selon moi le plus pertinent en l’espèce est le suivant :

 

JOUIR DE. 1. Avoir la possession (de qqch.). ð 1. avoir, bénéficier (de), posséder. Jouir d’une bonne santé, de toutes ses facultés, d’une grosse fortune, d’avantages. ð disposer. Ils « ne jouissent pas d’une grande considération » (Radiguet). — DR. Jouir d’un droit, en être titulaire. 2. PAR EXT. (CHOSES) Appartement qui jouit d’une belle vue.

 

Je crois que les mots « jouir de » ou « enjoy » à l’article 6 s’entendent du fait d’« avoir, [de] bénéficier (de), [de] posséder » ou, en anglais « have the use or benefit of ».

 

[9]     Toutefois, je ne crois pas que l’analyse puisse se borner au sens des mots « recevoir » ou « jouir de » (« receive » ou « enjoy »). Il est sans aucun doute pertinent de savoir si une chose qui est offerte, mais qui n’est pas utilisée ou dont un contribuable ne tire pas parti est reçue ou si le contribuable en jouit. Toutefois, l’analyse ne s’arrête pas là. La chose qui est reçue ou dont le contribuable jouit doit en premier lieu constituer un avantage. Selon moi, c’est sur ce point qu’il importe de se concentrer. Par conséquent, trois questions se posent : S’agit‑il d’un avantage? Cet avantage est‑il reçu ou le contribuable en jouit‑il? Quelle est la valeur de l’avantage? Ces trois questions ne font pas partie de catégories exclusives. Elles se confondent d’une façon imperceptible, de sorte que, dans un certain sens, elles deviennent des aspects différents d’une seule question.

 

[10]    Il s’agit donc de savoir dans quelles circonstances une chose qui fait partie de l’ensemble des conditions de travail offertes par l’employeur constitue réellement un avantage. Il est possible de répondre brièvement, mais malheureusement d’une façon plutôt insatisfaisante, en disant : « Il arrive parfois que ce soit un avantage et il arrive parfois que ce ne soit pas un avantage. Cela dépend des circonstances. »

 

[11]    J’accepte l’assertion de l’appelant lorsqu’il dit qu’il ne voulait pas être membre du club de golf, qu’il avait demandé l’équivalent en argent, ce qui lui avait été refusé, qu’il avait essayé de refuser carrément de devenir membre du club de golf et qu’on avait réussi à le convaincre de ne pas le faire parce qu’il se ferait remarquer, qu’il aurait l’air d’un non‑conformiste et que cela ne serait pas en harmonie avec la culture de l’entreprise. Je reconnais également que l’appelant a utilisé le club de golf à quelques reprises pour recevoir des clients et qu’il y a amené sa femme une ou deux fois pour un repas.

 

[12]    De nombreuses décisions ont été rendues au sujet de l’alinéa 6(1)a); ces décisions ne sont pas nécessairement faciles à concilier. En examinant la multitude de cas et de situations factuelles auxquels s’applique l’alinéa 6(1)a), je dirais que ces décisions appartiennent à deux catégories principales, à savoir celles dans lesquelles une interprétation libérale est donnée de l’« avantage » imposable et celles dans lesquelles une interprétation stricte est donnée.

 

[13]    À une extrémité du spectre, il y a la décision Dunlap v. The Queen, 98 DTC 2053, dans laquelle le juge Sarchuk a conclu que le fait pour un employé d’assister à une réception de Noël organisée par l’employeur constituait un avantage imposable. De même, dans la décision Faubert v. The Queen, 98 DTC 1380, il a été conclu que le remboursement par Revenu Canada de ce qu’il en avait coûté pour permettre à un vérificateur de suivre un cours de comptabilité constituait un avantage imposable.

 

[14]    À l’autre extrémité, il y a la décision Romeril v. The Queen, 99 DTC 221, dans laquelle le directeur général chez un concessionnaire General Motors était allé en Europe avec son épouse pour assister à un congrès. Le voyage comprenait une croisière et des visites touristiques. La Cour a conclu que la valeur du voyage ne constituait pas un avantage imposable, étant donné que le voyage se rattachait principalement à l’entreprise General Motors. Le juge Bowie a dit ce qui suit à la page 223 :

 

[8]  L’avocat m’a renvoyé à un certain nombre de décisions de notre cour et de la Cour fédérale quant à la question de savoir si la participation à un congrès particulier représentait un avantage imposable pour un employé. Comme la Cour d’appel fédérale l’a récemment fait remarquer, la réponse à cette question dépend en grande partie des faits. La question à laquelle un juge d’instance doit répondre dans chaque cas a été succinctement formulée comme suit par le juge Stone dans l’affaire Lowe :

 

[...] En l’espèce, il me semble que la question fondamentale est de savoir s’il s’agissait principalement, d’après les faits, d’un voyage d’affaires ou d’agrément. [...]

 

Cela ne signifie évidemment pas que des activités d’agrément qui sont normalement liées à des vacances et dont le contribuable profite durant un congrès d’affaires doivent être considérées comme un avantage, pourvu que l’aspect « affaires » prédomine.

 

[9]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée en l’espèce, je suis convaincu que la raison première de la participation de l’appelant à ce congrès était que cela faisait partie des fonctions qu’il devait remplir comme directeur général de CMP. [...]

 

[Renvois omis.]

 

[15]    L’affaire Lowe v. The Queen, 96 DTC 6226, dont le juge Bowie a fait mention, se rapportait également à l’imposabilité d’un voyage payé par l’employeur que le contribuable et sa femme avaient effectué. La Cour d’appel fédérale, en infirmant la décision de la Cour canadienne de l’impôt, a conclu que le voyage ne constituait pas un avantage imposable pour l’appelant. Voici ce que le juge Stone a dit (à la page 6230) :

 

[...] À la lumière de la jurisprudence existante, il me semble d’une part, qu’aucune portion des dépenses de voyage de l’appelant ne devrait être considérée comme un avantage personnel sauf si une telle portion représente une acquisition importante ou une valeur économique pour lui, et d’autre part que ladite portion ne devrait pas être considérée comme un avantage imposable au sens de l’alinéa 6(1)a) de la Loi si elle n’était qu’accessoire à ce qui constituait avant tout un voyage d’affaires. [...]

 

[16]    En rendant cette décision dans l’affaire Lowe, la Cour d’appel fédérale a mentionné la décision Hart v. The Queen, 82 DTC 6237, dans laquelle il était également question d’un voyage payé par l’employeur. Dans la décision Hart, la Cour d’appel a conclu que le voyage constituait un avantage imposable. Il est possible de faire une distinction superficielle entre les décisions Lowe et Hart, mais à vrai dire, ces décisions ne peuvent pas être conciliées et, selon moi, il n’est pas utile d’essayer de le faire. Dans la décision Pezzelato v. The Queen, 96 DTC 1285, à la page 1289, j’ai dit ce qui suit :

 

        Notre cour a été saisie d'un certain nombre d'affaires concernant des intérêts hypothécaires que, pour des employés à qui il avait demandé de déménager de Calgary à Toronto, l'employeur finançait en raison du coût accru de l'achat d'une maison à Toronto. Certains sinon l'ensemble des jugements rendus dans ces affaires ont été portés en appel devant la Cour d'appel fédérale. Je me bornerai à mentionner que, dans tous les cas sauf un (Krull), il a été statué que le financement des intérêts hypothécaires n'était pas imposable.

 

        De quel côté de la ligne se situe le cas de M. Pezzelato? Je ferai d'abord remarquer que je trouve les jugements Ransom, Splane, Phillips et Blanchard difficiles, voire impossibles à concilier. Il semblerait que la Cour d'appel fédérale ait éprouvé une difficulté semblable dans l'affaire Phillips. Le problème ne devient manifeste que lorsqu'on essaie d'extraire de chaque jugement un motif qui n'entre pas en conflit avec le motif qu'on extrait de chacun des autres. […]

 

[Renvoi omis.]

 

[17]    Au lieu d’essayer de trouver un lien commun cohérent dans ces décisions et dans la myriade d’autres affaires portant sur des avantages conférés à des employés, il faut bien reconnaître l’existence de divergences de vues philosophiques parmi les juges et que, même si l’expression « acquisition importante ayant conféré un avantage économique » utilisée dans un grand nombre de décisions paraît bien et a une tournure fortement judiciaire, le fait de répéter la chose ne saurait aucunement remplacer la question suivante : « Qu’est‑ce que l’employé a retiré du présumé avantage, qui devrait avoir pour effet d’augmenter son revenu? » Il s’agit d’une question pratique, pleine de bon sens, qui exige une réponse pratique pleine de bon sens.

 

[18]    Au cours de l’argumentation, j’ai parlé à l’appelant et à l’avocate de l’intimée du cas hypothétique de trois vice‑présidents d’une compagnie d’assurance, qui se voient tous offrir et qui acceptent de devenir membres d’un club de golf. L’un d’eux est un fervent adepte du golf et passe le plus de temps possible sur le terrain de golf. L’autre est un joueur indifférent qui utilise le club deux ou trois fois l’an. Le troisième ne joue pas au golf et n’utilise pas du tout le club. Je leur ai demandé si le traitement fiscal de chacun devrait être différent. L’avocate de l’intimée a répondu que le traitement devrait être le même parce que le critère applicable se rapporte au fait que l’avantage est offert, plutôt qu’à l’utilisation réelle de l’avantage. Je suis certain que tel est le point de vue orthodoxe du ministère, mais ce point de vue résiste‑t‑il à un examen approfondi? J’en doute sérieusement, si l’on se fonde sur le bon sens. J’ai une bonne idée de ce que notre ami, l’homme raisonnable, dirait probablement. Je pense que le point de vue le plus raisonnable veut que la valeur pour un contribuable particulier d’un avantage prévu à l’alinéa 6(1)a) soit établie sur une base individuelle, en fonction de l’utilisation réelle, par opposition au fait que l’avantage est offert. Cette position est, je crois, conforme à la décision McGoldrick v. The Queen, 2003 DTC 1375 (C.C.I.), conf. par 2004 DTC 6407; 2006 DTC 2045, où il était question de l’imposabilité de la valeur de repas gratuits fournis à un employé. Le juge Malone, de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit (aux pages 6408 et 6409, 2004 DTC) :

 

[9]     En règle générale, toute acquisition matérielle liée à un emploi qui confère un avantage économique à un contribuable et ne constitue pas une exception tombe sous le coup de l’alinéa 6(1)a) (voir La Reine c. Savage, 83 DTC 5409, page 5414 (C.S.C.)). En l’espèce, l’avantage est l’argent épargné par le contribuable relativement à la préparation d’un repas ou à l’achat d’aliments aux machines distributrices du casino pendant ses heures de travail. Lorsqu’une chose est fournie à un employé principalement pour l’avantage de son employeur, cette chose ne constitue pas un avantage imposable si la satisfaction personnelle est tout simplement accessoire à la fin commerciale (voir Lowe c. La Reine, 96 DTC 6226, page 6230). La juge de la Cour de l’impôt a estimé que même si les repas ont été fournis à des fins commerciales, la satisfaction personnelle qu’en a retirée M. McGoldrick ne peut être considérée comme accessoire. Il s’agit là d’une conclusion de fait, et aucune erreur manifeste et dominante se fondant sur la preuve n’a été établie. En fait, M. McGoldrick a volontairement signé une autorisation concernant l’avantage imposable que constituent les repas d’employé au début de son emploi.

 

[10]      Dans sa plaidoirie, l’appelant a fréquemment fait remarquer qu’à son avis les repas ne valaient pas le montant de 4,50 $ par jour que lui a attribué l’employeur à titre d’avantage imposable. Ce montant était fondé sur le prix qu’il en coûte à l’employeur pour fournir les repas et les cadeaux des fêtes, y compris la TVQ et la TPS. Il a également indiqué que bien qu’on ait calculé un avantage imposable en se fondant sur le fait qu’il a pris un tel repas tous les jours où il a travaillé plus de cinq heures, en fait il a souvent refusé d’aller à la cafétéria. Et comme il vit seul, il a souvent refusé les dindes ou les jambons offerts à l’occasion de certaines fêtes.

 

[11]      Toutefois, il n’a pas soulevé de question quant au montant de cet avantage dans l’avis d’appel à la Cour de l’impôt. Devant la présente Cour, il a précisément fait remarquer qu’il limitait sa preuve et sa plaidoirie à la question de savoir si les repas et les cadeaux des fêtes constituaient un avantage imposable et il n’a pas traité du montant de l’avantage. Bien qu’il eût fort bien pu être capable de contester la valeur de l’avantage reçu si cette question avait été débattue devant la Cour de l’impôt, cela n’était pas le cas et, par conséquent, il ne pouvait faire valoir ce moyen d’appel. Bien entendu, cela ne l’empêche pas de s’opposer au montant des avantages imposables calculés pour les années subséquentes, s’il est toujours temps de déposer de telles objections.

 

[19]    M. McGoldrick s’est fondé sur la suggestion du juge Malone et il a interjeté appel d’une cotisation pour une année ultérieure. Le juge McArthur a été saisi de l’affaire et il a conclu que la valeur de l’avantage devait être réduite de moitié parce que M. McGoldrick avait tiré parti des repas offerts la moitié du temps seulement. Si ce raisonnement est appliqué au cas de M. Rachfalowski, l’avantage que celui‑ci tirait de l’adhésion au club de golf était au plus minime.

 

[20]    Une autre démarche qui serait peut‑être utile lorsque l’on tente de rationaliser les incohérences apparentes de la jurisprudence consiste à examiner le genre d’avantage qui est conféré.

 

          a)    Repas. En général, les repas sont imposables, mais ils ne le sont pas en cas de remboursement du coût des repas qu’un employé prend lorsqu’il se déplace pour vaquer aux affaires de l’employeur. Dans la décision McGoldrick, précitée, certaines remarques indiquent qu’il est possible de tenir compte de la valeur pour le contribuable de l’avantage en cause.

 

[21]    La question des repas et de l’hébergement s’est posée dans d’autres pays. Dans l’arrêt Arthur Benaglia v. Commissioner of Internal Revenue (1937), 36 B.T.A. 838, le Board of Tax Appeals américain a conclu que la valeur des chambres et des repas fournis à un directeur d’hôtel et à sa femme dans un hôtel de villégiature, à Hawaii, ne faisait pas partie de son revenu imposable parce qu’il devait vivre et prendre ses repas à l’hôtel pour s’acquitter de ses fonctions et que cela était fait parce que c’était plus commode pour l’employeur. Aux pages 839 et 840, le juge Sternhagen a dit :

 

[traduction]

      Compte tenu de la preuve, il n’y a absolument pas lieu de douter que le fait que le requérant vivait à l’hôtel ne constituait pas une rémunération pour ses services et que cela n’était pas fait parce que c’était plus commode pour lui, pour son confort ou pour son plaisir, mais uniquement parce qu’il n’y avait aucune autre façon de fournir les services exigés de lui. La preuve soumise tant par l’employeur que par l’employé montre en détail quelles étaient les tâches du requérant et pourquoi il fallait qu’il vive à l’hôtel. Il exerçait ses fonctions d’une façon continue et ses tâches exigeaient sa présence immédiate. Il avait une longue expérience en matière de gestion et d’exploitation d’hôtels aux États‑Unis, au Canada et ailleurs, et il a témoigné que les fonctions de directeur n’auraient pas pu être exercées par quelqu’un qui vivait à l’extérieur de l’hôtel, en particulier dans le cas d’un hôtel de villégiature tel que celui‑ci. Les exigences des clients étaient nombreuses, diverses et imprévisibles, que ce soit pour les repas, pour les chambres, pour les divertissements ou pour toute autre chose touchant l’hôtel. Le directeur doit veiller à toutes ces choses jour et nuit. Il n’envisagerait pas d’accomplir son travail sans vivre sur les lieux et les propriétaires de l’hôtel n’envisageraient pas d’employer un directeur qui ne vivrait pas sur les lieux. Il s’agissait d’une condition implicite pendant toute la durée de son emploi et, lorsque sa rémunération était modifiée, il n’en était jamais fait mention. L’employeur et l’employé considéraient tous deux la chose comme acquise. Les livres de la société ne renfermaient pas d’écritures pour les repas, pour les chambres ou pour les services fournis au requérant.

 

      Dans ces conditions, la valeur des repas et de l’hébergement ne constitue pas un revenu pour l’employé, et ce, même si cela lui évite peut‑être une dépense qu’il serait par ailleurs tenu d’effectuer. Dans la décision Jones v. United States, précitée, la question a été examinée à fond lorsqu’il s’est agi de décider que ni la valeur du logement ni le montant reçu par un officier de l’armée en raison d’une réinstallation ne sont inclus dans son revenu imposable. Un examen exhaustif est également effectué dans l’arrêt anglais Tennant v. Smith, H.L. (1892) App. Cas. 150, III British Tax Cases 158. Un employé de banque était tenu de vivre dans un logement situé dans l’immeuble de la banque; il a été conclu que la valeur de l’hébergement ne constituait pas un revenu imposable. Quant à l’employé, l’avantage constituait simplement un accessoire de l’exercice de ses fonctions, mais le caractère de l’avantage à des fins fiscales dépendait du fait dominant que l’occupation des locaux était imposée à l’employé parce que cela était plus commode pour l’employeur. Le Bureau of Internal Revenue a presque toujours appliqué la même doctrine dans ses décisions publiées.

 

Je crois que le principe qui se dégage de ces décisions – au Canada, au Royaume‑Uni et aux États‑Unis – est qu’un « avantage » n’est pas inclus dans le revenu d’un employé s’il est principalement conféré pour les besoins de l’employeur ou parce que c’est plus commode pour celui‑ci. C’est ce qui ressort du passage tiré de la décision Lowe, précitée, au paragraphe 15, même lorsque l’avantage représente une acquisition importante ou une valeur économique.

 

          b)    Stationnement. Lorsque le stationnement est fourni, une distinction fondée sur la question de savoir si une place particulière est attribuée semble avoir été faite. S’il existe une différence de principe entre les deux, il est difficile de la discerner. Il est probablement trop tard pour reprendre le débat, mais je doute sérieusement que le fait de fournir une place de stationnement à un employé constitue un avantage imposable.

 

          c)    Voyages effectués dans le cadre de congrès et réunions d’affaires. Selon le point de vue le plus récent et, à mon avis, le plus sensé, ces éléments ne sont pas imposables s’ils ont un but d’affaires important pour l’employeur. La question de savoir de quelle façon une affaire particulière est tranchée dépend de l’importance qu’un juge accorde à l’utilisation à des fins commerciales, par opposition à des fins personnelles.

 

          d)    Coûts de réinstallation. Ces coûts comprennent des paiements forfaitaires, des paiements visant à combler les pertes et l’aide apportée à l’égard des intérêts hypothécaires. Les décisions rendues sur ce point ont été examinées dans la décision Pezzelato. Leur traitement fiscal dépend de conclusions de fait fort précises.

 

          e)    Adhésion au club de golf. Les bulletins d’interprétation n’ont pas force obligatoire, mais ils peuvent être utiles. Les paragraphes 33 et 34 du bulletin IT‑470R sont rédigés comme suit :

 

      33.       Lorsque l’employeur met à la disposition des employés en général, à titre gratuit ou moyennant un droit nominal, des installations récréatives (par exemple salle d’exercice, piscine, gymnase, court de tennis, de squash ou de racketball, terrain de golf, terrain de jeu de galets), la valeur de l’avantage qu’en tire l’employé n’est pas ordinairement imposable. L’avantage imposable que reçoit un employé auquel sont fournis le gîte et le couvert est l’objet des numéros 4 et 6 et du numéro 10 ci‑dessus.

 

      34.       De même, si l’employeur verse les cotisations requises pour qu’un employé soit membre d’un club social ou athlétique et si c’est principalement l’employeur, et non l’employé, qui bénéficie de cette situation, on n’estime pas que l’employé a reçu un avantage imposable. Se reporter également au IT‑148R2, intitulé « Biens récréatifs et cotisations d’un club ».

 

[22]    À supposer que l’énoncé du droit figurant au paragraphe 34 soit exact – et je crois qu’il l’est (il est conforme à ce que le juge Malone a dit dans l’arrêt McGoldrick, précité, ainsi qu’aux décisions rendues dans les affaires Lowe et Romeril) – il s’agit de savoir si la décision selon laquelle l’adhésion d’un employé à un club de golf est « principalement avantageuse pour l’employeur ou pour l’employé » est une décision objective ou si elle dépend du point de vue subjectif de l’employé ou de l’employeur. Je crois qu’il faut accorder du poids aux points de vue des deux parties, mais ces points de vue ne sont pas déterminants et, dans l’ensemble, cela exige une décision objective.

 

[23]    Du point de vue de l’appelant, l’adhésion au club de golf n’était clairement pas un avantage. L’appelant ne voulait même pas être membre du club. Il est raisonnable de déduire que l’employeur voulait que ses cadres supérieurs soient membres d’un club de golf. Cela améliorait l’image et le prestige de la société et cela donnait un lieu où les cadres pouvaient recevoir les clients de la société. Je ne crois pas que le fait que l’employeur a insisté pour que l’appelant devienne membre d’un club de golf (ou, en tout cas, qu’il a exercé de fortes pressions pour que l’appelant devienne membre d’un club) soit particulièrement attribuable à un altruisme paternaliste. Objectivement, je crois que c’était avant tout l’employeur qui tirait parti de l’adhésion au club de golf.

 

[24]    J’ai conclu que l’appel devrait être admis, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, c’était clairement avant tout l’employeur qui tirait parti de l’adhésion au club de golf. Même si je me trompe en tirant cette conclusion, l’avantage, le cas échéant, que représentait pour l’appelant l’adhésion au club de golf était au plus minime et ne constituait pas un avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[25]    Par conséquent, l’appel est admis et la cotisation concernant l’année d’imposition 2002 est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, en vue de supprimer du revenu de l’appelant le montant de 2 047 $ versé au Barrie Country Club au titre des frais d’adhésion payés pour le compte de l’appelant.

 

[26]    L’appelant a droit à ses dépens, le cas échéant, conformément au tarif.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2008.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

D.G.H. Bowman, juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI258

 

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2007-4239(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       Henry Rachfalowski

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 23 avril 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable D.G.H. Bowman, juge en chef

 

DATE DU JUGEMENT ET

DES MOTIFS DU JUGEMENT :       Le 15 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Bonnie Boucher

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

                          Nom :                     

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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