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Référence : 2008CCI356

Date : Le 23 juin 2008

Dossier : 2007‑4476(GST)I

ENTRE :

AHMED Z. BASHIR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience à Ottawa (Ontario), le 23 avril 2008.)

La juge Miller

 

[1]              Il est fait appel d’une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la LTA) pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997. Le ministre du Revenu national a établi la cotisation suivante à l’encontre de l’appelant :

 

TPS non versée

10 787,00 $

Pénalité (article 280)

9 442,41

Intérêts

4 438,37

Pénalité (article 285)

   2 697,00  

 

27 364,78 $

 

[2]              L’appelant ne conteste pas qu’il a négligé de verser la somme de 10 787 $ au titre de la TPS durant la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997. Cependant, il a soulevé les points suivants dans son avis d’appel :

 

a)     il avait demandé au ministre du Revenu national de renoncer aux intérêts et aux pénalités. Au moment de déposer son avis d’appel, il n’avait pas reçu de réponse du ministre;

b)  il a demandé d’être dispensé du paiement de la TPS pour des raisons humanitaires.

 

[3]              Au cours de l’audition de l’appel, l’appelant a demandé l’annulation des intérêts et des deux pénalités; il a sollicité des modalités de paiement pour la TPS non versée.

 

[4]              La Cour de l’impôt n’est pas un tribunal statuant en equity, et sa compétence se limite à celle qui lui est conférée par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. Par ailleurs, elle ne peut pas prononcer un jugement déclaratoire car elle n’a pas compétence pour le faire (Sunil Lighting Products c. Canada, [1993] A.C.I. n° 666). La Cour ne peut donc pas accorder une dispense de versement de la TPS pour des raisons humanitaires ou pour d’autres raisons. Elle n’a aucune compétence en ce qui concerne les questions de recouvrement et ne peut pas examiner ou ordonner des modalités de paiement pour la TPS non versée. L’unique compétence dont la Cour serait investie en ce qui a trait à la TPS non versée concernerait le montant de la cotisation. Cependant, l’appelant a dit être d’accord avec le montant de la cotisation.

 

[5]              L’appelant est ingénieur électricien. Durant la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997, il exploitait une entreprise individuelle sous la raison sociale Parsec Consulting Engineers/Ingénieurs conseil Parsec (« Parsec »). Son unique client était Computer and Concepts Associates (« C&CA »). La firme C&CA avait été retenue par l’Agence spatiale canadienne comme entrepreneur indépendant chargé de la vérification et de la validation relativement au robot CanadArm de la station spatiale internationale. Parsec a été sous‑traité par C&CA en tant que spécialiste de la sûreté des logiciels.

 

[6]              L’appelant a dit que tout le travail d’ingénierie fait par Parsec avait été fait par lui‑même car il avait les compétences requises. C’était un travail fatigant et exigeant sur le plan technique. C’était aussi un travail qui était source de tension car l’appelant savait qu’il lui revenait en définitive de protéger des vies humaines et de garantir la sécurité des systèmes.

 

[7]              Selon le témoignage de l’appelant, Parsec a commencé de réduire progressivement ses activités au printemps de 1997, et toutes les activités ont cessé le 31 décembre 1997 car il souffrait d’une maladie.

 

[8]              L’appelant a également déclaré que la TPS avait été facturée et perçue sur les services d’ingénierie fournis à C&CA. Il a aussi admis qu’il n’avait pas versé la TPS à l’Agence du revenu du Canada au cours des années en question.

 

[9]              L’appelant est atteint d’un trouble bipolaire depuis 1971. Il a souffert de nombreux épisodes psychotiques. La preuve a révélé qu’il pouvait alors présenter les traits d’une personne hyperactive, mégalomane, imprévisible, euphorique, dépensière ou insomniaque. Je déduis de la preuve que ce trouble déforme l’humeur et la pensée et engendre des comportements effrayants. L’appelant a produit en preuve une lettre de son psychiatre, le Dr Cattan. Selon ce dernier, les personnes qui traversent une phase psychotique [traduction] « n’ont plus l’esprit de discernement et montrent un jugement très altéré ».

 

[10]         Durant de nombreuses années, l’appelant n’a pas voulu reconnaître sa maladie, et c’était le cas durant les années visées par l’appel. Au cours des années 1995, 1996 et 1997, il était suivi par un médecin de famille qui ne voulait pas l’adresser à un psychiatre. Mme Bashir, l’épouse de l’appelant, s’est exprimée sur l’état de santé de son mari à cette époque‑là. Lorsqu’elle s’est rappelé ces années, elle est devenue très perturbée.

 

LA PÉNALITÉ et LES INTÉRÊTS VISÉS À L’ARTICLE 280

 

[11]         L’article 280 dispose que quiconque néglige de verser la TPS au receveur général dans le délai prévu doit payer, sur la somme non versée, une pénalité et des intérêts. Le juge Bowman (alors juge de la Cour) avait dit dans plusieurs décisions qu’il était possible d’opposer une défense de diligence raisonnable à l’encontre de l’application d’une pénalité selon l’article 280. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette interprétation dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209. Au paragraphe 50 de cet arrêt, la Cour d’appel fédérale décrivait aussi, dans le termes suivants, le critère de la diligence raisonnable.

Par contre, la reconnaissance de l’existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable à l’égard de l’article 280 fait passer à l’inscrit la charge de prouver qu’il a fait raisonnablement diligence pour verser le montant correct de TPS.

 

[12]         Selon le témoignage de Mme Bashir, c’est elle qui, durant la période antérieure à 1995, préparait les déclarations de TPS de l’appelant et les déposait à la date requise. Elle a dit aussi qu’elle avait cessé de préparer les déclarations parce que son mari était devenu très malade et que la vie chez eux était intolérable. Son mari prenait des médicaments très puissants. Ce n’est qu’en 1998 que Mme Bashir et le frère de l’appelant ont réussi à l’obliger à entrer à l’hôpital.

 

[13]         L’intimée a fait valoir qu’en 1995, 1996 et 1997, l’appelant avait travaillé et gagné un revenu. Il exploitait encore son entreprise et il n’était pas totalement incapable.

 

[14]         Selon la preuve, l’appelant souffrait en 1995, 1996 et 1997 d’un grave trouble maniaco‑dépressif qui n’était pas traité car il n’était pas suivi par un psychiatre. Il n’avait pas toutes ses facultés et son jugement était altéré. Selon les mots de son psychiatre actuel, il était incontrôlable. Je suis d’avis qu’il était à cette époque frappé d’incapacité. La définition du mot « incapacité », dans le Canadian Oxford Dictionary, est la suivante :

[traduction] « état d’une personne incapable d’une conduite rationnelle, ou incapable de gérer ses propres affaires »

 

[15]         L’appelant et son épouse ont dit tous deux qu’en 1995, 1996, 1997 et jusqu’à la date de l’hospitalisation de l’appelant en 1998, l’appelant a souffert de troubles psychotiques. Je suis d’avis qu’il n’était pas en mesure de gérer ses propres affaires. Il n’était pas en mesure de faire le nécessaire pour que la TPS soit versée au ministre. Comme lui‑même et son épouse l’ont dit, l’appelant vivait à cette époque‑là dans un autre monde.

 

[16]         Il est certain que si un contribuable peut échapper à l’imposition d’une pénalité selon l’article 280 en montrant qu’il a été raisonnablement diligent, c’est‑à‑dire qu’il a agi de façon raisonnable, alors un contribuable qui souffre d’une maladie mentale, qui souffre de troubles psychotiques, qui est mentalement incapable de gérer ses propres affaires, devrait être dispensé de la pénalité.

 

[17]         Quel est l’objet de la pénalité prévue par l’article 280? Est‑ce d’encourager les contribuables à se conformer à la loi et à produire à temps leurs déclarations? Est‑ce de pénaliser ceux qui sont insouciants, ou qui négligent de produire à temps leurs déclarations? Si tel est le cas, alors l’appelant ne devrait pas être pénalisé car il n’a été ni insouciant ni négligent. L’objet de la disposition n’est pas de pénaliser ceux qui sont trop malades pour produire à temps leurs déclarations.

 

[18]         Au vu de tous les témoignages que j’ai entendus aujourd’hui, il ne serait pas juste que la pénalité soit confirmée.

 

[19]         Je suis d’avis que l’appelant a opposé une défense valide de diligence raisonnable. La pénalité prévue par l’article 280 sera supprimée.

 

[20]         La Cour ne peut soustraire l’appelant au paiement des intérêts imposés en application de l’article 280.

 

LA PÉNALITÉ VISÉE À L’ARTICLE 285

 

[21]         L’intimée a la charge de prouver que les pénalités prévues à l’article 285 devraient être maintenues. Elle doit prouver que l’appelant, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, a fait une omission dans une déclaration et qu’il est passible d’une pénalité.

 

[22]         Dans la décision Venne c. R., [1984] A.C.F. n° 314 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer décrivait en ces termes la charge qui reposait sur la défenderesse :

 

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

 

[23]         L’intimée ne s’est pas acquittée de son fardeau. Les faits invoqués dans le présent appel étaient si malheureux et si troublants que M. Lalone, le vérificateur qui avait établi la pénalité pour faute lourde, a affirmé, en réponse à une question que je lui posais, que, s’il avait eu connaissance de tous ces faits, il n’aurait pas établi la pénalité prévue par l’article 285.

 

[24]         L’appel est accueilli, et les deux pénalités seront supprimées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2008.

 

« V.A. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d’octobre 2008.

Sandra de Azevedo, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI356

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2007‑4476(GST)I

 

INTITULÉ :                                       AHMED Z. BASHIR ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 23 avril 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :     L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DE L’ORDONNANCE :          Le 24 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimée :

Me Joanna Hill

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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