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Dossier : 2007-4004(IT)I

ENTRE :

GHISLAIN LAPLANTE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 mai 2008, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Annick Provencher

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 et à l’égard d’un crédit d’impôt pour frais médicaux de 407 $ demandé dans sa déclaration de revenus de l’année d’imposition 2001, est rejeté, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 335

Date : 20080616

Dossier : 2007-4004(IT)I

ENTRE :

GHISLAIN LAPLANTE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              La seule question en litige dans la présente affaire consiste à déterminer si le ministre du Revenu national (le « ministre ») était justifié d’imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard de dépenses de location surestimées pour les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 et à l’égard d’un crédit d’impôt pour frais médicaux de 407 $ demandé dans la déclaration de revenus de l’appelant de l’année d’imposition 2001.

 

Les faits

 

[2]              L’appelant était propriétaire pendant les années d’imposition en cause d’un immeuble locatif situé sur la rue Gareau, à Longueuil (l’ « Immeuble »), soit à environ huit kilomètres de sa résidence principale.

 

[3]              Les états de revenus et dépenses de cet immeuble préparés par un préparateur de feuilles fiscales donnaient les résultats suivants :

 

a)                 les états des loyers des biens immeubles ont été établis par un préparateur de feuilles fiscales;

 

 

 

2001

 

2002

2003

2004

i)

revenus de location

36 006 $

36 126 $

36 522 $

37 278 $

ii)

dépenses de location

47 503 $

35 957 $

35 075 $

33 837 $

iii)

perte réclamée ou gain déclaré avant réclamation d’amortissement

(11 497 $)

169 $

1 447 $

3 971 $

 

 

[4]              La vérification des revenus et des dépenses de location de l’appelant pour ses années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 a amené le ministre à conclure que des dépenses de location ont été surestimées de 20 648 $, de 12 991 $, de 7 402 $ et de 9 342 $ respectivement. Les dépenses de location surestimées étaient essentiellement constituées de dépenses personnelles et de dépenses qui n’avaient pas été engagées à l’égard de l’activité locative. Les dépenses personnelles étaient constituées de frais liés à l’utilisation d’un véhicule à moteur et de frais liés à l’utilisation de sa résidence personnelle (téléphone, électricité, assurances, câblodistribution, impôts fonciers, entretien et réparation). Les sommes calculées à titre de dépenses de location surestimées furent assujetties à la pénalité pour faute lourde.

 

[5]              De plus, cette vérification révéla que, dans l’année d’imposition 2001, des frais médicaux déclarés par l’appelant, totalisant 3 625 $ et donnant lieu à un crédit d’impôt pour frais médicaux de 407 $, n’avaient pas été encourus. Le crédit d’impôt pour frais médicaux de 407 $ demandé dans l’année d’imposition 2001 a été aussi assujetti à la pénalité pour faute lourde.

 

[6]              Le ministre a imposé cette pénalité pour faute lourde en se fondant sur les éléments suivants :

 

                            i)               l’appelant s’occupait lui-même du budget et de l’administration de l’immeuble (location, taxes, entretien, assurances, etc);

 

                          ii)               l’appelant avait donc une notion de l’envergure des dépenses engagées;

 

                        iii)               les dépenses de locations surestimées étaient de nature personnelle et c’était l’appelant lui-même qui fournissait les factures ou les documents;

 

                        iv)               l’appelant aurait dû remarquer que les dépenses de location étaient beaucoup trop élevées;

 

                          v)               l’appelant a signé les déclarations de revenus à l’égard des années d’imposition en cause.

 

[7]              L’appelant a témoigné que :

 

                            i)               il était un mécanicien industriel pendant les années d’imposition en cause;

 

                          ii)               il avait fait remplir ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1999 et 2000 par monsieur Denis Gagnon qui exerçait sa profession à partir de sa résidence principale. Il convient de souligner que les déclarations de revenus préparées par monsieur Gagnon faisaient état, à l’égard de l’immeuble, d’un revenu brut de 34 258 $ et d’un revenu net de 7 000 $ pour l’année d’imposition 1999 et d’un revenu brut de 35 900 $ et d’un revenu net de 9 000 $ pour l’année d’imposition 2000;

 

                        iii)               à la suite de la recommandation de son frère, il avait, à partir de l’année d’imposition 2001, confié à monsieur Serge Cloutier, un comptable agréé, le mandat de préparer ses déclarations de revenus. Ce dernier avait accepté le mandat et demandé à l’appelant de lui fournir toutes ses factures liées à l’utilisation d’une automobile et à l’utilisation de sa résidence principale en lui disant qu’il en ferait le décompte. En effet, monsieur Cloutier aurait déclaré à l’appelant qu’il avait le droit de déduire à titre de dépenses encourues pour gagner un revenu tiré de biens 50 % de tous ses frais d’automobile et 50 % de certains frais liés à sa résidence principale (électricité, téléphone, assurances, taxes municipales et scolaires, câblodistribution et internet);

 

                        iv)               il n’était pas habile avec les chiffres et l’impôt et il n’était pas en mesure de remplir lui-même ses déclarations de revenus;

 

                          v)               il avait confiance en monsieur Cloutier puisqu’il était un comptable agréé qui semblait plus compétent et organisé que monsieur Gagnon. À cet égard, l’appelant a expliqué que monsieur Cloutier, contrairement à monsieur Gagnon, exerçait sa profession dans un immeuble commercial et avait des employés de soutien;

 

                        vi)               il avait signé les déclarations de revenus des années d’imposition en question sans les vérifier. Il n’avait pas posé de questions à monsieur Cloutier au sujet de l’écart substantiel de revenu locatif net par rapport aux années d’imposition 1999 et 2000 parce qu’il lui faisait confiance;

 

                      vii)               il n’avait pas engagé de frais médicaux en 2001. L’appelant a expliqué qu’il ne savait pas que monsieur Cloutier avait déclaré dans sa déclaration de revenus de l’année d’imposition 2001, des frais médicaux de 3 625 $, frais médicaux qui avaient donné lieu à un crédit d’impôt pour frais médicaux de 407 $. L’appelant a admis par ailleurs que, s’il avait examiné sa déclaration de revenu de l’année d’imposition 2001 avant de la signer, il aurait décelé ce faux énoncé;

 

                    viii)               il n’avait pas engagé de frais de location d’automobile dans l’année d’imposition 2001. L’appelant a expliqué qu’il ne savait pas que monsieur Cloutier avait déclaré dans sa déclaration de l’année d’imposition 2001 des frais de location d’automobile de 6 477 $. L’appelant a admis que, s’il avait examiné sa déclaration de revenus de cette année d’imposition avant de la signer, il aurait décelé ce faux énoncé;

 

                        ix)               le nombre de kilomètres parcourus avec un véhicule à moteur aux fins de gagner un revenu (23 472 km en 2001, 28 644 km en 2002, 31 376 km en 2003 et 26 750 km en 2004) qui apparaît dans ses déclarations de revenus de chacune des années d’imposition en question constitue un faux énoncé. L’appelant a admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé ces faux énoncés faits par monsieur Cloutier à son insu;

 

                          x)               s’il avait examiné ses déclarations de revenus pour chacune des années d’imposition en cause avant de les signer, il aurait décelé plusieurs autres faux énoncés (à l’égard d’autres dépenses que celles mentionnées ci-dessus) faits par monsieur Cloutier à son insu.

 

[8]              Il convient de souligner que monsieur Serge Charron, un enquêteur de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, a témoigné qu’à la suite de son enquête sur monsieur Cloutier, ce dernier avait été poursuivi au criminel pour fraude fiscale soit pour avoir gonflé indûment les dépenses de ses clients. Il a aussi expliqué que 25 des 250 clients de monsieur Cloutier avaient des litiges avec les autorités fiscales relativement à des dépenses surestimées.

 

 

Analyse et conclusion

 

[9]              Le paragraphe 163(2) de la Loi impose une pénalité à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration pour une année d’imposition ou y participe, y consent ou y acquiesce. Plus précisément, la partie du paragraphe 163(2) de la Loi qui précède les modalités de calcul de la pénalité se lit comme suit :

 

163(2) Faux énoncés ou omissions

 

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : [. . . ]

 

 

En vertu du paragraphe 163(3) de la Loi, le fardeau d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité repose sur le ministre et non sur le contribuable. Le paragraphe 163(3) de la Loi se lit comme suit :

 

163(3) Charge de la preuve relativement aux pénalités

 

Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l’article 163.2, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

 

 

[10]         Comme le juge Dussault l’a dit dans la décision Prud’homme c. Canada, 2005 CCI 423, au paragraphe 47 :

 

[. . . ] les faits qui justifient l’imposition d’une pénalité pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi doivent être analysés en fonction de leur contexte particulier, ce qui rend toute comparaison avec les faits d’une autre situation purement aléatoire, sinon carrément dangereuse.

 

 

[11]         La notion de « faute lourde » qui est acceptée par la jurisprudence est celle qui a été définie par le juge Strayer dans la décision Venne c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) (C.F. 1re inst.), [1984] 4 C.F. no 314 :

 

[. . .] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. [ . . .]

 

 

[12]         Dans Da Costa c. Canada, [2005] A.C.I. no 396 (C.C.I. procédure informelle), le juge en chef Bowman fit référence à la décision rendue dans l’arrêt Undell v. M.N.R., [1969] C.T.C. 704, 70 DTC 6019 (Ex. Ct.), et à deux décisions rendues par le juge Ripp (qu’il était alors son titre) et fit les commentaires suivants :

 

9     Je n'ai aucune difficulté à concilier la décision du juge Cattanach avec celles du juge Rip. Elles découlent toutes d'une conclusion de fait tirée par la cour concernant le rôle joué par les contribuables. Les questions qui se posent dans chaque cas, si on fait abstraction de la question de la préméditation qui n'est pas pertinente en l'espèce, sont les suivantes :

 

a)      « le contribuable a-t-il commis une faute en faisant un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus? »

 

b)      « la faute était-elle assez grave pour justifier l'utilisation de l'épithète "lourde" qui est quelque peu péjoratif? »

 

Selon moi, ces questions rejoignent le principe énoncé par le juge Strayer dans la décision Venne v. The Queen, 84 DTC 6247.

 

[. . .]

 

11     Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l'importance de l'omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l'erreur, ainsi que le niveau d'instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

 

12     Qu'en est-il ici? Un homme fort intelligent qui déclare un revenu d'emploi de 30 000 $ et qui omet de déclarer des ventes brutes d'environ 134 000 $ et des bénéfices nets de 54 000 $. Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l'on peut dire que l'appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l'omission d'un montant qui représente presque le double du montant qu'il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d'attention.

 

 

[13]         La Cour d’appel fédérale a de plus précisé, dans l’arrêt Villeneuve c. Canada, 2004 DTC 6077, que l’expression « faute lourde » pouvait englober l’aveuglement volontaire en plus de l’acte intentionnel et de l’intention coupable. Dans cette décision, le juge Létourneau s’est exprimé à cet égard en ces termes au paragraphe 6 :

 

Avec égards, je crois que la juge a omis de considérer la notion de faute lourde qui peut découler d’un aveuglement volontaire de son auteur. Même l’intention coupable qui, souvent prend la forme de la connaissance de l’un ou de plusieurs éléments constitutifs du geste reproché peut s’établir par une preuve d’aveuglement volontaire. En pareil cas, l’auteur du geste, bien qu’il n’ait pas de connaissance actuelle de l’élément reproché, se voit imputer la connaissance de cet élément.

 

 

[14]         À mon avis, l’appelant a commis ici une faute lourde en ce qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire. L’appelant savait très bien, lorsqu’il a signé ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en cause, qu’il y avait un écart très substantiel du revenu locatif net par rapport aux années d’imposition 1999 et 2000. L’appelant n’a pas cherché à comprendre les raisons pour lesquelles il y avait un tel écart. L’appelant a expliqué qu’il s’était fié à son comptable qui lui avait déclaré qu’il avait le droit de déduire, à titre de dépenses encourues pour gagner des revenus tirés de biens, 50% de tous ses frais liés à l’utilisation d’une automobile et 50 % de certains frais liés à l’utilisation de sa résidence principale. L’appelant a expliqué qu’il avait cru que l’écart était dû au fait que de telles déductions n’avaient pas été effectuées dans ses déclarations de 1999 et de 2000. L’écart était tellement grand que l’appelant aurait dû, à mon avis, poser des questions à monsieur Cloutier, d’autant plus que l’appelant connaissait très bien l’ampleur de ce type de nouvelles dépenses déduites, ayant lui-même compilé et remis à monsieur Cloutier toutes les pièces justificatives liées à ces nouvelles dépenses. Il s’agit là, à mon avis, d’un indice d’aveuglement volontaire, sinon d’une conduite délibérée constituant une faute lourde.

 

[15]         De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

 

[16]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 335

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4004(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GHISLAIN LAPLANTE ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 16 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Annick Provencher

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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