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Référence : 2008 CCI 407

Date : 20080731

Dossier : 2001‑2877(IT)G

 

ENTRE :

RUSSELL WITT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les présents appels découlent d'une série d'opérations sur titres conclues par M. Witt et par RIW Corporation Ltd. (« RIW »). Ces opérations représentaient la mise en oeuvre de ce qui a été décrit dans des décisions antérieures[1] comme une stratégie d'opérations de couverture sur des titres convertibles — qui était en totalité ou en partie une invention d'un certain J. K. Maguire. La stratégie a été décrite d'une façon assez détaillée dans les jugements publiés. Une description de la stratégie et des faits précis donnant lieu à la question qu'il reste à trancher en l'espèce figure dans l'exposé conjoint partiel des faits[2] que les parties ont déposé au début de l'instruction. Une description utile de la stratégie d'opérations de couverture sur des titres convertibles est donnée dans le jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'arrêt Rezek c. La Reine[3], aux paragraphes [3] à [20]. Elle est incluse à l'annexe A jointe aux présents motifs.

 

Les faits

 

[2]     Initialement, M. Witt a interjeté appel de cotisations et de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu[4] pour les années 1984 à 1991 inclusivement, et RIW a interjeté appel de cotisations concernant ses années d'imposition 1987 et 1988. Au début de l'instruction, on m'a informé que les parties avaient réglé les appels interjetés par RIW ainsi que les appels interjetés par M. Witt pour toutes les années sauf les années 1984 et 1985. Les faits convenus sont les suivants :

 

[TRADUCTION]

 

Exposé conjoint des faits

 

Historique

 

1.         L'appel susmentionné doit être entendu sur preuve commune et présenté compte tenu de la nouvelle cotisation que l'Agence du revenu du Canada (ci‑après l'« ARC ») a établie à l'égard de M. Witt pour ses années d'imposition 1984 à 1991 inclusivement.

 

2.         L'annexe 1 jointe aux présentes renferme les divers avis de cotisation ou de nouvelle cotisation concernant le contribuable susmentionné.

 

3.         Les parties ont réglé toutes les questions en litige le 27 mai 2008, sauf la question concernant TWC et TWA. La société de M. Witt, RIW Corp., n'est plus une appelante compte tenu du règlement qui a été conclu le 27 mai 2008 et de l'avis de désistement qui a été déposé le même jour.

 

4.         Monsieur Witt est titulaire d'un baccalauréat en sciences avec spécialisation en mathématiques de l'Université Sir George Williams, qui s'appelle maintenant l'Université Concordia.

 

5.         Monsieur Witt est résident du Canada pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

6.         RIW est une société qui a été constituée en Ontario par l'entremise de laquelle M. Witt fournit des services de consultation et se livre à des opérations de couverture sur des titres convertibles. Monsieur Russell Witt est l'unique actionnaire et administrateur de RIW Corp.

 

7.         L'exercice de RIW Corp. prend fin le 30 septembre.

 

Aperçu

 

8.         Au début des années 1980, M. Witt et sa société ont commencé à participer à des placements connus sous le nom d'opérations de couverture sur des titres convertibles. J. K. Maguire & Associates et divers courtiers les conseillaient. Monsieur Witt recevait également des conseils de Richard Strand.

 

9.         Lorsque des opérations de couverture sur des titres convertibles étaient conclues, un particulier ou des particuliers prenaient des positions acheteur et vendeur compensatrices à l'égard de titres.

 

10.       Aux fins de l'impôt sur le revenu, M. Witt et sa société ont produit des déclarations de revenus pour les années d'imposition dont la Cour est saisie, en indiquant un revenu et en déduisant certaines pertes et dépenses se rattachant à la négociation de titres. Les déclarations de M. Witt étaient préparées par J. K. Maguire & Associates. Les déclarations de RIW Corp. étaient remplies par Gary Posner, C.A., de Posner Finstein.

 

Opérations de couverture sur des titres convertibles

 

11.       Certaines opérations de couverture sur des titres convertibles ont été effectuées et étaient gérées avec l'aide de J. K. Maguire & Associates.

 

12.       Monsieur Witt et RIW Corp. ont conclu des opérations de couverture sur des titres convertibles. Cela comportait la prise d'une position vendeur à l'égard des actions ordinaires d'une société et d'une position acheteur à l'égard d'un titre que l'on pouvait échanger contre les actions ordinaires vendues à découvert ou convertir en pareilles actions (le « titre convertible »). Les courtiers exécutaient les opérations en même temps ou dans le délai le plus court possible. Le produit de la vente à découvert était imputé au coût d'achat du titre convertible. La différence entre les fonds reçus lors de la vente à découvert et les fonds nécessaires aux fins de l'achat représentait le placement nécessaire pour conclure l'opération de couverture. Cet écart était le montant à risque si le placement n'était pas rentable.

 

13.       Grâce au caractère convertible des titres, la maison de courtage n'était pas à risque étant donné qu'elle pouvait utiliser les titres convertibles pour obtenir des actions ordinaires afin de remplacer les actions empruntées pour prendre la position vendeur. Cela permettait de renoncer aux exigences de marge normales.

 

14.       L'appelant et RIW Corp. avaient des comptes de courtage distincts par l'entremise desquels les opérations étaient conclues.

 

15.       Les opérations étaient conclues à la Bourse par des courtiers.

 

16.       Les opérations conclues par l'appelant et par RIW Corp. peuvent être réparties en trois catégories :

 

a)         les opérations de couverture sur des titres convertibles à deux parties, auxquelles les deux appelants participaient;

 

b)         les opérations de couverture sur des titres convertibles à une partie, auxquelles un seul appelant participait;

 

c)         d'autres opérations sur titres ne comportant pas d'opérations de couverture sur des titres convertibles (lesquelles étaient soumises aux exigences de marge normales).

 

17.       Les opérations conclues par l'appelant et par RIW Corp. dont il est question à l'alinéa 16c) ci‑dessus étaient toutes assujetties aux exigences de marge normales, ce qui voulait dire que les courtiers assuraient le financement. Lorsque des actions étaient vendues à découvert, la marge exigée correspondait généralement à 150 p. 100 de la valeur marchande des actions vendues à découvert. Lorsque des titres convertibles étaient achetés, l'exigence générale relative à la marge correspondait à 50 p. 100 de la valeur marchande des titres sous‑jacents. Les courtiers établissaient chaque jour ces exigences de marge, et elles étaient rajustées en fonction du cours de clôture des titres respectifs.

 

18.       Selon les circonstances, les opérations conclues par les appelants peuvent avoir donné lieu à un ou plusieurs des résultats suivants :

 

a)         les appelants peuvent avoir reçu un revenu en intérêts ou un revenu en dividendes à l'égard de leurs positions acheteur;

 

b)         les appelants peuvent avoir versé des dividendes compensatoires ainsi que des frais de location ou d'emprunt d'actions sur leurs positions vendeur;

 

c)         les appelants peuvent avoir eu d'autres dépenses, notamment au titre des intérêts, des frais de couverture, des frais de gestion, des frais de courtage et des honoraires comptables.

 

19.       L'annexe 2 jointe aux présentes, intitulée [TRADUCTION] « Analyse des opérations sur titres », est une liste des opérations sur lesquelles les parties s'entendent.

 

20.       L'annexe 3 jointe aux présentes, intitulée [TRADUCTION] « Revenu et dépenses », est une liste du revenu et des dépenses, classés par courtier, sur lesquels les parties s'entendent.

 

21.       L'annexe 4 jointe aux présentes, intitulée [TRADUCTION] « Profits et pertes résultant des opérations de couverture », est une liste des profits et pertes dont il a été convenu à l'égard de tous les éléments, sauf ceux qui se rapportent à Trans World Corp. et à Trans World Airlines.

 

22.       L'annexe 5 jointe aux présentes, intitulée [TRADUCTION] « Rapprochement des positions », est un sommaire du rapprochement du revenu imposable selon chaque partie, pour les années d'imposition visées par les appels. Ce résumé a été rédigé en supposant que les appelants constituaient une société de personnes pour les besoins des opérations de couverture, et les parties ont convenu de tous les éléments, sauf ceux se rapportant à Trans World Corp. et à Trans World Airlines.

 

23.       L'annexe 6 jointe aux présentes, intitulée [TRADUCTION] « Déclarations de revenus », est composée des déclarations de revenus de M. Witt pour les années qui sont visées par l'appel.

 

Opérations de couverture sur des titres convertibles à deux parties

 

24.       L'appelant et RIW Corp. ont conclu des opérations de couverture sur des titres convertibles à deux parties. L'appelant et RIW Corp. ont tous deux ouvert un compte distinct auprès de la même maison de courtage, et chacun d'eux s'est porté garant par écrit des obligations de l'autre envers le courtier.

 

25.       Les courtiers avaient le droit d'utiliser le compte d'un appelant pour satisfaire aux exigences de marge de l'autre appelant. Les garanties réciproques servaient fondamentalement à satisfaire aux exigences de marge sans dépenses supplémentaires.

 

26.       Les opérations de couverture sur des titres convertibles à deux parties étaient habituellement conclues par le même compte, M. Witt ou RIW prenant une position vendeur en vendant un titre à découvert et prenant également une position acheteur en achetant un titre pouvant être échangé contre le titre vendu à découvert ou converti en ce titre.

 

27.       Une fois créée, l'opération de couverture sur des titres convertibles à deux parties était en fin de compte conclue :

 

a)         soit en vendant les positions acheteur et en achetant des titres afin de couvrir les positions vendeur;

 

b)         soit en arrivant à une position où les titres figurant dans le compte d'un appelant correspondaient exactement aux titres vendus à découvert dans le compte de l'autre (soit une position symétrique à l'égard des actions ordinaires).

 

Opérations de couverture sur des titres convertibles à deux parties : Trans World

 

28.       Monsieur Witt et RIW, en leur qualité de parties à une opération de couverture qui constituent une société de personnes, ont participé à des opérations de couverture sur des titres convertibles et ils ont ouvert des comptes de courtage chez Midland Doherty au mois de janvier 1984.

 

29.       Les activités de la société de personnes consistaient à effectuer des opérations de couverture sur des titres convertibles, et M. Witt et RIW Corp. ont ouvert des comptes de courtage chez Midland Doherty au mois de janvier 1984. Monsieur Witt s'est porté garant du compte de RIW Corp. le 20 janvier 1984.

 

30.       Monsieur Witt a emprunté des actions ordinaires de Trans World Corporation (« TWC ») et les a vendues, de sorte qu'il a pris une position vendeur. En même temps, RIW Corp. a utilisé le produit de la vente à découvert pour acheter d'autres titres, soit des actions privilégiées de TWC. La différence de valeur entre les positions constituait l'écart. Les actions privilégiées étaient convertibles en un même nombre d'actions ordinaires, ce qui entraînait une position de couverture.

 

31.       Le 26 janvier 1984, M. Witt a vendu à découvert 5 000 actions ordinaires de Trans World Corporation, et RIW Corp. a acheté 5 000 actions privilégiées convertibles de la catégorie C ayant une valeur nominale de 2,66 $ de Trans World Corporation.

 

32.       Le 31 janvier 1984, M. Witt a vendu à découvert 5 000 actions ordinaires additionnelles, et RIW Corp. a acheté 5 000 actions additionnelles, de sorte qu'ils détenaient en tout une position acheteur de 10 000 actions privilégiées convertibles de la catégorie C ayant une valeur nominale de 2,66 $ de Trans World Corporation et une position vendeur de 10 000 actions ordinaires de Trans World Corporation. En somme, l'appelant et RIW Corp. étaient complètement couverts, avec une position vendeur de 10 000 actions ordinaires et une position acheteur de 10 000 actions privilégiées convertibles.

 

33.       Le produit de la vente à découvert s'élevait à 539 752,96 $ et le coût des actions achetées était de 575 479,05 $. L'écart, ou le montant nécessaire pour financer la position de couverture, était la différence entre ces montants, soit 35 726,09 $.

 

34.       Comme on l'avait antérieurement annoncé, TWC a distribué, à ses actionnaires ordinaires, des actions ordinaires et des actions privilégiées de Trans World Airlines (« TWA ») à titre de dividende, cette distribution prenant effet le 1er février 1984.

 

35.       En même temps, le ratio de conversion des actions privilégiées convertibles de TWC a été porté de 1:1, comme il l'était avant le paiement du dividende, à 1:1,412 le 1er février 1984. Ce nouveau ratio de conversion, également publié à l'avance, visait à tenir compte de la diminution de valeur des actions de TWC découlant de la réorganisation par scission de la division de TWC.

 

36.       Du fait qu'il avait une position vendeur à l'égard des actions ordinaires de TWC lorsque la réorganisation par scission a eu lieu, M. Witt a acquis des positions vendeur à l'égard des actions ordinaires de TWA et des actions privilégiées ayant une valeur nominale de 0,05 $ de TWA.

 

37.       Les instructions suivantes ont été données aux courtiers, et il y a été donné suite au début du mois de février 1984, de sorte qu'une position couverte était maintenue :

 

a)         Monsieur Witt a vendu à découvert 4 120 actions additionnelles de TWC (2 000 actions dont la date de liquidation était le 7 février 1984, et 2 120 actions dont la date de liquidation était le 8 février 1984); par suite du nouveau ratio de conversion applicable aux actions privilégiées de TWC, M. Witt est demeuré couvert à l'égard d'une position vendeur de 14 120 actions ordinaires (les 10 000 actions initiales plus les 4 120 actions additionnelles), 10 000 actions privilégiées convertibles étant possédées;

 

b)         le produit de ces ventes à découvert additionnelles a servi à l'achat d'actions de TWA; ces achats couvraient les positions vendeur à l'égard des actions ordinaires de TWA et des actions privilégiées ayant une valeur nominale de 0,05 $ de TWA acquises par suite de la réorganisation par scission.

 

38.       Les achats additionnels d'actions ordinaires de TWA se rapportaient à un achat de 6 000 actions dont la date de liquidation était le 7 février 1984, à un achat de 7 132 actions dont la date de liquidation était le 8 février 1984, et à un achat de trois actions dont la date de liquidation était le 8 mars 1984. Les achats additionnels d'actions privilégiées de TWA ont eu lieu le 4 mai 1984.

 

39.       Le 16 novembre 1984, RIW Corp. a converti les 10 000 actions privilégiées en 14 120 actions ordinaires, de sorte que les comptes de M. Witt et de RIW Corp. étaient dans une position symétrique à l'égard des actions ordinaires, position qui est demeurée telle jusqu'au mois de janvier 1987, lorsque les positions ont été liquidées.

 

Définition de la question en litige

 

[3]     Conformément aux directives que j'avais données avant l'instruction, les parties ont signé et déposé, au début de l'instruction, une entente portant sur la question précise qu'il reste à trancher.

 

[TRADUCTION]

 

EXPOSÉ CONJOINT DE LA QUESTION EN LITIGE

 

Dans le présent appel, l'appelant et l'intimée s'entendent pour dire que la seule question qui est encore en litige se rapporte au traitement des achats de couverture effectués par l'appelant à l'égard de la distribution des actions de Trans World Airlines lors de l'opération de couverture de Trans World Corp., au cours de l'année d'imposition 1984 des appelants.

 

Les parties veulent connaître le traitement approprié du montant de l'achat, soit 200 988,97 $, tel qu'il ressort de l'analyse de l'opération de couverture de Trans World Corp. figurant à l'annexe 2, onglet 21 (soit le total des montants suivants : 15 184,21 $, 45 552,62 $, 31 021,49 $, 1 534,29 $, 60 065,49 $, 46 518,10 $, 490,98 $, 44,26 $, 2,64 $ et 574,89 $).

 

[4]     Au cours de l'instruction, les parties m'ont informé qu'elles avaient également convenu que, selon l'une des conditions du contrat de société de personnes conclu entre M. Witt et RIW, les profits réalisés par la société de personnes devaient être partagés entre les associés de la manière décrite par la Cour d'appel fédérale dans les deux premières phrases du paragraphe [107] des motifs de jugement rendus dans l'arrêt Rezek c. La Reine[5] :

 

LE PARTAGE DES PROFITS ET PERTES

 

[107]    Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les profits ou pertes liés aux écarts devaient être répartis également entre les [associés]. [...] [L]es revenus et les dépenses étaient imposables dans les mains [de l'associé] qui était titulaire du compte où ces profits ou pertes étaient inscrits.

 

Bien sûr, les associés sont libres de s'entendre comme ils le veulent pour partager les fruits de leurs activités. En l'espèce, il n'y a pas de contrat de société de personnes écrit, et il n'existe aucun élément de preuve indiquant l'existence d'un contrat oral allant à l'encontre de ce fait additionnel. C'est sur la base de ce partage des profits que les appels interjetés par RIW et les appels interjetés par M. Witt à l'égard des autres années d'imposition ont été réglés, et je retiens que c'est la formule dont M. Witt et RIW ont convenu aux fins du partage des profits de leur société de personnes. À la fin de l'année, le profit doit être réparti en deux fonds. L'un est composé du profit, ou de la perte, se rattachant à l'opération de couverture, qui résulte de la fluctuation de l'écart. L'autre est composé du profit, ou de la perte, résultant des flux de trésorerie positifs ou négatifs au cours de l'année, que le juge Rothstein a décrit au paragraphe [20] de l'arrêt Rezek comme étant :

 

[...] le revenu net des dividendes ou de l'intérêt obtenu au cours de l'opération.

 

Le profit ou la perte imputé au premier fonds (le fonds de couverture) doit être divisé à parts égales entre les associés. Le profit ou la perte imputé au second fonds (le fonds du flux de trésorerie) doit être partagé entre les associés en tenant compte du fait que les paiements effectués ou reçus par chaque associé le sont pour le compte de cet associé seulement.

 

[5]     Les parties ont convenu, comme la preuve le montre clairement, que toutes les opérations dans ce cas‑ci sont imputables au revenu. Seuls les profits qui ont été faits en 1984 sont en litige, et l'opération de couverture de Trans World Corp. (« TWC ») a été liquidée avant la fin de cette année‑là. La seule question qu'il reste à trancher est donc de savoir si, en ce qui concerne le partage du profit de la société de personnes à la fin de l'exercice 1984, conformément à l'entente décrite ci‑dessus, le montant de 200 988,97 $ doit être considéré comme une dépense à déduire de la partie du fonds du flux de trésorerie revenant à l'appelant, puisque c'est lui qui a effectué les paiements, ou s'il doit être considéré comme un coût d'établissement de l'opération de couverture, de sorte qu'il faut en tenir compte dans le calcul du profit ou de la perte du fonds de couverture. L'appelant soutient que le montant représentait en fait le paiement d'un dividende compensatoire et qu'il devrait donc être considéré comme un montant se rattachant au flux de trésorerie, de sorte que sa part du revenu de la société de personnes pour l'année 1984 serait diminuée de 200 988,97 $. Selon l'intimée, le montant ne représente pas le paiement d'un dividende compensatoire, mais plutôt un montant qui a été payé en vue de couvrir une position vendeur dans le compte de l'appelant. Maître Gluch se fonde sur la remarque suivante que la Cour d'appel fédérale a faite dans l'arrêt Rezek :

 

[105]    Étant donné que l'entreprise de la société de personnes était les opérations de couverture sur des titres convertibles, les transactions individuelles créant des pertes lors de la vente de titres convertibles ou de la couverture d'actions vendues à découvert dans un compte ne sont pas comme telles des opérations imposables. Le montant maximum des profits, ou pertes, que les sociétés de personnes peuvent avoir reçus, ou subies, sont les profits ou pertes liés aux écarts.

 

[6]     Par conséquent, la question que j'ai à trancher est une question qui aurait pu se poser ente les associés à la fin de l'année 1984, quant au partage de leur profit ou de leur perte pour l'année. Cela est important aux fins qui nous occupent en ce sens que, si le montant doit être considéré comme une dépense se rattachant au fonds du flux de trésorerie, l'appelant peut en tenir compte dans le calcul de sa part du revenu de la société de personnes pour l'année 1984. En pareil cas, ce montant aura pour effet d'éliminer son autre revenu pour l'année 1984, et l'appelant aura subi une perte qu'il pourra reporter à l'année 1985. C'est uniquement pour cette raison que les parties n'ont pas réglé l'appel de 1985. On m'informe que les parties se sont entendues sur toutes les autres questions concernant l'année 1985.

 

Le témoignage d'opinion

 

[7]     L'appelant a cherché à produire le témoignage d'opinion de Richard Strand, qui est président, agent de conformité principal et gestionnaire de portefeuille de deux sociétés qu'il a lancées il y a un an et dont il est, si je comprends bien, l'unique actionnaire. Ces sociétés gèrent des fonds pour des sociétés, des fiducies, des institutions et des particuliers, de façon discrétionnaire, et s'occupent notamment d'obligations, d'actions, de contrats à terme sur marchandises et de contrats à terme sur instrument financier. Monsieur Strand travaille dans le domaine des contrats à terme et des produits dérivés depuis environ 22 ans, à plusieurs titres, et il a assumé des postes comportant des responsabilités. Je ne doute pas qu'il connaisse et comprenne parfaitement le fonctionnement des marchés financiers et des Bourses ainsi que les principes sous‑tendant les opérations de couverture sur des titres convertibles. Monsieur Strand a également conseillé M. Witt, dans une certaine mesure du moins, au sujet de certaines de ses nombreuses opérations de couverture sur des titres convertibles. Monsieur Strand a été cité pour présenter un témoignage d'opinion et un témoignage factuel. Toutefois, je doutais énormément de l'admissibilité de son témoignage d'opinion, étant donné qu'il était loin d'être évident à mes yeux qu'il satisfaisait au critère de la nécessité : voir R. c. Mohan[6].

 

[8]     Comme Me Gluch l'a proposé, et avec l'assentiment de Me Rotfleisch, j'ai mis en délibéré la question de l'admissibilité du témoignage d'opinion pour qu'elle soit tranchée une fois que la preuve aurait été entendue au complet. Ce n'est pas une mesure que j'encourage, mais elle a accéléré l'instruction, et a peut‑être permis d'économiser du temps et de l'argent. Au cours de l'argumentation, Me Gluch a retiré l'objection qu'il avait soulevée au sujet de l'admissibilité du témoignage d'opinion. J'ai néanmoins conclu que l'opinion exprimée par M. Strand ne devait pas être admise puisqu'elle ne satisfait pas à l'exigence relative à la nécessité mentionnée dans l'arrêt Mohan, précité, où le juge Sopinka a dit ce qui suit, à la page 23 :

 

Dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42 :

 

Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [TRADUCTION] « L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire » (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton).

 

Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot « utile » n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique.

 

La preuve que M. Strand était censé présenter ne satisfait pas à ce critère. La question n'est ni complexe ni fortement technique. Il s'agit simplement d'appliquer les faits de l'affaire à la formule selon laquelle les associés ont convenu de partager les profits. Pour ce faire, il faut comprendre la nature des actions ordinaires et des titres convertibles en actions ordinaires, mais il ne s'agit pas d'une question à l'égard de laquelle les juges n'ont aucune expérience. En outre, l'opinion que Me Rotfleisch cherchait à obtenir du témoin se rapportait à la question précise que les parties ont définie pour les besoins de l'appel dont je suis ici saisi. Comme le juge Sopinka l'a souligné dans l'arrêt Mohan, précité, à la page 24 :

 

Bien que la règle [de la question fondamentale] ne soit plus d'application générale, les préoccupations qui la sous‑tendent demeurent. En raison de ces préoccupations, les critères de pertinence et de nécessité sont à l'occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d'expert sur une question fondamentale.

 

Il s'agit ici d'un cas dans lequel le critère de la nécessité doit s'appliquer d'une façon stricte.

 

[9]     Quoi qu'il en soit, si je devais admettre l'opinion de M. Strand, je ne la trouverais pas utile. L'affidavit qu'il a souscrit en vertu de l'article 145 des Règles comporte six pages et demie. Les six premières pages ne font que reprendre les faits figurant dans l'exposé des faits. Aux sept dernières lignes, M. Strand exprime son opinion au sujet de la question même que j'ai à trancher, opinion qui est composée d'une simple conclusion, sans aucune analyse ni aucun raisonnement valable. Le témoignage d'opinion, qui a été produit à l'instruction sous la cote A‑2, est jugé irrecevable. Toutefois, pour plus de clarté, je reproduirai le dernier paragraphe du document concerné à l'annexe B jointe aux présents motifs. La preuve factuelle de M. Strand est admissible, et ce, bien qu'elle reprenne l'exposé des faits presque au complet.

 

Les considérations non pertinentes

 

[10]    Au cours de l'argumentation, les deux avocats ont abordé la question du gain fortuit susceptible de résulter de ma décision, sous la forme d'un revenu non imposé. Maître Rotfleisch a également soutenu qu'il y a peut‑être eu double imposition de l'appelant à un moment donné. Rien de tout cela n'est pertinent aux fins qui nous occupent. Il importe de se rappeler que j'ai en fait à décider de la façon dont un différend entre les associés, en ce qui concerne le partage des profits de la société de personnes pour l'exercice 1984, aurait été résolu si la question s'était posée il y a 24 ans. L'affaire ne comporte aucun relent d'évitement fiscal. Si ma décision donne lieu à un gain fortuit, cela résultera du fait qu'une ou plusieurs années sont devenues prescrites au cours de la longue période qui s'est écoulée depuis que les associés ont fait l'objet des premières cotisations pour l'année 1984 — les deux parties ayant sans aucun doute contribué au retard. Comme le juge Evans l'a dit dans l'arrêt Sherway Centre Ltd. c. La Reine[7] :

 

[...] Il arrive que l'application des délais de prescription fasse, compte tenu de leur nature, que le contribuable ait à payer plus ou moins que ce qu'il était légalement tenu de payer.

 

Si, pour d'autres années, M. Witt a payé plus d'impôt que le montant qui, selon lui, aurait dû être payé, il devait faire appel des cotisations y afférentes. Il va sans dire que je ne puis tenir compte de telles considérations en tranchant la question étroite dont je suis saisi en l'espèce.

 

Analyse

 

[11]    Les faits immédiats donnant lieu à la question qui se pose en l'espèce sont énoncés aux paragraphes 29 à 39 de l'exposé conjoint des faits que j'ai reproduit ci‑dessus; ils ne sont pas complexes. Au mois de janvier 1984, la société de personnes a entrepris les opérations de couverture concernant TWC auprès de la maison de courtage Midland Doherty. L'appelant détenait le compte vendeur; le 31 janvier, il avait une position vendeur de 10 000 actions ordinaires. RIW détenait le compte acheteur; elle avait une position acheteur de 10 000 actions privilégiées, qui étaient chacune convertibles en une action ordinaire. L'opération de couverture était donc établie et équilibrée. Le 1er février, TWC a procédé à la réorganisation par scission de sa filiale Trans World Airlines (« TWA »). Elle l'a fait en déclarant un dividende qui donnait au propriétaire de chaque action ordinaire de TWC le droit de recevoir 1,3135 action ordinaire de TWA et 0,5023 action privilégiée de TWA ayant une valeur nominale de 0,05 $. En même temps, le ratio de conversion des actions privilégiées de TWC a été modifié; il est passé de 1:1 à 1:1,412, et ce, en vue de dédommager les actionnaires privilégiés du fait que la valeur de chaque action ordinaire de TWC était réduite de la part proportionnelle de la société qui correspondait à la société TWA. Pour que les actions privilégiées maintiennent leur valeur proportionnelle au moment de la conversion, le nombre d'actions ordinaires à recevoir devait donc être augmenté de 41,2 p. 100.

 

[12]    La déclaration de ce dividende a eu pour effet de mettre M. Witt, en sa qualité de vendeur à découvert, dans une situation où il était obligé de verser au prêteur des actions 10 000 x 1,3135 = 13 135 actions ordinaires de TWA, et 10 000 x 0,5023 = 5023 actions privilégiées de TWA ayant une valeur nominale de 0,05 $. C'est ce qu'a fait Midland Doherty lorsqu'elle a créé une position vendeur dans le compte de l'appelant en vue de remettre au prêteur des actions de TWC 13 135 actions ordinaires de TWA et 5 023 actions privilégiées de TWA. À ce moment‑là, l'opération de couverture n'était plus équilibrée, et ce, pour deux raisons : il y avait, dans le compte de l'appelant, une position vendeur dans TWA qui n'était pas couverte du tout, et il y avait, dans le compte de RIW, une position acheteur dans TWC qui excédait la position vendeur dans TWC dans le compte de l'appelant, puisque les 10 000 actions privilégiées de TWC étaient maintenant convertibles en 14 120 actions ordinaires de TWC, alors que le compte de l'appelant était vendeur uniquement à l'égard de 10 000 actions ordinaires de TWC.

 

[13]    Pour que la stratégie d'opération de couverture sur des titres convertibles fonctionne de façon appropriée, l'appelant devait rééquilibrer l'opération de couverture. Il aurait pu faire en sorte que RIW vende 2 918 actions privilégiées de TWC, de façon que les actions de TWC soient en équilibre, son compte ayant une position vendeur de 10 000 actions ordinaires, et RIW ayant une position acheteur de 7 082 actions privilégiées (convertibles en 10 000 actions ordinaires). Des fonds auraient ainsi été disponibles aux fins de l'achat d'actions ordinaires et d'actions privilégiées de TWA en vue d'éliminer l'insuffisance dans son propre compte. L'autre solution, pour produire une opération de couverture équilibrée, consistait à faire ce qu'il a fait. En laissant tel quel le côté acheteur de l'opération et en portant le côté vendeur à 14 120 actions de TWC, l'appelant a rétabli l'équilibre et il l'a fait à une valeur correspondant au niveau qui existait avant la réorganisation par scission. Une action ordinaire de TWC, avant la réorganisation par scission, correspondait par définition à une action ordinaire de TWC après la réorganisation par scission, plus 1,3135 action ordinaire de TWA, plus 0,5023 action privilégiée de TWA, soit 1,412 action ordinaire de TWC après la réorganisation par scission. Il est donc évident que l'augmentation du compte vendeur de l'appelant en ce qui concerne TWC qui a eu lieu les 7 et 8 février a simplement maintenu la couverture à sa valeur avant la réorganisation par scission. Le montant des fonds produits par ces ventes à découvert est égal à la partie de la valeur des actions avant la réorganisation par scission qui correspond aux actions ordinaires et aux actions privilégiées de TWA qui ont été distribuées au propriétaire des 10 000 actions de TWC que M. Witt avait vendues à découvert.

 

[14]    En réalité, les actions ordinaires et les actions privilégiées de TWA qui avaient été reçues pour chaque action ordinaire de TWC qui était détenue le 1er février 1984, avant la réorganisation par scission, représentaient et remplaçaient simplement une partie de la valeur de cette action de TWC avant la réorganisation par scission. Il est erroné de les décrire comme un dividende, étant donné qu'avec les actions de TWC après la réorganisation par scission, ces actions correspondent simplement au même actif que celui que l'actionnaire possédait le 31 janvier (une part proportionnelle de la société TWC, y compris son intérêt dans TWA) sous une forme différente. Les actions de TWA visées par la réorganisation par scission qui ont été remises aux actionnaires de TWC font simplement partie du même actif (l'action avant la réorganisation par scission) sous une forme différente (l'action de TWC après la réorganisation par scission, plus les actions de TWA).

 

[15]    Lorsque M. Witt a acquis les actions de TWA à la Bourse pour le prêteur de ses actions de TWC vendues à découvert, il remboursait en réalité une partie des actions empruntées, plus précisément la partie correspondant à la diminution théorique de la valeur des actions empruntées de TWC par suite de la réorganisation par scission. La dépense de 200 988,97 $ faite aux fins de l'achat, pour le prêteur, des actions de TWA a été faite afin de rendre au prêteur une partie, soit plus exactement 29,18 p. 100 (1 ‑ (1 ÷ 1,4120)), des actions empruntées (les 10 000 actions avant la réorganisation par scission). C'est ce qui ressort du fait que lorsque l'opération de couverture a été liquidée et que le prêt d'actions a été remboursé, ce prêt était remboursé au moyen du transfert de 10 000 actions d'une société qui n'avait plus TWA parmi ses actifs. Toutefois, le prêteur a été dédommagé de cette réduction de valeur des actions de TWC lorsqu'il a reçu les actions de TWA que l'appelant a achetées au prix de 200 988,97 $.

 

[16]    Cette façon d'envisager un dividende distribué à la suite d'une réorganisation par scission a été avalisée par le législateur lorsqu'il a édicté l'article 86.1 de la Loi, en 2001[8]. Auparavant, un dividende en actions distribué à la suite d'une réorganisation par scission d'une filiale reçu d'une société résidant aux États‑Unis était traité, en vertu de la Loi, de la même façon que tout autre dividende en nature. L'article 86.1 permet maintenant au bénéficiaire de choisir de faire traiter les actions résultant de la réorganisation par scission comme un remboursement de capital, le coût des actions de la société mère antérieur à la réorganisation par scission étant réparti entre les actions de la société mère et les actions de la filiale, et tout gain étant reporté. Cette disposition a été édictée après la réorganisation par scission de TWA, et elle ne s'applique donc pas en l'espèce. Toutefois, le législateur reconnaît ainsi qu'une réorganisation par scission de ce genre d'une société publique à actionnariat étendu est en réalité un remboursement de capital, et qu'il est erroné de la qualifier de dividende.

 

[17]    Le juge Miller a également reconnu la chose dans la décision Morasse c. La Reine[9]. Les faits de cette affaire étaient différents de ceux de la réorganisation par scission de TWA, sans qu'on ne puisse établir de distinction avec l'espèce. Une société mexicaine, A, avait fait en sorte qu'une nouvelle société, B, soit créée, et elle avait ensuite transféré une partie de son entreprise à cette nouvelle société. Elle avait subséquemment amené B à distribuer ses actions aux actionnaires ordinaires de A. La réorganisation par scission n'était pas visée par l'article 86.1 parce que A n'était pas une société américaine. Le juge Miller a néanmoins conclu que la réception des actions de B par un actionnaire canadien de A n'était pas un événement imposable, parce que le paiement était, de par sa nature, davantage assimilable à un fractionnement d'actions de A qu'à un dividende. Les actions de B étaient assimilables à une partie des actions de A avant la réorganisation par scission plutôt qu'à un montant imputable au revenu.

 

[18]    Il ressort des remarques qui précèdent que la dépense de 200 988,97 $ a été effectuée pour maintenir l'équilibre de l'opération de couverture plutôt que pour transmettre un élément de revenu au prêteur des actions de TWC. La réorganisation par scission de TWA par TWC n'a pas surpris M. Witt qui, bien sûr, prenait les décisions pour les deux associés de la société de personnes. La réorganisation par scission avait été approuvée par les actionnaires de TWC le 28 décembre 1983, et elle était donc connue de tous[10]. Je conclus que lorsqu'il a établi l'opération de couverture le 25 janvier 1984, M. Witt avait déjà l'intention de conclure les ventes à découvert additionnelles des actions ordinaires de TWC, ainsi que les achats d'actions ordinaires et privilégiées de TWA qu'il a effectués, pour la plupart, les 7 et 8 février. Ces opérations ne peuvent pas être considérées isolément. En dépensant 200 988,97 $ pour couvrir son obligation envers le prêteur des actions ordinaires de TWC qui avaient été vendues les 26 et 31 janvier, et en recevant 199 770,76 $ lors des ventes à découvert additionnelles des actions ordinaires de TWC, qui ont également été conclues les 7 et 8 février, M. Witt a équilibré l'opération de couverture, son compte personnel étant vendeur à découvert de 14 120 actions ordinaires, et le compte de RIW étant acheteur de 10 000 actions privilégiées, convertibles en 14 120 actions ordinaires. Cela a fait accroître l'écart (son placement à risque) d'un montant de 1 218,21 $ seulement. Il ressort clairement de ce qui précède que la dépense de 200 988,97 $ et la réception de 199 770,76 $ étaient des opérations à prendre en compte en tant que partie intégrante du fonds de couverture et non du fonds du flux de trésorerie lors du calcul du bénéfice réalisé par la société de personnes.

 

[19]    L'avocat de l'intimée, qui a gain de cause, pourra rédiger un jugement qu'il soumettra à l'approbation de l'avocat de l'appelant quant à la forme. Étant donné les circonstances inhabituelles de l'affaire, je ne suis pas porté à rendre une ordonnance au sujet des dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 2008.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


ANNEXE A

 

Extrait de Rezek c. La Reine, 2005 CAF 227

 

LA STRATÉGIE D'OPÉRATIONS DE COUVERTURE SUR DES TITRES CONVERTIBLES (la stratégie)

 

Introduction

 

[3]     En vertu de cette stratégie, on procédait à une vente à découvert d'actions ordinaires de compagnies publiques et, à peu près au même moment, on achetait un autre titre donnant droit d'acquérir à peu près le même nombre d'actions ordinaires. Les titres achetés pouvaient être des actions privilégiées ou des obligations non garanties, convertibles dans les deux cas en actions ordinaires, ou des droits de souscription d'actions ordinaires.

 

La vente à découvert

 

[4]     La vente d'actions dite à découvert est une vente d'actions qui n'appartiennent pas au vendeur. Elles sont « empruntées ». En fait, la vente est réalisée par la conclusion d'une entente avec un courtier, qui procédera à la vente d'actions appartenant à un tiers (le courtier ou l'un de ses clients). Le produit de la vente est versé au compte du vendeur à découvert, déduction faite des frais de courtage. En l'espèce, lorsque les appelants vendaient des actions à découvert, ils versaient des « frais de location » au courtier. De plus, ils lui versaient une somme équivalente aux dividendes obtenus sur les actions entre le moment de l'emprunt et celui de la remise. C'est ce qu'on appelle des « dividendes compensatoires ».

 

[5]     C'est lorsque la vente à découvert est liquidée que le profit (ou la perte) est réalisé. Ceci se produit lorsque le vendeur à découvert procède à la remise des actions empruntées. Pour ce faire, le courtier achète un nombre équivalent d'actions identiques pour les remettre au prêteur. Le coût de cette transaction, y compris les frais de courtage, est imputé au vendeur à découvert.

 

[6]     Si le coût d'achat des actions de remplacement est inférieur au produit de la vente à découvert (parce que la valeur des actions a diminué), le vendeur à découvert fait un profit. Si le coût d'achat des actions de remplacement est supérieur au produit de la vente à découvert (parce que la valeur des actions a augmenté), le client fera une perte. Les frais de courtage, frais de location et dividendes compensatoires, imputés au vendeur à découvert entre la vente à découvert et la liquidation viennent réduire le profit réalisé ou augmenter la perte.

 

[7]     La vente d'actions à découvert se distingue d'une vente classique de deux façons. Premièrement, le vendeur à découvert touche le produit de la vente avant d'avoir eu à absorber le coût d'achat des actions. Deuxièmement, il n'y aura profit d'une vente à découvert que si la valeur des actions diminue, alors qu'une vente classique ne permettra de réaliser un profit que si cette valeur augmente.

 

L'opération de couverture

 

[8]     La « couverture » est une technique qui permet de diminuer le risque de perte. Le risque principal lors d'une vente à découvert est celui d'une augmentation de la valeur des actions. Pour réduire ce risque, un vendeur à découvert d'actions ordinaires peut acquérir un titre lui donnant le droit d'acheter le même nombre des mêmes actions ordinaires. Ce droit peut se trouver dans un droit de conversion d'actions ou d'obligations non garanties convertibles, ou dans un droit de souscription d'actions ordinaires.

 

[9]     La valeur de l'action ou de l'obligation non garantie convertibles comprend la valeur des actions ordinaires que l'on peut obtenir lors de la conversion, ainsi que la valeur du titre sans le privilège de conversion (la valeur en capital dans le cas d'une action privilégiée ou le principal dans le cas d'une obligation non garantie), plus, dans certains cas, une prime représentant la valeur du droit de conversion. Le coût d'acquisition d'un titre convertible comprend nécessairement le coût de tous ces éléments.

 

[10]    Un droit de souscription permet d'acquérir des actions ordinaires au cours d'une période donnée et à un prix fixe. Si le prix du marché des actions ordinaires est inférieur au prix fixé dans le droit de souscription pour leur achat (qu'on appelle parfois le « prix d'exercice »), la valeur du droit de souscription est nulle. Si le prix du marché des actions ordinaires est supérieur au prix fixé dans le droit de souscription pour leur achat, la valeur sur le marché du droit de souscription sera la différence entre le prix fixé et le prix du marché des actions ordinaires, plus une prime pour le droit d'acheter les actions ordinaires. Par exemple, si le droit de souscription permet à son titulaire d'acheter des actions ordinaires à 10 $ chacune et que le prix du marché pour celles‑ci est de 12 $, la valeur sur le marché du droit de souscription devrait être approximativement de 2 $, plus une petite prime.

 

[11]    Dans la mesure où la valeur d'un titre convertible comprend la valeur des actions ordinaires qu'on peut obtenir lors de la conversion, elle augmente de pair avec la valeur des actions ordinaires en cause. Parallèlement, la valeur d'un droit de souscription augmentera parallèlement à la valeur des actions ordinaires. Par conséquent, un vendeur à découvert d'actions ordinaires qui court le risque d'une perte sur la vente à découvert (par suite d'une hausse des actions ordinaires) peut réduire son risque en acquérant des titres convertibles ou des droits de souscription lui permettant d'acheter le même nombre des mêmes actions ordinaires.

 

[12]    Le détenteur d'un titre convertible ou d'un droit de souscription court le risque d'une perte résultant d'une baisse de la valeur des actions ordinaires. Une telle baisse vient automatiquement diminuer la valeur du titre convertible ou du droit de souscription. Toutefois, si le détenteur du titre convertible ou du droit de souscription a aussi vendu à découvert les actions ordinaires en cause, leur diminution de valeur donnera lieu à un profit sur la vente à découvert. Donc, une vente à découvert réduit le risque de perte sur le titre convertible ou le droit de souscription.

 

[13]    La stratégie qui consiste à détenir un titre convertible ou un droit de souscription pour couvrir la perte sur une vente à découvert d'actions ordinaires est décrite au dossier comme une « stratégie d'opérations de couverture sur des titres convertibles ». Une personne qui a fait une vente à découvert d'actions ordinaires et qui détient en même temps un titre convertible ou un droit de souscription minimise deux risques potentiels. Le risque de perte sur la vente à découvert lié à l'augmentation de la valeur des actions ordinaires est réduit par le fait de détenir le titre convertible ou le droit de souscription. Le risque de perte sur le titre convertible ou le droit de souscription lié à la diminution de la valeur des actions ordinaires est réduit par la vente à découvert.

 

Le profit ou la perte sur l'écart

 

[14]    En l'espèce, il y avait généralement une petite prime entre la somme payée pour les titres convertibles, les droits de souscription et les investissements à revenu, d'une part, et le produit de la vente à découvert des actions ordinaires, d'autre part. En cas d'augmentation de la valeur marchande des actions ordinaires, la valeur des titres convertibles ou du droit de souscription augmentait généralement de concert. Lors de la conversion en actions ordinaires ou lors de l'exercice du droit de souscription, l'investisseur ne recouvrait pas la prime.

 

[15]    Toutefois, si la valeur des actions ordinaires baisse, l'investisseur peut réaliser un profit à un moment donné. Ceci est dû au fait qu'à une valeur réduite donnée des actions ordinaires le marché n'accordera que peu de valeur, sinon aucune, au privilège de conversion rattaché au titre convertible ou au droit de souscription et la valeur du titre convertible ou du droit de souscription se stabilisera. Par exemple, si un droit de souscription porte qu'un acquéreur peut acheter les actions ordinaires à 10 $ chacune et si la valeur des actions sur le marché est inférieure à 10 $, le droit de souscription n'a plus aucune valeur. Par contre, le profit de l'investisseur sur la vente à découvert va augmenter parallèlement au déclin de la valeur des actions ordinaires sous les 10 $. L'écart entre la valeur des actions ordinaires vendues à découvert et la valeur des droits de souscription va augmenter en faveur de l'investisseur.

 

[16]    En utilisant le même exemple, présumons qu'un investisseur a vendu à découvert des actions ordinaires pour 12 $ et qu'il a en même temps acheté des droits de souscription lui permettant d'acquérir des actions ordinaires pour le prix d'exercice de 10 $. La valeur des droits de souscription sur le marché serait de 2 $, plus une petite prime liée au droit d'acheter les actions ordinaires à une date ultérieure, disons 0,10 $. Si le prix de l'action ordinaire tombe à 5 $ chacune, le droit de souscription n'aura aucune valeur parce que personne ne voudra payer pour obtenir le droit d'acheter 10 $ une action ordinaire dont la valeur sur le marché est de 5 $. L'investisseur va accuser une perte 2,10 $ sur le droit de souscription. Toutefois, il pourra faire un achat d'actions ordinaires à 5 $ chacune pour couvrir sa vente à découvert des actions ordinaires. Dans ce cas, l'investisseur va gagner 7 $ sur la vente à découvert et perdre 2,10 $ sur le droit de souscription, pour un bénéfice net de 4,90 $.

 

[17]    Dans ce cas, bien que l'investisseur perdra la prime de 0,10 $ si la valeur de l'action ordinaire ne tombe pas sous le prix d'exercice, il fera un profit de 4,90 $ si la valeur de l'action ordinaire est de 5 $ alors que le prix d'exercice est de 10 $.

 

[18]    Pour faciliter la lecture, je regrouperai dorénavant les actions privilégiées convertibles, les obligations non garanties convertibles et les droits de souscription sous l'appellation générale de « titres convertibles ».

 

La possibilité d'obtenir un revenu

 

[19]    En plus de la possibilité de profit sur l'écart dans une opération de couverture sur des titres convertibles, il peut y avoir un revenu généré au cours de l'opération. En général, les actions privilégiées ou les obligations non garanties convertibles vont générer des dividendes ou des intérêts plus élevés que les actions ordinaires. Bien que les investisseurs dans une opération de couverture sur des titres convertibles doivent verser les dividendes compensatoires au courtier, ils s'attendent à obtenir des dividendes ou des intérêts plus élevés sur les actions privilégiées ou les obligations non garanties convertibles qu'ils détiennent. Même lorsque le titre convertible est un droit de souscription qui ne donne pas droit à un dividende ou à des intérêts, les investisseurs pourront utiliser le revenu de la vente à découvert des actions ordinaires (moins la somme requise pour acheter les droits de souscription) pour acquérir des bons du Trésor ou d'autres titres à bas risque qui génèrent des intérêts. Ces sommes devraient être supérieures à ce qui est requis pour verser les dividendes compensatoires sur les actions ordinaires vendues à découvert.

 

[20]    En résumé, une stratégie d'opérations de couverture sur des titres convertibles débouche sur deux sources de revenu : un profit sur l'écart et le revenu net des dividendes ou de l'intérêt obtenu au cours de l'opération.

 


ANNEXE B

 

Extrait de l'affidavit de Richard Strand établi en vertu de l'article 145 des Règles

 

[TRADUCTION]

 

Conclusions

 

Je conclus que les montants payés par l'appelant, M. Witt, à l'égard d'un dividende compensatoire, un dividende ayant été déclaré et versé sous la forme d'actions de Trans World Airlines, sont une dépense résultant de la position vendeur prise par M. Witt dans Trans World Corporation, et qu'ils devraient être traités de la même façon qu'un dividende en espèces. Selon moi, un dividende compensatoire versé sous la forme d'actions n'est pas une opération sur titres qui devrait être traitée comme faisant partie des opérations sur titres que comprend l'opération de couverture. En outre, les modalités de paiement, quant au coût, n'ont pas d'incidence sur mes conclusions, étant donné qu'une somme portée au débit d'un compte de courtage ou un paiement par chèque ont le même effet.

 

Veuillez agréer l'expression de mes meilleurs sentiments.

 

 

[Signature]

 

Richard G. Strand

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 407

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2001‑2877(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Russell Witt et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 2 et 3 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge E. A. Bowie

 

DATE DES MOTIFS

DE JUGEMENT :                               Le 31 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me David J. Rotfleisch

Me Daniel Lyons

 

Avocats de l'intimée :

Me Henry A. Gluch

Me John Grant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           David J. Rotfleisch

 

                   Cabinet :      Rotfleisch & Samulovitch

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Schultz c. La Reine, [1996] 1 C.F. 423 (C.A.F.), Rezek c. La Reine, 2005 CAF 227, inf. Hayes c. La Reine, 2003 CCI 93.

 

[2]           Le document est un exposé des faits dont les parties ont convenu pour les besoins de l'instruction. Les parties ont également convenu que cet exposé pouvait être complété au moyen d'éléments de preuve supplémentaires présentés par l'une ou l'autre partie, dans la mesure où cela n'était pas incompatible avec les faits convenus. Pour plus de commodité, je les appellerai les faits convenus.

 

[3]           Précité, note 1.

 

[4]           L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée.

 

[5]           Précité, note 1.

 

[6]           [1994] 2 R.C.S. 9, aux pages 21 à 25.

[7]           2003 CAF 26, au paragraphe 44.

 

[8]           L.C. 2001, ch. 17, par. 64(1).

 

[9]           2004 CCI 239.

 

[10]          Voir la pièce A‑1, annexe 2, onglet 21, page 2, note [3].

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