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Dossier : 2007-3097(IT)I

ENTRE :

GEORGE P. CALOGERACOS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Ottawa (Ontario), le 19 juin 2008.

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Charles Camirand

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant est rejeté, sans dépens.

 


Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse) ce 3e jour de juillet 2008.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de septembre 2008.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2008CCI389

Date : Le 3 juillet 2008

Dossier : 2007-3097(IT)I

ENTRE :

GEORGE P. CALOGERACOS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE ,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              L’appelant a interjeté appel d’une cotisation qui refusait sa demande de crédit d’impôt faite en vertu de l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à l’un de ses enfants. L’appelant a fondé son appel sur l’argument selon lequel le paragraphe 118(5) de la Loi contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

 

[2]              Les faits ne sont pas en litige en l’espèce. L’appelant et son ancienne épouse sont divorcés. Ils ont deux enfants et ils en partagent la garde. Comme les revenus de l’appelant étaient supérieurs à ceux de son ancienne épouse, celui‑ci était tenu de verser à son ancienne épouse une pension alimentaire pour enfants et une pension alimentaire pour conjoint en application d’une ordonnance rendue par la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Dans sa déclaration de revenus pour 2006, l’appelant a demandé un crédit d’impôt en vertu de l’alinéa 118(1)b) de la Loi relativement à l’un de ses enfants. L’intimée a rejeté cette demande de crédit d’impôt à cause du paragraphe 118(5) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

 

118(5) Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son époux ou conjoint ou ex‑époux ou ancien conjoint pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

 

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

 

b) demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son époux ou conjoint ou ex‑époux ou ancien conjoint.

 

[3]              Il est évident que les exigences de ce paragraphe sont remplies en l’espèce; l’appelant ne nie pas ce fait. Cependant, l’appelant conteste cette disposition au motif qu’elle contrevient à la Charte.

 

[4]              L’appelant fonde sa position sur trois arguments. L’appelant a soutenu que la disposition devrait être déclarée inopérante parce qu’elle est vague, parce qu’elle contrevient à l’article 7 de la Charte et parce qu’elle contrevient à l’article 15(1) de la Charte.

 

[5]              À mon avis, le paragraphe 118(5) est clair et non vague. L’appelant ne peut donc pas réussir grâce à cet argument.

 

[6]              Pour ce qui est de l’argument de l’appelant quant à l’article 7 de la Charte, cet article est rédigé de la sorte :

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

[7]              Dans Mathew c. La Reine (2003 FCA 371), le juge Rothstein (tel était alors son titre) a fait les commentaires suivants sur l’article 7 de la Charte relativement à des nouvelles cotisations qui avaient été établies en vertu de la Loi :

 

[29]      Je reconnais que le pouvoir d'établir une nouvelle cotisation pour un contribuable met en cause l'administration de la justice. Je ne reconnais toutefois pas qu'établir une nouvelle cotisation donne lieu à une atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne.

 

[30]      Si un droit entre en jeu lorsqu'on établit de nouvelles cotisations, c'est d'un droit économique qu'il s'agit. S'exprimant au nom de la majorité dans Gosselin, la juge en chef McLachlin a fait observer que, dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 1003, le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la majorité, n'avait pas répondu à la question de savoir si l'article 7 pouvait être invoqué pour protéger les « droits économiques, fondamentaux à [...] la survie [de la personne] » . On ne laisse toutefois pas entendre dans Gosselin que l'article 7 est d'assez large portée pour englober les droits économiques de manière générale ou, plus particulièrement, l'établissement de nouvelles cotisations. Je suis d'avis, par conséquent, que les appelants n'ont pas démontré l'atteinte à un droit quelconque garanti par l'article 7 de la Charte.

 

[8]              La décision de la Cour d’appel fédérale dans Mathew a été confirmée par la Cour suprême du Canada (2005 CSC 55), mais cette dernière n’a pas traité de l’application de l’article 7 de la Charte aux nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi.

 

[9]              À la lumière des commentaires du juge Rothstein, l’appelant ne peut pas réussir en affirmant que l’article 7 de la Charte s’applique au paragraphe 118(5) de la Loi. La preuve a montré que l’appelant aurait utilisé le remboursement d’impôt qu’il s’attendait à recevoir grâce à sa demande de crédit d’impôt faite en vertu de l’alinéa 118(1)b) de la Loi pour financer des vacances en famille, et non pas que le remboursement aurait été nécessaire à sa survie.

 

[10]         L’appelant a aussi soutenu que le paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire envers les hommes qui doivent verser des pensions alimentaires pour enfants même s’ils en partagent la garde, et que cette disposition contrevient donc au paragraphe 15(1) de la Charte. Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi rédigé :

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[11]         Dans Law c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1999] 1 R.C.S. 497, le juge Iacobucci de la Cour suprême du Canada s’est exprimé de la façon suivante quant à la façon dont les allégations de discrimination fondées sur le paragraphe 15(1) de la Charte doivent être analysées :

 

39        À mon avis, pour analyser une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) de la Charte, il convient de faire une synthèse de ces différentes démarches.  Appliquant l’analyse énoncée dans Andrews, précité, et l’analyse en deux étapes décrite notamment dans Egan et Miron, précités, le tribunal appelé à décider s’il y a eu discrimination au sens du par. 15(1) devrait se poser les trois grandes questions suivantes.  Premièrement, la loi contestée a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?  Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1).  Deuxièmement, le demandeur a‑t‑il subi un traitement différent en raison d’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était‑elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l’objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique?  Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1).

 

[12]         Le juge Iacobucci a aussi fait les commentaires suivants quant aux éléments de comparaison pertinents :

 

56        Comme je l’ai mentionné plus haut, le juge McIntyre a souligné dans Andrews, précité, que la garantie d’égalité est un concept relatif.  En dernière analyse, le tribunal doit établir la différence de traitement par comparaison avec une ou plusieurs autres personnes ou groupes.  Il est nécessaire de trouver l’élément de comparaison approprié pour cerner la différence de traitement et les motifs de la distinction.  Il y aura lieu de trouver l’élément de comparaison approprié au moment de l’examen des nombreux facteurs contextuels dans l’analyse de la discrimination.

 

57        Pour déterminer quel est l’élément de comparaison approprié, toute une gamme de facteurs doit être prise en compte, notamment, l’objet des dispositions législatives.  Une analyse relative au par. 15(1) n’a pas pour objet de juger de l’égalité dans l’abstrait.  Son objet est plutôt de déterminer si les dispositions législatives contestées créent entre le demandeur et les autres, sur le fondement des motifs énumérés ou de motifs analogues, une différence de traitement qui entraîne de la discrimination.  Il faut examiner à la fois l’objet et l’effet des dispositions pour faire ressortir le groupe ou les groupes de comparaison appropriés.  D’autres facteurs contextuels peuvent également être pertinents.  Les ressemblances ou dissemblances biologiques, historiques et sociologiques peuvent être pertinentes en particulier pour cerner l’élément de comparaison approprié et, de façon plus générale, pour déterminer si les dispositions créent réellement de la discrimination: voir Weatherall, précité, aux pp. 877 et 878.

 

58        Le point de départ naturel lorsqu’il s’agit d’établir l’élément de comparaison pertinent consiste à tenir compte du point de vue du demandeur.  C’est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l’analyse relative à la discrimination, déterminant ainsi les paramètres de la différence de traitement qu’il allègue et qu’il souhaite contester.  Cependant, il se peut que la qualification de la comparaison par le demandeur ne soit pas suffisante.  La différence de traitement peut ne pas s’effectuer entre les groupes cernés par le demandeur, mais plutôt entre d’autres groupes.  Le tribunal ne peut manifestement pas, de son propre chef, évaluer un motif de discrimination que n’ont pas invoqué les parties et à l’égard duquel aucune preuve n’a été produite : voir Symes, précité, à la p. 762.  Cependant, dans le cadre du ou des motifs invoqués, je n’exclurais pas le pouvoir du tribunal d’approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsque le tribunal estime justifié de le faire.

 

[13]         Dans Granovsky c. Ministre de l’emploi et de l’Immigration, [2000] 1 R.C.S. 703, le juge Binnie s’est ainsi exprimé :

 

43        La première étape consiste à déterminer si la disposition du RPC relative à la déficience crée une inégalité de traitement en établissant une distinction, fondée sur une ou plusieurs caractéristiques personnelles, entre l’appelant et une autre personne ou un autre groupe à qui on peut le comparer à juste titre. […]

 

[14]         Dans une décision ultérieure de la Cour suprême du Canada, Ministre du Développement des ressources humaines c. Hodge, [2004] 3 R.C.S. 357, le juge Binnie s’est exprimé de la façon suivante au nom de la Cour suprême du Canada :

 

23        Le groupe de comparaison approprié est celui qui reflète les caractéristiques du demandeur (ou du groupe demandeur) qui sont pertinentes quant au bénéfice ou à l’avantage recherché, sauf que la définition dans la loi prévoit une caractéristique personnelle qui contrevient à la Charte ou omet une caractéristique personnelle d’une manière qui contrevient à la Charte.  Un exemple de la première situation est l’exigence que les conjoints soient de sexe opposé (M. c. H., précité).  Un exemple de la seconde situation est l’omission de l’orientation sexuelle dans l’Individual’s Rights Protection Act de l’Alberta (Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493).

 

24        Habituellement, il faut tout d’abord analyser la législation (ou la conduite de l’État) qui a donné lieu à la privation de l’avantage ou à l’imposition de l’obligation non désirée.  S’il est vrai qu’en l’espèce nous avons affaire à une demande d’accès à un avantage offert par l’État et qu’il faut donc en premier lieu examiner l’objet des dispositions législatives, il faut se livrer au même exercice lorsque la demande est fondée sur l’effet d’une loi ou d’une action de l’État contestée.  Ainsi, dans Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69, les modalités d’exercice des pouvoirs conférés aux agents des douanes pour l’interception des publications étaient neutres, mais selon l’appelante, une librairie de Vancouver, les fonctionnaires des douanes visaient de façon discriminatoire les envois de livres et de magazines qui lui étaient destinés, du fait que le magasin s’adressait à une clientèle gaie et lesbienne.  Il était clair que les fonctionnaires des douanes avaient systématiquement retardé ou refusé l’entrée de matériel licite.  Donc, le groupe de comparaison, défini en fonction de l’effet de la conduite des fonctionnaires des douanes reprochée, est celui constitué des « autres personnes important des publications comparables de nature hétérosexuelle » (par. 120).

 

25        Dans un cas comme dans l’autre, il faut définir l’univers des personnes susceptibles d’avoir droit à un traitement égal à l’égard de l’objet de la demande.  J’emploie l’expression « susceptible d’avoir droit » parce que la définition législative, objet de la contestation fondée sur le droit à l’égalité, n’est pas décisive.  Sinon, on pourrait plaider en faveur d’une pension de survivant destinée uniquement aux hommes protestants de race blanche en affirmant que tous les hommes protestants de race blanche survivants ont été traités de la même manière.  Le paragraphe 15(1) vise non seulement une égalité « formelle », mais aussi une égalité réelle (Andrews, précité, p. 166).

 

[15]         Ainsi, la première étape consiste à déterminer si le paragraphe 118(5) de la Loi « crée une inégalité de traitement en établissant une distinction, fondée sur une ou plusieurs caractéristiques personnelles, entre l’appelant et une autre personne ou un autre groupe à qui on peut le comparer à juste titre ». Il semble que l’appelant ait laissé entendre que son groupe était constitué des hommes séparés ou divorcés qui partagent la garde de leurs enfants et qui sont tenus de verser des pensions alimentaires. Le groupe de comparaison qu’il semble vouloir dépeindre serait composé des femmes séparées ou divorcées qui partagent la garde de leurs enfants et qui reçoivent des pensions alimentaires. Toutefois, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, le groupe de comparaison approprié est celui qui reflète les caractéristiques du demandeur qui sont pertinentes quant au bénéfice ou à l’imposition de l’obligation non demandée, sauf pour la caractéristique personnelle prévue par la Charte ou celle qui est analogue aux caractéristiques personnelles qui y sont prévues. Le groupe de comparaison proposé par l’appelant comporte deux différences par rapport au groupe de l’appelant : le sexe des membres du groupe, et le fait que les membres du groupe reçoivent des pensions alimentaires au lieu d’en verser.

 

[16]         Dans Giorno v. The Queen [2005] 2 C.T.C. 2146, 2005 D.T.C. 441, le juge Rip s’est exprimé de la sorte :

 

[21]      Dans la décision Keller, j'ai conclu que l'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants n'était pas une caractéristique personnelle immuable, ou considérée immuable. L'appelant affirme que la décision Keller ne correspond plus à l'état actuel du droit, depuis que l'arrêt M. B. a été rendu. Je ne puis souscrire à cette position. Dans l'arrêt M. B., il a été précisé que, pour avoir gain de cause dans une affaire de discrimination, une personne n'a pas à faire partie d'un groupe, qu'il s'agisse d'un groupe qui a historiquement été défavorisé ou d'un autre groupe, mais le droit applicable aux motifs analogues de discrimination n'a pas changé. L'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants n'est pas immuable, en ce sens qu'il serait impossible de la changer. En outre, l'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants peut être fondée sur le revenu du payeur. Or, le revenu ne constitue absolument pas une caractéristique personnelle immuable; il est plutôt fonction de l'activité, du mérite et des circonstances. Comme il a été dit dans la décision Keller, la qualité de parent est peut-être immuable, mais l'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants ne l'est pas.

 

[22]      Même s'il est parfois possible de dire que l'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants constitue dans certaines circonstances un motif analogue, dans la mesure où il peut s'agir d'une obligation imposée par un tribunal ou par la loi, ce n'est pas ici le cas. Selon la preuve présentée par M. Giorno lui-même, l'accord de séparation était tout simplement cela, un accord. L'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants ne découle pas d'une caractéristique personnelle, mais d'un accord entre l'appelant et son ex-épouse.

 

[17]         Le juge Rip (aujourd’hui juge en chef) a noté que « [m]ême s'il est parfois possible de dire que l'obligation de payer une pension alimentaire pour enfants constitue dans certaines circonstances un motif analogue, dans la mesure où il peut s'agir d'une obligation imposée par un tribunal […] », ce qui donne à penser qu’une obligation de verser une pension alimentaire pour enfants imposée par un tribunal pourrait constituer un motif analogue dans certaines circonstances. En l’espèce, l’obligation de verser une pension alimentaire pour enfants a été imposée à l’appelant par une ordonnance rendue par la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. À mon avis, même si l’obligation de verser des pensions alimentaires a été imposée par une ordonnance en l’espèce, il ne s’agit pas d’un motif analogue. Dans Stanwick v. Her Majesty the Queen, [1999] 1 C.T.C. 143, la Cour d’appel fédérale s’est ainsi exprimée :

 

[…]      Le niveau de revenu n'est pas une caractéristique personnelle prévue à l'article 15, ni une caractéristique analogue à celles qui y sont prévues.

 

[18]         La raison pour laquelle l’ordonnance a imposé une obligation à l’appelant est que les revenus de ce dernier étaient plus élevés que ceux de son ancienne épouse. Le niveau de revenu n’est pas une caractéristique personnelle prévue à l’article 15 de la Charte, ni une caractéristique analogue à celles qui y sont prévues. L’obligation de verser une pension alimentaire pour enfants (fondée sur les niveaux de revenus relatifs des parents) ne constitue donc pas un motif analogue. Par conséquent, cette caractéristique doit être la même pour le groupe de comparaison et pour le groupe auquel il est comparé.

 

[19]         Le groupe de comparaison approprié serait donc constitué des femmes séparées ou divorcées qui partagent la garde de leurs enfants et qui sont tenues de verser des pensions alimentaires. Toutefois, en se servant de ce groupe de comparaison, il n’existe pas de discrimination au sens du paragraphe 118(5) de la Loi, puisque ce paragraphe n’établit aucune distinction entre les hommes et les femmes qui sont tenus de verser des pensions alimentaires. Ces deux groupes sont traités de la même façon par le paragraphe 118(5) de la Loi. Cela ne peut donc pas constituer le fondement d’une allégation de discrimination au sens  du paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[20]         L’appelant a présenté certaines données statistiques pour prouver que ce sont généralement les hommes qui sont tenus de verser des pensions alimentaires dans les cas de garde partagée. Les données présentées par l’appelant ne portaient que sur cinq des dix provinces, et les provinces pour lesquelles les données n’ont pas été présentées représentent plus de cinquante pour cent de la population du Canada. Les provinces pour lesquelles l’appelant n’a présenté aucune donnée sont l’Ontario, le Québec, le Manitoba, le Nouveau‑Brunswick et Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Les données statistiques présentées ont montré que dans les cas de garde partagée, ce sont généralement les hommes, dans la très grande majorité des cas, qui versent des pensions alimentaires pour enfants.

 

[21]         Cependant, c’est le paragraphe 118(5) de la Loi qui doit être examiné pour décider s’il établit une distinction entre les hommes et les femmes. Le paragraphe 118(5) n’établit aucune distinction entre les hommes et les femmes. Autant les hommes que les femmes qui versent des pensions alimentaires pour enfants sont privés du crédit d’impôt prévu à l’alinéa 118(1)b) de la Loi, par l’effet du paragraphe 118(5) de la Loi. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le juge Ioacobucci s’est ainsi exprimé dans Law :

 

            Premièrement, la loi contestée a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

[22]         En l’espèce, la disposition en cause n’établit pas une distinction formelle entre les hommes et les femmes, et elle n’omet pas de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle l’appelant se trouve déjà dans la société canadienne. La disposition établit une distinction entre les personnes qui versent des pensions alimentaires pour enfants et celles qui n’en versent pas; cette distinction étant basée sur les niveaux de revenus des parents, puisque l’obligation de verser une pension alimentaire pour enfants est fondée sur les niveaux de revenus relatifs des parents. L’appelant ne peut pas fonder une allégation de discrimination sur le fait que ce sont plus souvent les hommes qui versent des pensions alimentaires pour enfants dans les cas de garde partagée, car les hommes dont les revenus sont plus élevés que ceux des femmes ne sont pas dans une situation défavorisée dans la société canadienne.

 

[23]         D’autres décisions ont déjà été rendues quant à la question de savoir si le paragraphe 118(5) de la Loi contrevient à l’article 15 de la Charte. Dans Keller v. The Queen [2002] 3 C.T.C. 2499, Nixon c. La Reine [1999] A.C.I. No 885, et Werring v. The Queen [1997] 3 C.T.C. 2876, 97 DTC 3290, la Cour a conclu que le paragraphe 118(5) de la Loi ne contrevenait pas à l’article 15 de la Charte à une époque où les pensions alimentaires pour enfants pouvaient être déduites du revenu du payeur et incluses dans le revenu du bénéficiaire. Dans Nelson v. Attorney General of Canada [2000] 4 C.T.C. 252, 2000 DTC 6556, la Cour d’appel fédérale est arrivée à la même conclusion.

 

[24]         Dans Giorno, précité, et dans Frégeau c. La Reine 2004 CCI 293, le juge Rip (aujourd’hui juge en chef) et le juge Bédard ont tous deux conclu que le paragraphe 118(5) de la Loi ne contrevenait pas à l’article 15 de la Charte à une époque ou les pensions alimentaires pour enfants ne pouvaient pas être déduites du revenu du payeur et incluses dans le revenu du bénéficiaire (c’est là l’état présent du droit).

 

[25]         En l’espèce, il existe un autre fait qui est défavorable à la position de l’appelant. La pension alimentaire pour enfants que l’appelant est tenu de verser a été établie selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Dans Frégeau, le juge Bédard s’est exprimé de la façon suivante :

 

[30]      Les représentantes de l'appelant soutiennent également que la distinction résultant de l'application du paragraphe 118(5) de la Loi est discriminatoire puisque le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants au Québec, de même que les Lignes directrices fédérales, ne tiennent pas compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge.

 

[31]      Je suis d'avis que cette prétention est également erronée puisque les tableaux établissant les montants dus à titre de pensions alimentaires pour enfants semblent avoir été conçus en considération de plusieurs éléments, dont le crédit équivalent pour personne entièrement à charge, tel que l'indiquent les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants :

 

6.         La formule permet d'établir des montants de pensions alimentaires qui tiennent compte de la dépense moyenne que représente un enfant pour un époux avec un nombre d'enfants et un revenu donnés. Le calcul se fonde sur le revenu du débiteur alimentaire. Elle tient compte du crédit d'impôt non remboursable au titre du montant personnel de base pour reconnaître les dépenses personnelles. Elle tient également compte d'autres taxes et crédits fédéraux et provinciaux sur le revenu. Les prestations fiscales fédérales pour enfants et le crédit pour la taxe sur les produits et services sont exclus du calcul. Pour les revenus annuels moins élevés, la formule permet d'établir le montant sans perdre de vue l'incidence combinée des impôts et des paiements de la pension alimentaire pour enfants sur le revenu disponible limité dont dispose le débiteur alimentaire.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[32]      Ainsi, en établissant le montant à titre de pension alimentaire pour enfants, les Lignes directrices fédérales tiennent pour acquis que le parent payeur n'aura pas droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge. Conséquemment, bien que le contribuable débiteur d'une pension alimentaire pour enfants ne bénéficie pas du crédit équivalent pour personne entièrement à charge en raison du fait qu'il verse une pension alimentaire, ce dernier paie une pension alimentaire établie en fonction du fait qu'il ne reçoit pas le crédit d'impôt personnel en question.

 

[33]      À défaut de preuve réfutant la prétention du législateur que la formule utilisée pour établir les tableaux des Lignes directrices fédérales tient compte du refus du crédit d'impôt au paragraphe 118(1) de la Loi pour le contribuable qui paie une pension alimentaire pour enfants, je ne peux conclure en ce sens. La partie du budget de 1996 intitulée « Le nouveau système de pensions alimentaires pour enfants » affirme, à la page 13, que :

 

Les montants figurant dans les tableaux sont fixés par l'application d'une formule qui permet de calculer le montant convenable de la pension, en tenant compte des données économiques sur les dépenses moyennes occasionnées par les enfants pour différents niveaux de revenu. Cette formule réserve un montant de base pour assurer la subsistance du parent payeur et tient compte des impôts fédéral et provincial à payer. Des tableaux différents ont été préparés pour chaque province, étant donné que les taux d'imposition varient de l'une à l'autre. Les tableaux pour chaque province et territoire sont en annexe.

 

L'honorable Paul Martin a fait les commentaires suivants relativement au choix du législateur de défiscaliser les pensions alimentaires pour enfants :

 

Le montant équivalent pour conjoint est destiné aux chefs de familles monoparentales ayant un enfant de moins de 18 ans. À l'heure actuelle, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que le récipiendaire des pensions alimentaires pour enfants, et non le payeur, peut demander ce montant.

 

Ce régime demeurera inchangé en vertu des nouvelles règles. Cette approche est conforme aux nouvelles lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, en vertu desquelles le montant de ces pensions est établi en supposant que c'est le conjoint récipiendaire qui demande le montant équivalent pour conjoint.

 

Et :

 

Le paragraphe 118(5) de la Loi porte qu'un particulier qui a droit à une déduction prévue à l'alinéa 60b), c) ou c.1) de la Loi au titre de la pension alimentaire versée pour subvenir aux besoins de son conjoint ou de son enfant n'a pas droit à un crédit d'impôt en application de l'article 118 relativement au conjoint ou à l'enfant.

 

Le paragraphe 118(5) est modifié par suite des changements touchant le traitement fiscal réservé aux pensions alimentaires pour enfants. Le paragraphe 118(5) dans sa version modifiée porte qu'un particulier ne peut déduire un montant en application du paragraphe 118(1) relativement à une personne si ce particulier est tenu de payer une pension alimentaire à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne, et qu'il vit séparé de son conjoint tout au long de l'année pour cause d'échec de leur mariage, ou qu'il demande une déduction au titre de la pension alimentaire.

 

Selon ce nouveau libellé, un particulier tenu de payer une pension alimentaire pour une année d'imposition postérieure à l'année où survient l'échec du mariage n'a pas droit à un crédit d'impôt en application du paragraphe 118(1) relativement à son conjoint ni à son enfant, même dans les cas où aucun paiement de ce genre n'est effectué ou n'est déductible. Pour l'année où survient l'échec du mariage, le particulier pourra avoir droit à certains crédits prévus au paragraphe 118(1) s'il ne demande pas de déduction au titre d'une pension alimentaire.

 

Ces modifications s'appliquent aux années d'imposition 1997 et suivantes.

 

Je dois conclure que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires tiennent compte du crédit équivalent pour personne entièrement à charge. De ce fait, l'appelant n'a pas satisfait au fardeau de prouver l'effet contraire de sorte que cet argument doit être rejeté.

 

[26]         Dans la présente affaire, l’appelant a présenté en preuve une copie d’une lettre de James Flaherty, le ministre des Finances, datée du 21 novembre 2007. La lettre du ministre des Finances est ainsi rédigée :

 

[TRADUCTION]

 

Selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, les pensions alimentaires sont établies dans le cadre d’un régime fiscal où seul le bénéficiaire d’une pension peut demander un CIPCA. Si le payeur de la pension alimentaire pour enfants pouvait demander la totalité ou une partie du CIPCA, les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants risqueraient d’être modifiées, ce qui résulterait en une situation finale où les payeurs de pensions alimentaires pour enfants seraient très peu, ou aucunement, plus avantagés qu’au départ.

 

[27]         Le CIPCA mentionné dans la lettre est le crédit d’impôt pour personne à charge admissible, qui est le crédit d’impôt en cause en l’espèce.

 

[28]         Par conséquent, il semble que la pension alimentaire que l’appelant était tenu de verser selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants était basée sur le fait qu’il n’aurait pas droit au crédit d’impôt prévu par l’alinéa 118(1)b) de la Loi et que son ancienne épouse y aurait droit. Il est donc difficile de voir en quoi le paragraphe 118(5) de la Loi cause un préjudice à l’appelant, parce qu’en application des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires, qui tiennent compte du niveau de revenu de l’appelant (en tenant compte du fait qu’en tant que payeur, il n’aurait pas droit à un crédit d’impôt à l’égard de ses enfants), la pension alimentaire que l’appelant est tenu de verser est probablement moins importante que celle qu’il devrait verser s’il avait droit au crédit d’impôt en cause.

 

[29]         Il reste une dernière question à trancher. L’ordonnance rendue par la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario contient une disposition voulant que la mère puisse demander le montant équivalent pour conjoint à l’égard de l’un des enfants et que le père puisse faire de même à l’égard de l’autre enfant. Cependant, une ordonnance de la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ne peut pas modifier les exigences établies par la Loi, et, plus particulièrement, elle ne peut pas l’emporter sur le paragraphe 118(5) de la Loi.

 

[30]         Par conséquent, l’appel est rejeté, sans dépens.

 

 

Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse) ce 3e jour de juillet 2008.

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de septembre 2008.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2008CCI389

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2007-3097(IT)I

 

INTITULÉ :

George P. Calogeracos et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Charles Camirand

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

L’appelant lui‑même

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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