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Dossier : 2006-516(GST)G

ENTRE :

DANIEL SAVARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 26 juin 2007, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Robert Marcotte

Avocat de l'intimée :

Me Philippe Morin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l’avis est daté du 30 avril 2004 et porte le numéro PQ‑2004‑7597, est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée.

 

 

Signé à Frédéricton (Nouveau-Brunswick), ce 13e jour de juin 2008.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

 

Référence : 2008CCI309

Date : 20080613

Dossier : 2006-516(GST)G

ENTRE :

DANIEL SAVARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers

 

 

[1]              Au cours des années 2002 et 2003, l’appelant était l’unique administrateur de la société Industries F.D.S. inc. (« F.D.S. »). F.D.S. était un inscrit aux fins de l’application de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »). À la suite de la production des déclarations de la taxe nette de F.D.S. et d’une vérification, il fut constaté que F.D.S. avait perçu de la taxe sur les produits et services (« TPS ») sans la remettre pendant la période allant du 1er février 2002 au 31 juillet 2003.

 

[2]              Le 25 janvier 2002, F.D.S. a déposé un avis d’intention de déposer une proposition concordataire en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »). La proposition fut déposée le 1er mars 2002 et une réunion des créanciers a eu lieu le 21 mars suivant. Ces derniers ont accepté la proposition qui fut par la suite homologuée par la Cour supérieure du Québec le 19 avril 2002. Le Groupe Thibault Van Houtte et associés ltée (ci‑après le « syndic ») a été nommé syndic à la suite de la proposition.

 

[3]              Le syndic, par voie de requête devant la Cour supérieure du Québec, le 15 septembre 2003, a demandé l’annulation de la proposition de F.D.S. et une ordonnance déclarant F.D.S. en faillite au motif que des montants importants demeuraient impayés puisque la Banque nationale du Canada, le principal prêteur à court terme de F.D.S., diminuait constamment les crédits autorisés de F.D.S., ce qui réduisait les montants qu’elle avait pour rembourser les sommes impayées et pour payer les fournisseurs. Le syndic ajoute également aux motifs qu’il a appris que la Banque nationale du Canada faisait acquitter par F.D.S. un cautionnement qu’elle avait octroyé concernant la société Autocars Champlain inc., de sorte que les fonds autogénérés par F.D.S. au cours de l’exécution de la proposition ont servi à acquitter un cautionnement de F.D.S. à la banque concernant des montants pouvant être dus par Autocars Champlain inc., créant ainsi une injustice envers les créanciers de F.D.S. et rendant la proposition concordataire irréalisable. La Cour supérieure du Québec a fait droit à la requête et, le 17 septembre 2003, la proposition concordataire était annulée et F.D.S. était déclarée en faillite.

 

 

[4]              Le 16 octobre 2003, l’intimée a produit une preuve de réclamation qu’elle a modifiée le 22 mars 2004. L’appelant conteste cependant le montant de la cotisation en soumettant qu’il excède la dette fiscale réelle de F.D.S., puisque ce montant devrait être réduit du montant des remboursements dus à F.D.S. par l’Agence du revenu pour des crédits d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE) de F.D.S. pour les exercices financiers de 2002 et 2003. L’appelant soutient également qu’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

 

[5]              F.D.S. exploitait une entreprise de réparation, de remorquage et d’autres services du même genre pour des véhicules lourds et hauts de gamme. Selon l’appelant, la société générait de très bons revenus et surtout des profits allant de 200 000 $ à 1 000 000$ par année. Les achats conclus par certaines sociétés clientes de F.D.S. et les évènements du 11 septembre 2001 ont fait en sorte que F.D.S. a perdu, selon l’appelant, 80 % de ses réservations. Par la suite, F.D.S. s’est trouvée dans une situation où sa banque, en occurrence la Banque nationale du Canada, s’est mise à encaisser le crédit de F.D.S., réduisant ainsi ses moyens de poursuivre ses activités. Selon l’appelant, cette situation ne pouvait plus continuer, ce qui a mené à la proposition concordataire de janvier 2002.

 

[6]              Au même moment où la proposition concordataire fut déposée et homologuée par la Cour, soit en mars et avril 2002, et qu’un syndic fut nommé, la Banque nationale a exigé qu’un cabinet comptable prépare des variations prévisionnelles de l’encaisse et assure un suivi hebdomadaire auprès de F.D.S. Cela a coûté à l’appelant 86 159 $ pour la période du 15 mars 2002 au 18 janvier 2003. Selon l’appelant, le représentant de ce cabinet comptable s’occupait de tout. Il décidait des achats qu’allait faire F.D.S.; en d’autres mots, il décidait des dépenses. Il fallait par contre réduire les dépenses, de sorte que les seules dépenses permises étaient celles qui allaient produire un revenu, ainsi que les salaires. Le représentant faisait parvenir à la banque le détail des dépenses et, selon l’appelant, c’est le représentant qui prenait la décision de savoir qui allait être payé.

 

 

[7]              Les rapports et les calculs de la taxe nette de F.D.S. en vertu de la Loi étaient faits chaque mois. Selon l’appelant, les rapports de TPS ont toujours été faits à temps et la société ne devait rien au titre de la taxe nette avant le dépôt de l’avis d’intention de déposer une proposition concordataire à la fin janvier 2002. F.D.S. avait un vice‑président aux finances et toute une équipe de gestion qui s’occupait des rapports et des remises et il était de leur responsabilité de voir à ce que tout soit fait. L’appelant témoigne qu’après l’avis d’intention, les règles ont changé et le personnel responsable de cette tâche a été remplacé par le représentant du cabinet comptable embauché par la Banque nationale, de sorte qu’après l’avis d’intention, il n’avait plus la pleine gestion de son entreprise. Selon lui, le représentant du cabinet comptable avait le mandat de voir à ce que la banque soit remboursée. Il soutient que même si F.D.S. avait fait un chèque pour payer sa taxe, il aurait été refusé par la banque, tout comme dans le cas d’autres fournisseurs que F.D.S. n’a pu payer parce qu’elle ne pouvait pas produire un revenu. En fait, les seuls créanciers qui étaient payés étaient ceux que permettaient le représentant du cabinet comptable ou de la banque.

 

 

(Le paragraphe 8 continue sur la prochaine page).

[8]              Les détails de la cotisation se trouvent dans la pièce I‑3, qui se lit comme suit :

 

TPS

 

 

Période

Date statutaire de

production

Date réel de

production

Type de

cotisation

Solde

Montant

Date

réelle de production

Type de

cotisation

 

Montant

 

Total

févr-02

2002-04-02

2003-09-07

vérification

86,57 $

 

 

 

86,57 $

mars-02

2002-04-30

2003-09-17

vérification

86,57 $

 

 

 

86,57 $

mai-02

2002-07-02

2002-07-10

original

573,58 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

660,15 $

juil-02

2002-09-03

2002-11-18

original

2 707,96 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

2 794,53 $

août-02

2002-09-30

2002-11-22

orignal

1 323,26 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

1 409,83 $

sept-02

2002-10-31

2003-09-17

vérification

119,02 $

 

 

 

119,02 $

oct-02

2002-12-02

2002-12-02

original

2 698,42 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

2 784,99 $

nov-02

2003-01-03

2003-04-16

solde crédit chq

4 841,03 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

4 927,60 $

déc-02

2003-01-31

2003-01-31

original

2 403,82 $

2003-09-17

vérification

86,57 $

2 490,39 $

févr-03

2003-03-31

2003-04-01

original

15,05 $

2003-09-17

vérification

404,28 $

419,33 $

mars-03

2003-04-30

2003-09-17

vérification

20 865,81 $

 

 

 

20 865,81 $

avr-03

2003-06-02

2003-09-17

vérification

155,87 $

 

 

 

155,87 $

mai-03

2003-06-30

2003-07-31

original

2 141,04 $

2003-09-17

vérification

2 373,75 $

4 514,79 $

juin-03

2003-07-31

2003-09-17

vérification

2 170,90 $

 

 

 

2 170,90 $

juil-03

2003-09-02

2003-09-17

vérification

17 750,29 $

 

 

 

17 750,29 $

 

 

 

 

 

 

 

 

61 236,64 $

 

 

[9]              Pour ce qui est du montant de la cotisation émise à l’encontre de F.D.S. concernant la taxe en vertu de la Loi, la preuve présentée par l’appelant démontre que le montant a changé à plusieurs moments durant le cheminement du dossier de F.D.S. Au moment du dépôt de la preuve de réclamation le 16 octobre 2003, le montant réclamé au titre de la TPS était de 476 133 $. Quelques mois plus tard, soit le 22 mars 2003, le montant était modifié et réduit à 459 889 $. Le 14 janvier 2004, le directeur de la vérification chez Revenu Québec a fait parvenir au syndic en faillite un projet de cotisation pour la TPS dont le montant se chiffrait à 154 511,16 $. Le 17 février 2004, la cotisation émise à l’encontre de F.D.S. pour la TPS était de 150 755 $. Quant à F.D.S., elle avait estimé devoir 100 000 $ à l’Agence du revenu pour la TPS.

 

[10]         Les prétentions de l’appelant et ses interrogations au sujet du montant dû reposent sur le fait qu’il a demandé au syndic en faillite de faire une demande de crédit d’impôt au nom de F.D.S. pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE). Le crédit d’impôt demandé était de l’ordre de 215 980 $. Le syndic en faillite a effectivement fait la demande, mais il était trop tard, ce qui a nécessité une deuxième demande; selon l’appelant, cette erreur aurait causé un préjudice important qui aurait conduit le syndic en faillite à régler la demande de crédit d’impôt pour la moitié de la valeur demandée. Cette décision de régler la demande pour la moitié de la valeur était du ressort unique du syndic en faillite. Selon l’appelant, il s’agit d’une erreur flagrante et très préjudiciable à F.D.S. qui aurait pu appliquer ce crédit à la dette de F.D.S. envers l’Agence.

 

[11]         Selon l’agente de recouvrement fiscal, ces écarts dans les montants dépendent des périodes qui font l’objet des réclamations et du fait que certaines périodes ont été retirées, dont une qui remonte au 31 août 2003 et portait sur un montant de 104 886 $. Ces montants n’auraient donc pas été réclamés puisqu’ils sont à l’extérieur de la période en litige. Elle a d’ailleurs reconnu qu’une somme provenant du crédit d’impôt pour RS&DE, soit 46 906 $, a été reçue en février 2006 mais qu’elle aurait été imputée au mois d’août 2003, donc à l’extérieur de la période visée par la cotisation à l’encontre de l’appelant en sa qualité d’administrateur. En contre-interrogatoire, elle a admis que normalement, un tel paiement serait imputé à la période la plus reculée. Selon la pièce I-2, le solde dû le 28 février 2002, date du début de la période en litige, était de 86,57 $.

 

[12]         Il s’agit donc de déterminer si l’appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le défaut de F.D.S. de remettre la taxe nette exigible que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. En deuxième lieu, et advenant que la réponse à la première question soit que l’appelant n’a pas agi selon la norme établie, il faut se demander si le montant indiqué dans la cotisation du ministre excède la dette fiscale réelle de F.D.S. parce que le montant réel de cette dette devrait être réduit du montant des remboursements dus à F.D.S. par l’Agence du revenu du Canada.

 

[13]         Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce sont les paragraphes 323(1) et (3) de la LTA :

 

323(1) Responsabilité des administrateurs — Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exige les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

 

(3) Diligence — L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[14]         La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Soper c. R., [1998] 1 C.F. 124, a procédé à une analyse détaillée du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lequel est rédigé de façon identique au paragraphe 323(3) de la Loi. L’arrêt Soper prévoit un critère « objectif subjectif » pour l’analyse de la norme de diligence raisonnable. Cependant, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004], 3 R.C.S. 461, a modifié ce critère afin d’adopter une norme objective aux fins de l’application de l’alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (L.R.C. 1985, ch. C-44), et donc du paragraphe 323(3) de la Loi qui est libellé de façon identique. Au paragraphe 63 de l’arrêt, on peut lire :

 

63     [. . .] Ainsi, il devient évident que dans le cas de l'obligation de diligence prévue à l'al. 122(1)b), ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l'administrateur ou le dirigeant qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers, qui sont l'objet essentiel de l'obligation fiduciaire prévue à l'al. 122(1)a) de la LCSA.

 

[15]         La Cour ajoute au paragraphe 67 de la décision que l’obligation de diligence peut être satisfaite si les administrateurs ont agi prudemment en appuyant leurs décisions sur les renseignements dont ils disposaient. Il s’agit d’effectuer non pas la meilleure décision, mais une décision d’affaires raisonnable vu les circonstances. De plus, il est nécessaire de souligner que pour l’analyse de l’élément de la prudence, il n’est pas souhaitable d’analyser la décision commerciale à la lumière de faits ultérieurs, mais seulement en tenant compte des informations dont les administrateurs disposaient au moment de leur décision.

 

67     On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l'obligation de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA s'ils ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu'il s'agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l'on n'exige pas d'eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d'établir, à partir des faits de chaque cas, si l'on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu'on prétend être une décision d'affaires raisonnable au moment où elle a été prise.

 

[16]         Est-il possible, lors d’une prise en charge par un tiers, qu’il y ait absence de responsabilité d’un administrateur, particulièrement si le tiers s’ingère dans l’administration et la gestion de la société lorsque cette dernière éprouve des difficultés financières, ou lors de la nomination d’un syndic après le dépôt d’une proposition concordataire en vertu de la LFI? Dans l’affaire Robitaille c. Canada, [1990] 1 C.F. 310, le juge Addy de la Cour fédérale affirmait, en traitant de la responsabilité d’un administrateur, qu’il y avait absence de responsabilité si ce dernier ne peut agir librement en sa qualité d’administrateur. Voici ce qu’il a dit à la page 318 :

 

29     De plus, lorsqu'une banque a assumé le contrôle effectif d'une société comme c'est le cas en l'espèce, sans que les administrateurs lui aient demandé d'agir de la sorte ni l'aient invité à le faire, et lorsque c'est exclusivement la banque qui décide quels chèques seront ou ne seront pas rédigés sans consultation du conseil d'administration, à partir de ce moment les actions de la société en ce qui concerne le versement ou la retenue des deniers sont essentiellement celles de la banque et je serais disposé à statuer que même abstraction faite du paragraphe 227.1(3), les administrateurs n'auraient aucune responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(1) car cette disposition envisage clairement la situation où la société agit librement par le truchement de son conseil d'administration. La responsabilité personnelle de l'administrateur ne saurait être engagée que s'il jouit d'une pleine et entière liberté de choix.

 

[17]         La Cour d’appel fédérale dans Canada c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203, a passé en revue certaines décisions où des administrateurs n’ont pas été tenus responsables en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu au motif, notamment, qu’ils avaient perdu l’aptitude de verser les retenues à la source ou la taxe nette parce que la banque dirigeait les finances de la société.

 

[18]         La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McKinnon, précité, a donc examiné la question de savoir si la direction est un critère d’application du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La réponse se trouve aux paragraphes 58 à 60 de la décision, que je reproduis ci‑après :

 

[58]  Sauf le respect que je dois à tous ceux qui sont d'avis contraire, j'estime qu'il ne faut pas interpréter le paragraphe 227.1(1) comme signifiant qu'il ne s'applique que si les administrateurs ont dans les faits le contrôle des opérations financières de la compagnie, en particulier du règlement de ses obligations.

 

[59]  En premier lieu, pareils termes ne figurent pas dans le texte de loi, et le juge ne doit normalement pas ajouter des termes à ceux du texte de loi adopté par le législateur.

 

[60]  En deuxième lieu, l'exonération pour cause de diligence raisonnable que prévoit le paragraphe 227.1(3) est suffisamment générale pour fournir un moyen de défense aux administrateurs qui ont fait ce qu'il faut pour essayer de prévenir le défaut de versement de leur compagnie. Il est donc inutile d'insérer la notion de contrôle dans le paragraphe (1) afin que la responsabilité des administrateurs ne soit pas engagée dans le cas où ce qu'ils font pour prévenir le défaut de versement de la compagnie satisfait à la norme de diligence, telle qu'une personne raisonnable l'aurait observée dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut.

 

[61]  D'ailleurs, « contrôle » n'est pas un concept monolithique et il sera inévitablement difficile de décider si, dans un cas donné, les administrateurs ont conservé suffisamment de « contrôle » pour que le paragraphe (1) entre en jeu. Il en est tout autrement en cas de nomination d'un séquestre dont les pouvoirs supplantent ceux des administrateurs, lesquels cessent, du point de vue fonctionnel, d'être des administrateurs et échappent ainsi au champ d'application du paragraphe 227.1(1); voir par exemple Drover c. Canada (1998), 161 D.L.R. (4th) 518 (C.A.F.), au paragraphe 4.

 

[62]  En troisième lieu, si le concept de « contrôle » s'étend à l'inaptitude dans les faits à prendre des mesures pour s'assurer que les sommes dues sont versées à l'échéance, parce que la banque n'honore pas les chèques à l'ordre de Revenu Canada, cela signifie que l'administrateur concerné ne sera pas responsable par application du paragraphe 227.1(1), peu importe qu'il soit raisonnable ou non de maintenir l'entreprise en activité, et peu importe le temps pendant lequel elle reste en activité sans verser les sommes dues à l'échéance. Que les faits et gestes de l'administrateur soient raisonnables ou non n'a d'importance à titre de moyen de défense au regard du paragraphe 227.1(3) qu'une fois que cet administrateur est tenu pour responsable par application du paragraphe 227.1(1).

 

[19]         En l’espèce, il n’y a eu nomination d’un séquestre qu’au moment où la proposition concordataire a été annulée par la Cour supérieure du Québec le 17 septembre 2003, donc à une date ultérieure à la période en litige. Quant aux objections du syndic nommé lors d’une proposition concordataire, la LFI n’accorde aucun pouvoir d’administration à ce dernier. Son rôle est défini aux paragraphes 50(5), (9) et (10) de la LFI. Il fait une évaluation, fait enquête sur la société et il rédige un rapport aux créanciers. Selon l’auteur Paul‑Émile Bilodeau dans son « Précis de la faillite et de l’insolvabilité », 2e édition, 2004, p. 237, le syndic « n’a que les pouvoirs que la proposition lui accorde ». Il est possible pour les parties de convenir de gré à gré que le syndic de la proposition concordataire sera responsable de l’administration de la société, mais aucune preuve en l’espèce n’a été produite pouvant permettre une conclusion voulant que le syndic de la proposition eût pris une charge ou une fonction administrative ou eût pris la direction de la société au détriment de son administrateur.

 

[20]         L’appelant, en l’espèce, n’a pas perdu juridiquement le contrôle de F.D.S. Par conséquent et selon l’arrêt McKinnon, précité, je ne peux conclure que l’appelant ne peut être tenu responsable des dettes de F.D.S. en raison de cette perte de contrôle juridique durant la période en litige. Il n’y a pas d’absence de responsabilité en l’espèce. Il faut donc revenir à la première question, à savoir si l’appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[21]         Les circonstances qui sont particulières en l’espèce sont le rôle qu’a joué le représentant de la Banque nationale dans la gestion quotidienne de F.D.S. et l’autorité qu’il pouvait exercer sur le paiement des créances de F.D.S. Je tiens à souligner d’emblée que l’appelant a rendu un témoignage qui m’a paru franc et honnête; sa principale inquiétude était celle de voir la Banque diminuer les crédits de F.D.S. et ce, tant avant la proposition concordataire qu’après, laquelle inquiétude a été confirmée par l’affidavit du syndic dans sa requête en vue de mettre fin à la proposition concordataire lorsqu’il souligne que la Banque diminuait effectivement les crédits autorisés de F.D.S. et qu’elle faisait acquitter par F.D.S. un cautionnement qu’elle avait octroyé à la Banque concernant la société Autocars Champlain inc., créant ainsi une injustice envers les créanciers de F.D.S.

 

[22]         Il ne fait aucun doute, à mon avis, que lorsque la Banque nationale a exigé l’embauche d’un représentant d’un cabinet comptable, elle n’avait comme objectif que de protéger ses intérêts. Tous les dispositifs mis en place par l’appelant en ce qui a trait à la gestion de F.D.S., tels que son vice-président aux finances et toute l’équipe de gestion qui assurait les déclarations de taxes et les remises, ont été remplacés par ce représentant. C’est ce dernier qui décidait, avec la participation de la Banque, quels créanciers allaient être payés et selon l’appelant, la priorité visait les dépenses qui pouvaient rapporter un revenu.

 

[23]         Il aurait été possible pour l’appelant d’agir plus rapidement et d’exiger que F.D.S. soit mise en faillite plus vite. En plus d’avoir lui-même injecté des fonds de l’ordre de 200 000 $, il lui était tout à fait raisonnable, à mon avis, de croire que la situation pourrait être sauvée. Le syndic devait sûrement y croire aussi, puisqu’il a aussi mis du temps avant de faire sa requête en vue de déclarer F.D.S. en faillite.

 

[24]         Je suis donc d’avis que dans les circonstances, l’appelant avait perdu la direction de fait et que la destinée de F.D.S. reposait entre les mains du représentant de la Banque nationale et de la Banque elle-même, qu’elle ait été justifiée ou non d’agir ainsi. L’appelant a donc agi dans la mesure de sa capacité pour éviter le manquement. Même le syndic de la proposition concordataire, qui doit surveiller les activités et les finances de la personne insolvable (F.D.S.), a été incapable d’intervenir face aux actes de la Banque. Je crois donc l’appelant quand il dit que même s’il avait exigé le paiement de la taxe due, le chèque n’aurait pas été accepté par la Banque.

 

[25]         L’appel est accueilli et la cotisation à l’encontre de l’appelant est annulée. Même s’il ne m’est pas nécessaire de traiter de la deuxième question, je signale qu’il n’y a aucune raison pouvant justifier de ne pas avoir appliqué en l’espèce la pratique habituelle de l’Agence d’imputer les paiements aux créances les plus anciennes. Le fait d’avoir imputé les paiements aux dettes qui suivent immédiatement la période en litige laisse planer une impression de mauvaise foi de la part de l’Agence, qui pensait qu’il lui serait sans doute possible d’avoir un recours personnel contre l’appelant. Le paiement aurait donc dû être soustrait de la cotisation en litige ou des autres dettes pendant la période en litige.

 

[26]         L’appel est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2008.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI309

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-516(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Daniel Savard et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 26 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 13 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Robert Marcotte

Avocat de l'intimée :

Me Philippe Morin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Robert Marcotte

                                                          Avocat, comptable agréé

                  :                                       Québec (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

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