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Dossier : 2007-2555(GST)I

ENTRE :

 

STANTEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 9 mai 2008, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Shayne Saskiw et

       James Yaskowich

Avocat de l’intimée :

Me David Besler

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations et de la cotisation suivantes établies en application de la Loi sur la taxe d’accise :

 

a)       une nouvelle cotisation en date du 21 février 2007, portant le numéro 10BT-GB0617-7164-1090, pour la période allant du 2 juillet au 5 août 2005;

 

b)      une nouvelle cotisation en date du 21 février 2007, portant le numéro 10BT-GB0617-7164-2416, pour la période allant du 3 au 30 septembre 2005;

 

c)       une nouvelle cotisation en date du 21 février 2007, portant le numéro 10BT-GB0617-7164-3167, pour la période allant du 5 novembre au 2 décembre 2005;

 

d)      une cotisation en date du 29 mars 2006, pour la période allant du 3 au 31 décembre 2005;

 

sont accueillis et les affaires sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l’appelante a droit à des crédits de taxe sur les intrants se rapportant à l’inscription de ses actions au New York Stock Exchange.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juillet 2008.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’août 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur

 


 

 

Référence : 2008CCI400

Date : 20080630

Dossier : 2007-2555(GST)I

ENTRE :

STANTEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

 

[1]              Stantec Inc. (« Stantec ») est une société publique canadienne, une société de portefeuille dotée d’un réseau de filiales au Canada et aux États‑Unis. Stantec est un inscrit aux fins de la TPS. Dans le cadre de la fusion, en 2005, d’une de ses filiales à cent pour cent, Stantec Consulting California Inc., avec une société de la Californie, Keith Companies Inc., Stantec a subi des coûts élevés au Canada à l’égard des services professionnels requis pour faire inscrire ses actions au New York Stock Exchange. Selon une condition de l’opération conclue avec Keith Companies, Stantec devait être inscrite dans une bourse américaine. Stantec a payé la TPS sur les services professionnels d’inscription et elle a demandé des crédits de taxe sur les intrants à cet égard. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les crédits de taxe sur les intrants pour les motifs suivants :

 

(i)      les crédits de taxe sur les intrants ne peuvent pas être demandés conformément à l’article 169 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »), étant donné que Stantec n’exerçait pas d’activité commerciale et n’effectuait pas de fournitures taxables sur lesquelles elle exigeait la TPS;

 

(ii)      les paragraphes 186(1) et (2) de la Loi ne s’appliquent pas à l’opération relative à la fusion, de façon que Stantec soit réputée avoir acquis les services d’inscription dans le cadre de ses activités commerciales.

 

[2]              La position de Stantec est la suivante :

 

(i)      elle a acquis les services d’inscription pour utilisation dans son activité commerciale, qui consistait à avoir des sociétés actives en vue d’obtenir un revenu de dividendes et un revenu en intérêts et, même si les services d’inscription étaient utilisés à l’égard de la fourniture de ses propres actions, cette fourniture était une fourniture détaxée plutôt qu’une fourniture exonérée, de sorte que les services se rapportaient à une utilisation dans une activité commerciale, selon la définition de la Loi;

 

(ii)      elle est clairement visée par les dispositions déterminatives des paragraphes 186(1) et (2) de la Loi, qui se rapportent expressément aux sociétés de portefeuille.

 

Les faits

 

[3]              J’ai entendu les témoignages du vice‑président, Pratiques et Gestion des risques, de Stantec, M. Alpern, et du directeur, Relations avec les investisseurs, de Stantec, M. Stelfox. Stantec est une société de portefeuille dotée de plusieurs filiales qui s’occupent de génie conseil, d’architecture et d’aménagement intérieur. Le réseau des sociétés Stantec compte environ 9 000 employés partout au Canada et aux États‑Unis, mais Stantec elle‑même ne compte que deux ou trois employés. Au cours des dix dernières années, l’objectif d’entreprise de Stantec a été de prendre de l’essor principalement au moyen de l’acquisition de filiales. Ses trois principales filiales sont Stantec Consulting (au Canada), Stantec Consulting Services Inc. (dans l’Est des États‑Unis) et Stantec Consulting Inc. (dans l’Ouest des États‑Unis).

 

[4]              Stantec a commencé à s’intéresser à Keith Companies et a entamé des discussions avec celle‑ci en 2003, mais ce n’est qu’au début de l’année 2005 que des mesures concrètes ont été prises aux fins de la conclusion d’un marché. Stantec croyait qu’il y avait une bonne compatibilité avec Keith Companies, étant donné que celle‑ci s’intéressait avant tout à des projets d’aménagement urbain ainsi qu’aux mesures correctives à l’égard des eaux et des eaux usées. Keith Companies a une forte présence dans l’Ouest des États‑Unis. Keith Companies ne constituait pas la première acquisition américaine; de 1997 à 2001, Stantec a procédé à quatorze acquisitions aux États‑Unis, mais Keith Companies aurait représenté l’acquisition la plus importante à ce moment‑là.

 

[5]              Stantec a créé une filiale à cent pour cent de la Californie, Stantec Consulting California Inc., dans l’intention de fusionner cette société avec Keith Companies. La contrepartie globale pour la fusion s’élevait à plus de 90 millions de dollars. Stantec et Keith Companies ont conclu une entente et se sont entendues sur un plan de fusion et de réorganisation, le 14 avril 2005. Il est utile de reproduire certaines parties de cette entente :

 

[traduction]

 

ARTICLE 7.03.  Conditions applicables aux obligations de la société. Les obligations de la société, aux fins de la conclusion de la fusion, sont assujetties à l’exécution des conditions supplémentaires suivantes ou à la renonciation à ces conditions (lorsque la chose est possible) :

 

[…]

 

f)          Inscription dans une bourse américaine. Les actions du capital‑actions ordinaire de la personne morale mère qui doivent être émises dans le cadre de la fusion auront fait l’objet d’une autorisation, aux fins de leur inscription ou cotation, selon le cas, dans une bourse américaine, sous réserve d’un avis d’émission officiel.

 

[6]               Dans une circulaire de procuration et un prospectus du 17 août 2005, la fusion était résumée comme suit :

 

[traduction]

 

La fusion

 

            Nous envisageons la fusion de Keith et de Stantec Consulting, une filiale à cent pour cent de Stantec. Une fois la fusion terminée, Stantec Consulting continuera à exercer ses activités à titre de société survivante et à titre de filiale à cent pour cent de Stantec. Après la fusion, les actionnaires existants de Keith détiendront environ 17 p. 100 des actions ordinaires en circulation de Stantec (compte tenu du fait qu’au 13 avril 2005, il y avait 18 937 019 actions ordinaires de Stantec).

 

            Conformément à la convention de fusion jointe, à titre d’appendice A, au présent prospectus et à la présente circulaire de procuration, chaque action du capital‑actions ordinaire de Keith sera échangée moyennant une contrepartie, pour la fusion, égale : (1) à 11 $US en argent; (2) à 0,23 action ordinaire de Stantec et (3) au nombre d’actions ordinaires de Stantec correspondant à 5,50 $US, compte tenu du cours de négociation moyen, sur 20 jours, des actions ordinaires de Stantec avant la fusion. Compte tenu du cours vendeur de clôture des actions ordinaires de Stantec et du taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien au 15 août 2005, la valeur de 0,23 action ordinaire de Stantec était d’environ 7,38 $US et le montant de 5,50 $US correspondait à environ 0,17 action ordinaire de Stantec.

 

            Les détenteurs d’actions ordinaires de Keith pourront à leur gré recevoir leur contrepartie, à l’égard de la fusion, (A) au moyen d’une combinaison d’argent et d’actions ordinaires de Stantec, conformément à la description donnée ci‑dessus, (B) entièrement au moyen d’actions ordinaires de Stantec, ou (C) entièrement en argent; toutefois, pour ce qui est de (B) et de (C), un rajustement sera effectué au prorata si la quantité d’actions ordinaires de Stantec ou le montant d’argent donnent lieu à un dépassement de souscription. Compte tenu du cours vendeur de clôture des actions ordinaires de Stantec et du taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien, au 15 août 2005, pour chaque action du capital‑actions de Keith, le détenteur recevra (A) s’il choisit une combinaison d’argent et d’actions ordinaires de Stantec, 11 $US et environ 0,40 action ordinaire de Stantec, (B) s’il choisit uniquement des actions ordinaires de Stantec, environ 0,74 action ordinaire de Stantec, et (C) s’il choisit uniquement de l’argent, environ 23,88 $US, sous réserve d’un rajustement au prorata pour ce qui est de (B) et de (C).

 

            Si la fusion n’est pas admissible en tant que réorganisation libre d’impôt en vertu des dispositions de l’alinéa 368a) du Code, Stantec a le choix, à sa seule discrétion, de procéder à la fusion en payant, à l’égard de la fusion, une contrepartie en argent de 22 $US par action du capital‑actions de Keith plutôt que la contrepartie décrite ci‑dessus. En pareil cas, vous recevrez 22 $US en argent pour chaque action du capital‑actions de Keith que vous détenez. Dans le cas où Stantec exercerait ce choix, Keith et Stantec distribueraient de nouveau un prospectus et une circulaire de procuration révisés et demanderaient de nouveau aux actionnaires de Keith de voter aux fins de l’approbation de la fusion. Si la fusion n’est pas admissible en tant que réorganisation libre d’impôt et que Stantec n’exerce pas son choix de payer la contrepartie entièrement en argent, Keith ne sera pas obligée de procéder à la fusion. En outre, en pareil cas, Stantec et Keith ne concluront pas la fusion sans distribuer de nouveau un prospectus et une circulation de procuration révisés et sans demander de nouveau aux actionnaires de Keith de voter aux fins de l’approbation de la fusion.

 

[7]              M. Alpern a clairement dit que si Stantec n’avait pas pris de mesures pour faire inscrire la société au New York Stock Exchange, l’opération relative à la fusion n’aurait pas eu lieu. M. Stelfox a mentionné que les actionnaires de Keith Companies voulaient avoir accès à une bourse américaine. Tant que le marché avec Keith Companies ne s’est pas présenté, Stantec n’avait pas envisagé d’être inscrite aux États‑Unis, étant donné, selon M. Alpern, qu’il n’était pas sensé sur le plan économique de le faire. Les investisseurs continuaient à s’en remettre surtout à la Bourse de Toronto, plutôt qu’au New York Stock Exchange. Stantec a de fait pris des mesures en vue d’être inscrite au New York Stock Exchange, ce qui s’est produit le 5 août 2005. Elle a engagé des frais pour obtenir les services professionnels au Canada aux fins de son inscription et de l’enregistrement auprès de la SEC. Elle a payé une TPS de 58 735,83 $ à l’égard de ces services professionnels d’inscription.

 

Le point en litige

 

[8]              Stantec a‑t‑elle droit à des crédits de taxe sur les intrants de 58 735,83 $?

 

Analyse

 

[9]              Les paragraphes 186(1) et (2) sont des dispositions dans lesquelles la situation unique en son genre d’une société de portefeuille est reconnue; selon ces dispositions, une société de portefeuille est réputée, dans certaines circonstances, exercer des activités commerciales.

 

 

[10]         Le paragraphe 186(1) est rédigé comme suit :

 

186(1) Sous réserve du paragraphe (2) et pour le calcul de son crédit de taxe sur les intrants, une personne morale mère qui acquiert, importe ou transfère dans une province participante, à un moment donné, un bien ou un service est réputée l’avoir acquis, importé ou transféré dans la province pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu’elle l’a ainsi acquis, importé ou transféré dans la province pour consommation ou utilisation relativement à des actions du capital‑actions d’une autre personne morale qui lui est liée à ce moment, ou à des créances contre cette autre personne, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)         la personne morale mère est un inscrit qui réside au Canada;

 

b)         au moment où la taxe relative à l’acquisition, à l’importation ou au transfert devient payable, ou est payée sans être devenue payable, par la personne morale mère, la totalité, ou presque, des biens de l’autre personne morale sont des biens qu’elle a acquis ou importés la dernière fois pour consommation, utilisation ou fourniture par celle‑ci exclusivement dans le cadre de ses activités commerciales.

 

[11]         Pour être admissible aux crédits de taxe sur les intrants conformément à cette disposition, Stantec doit prouver :

 

(i)      qu’elle était un inscrit qui résidait au Canada;

 

(ii)              que Keith Companies ou Stantec California participaient à part entière à une activité commerciale;

 

(iii)            que Stantec et Keith Companies ou Stantec et Stantec California étaient liées au moment où les services professionnels d’inscription ont été obtenus;

 

(iv)            que les services professionnels d’inscription en vue de l’obtention de l’inscription au New York Stock Exchange étaient acquis « relativement à » des actions de Keith Companies ou à des actions de Stantec California.

 

[12]         Il n’est pas contesté que Stantec satisfait aux deux premières conditions. De plus, l’intimée ne soutient pas que Stantec et Keith Companies n’étaient pas liées ni que Stantec et Stantec California n’étaient pas liées au moment où les services ont été acquis. De toute évidence, Stantec et Stantec California étaient liées. Je retiens également l’argument de l’appelante selon lequel, lors de la conclusion de l’entente, le 14 avril 2005, et par la suite, Stantec et Keith Companies étaient également liées par suite de l’application du paragraphe 126(2) de la Loi et de l’alinéa 251(5)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[13]         Il reste donc à examiner la quatrième condition pour l’application du paragraphe 186(1) : Est‑il raisonnable de considérer que les services d’inscription ont été acquis pour utilisation « relativement à » des actions de Keith Companies ou à des actions de Stantec California?

 

[14]         L’expression « raisonnable de considérer relativement à » a une portée fort étendue. La Cour suprême du Canada a examiné l’expression « relativement à » dans l’arrêt Slattery (Syndic de) c. Slattery[1], laquelle porte à croire qu’il y a lieu d’adopter une vue large plutôt qu’étroite, en établissant un lien entre deux questions. Lorsque les mots « raisonnable de considérer » mènent à cette approche générale, j’arrive à la conclusion inévitable selon laquelle il n’en faudrait pas beaucoup pour établir un lien entre l’acquisition des services d’inscription et les actions de Keith Companies ou de Stantec California.

 

[15]         Il existe sans aucun doute un lien étroit entre les services d’inscription et les actions de Stantec – il s’agissait des actions mêmes qui étaient inscrites, mais ce lien n’a pas à être d’une nature primordiale ou substantielle ou de la nature d’un lien direct. L’idée que comporte l’expression « relativement à » n’est pas une idée de prédominance et encore moins d’exclusivité.

 

[16]         Les faits sont très clairs – les services d’inscription ont été acquis pour que Stantec puisse conclure le marché en vue de détenir toutes les actions de la société résultant de la fusion de Keith Companies et de Stantec California. Je conclus qu’il est facile et raisonnable de considérer que ces services ont été acquis relativement aux actions de Keith Companies ou de Stantec California ou aux actions de la société fusionnée, c’est‑à‑dire, l’investissement par Stantec dans sa nouvelle acquisition.

 

[17]         L’intimée invoque l’énoncé de politique P‑196R, dans lequel on donne l’exemple d’une personne morale mère qui détient 51 p. 100 d’une filiale et qui emprunte de l’argent en émettant ses propres actions, de façon à pouvoir financer l’acquisition d’actions supplémentaires de la filiale. Le gouvernement n’appliquerait pas le paragraphe 186(1) en vue d’accorder les crédits de taxe sur les intrants se rapportant aux services professionnels se rattachant à l’émission des actions, étant donné qu’il n’est pas raisonnable de considérer que la personne morale mère acquiert les services pour utilisation relativement aux actions de la société active. Le gouvernement affirme que la collecte de fonds au moyen de l’émission d’actions se situe à l’étape qui précède l’obtention d’un plus grand nombre d’actions d’une société active. Je ne puis rien constater à l’appui de cette doctrine. La politique P‑196R permet l’application du paragraphe 186(1) si la société de portefeuille subit des coûts simplement afin d’acheter les actions d’une société active, sans emprunter de l’argent en émettant ses propres actions. Je ne puis voir comment une acquisition est faite relativement aux actions d’une filiale, alors que l’autre acquisition ne l’est pas. La politique P‑196R ne me convainc pas. Selon moi, le paragraphe 186(1) s’applique de fait dans ce cas‑ci.

 

[18]         Cela suffit pour que l’appel interjeté par Stantec soit accueilli, mais je conclus également que le paragraphe 186(2) s’applique. Cette disposition est rédigée comme suit :

 

186(2)  Pour l’application de la présente partie, le bien ou le service qu’un inscrit – personne morale résidant au Canada – (appelé « acheteur » au présent paragraphe) acquiert, importe, ou transfère dans une province participante est réputé avoir été acquis, importé, ou transféré dans la province participante, selon le cas, pour utilisation exclusive dans le cadre de ses activités commerciales, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)         le bien ou le service est lié à l’acquisition réelle ou projetée par l’acheteur de la totalité ou de la presque totalité des actions, émises et en circulation et comportant plein droit de vote en toutes circonstances, du capital‑actions d’une autre personne morale;

 

b)         tout au long de la période commençant soit au début de l’exécution du service, soit au moment où l’acheteur, selon le cas, a acquis ou importé le bien, ou l’a transféré dans la province participante, et se terminant au dernier en date des jours visés à l’alinéa c), la totalité ou la presque totalité des biens de l’autre personne morale sont des biens acquis ou importés pour consommation, utilisation ou fourniture exclusive dans le cadre d’activités commerciales.

 

Aux fins du crédit de taxe sur les intrants, la taxe relative à la fourniture du bien ou du service à l’acheteur, ou à l’importation ou au transfert du bien par lui, est réputée être devenue payable et avoir été payée par lui au dernier en date des jours suivants :

 

c)         le jour où l’acheteur a acquis la totalité ou la presque totalité des actions ou, s’il est postérieur, le jour où il a renoncé à les acquérir;

 

d)         le jour où la taxe est devenue payable ou a été payée par lui.

 

[19]         Les notes techniques du mois de décembre 1999 du gouvernement décrivent l’objet de cette disposition comme suit :

 

Le paragraphe 186(2) de la Loi s’applique lorsqu’une personne morale acquiert ou projette d’acquérir la totalité ou la presque totalité des actions avec droit de vote du capital‑actions d’une autre personne morale exerçant exclusivement des activités commerciales. Dans ces circonstances, la personne morale qui fait l’acquisition a droit à des crédits de taxe sur les intrants à l’égard des biens et des services qu’elle acquiert et qui sont liés à la prise de contrôle réelle ou projetée.

 

[20]         Pour être admissible aux crédits de taxe sur les intrants conformément à cette disposition, Stantec doit démontrer :

 

(i)      qu’elle est un inscrit qui résidait au Canada;

 

(ii)              qu’elle projette d’acquérir ou qu’elle a acquis la presque totalité des actions comportant droit de vote de la personne morale cible, Keith Companies;

 

(iii)            que la presque totalité des biens de Keith Companies sont utilisés exclusivement dans des activités commerciales;

 

(iv)            que les services d’inscription se rapportent à l’acquisition de la presque totalité des actions de Keith Companies.

 

Les première et troisième conditions ne sont pas contestées.

 

[21]         Le premier argument que l’intimée invoque en rejetant l’application du paragraphe 186(2) est que l’opération de fusion ne constituait pas une « acquisition » des actions de Keith Companies pour l’application du paragraphe 186(2), étant donné qu’il n’y a pas eu acquisition réelle de ces actions. L’intimée donne un sens beaucoup trop restreint à l’« acquisition » d’actions.

 

[22]         Dans la Série des mémorandums du gouvernement, chapitre 8.1, le mot « acquérir » est défini comme suit :

 

Le mot « acquérir » n’est pas défini dans la Loi. Dans un dictionnaire ordinaire, ce mot est défini comme suit : « devenir propriétaire de (un bien, [...]), par achat, échange, succession; arriver à posséder; procurer la possession, [...] ». En ce qui concerne un bien, la jurisprudence pertinente indique qu’un bien est acquis en obtenant la propriété ou des éléments habituels de propriété comme la possession, l’utilisation ou le risque.

 

[23]         Stantec a‑t‑elle acquis Keith Companies? De toute évidence, c’est ce que les représentants de Stantec croyaient faire, comme le montrent clairement les témoignages de M. Alpern et de M. Stelfox ainsi que la convention de fusion elle‑même. Stantec a versé une contrepartie de plus de 90 millions de dollars en argent ainsi que des actions afin d’obtenir le contrôle exclusif de la société fusionnée, par suite de la fusion de Keith Companies et de Stantec California, qui lui appartenait déjà à cent pour cent. Dans le cadre de l’opération de fusion, toutes les actions de Keith Companies ont été annulées. Il semble qu’en vertu du Corporations Code de la Californie, une seule des sociétés remplacées poursuit les activités à titre de société survivante, celle‑ci possédant tous les éléments d’actif et de passif des deux sociétés remplacées. Stantec a acquis Keith Companies, et ce, quelle que soit la façon dont le mot « acquis » est interprété.

 

[24]         L’intimée fait valoir que cela ne constitue pas une acquisition des actions de Keith Companies; pourtant, conformément à la convention de fusion, ces actions de Keith Companies donnent le droit de recevoir des actions de Stantec ou des actions et de l’argent. Stantec paie pour obtenir quelque chose, et ce quelque chose est l’annulation des actions de Keith Companies et la propriété de toutes les actions de la société fusionnée. Effectivement, Stantec obtient la pleine propriété de Keith Companies. Elle le fait en ayant, en vertu d’un contrat, le contrôle de la disposition de ces actions sous la forme de leur annulation. Étant donné que Stantec détenait déjà toutes les actions d’une société remplacée, elle obtient, au moyen de cette opération, la totalité du droit de contrôler l’autre société remplacée, dont les activités sont maintenant exercées par la nouvelle société fusionnée.

 

[25]         Le paragraphe 186(2) vise les prises de contrôle. Il s’agissait ici d’une prise de contrôle. Le rejet de l’application de cette disposition à cause de certaines particularités existant dans le droit des sociétés de la Californie et d’une approche trop stricte à l’égard de la notion d’acquisition d’actions va à l’encontre de l’essence du paragraphe 186(2). Je conclus qu’en concluant un contrat aux fins de l’annulation des actions de Keith Companies et en détenant toutes les actions de la société fusionnée, Stantec a effectivement, pour l’application du paragraphe 186(2), acquis toutes les actions de Keith Companies.

 

[26]         L’intimée soutient ensuite que les services d’inscription ne se rapportent pas à l’acquisition. Je me fonde sur les mêmes motifs que ceux que j’ai énoncés au sujet du paragraphe 186(1) pour conclure qu’il existe un lien suffisant entre les services d’inscription et l’acquisition de Keith Companies pour que l’un se rapporte à l’autre. Je conclus que les circonstances dans lesquelles Stantec a pris le contrôle de Keith Companies sont clairement visées au paragraphe 186(2).

 

[27]         L’application des paragraphes 186(1) et (2) suffit pour qu’il soit possible de tirer une conclusion en faveur de Stantec et d’accorder les crédits de taxe sur les intrants. Toutefois, Stantec s’est fondée sur l’application générale de l’article 169 et sur la définition de l’« activité commerciale » comme principal argument pour obtenir les crédits de taxe sur les intrants, sans avoir à recourir aux paragraphes 186(1) et (2). Cela étant, j’examinerai brièvement l’argument invoqué.

 

[28]         La difficulté, lorsque l’on applique l’article 169 à une société de portefeuille, est que la société n’exploite pas une entreprise dans le cadre de laquelle elle effectue des fournitures. L’intimée soutient que cela en soi peut être suffisant pour refuser d’accorder à Stantec les crédits de taxe sur les intrants. L’intimée affirme ensuite que la seule fourniture que Stantec a effectuée était la fourniture de ses propres actions qui, comme elle l’affirme erronément, était une fourniture exonérée, et que cela ne constitue donc pas une activité commerciale. L’intimée n’a pas invoqué l’article 141.01 de la Loi dans son argumentation, mais elle a invoqué cette disposition dans la réponse à l’avis d’appel. Je suppose que l’argument de l’intimée est fondé sur l’application de l’article 141.01.

 

[29]         Pour demander des crédits de taxe sur les intrants conformément à l’article 169, Stantec doit avoir acquis les services d’inscription pour utilisation dans le cadre d’activités commerciales. Les activités commerciales sont définies d’une façon générale comme suit :

 

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne : 

 

a)         l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

 

b)         les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l’affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

 

c)         la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d’immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion des fournitures.

 

 

Le mot « entreprise » est défini comme suit :

 

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

 

[30]         Comme le montrait clairement l’approche adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt London Life Insurance Co. c. Canada[2], une société dont l’entreprise consiste à effectuer des fournitures exonérées peut néanmoins être considérée comme exerçant une activité commerciale pour une opération particulière (dans ce cas‑là, il s’agissait d’effectuer des améliorations locatives). Comme je l’ai indiqué dans la décision BJ Services Co. Canada v. R.[3], la définition de l’activité commerciale est large. Les seules activités qui auraient pour effet d’exclure les activités d’une société des activités commerciales seraient des activités d’une nature personnelle ou la réalisation de fournitures exonérées. En acquérant Keith Companies au moyen d’une fusion, Stantec n’exerçait pas une activité d’une nature personnelle et elle ne s’occupait pas d’effectuer des fournitures exonérées. La fourniture de ses propres actions aux actionnaires américains de Keith Companies, dans le cadre de l’opération, constituait une fourniture détaxée. Voir l’article 10.1 de l’annexe VI, partie V de la Loi, qui est rédigé comme suit :

 

10.1     La fourniture d’un bien meuble incorporel effectuée au profit d’une personne non‑résidente qui n’est pas inscrite aux termes de la sous‑section d de la section V de la partie IX de la loi au moment de la fourniture, à l’exclusion des fournitures suivantes :

 

a)         la fourniture effectuée au profit d’un particulier, sauf s’il se trouve à l’étranger au moment de la fourniture;

 

b)         la fourniture d’un bien meuble incorporel qui se rapporte, selon le cas :

 

(i)                  à un immeuble situé au Canada,

 

(ii)                à un bien meuble corporel habituellement situé au Canada,

 

(iii)               à un service dont la fourniture est effectuée au Canada et n’est pas une fourniture détaxée visée à l’un des articles de la présente partie ou des parties VII ou IX;

 

c)         la fourniture qui consiste à mettre à la disposition de quiconque une installation de télécommunication qui est un bien immeuble incorporel devant servir à offrir un service visé à l’alinéa a) de la définition de « service de télécommunication » au paragraphe 123(1) de la loi;

 

d)                  la fourniture d’un bien meuble incorporel qui ne peut être utilisé

            qu’au Canada;

 

e)                  toute fourniture visée par règlement.

 

L’article 141.01 de la Loi n’entrerait donc pas en ligne de compte en vue de restreindre les crédits de taxe sur les intrants.

 

[31]         Les services d’inscription ont‑ils été acquis pour être utilisés dans l’acquisition par fusion? Comme le montrent clairement les remarques qui j’ai faites au sujet des paragraphes 186(1) et (2), je suis convaincu que les services d’inscription visaient clairement à cimenter la prise de contrôle de Keith Companies. En ce qui concerne l’opération de fusion, je conclus que les services d’inscription ont été acquis pour utilisation dans une activité commerciale, étant donné que l’opération ne comportait aucune fourniture exonérée et n’était pas de nature personnelle.

 

[32]         Une question plus intéressante se serait posée si j’avais conclu que les services d’inscription ne se rapportaient pas à la prise de contrôle, mais qu’ils avaient été acquis pour que Stantec et ses actionnaires bénéficient d’un avantage plus important, à plus long terme en obtenant l’inscription au New York Stock Exchange. Je me verrais alors obligé d’examiner des questions similaires soulevées dans l’affaire BJ Services, à savoir au profit de qui (la société ou les actionnaires) les coûts ont‑ils été supportés? Cela a‑t‑il pour effet de changer la nature de l’activité, qui d’activité commerciale devient une activité d’une nature plus personnelle? Il est inutile de répondre à ces questions étant donné la conclusion que j’ai titrée au paragraphe précédent, mais l’avocat de l’appelante en a fait mention, en soutenant que l’inscription était cruciale pour que Stantec maintienne sa valeur et puisse l’accroître, malgré l’avantage perçu, sinon réel, pour les actionnaires existants et futurs. L’appelante a conclu qu’étant donné la politique voulant que l’on maximise la valeur pour l’actionnaire en acquérant des filiales actives, on ne saurait dire que le but visé par les services d’inscription, l’avantage qu’ils offrent ou le contexte dans lequel ils s’inscrivent pourraient donner lieu à un avantage personnel. Toutefois, cela ne ressemble pas à la situation qui existait dans l’affaire BJ Services, où l’entreprise de la société en cause consistait à effectuer des fournitures taxables. La question de savoir comment l’article 141.01 s’applique à une société de portefeuille qui ne s’occupe pas de la réalisation de fournitures est une question différente – une question que je n’ai pas à aborder dans la présente décision.

 

[33]         Les appels sont accueillis et les affaires sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que Stantec est admissible aux crédits de taxe sur les intrants conformément à l’article 169, étant donné que les services d’inscription ont été acquis pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales conformément aux dispositions déterminatives des paragraphes 186(1) et (2) de la Loi, ou conformément à la définition générale des activités commerciales, appliquée à l’opération de fusion en cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2008.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’août 2008.

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 400

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2007-2555(GST)I

 

INTITULÉ :                                       STANTEC INC.

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 9 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :   Le 7 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Shayne Saskiw et

       James Yaskowich

Avocat de l’intimée :

Me David Besler

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Shayne Saskiw et James Yaskowich

 

                          Cabinet :                  Felesky Flynn LLP

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           [1993] 3 R.C.S. 430.

[2]           [2000] A.C.F. no 2121.

 

[3]           2002 CarswellNat 3228.

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