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Dossier : 2004-1147(IT)G

ENTRE :

CHRISTIAN LAROUCHE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

2753-1359 Québec Inc. (2004-1153(IT)G), le 29 avril 2008,

à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Serge M. Racine

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995 et 1996, est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 2008.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Dossier : 2004-1153(IT)G

ENTRE :

2753-1359 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Christian Larouche (2004-1147(IT)G), le 29 avril 2008,

 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Serge M. Racine

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), pour l’année d’imposition 1996, est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 2008.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2008 CCI 448

Date : 20080903

Dossiers : 2004-1147(IT)G

 2004-1153(IT)G

ENTRE :

CHRISTIAN LAROUCHE,

2753-1359 QUÉBEC INC.,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Ces deux appels ont été entendus sur preuve commune. Les appelants en appellent de leurs cotisations respectives établies à leur égard en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Il est admis par les appelants qu’en tout temps pertinent, ils étaient des personnes liées au sens de la Loi avec la société 9039-0618 Québec Inc. (ci-après 9039). 

 

[2]              L’appelant Christian Larouche a reçu de 9039 des dividendes totalisant 141 250 $ durant les années 1993 à 1996 et l’appelante 2753-1359 Québec Inc. a reçu de 9039 un dividende de 41 980 $ en l’année 1996. Au moment où ces dividendes  ont été versés, 9039 était redevable envers le ministre du Revenu national (le Ministre) pour des impôts, des intérêts et des pénalités non payés. En date des cotisations à l’encontre des appelants, soit le 23 mai 2003, la dette fiscale de 9039 s’établissait comme suit :

 

Année

Impôt

Pénalité

Intérêt

Total

 

1993

1994

1995

Total

 

13 180, 22 $

22 972, 39 $

27 584, 59 $

63 737, 20 $

 

 

 

2 758, 45 $

2 758, 45 $

 

17 485, 32 $

28 575, 12 $

33 247, 60 $

79 308, 04 $

 

30 665, 54 $

51 547, 51 $

63 590, 64 $

145 803 69 $

 

[3]              La question en litige est de déterminer si le versement des dividendes aux appelants constitue un transfert sans contrepartie selon l’article 160 de la Loi. Les  montants cotisés à l’encontre des appelants correspondent au montant des dividendes qui leur ont été versés par 9039. L’article 160 de la Loi se lit comme suit :

 

Transfert des biens entre personnes ayant un lien de dépendance

 

(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a)   son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b)   une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)   une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

d)   le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur de transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présent loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés  ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)   le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

      (i)   l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

      (ii)  le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[4]              Pour l’application de l’article 160, il faut donc qu’il y ait, entre des personnes ayant un lien de dépendance, un transfert de biens sans contrepartie ou dont la contrepartie serait inférieure à la juste valeur marchande au moment où l’auteur du transfert est redevable au Ministre dans l’année du transfert ou pour une ou des années antérieures. On comprend que le cessionnaire ne peut être redevable au delà de la valeur de l’avantage reçu.

 

[5]              En l’espèce, et comme la question en litige le décrit ci haut, il s’agit de déterminer s’il y a eu transfert d’un bien et, dans l’affirmative, si une contrepartie valable a été donnée conformément à l’article 160 de la Loi lorsqu’un dividende a été versé. 

 

[6]              Cette question a fait l’objet de plusieurs décisions de cette Cour, de la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada. Le juge Rip de cette Cour, dans la décision Algoa Trust c. la Reine, [1993] 1 C.T.C. 2294, a conclu que l’article 160 de la Loi s’appliquait à un dividende de sorte que son paiement constituait un transfert de biens au sens de l’article 160. Voici sa conclusion :

 

Le versement d’un dividende en argent ou sous forme d’autres biens est un transfert de biens au sens du paragraphe 160(1) de la Loi. La corporation s’est appauvrie, et ses actionnaires se sont enrichis. Je ne vois pas comment on peut dire qu’un dividende ne constitue pas un transfert de biens. [Voir note 5 ci-dessous] Je me rends bien compte qu’un actionnaire non informé ayant un lien de dépendance avec la corporation peut, en vertu de la Loi, devenir conjointement et solidairement responsable avec celle-ci des montants qu’elle doit, vu mon interprétation du paragraphe 160(1). Si c’est un effet involontaire de cette disposition – et je ne suis pas sûr que ce soit le cas – le Parlement envisagera certainement de remédier au problème.

 

[7]              Cette conclusion du juge Rip a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 4 février 1998 et reconfirmée par la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale en 2006 dans l’arrêt Addison & Leyen Ltd. c. Canada, [2006] A.C.F. no 489. Madame la juge Sharlow a affirmé aux paragraphes 57 et 60 de sa décision que l’article 160 pouvait s’appliquer aux dividendes :

 

[57] Il est possible d’imaginer qu’une société, surtout si elle a peu d’actionnaires, ait recours au paiement de dividendes pour se départir de certains actifs afin d’éviter de payer de l’impôt, mais dans la plupart des cas, le paiement de dividendes est une transaction commerciale ordinaire. Les dividendes constituent aussi un revenu imposable pour le bénéficiaire (sauf pour certains bénéficiaires qui sont des sociétés)…

 

[60] [. . . ] Ainsi, la décision rendue en 1993 par la Cour de l’impôt dans Algoa Trust fait autorité en ce qui a trait à la proposition selon laquelle l’article 160 peut s’appliquer aux dividendes.

 

[8]              Cette décision de madame la juge Sharlow a été confirmée par la Cour suprême du Canada bien que l’arrêt a porté sur d’autres motifs que celui-là. 

 

[9]              Le juge Nadon, dans La Reine c. Gilbert, 2007 CAF 136, a passé en revue l’état du droit et a conclu qu’un dividende versé à des actionnaires constituait un transfert sans contrepartie au sens de l’article 160 de la Loi.  Voici le passage pertinent :

 

[11] En ce qui a trait à la première question, la juge Lamarre Proulx a conclu que les dividendes versés aux intimés constituaient un transfert sans contrepartie au sens de l’article 160(1)a) de la Loi. Aux paragraphes 30 à 32 de ses motifs, elle s’exprimait comme suit :

 

Selon ma compréhension du droit corporatif, c’est au moment de la liquidation d’une société que les sociétés que les actionnaires se partagent le reliquat des biens de la société.  L’émission d’un dividende est de nature différente.  Je ne puis accepter la proposition que la réception d’un dividende cause l’appauvrissement corrélatif de l’actionnaire bénéficiaire.  Je ne crois pas que ce soit le cas en droit corporatif et ce ne l’est sûrement pas en droit fiscal.  En droit fiscal, une personne qui reçoit un dividende doit l’inclure dans le calcul du revenu.  En ce qui concerne la société qui l’émet il s’agit d’une diminution de ses bénéfices non repartis et une diminution de ses avoirs. 

 

Donc il y a appauvrissement de la société émettrice et enrichissement du bénéficiaire comme dans tout transfert de biens sujet à l’article 160 de la Loi.

 

En ce qui concerne la possibilité d’une contrepartie à donner pour l’émission d’un dividende, je suis d’avis que la Cour suprême du Canada dans Neuman (supra) a clairement exprimé qu’il n’y en avait pas. 

 

[12] À mon avis, la juge Lamarre-Proulx n’a commis aucune erreur en rejetant l’argument des intimés à l’effet qu’un dividende leur a été versé à titre d’actionnaires de la société moyennant une contrepartie, puisqu’elle n’a fait que suivre les enseignements de notre Cour et de la Cour suprême.

 

[13] Plus particulièrement, la juge Lamarre Proulx s’est référée à l’affaire Neuman c. M.R.N, [1998] 1 R.C.S. 770, à la page 791, où la Cour suprême du Canada, citant avec approbation les motifs dissidents du juge LaForest dans McClurg c. Canada (1990) 3 R.C.S 1020, a clairement confirmé qu’aucune contrepartie ne peut-être donnée pour le versement d’un dividende :

 

… le versement d’un dividende résulte de la propriété du capital-actions d’une société.  Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d’aucune façon de la conduite d’un actionnaire donné.»

 

[14] Cette conclusion entérine celle à laquelle en est venu le juge Rip de la Cour canadienne de l’impôt dans Algoa Trust c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2294, page 2303, décision dont l’appel était rejeté par notre Cour le 4 février 1998 (dossier de la Cour A-201-93) :

 

Lorsqu’une personne souscrit des actions d’une corporation, elle paie théoriquement l’acquisition d’une part de propriété de la corporation et reçoit des actions d’une catégorie du capital-actions de la corporation. L’actionnaire verse une contrepartie pour les actions elles-mêmes et non pour ce qu’elles peuvent rapporter. Le fait d’être propriétaire d’actions confère à l’actionnaire certains droits : le droit de voter en tant qu’actionnaire, le droit de participer au partage du capital en cas de liquidation de la corporation et le droit de recevoir des dividendes (cette énumération ne prétend pas être exhaustive).  Lorsque l’actionnaire reçoit un dividende, ce n’est pas en raison d’une contrepartie quelconque qu’il a donnée à la corporation ni du fait que la corporation est tenue de payer pour l’investissement.  Quand un actionnaire achète des actions, il n’achète pas un droit à un revenu.  Un actionnaire reçoit un dividende uniquement parce que le droit de recevoir un dividende est inhérent à la possession d’actions. 

 

[10]         La demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejetée le 20 septembre 2007.

 

[11]         L’intimée s’en remet donc à l’état du droit à l’appui de la validité de ses cotisations, soit que l’article 160 s’applique aux versements de dividendes en l’espèce.

 

[12]         De son côté, l’avocat des appelants fait valoir que, contrairement au courant jurisprudentiel actuel, le versement de dividendes d’une société à ses actionnaires ne devrait pas être considéré comme un transfert au sens de l’article 160 de la Loi.  À l’appui de sa position, l’avocat des appelants soutient qu’il y a deux étapes obligatoires permettant le versement d’un dividende et il cite un passage d’une décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Rondeau c. Poirier, [1980] C.A. 35, où le juge Antonio Lamer, alors juge de cette Cour, avait conclu que le versement de dividendes se subdivise en deux étapes : 1) la déclaration du dividende et (2) le paiement du dividende. Les passages pertinents de la décision sont les suivants :

 

Avec déférence, je suis d’avis que le raisonnement de l’intimé repose sur un postulat de base erroné, savoir, que la déclaration du dividende ne fait que rendre exigible un dividende qui existe déjà du fait de l’existence de l’action. Il est utile, je crois, de rappeler ici certains principes qui gouvernent les droits et les obligations des actionnaires d’une compagnie, ses administrateurs, et la compagnie elle-même. Au départ il faut souligner que seuls les administrateurs décident de l’opportunité de déclarer un dividende; qu’ils ne peuvent le faire que s’il s’agit de distribuer des profits ne pouvant, sauf certaines exceptions bien spécifiques, entamer le capital, mais que la réalisation de profits par la compagnie ne les oblige aucunement à déclarer quelque dividende que ce soit, ni non plus déterminer le montant qu’ils entendent distribuer s’ils s’avisent d’en déclarer un. Ceci est important, puisqu’il en découle la solution même du problème dont nous sommes saisis. En effet, l’actionnaire d’une compagnie n’est pas comme tel le créancier de sa compagnie, tant et aussi longtemps que les administrateurs n’auront pas déclaré un dividende; il a le droit non pas aux profits, puisque les administrateurs ne sont pas obligés de les distribuer, mais à une quotité et à certaines modalités de distribution des profits si et lorsque les administrateurs décident d’une distribution, c’est-à-dire déclarent un dividende. Ce droit à une modalité de distribution est sous condition suspensive, la condition étant, non pas l’existence de profits, mais la volonté des administrateurs de déclarer un dividende et le droit pour eux de ce faire, c’est-à-dire l’existence de profits à distribuer. 

 

L’existence des profits ne crée pas de droits pour l’actionnaire mais pour les administrateurs, celui de déclarer le dividende pour le distribuer en tout ou en partie. Si les administrateurs choisissent de distribuer des profits et déclarent un dividende, un autre droit s’ajoute au patrimoine de l’actionnaire, soit la propriété des profits selon les modalités que prévoyaient ses titres en regard de la portion des profits qu’ont décidé de distribuer les administrateurs et des termes d’exigibilité qu’ils ont pu prévoir, s’il en est.  L’actionnaire devient dès lors créancier de la compagnie.  Lorsqu’on applique les dispositions de l’article 1085 C.C., pour donner un effet rétroactif au jour auquel l’obligation a été contractée il faut prendre bien garde de ne pas confondre l’obligation  contractée quant aux modalités de distribution, si distribution il y a, avec l’obligation de distribuer qui, à mon avis, n’est contractée qu’au moment de la déclaration du dividende (que cette dernière soit ou non assortie de termes ou autres conditions concernant son exigibilité). 

 

[13]         Selon l’avocat des appelants, les conséquences d’un tel versement en deux étapes, tant pour la compagnie que pour l’actionnaire, sont qu’à l’étape de la déclaration, une dette naît au passif de la compagnie et l’actionnaire devient un créancier de la compagnie. À l’étape du paiement du dividende, les bénéfices non répartis sont réduits du montant du dividende et la dette disparaît. En ce qui concerne l’actionnaire, la dette est payée et le droit au paiement du dividende s’éteint.

 

[14]         La conséquence de tout cela, selon l’avocat des appelants, est qu’il  ne peut y avoir de transfert étant donné qu’il n’y a pas d’enrichissement. Il s’en remet à une décision de la juge Lamarre Proulx dans l’affaire Hamel c. Ministre du Revenu national, [1996] 2 C.T.C. 2046. Dans sa décision, la juge Lamarre Proulx a mentionné qu’un transfert a lieu lorsqu’il y a appauvrissement de celui qui effectue le transfert et enrichissement proportionnel de celui qui reçoit le bien. 

 

Le paiement par la corporation de la somme de 350 000 $ à monsieur Allard en satisfaction des montants qui lui avaient été adjugés par la Cour supérieure à l'encontre de l'appelant constitue-t-il un transfert de biens à l'appelant? Nous avons vu que le transfert n'a pas à être fait directement au bénéficiaire. Il y a transfert s'il y a appauvrissement chez celui qui transfère en faveur du bénéficiaire que ce transfert se fasse directement ou indirectement et enrichissement correspondant chez le bénéficiaire. Je suis d'avis que c'est ce qui s'est produit dans le présent cas.

 

[15]         Toujours selon l’avocat des appelants, non seulement il n’y a pas en l’espèce enrichissement des appelants, mais il n’y a pas appauvrissement de la compagnie.  Pour cette dernière, la dette disparaît et les bénéfices non repartis sont réduits. Pour les actionnaires, il y a augmentation de leurs liquidités et, par le fait même, extinction de leur créance. La conséquence fait en sorte qu’il n’y a pas en l’espèce de transfert au sens de la décision Hamel.

 

[16]         L’avocat des appelants poursuit son raisonnement en ajoutant un deuxième point de vue. Celui-là est fondé sur le principe voulant qu’un débiteur qui paie sa dette a droit à une quittance (article 1568 du Code civil du Québec) et que ce droit là est un bien en fonction de la définition que lui donne la Loi (un bien de toute nature). Or, s’il s’agit d’un bien, n’est-ce pas là la contrepartie donnée dont la juste valeur marchande équivaut au montant du dividende avec la conséquence qu’il y avait contrepartie donnée de la part des actionnaires, soit la quittance? Il reconnaît que son argument se prête bien à un dividende payé en argent et qu’il serait plus difficile d’application s’il s’agissait d’un dividende en nature. Sur ce dernier point, l’avocat des appelants a fait ressortir des passages de la décision Algoa Trust qui se prêtent bien au raisonnement qu’il fait valoir, tel que le passage où le juge Rip mentionne qu’il n’y a pas de transfert au moment où le dividende est déclaré. Il faut noter que, dans Algoa Trust, il s’agissait d’une analyse visant des dividendes en actions et non de dividends en argent comme c’est le cas en espèce. 

 

[17]         En résumé, la position des appelants est qu’un dividende a été payé mais que le paiement ne constitue pas un transfert parce qu’il n’y a pas de corrélation entre l’enrichissement des actionnaires et l’appauvrissement de la compagnie, et que, même s’il n’y en avait un, l’alinéa 160(1)e) ne peut pas s’appliquer parce que, selon son raisonnement comptable, qui suit l’application juridique des principes qu’il énonce, l’actionnaire a reçu un dividende et la contrepartie est la perte de son droit de poursuivre la compagnie pour son paiement.

 

[18]         Il est important en premier lieu de se rappeler ce qu’est un dividende et quelle est la portée de son versement. Dans l’arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, le juge Iacobucci avait rejeté l’argument voulant que le versement d’un dividende soit lié à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société, ce qui constituerait une contrepartie valable. Il a repris un passage des observations faites par le juge Laforest dans McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020 voulant que la « nature d’un dividende et son versement résultent de la propriété du capital-actions d’une société » et que « selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d’aucune façon de la conduite d’un actionnaire donné. »

 

[19]         Le juge Dussault, de cette Cour, dans Gosselin c. Canada, [1996] A.C.I. no 206, au paragraphe 15, a dit ce qui suit sur la nature du dividende :

 

La déclaration d’un dividende est essentiellement l’attribution  de bénéfices non répartis d’une société à ses actionnaires en fonction des actions qu’ils possèdent et selon les droits rattachés à ces actions. Le versement du dividende est l’acte par lequel les dividendes ainsi attribués pas les administrateurs, à leur discrétion, tout en respectant les principes du droit corporatif et les règles spécifiques énoncés à cet égard distribuent aux actionnaires le dividende attribué à chaque catégorie d’actions.  Au delà des règles concernant la solvabilité de la société, il y a le principe d’égalité des actions d’une même catégorie en fonction des privilèges et restrictions dont on a assorti les actions de cette catégorie.

 

[20]         En deuxième lieu, la définition du terme « transfert » a fait l’objet de plusieurs décisions et, à mon avis, la principale décision ayant défini ce qui est un transfert est la décision Fasken Estate c. Canada, [1948] Ex. C.R. 580, où le juge Thorson de la Cour de l’Échiquier l’a défini en ces termes au paragraphe 34. 

 

[TRADUCTION]

 

Le mot « cession » [« Transfer »] n’est pas un terme de l’art et n’a pas un sens technique. Il n’est pas nécessaire qu’un transport de biens par un mari en faveur de son épouse soit fait sous une forme particulière ni qu’il le soit directement. Il suffit que le mari agisse de façon à se départir des biens et les remettre à son épouse, c’est-à-dire transporter les biens de l’un à l’autre. Les moyens d’arriver à cette fin, qu’ils soient directs ou non, peuvent être à juste titre appelés une cession.

 

[21]         Par contre, la décision qui fait du versement d’un dividende un transfert de biens, non seulement un transfert en tant que tel mais aussi un transfert de biens au sens de l’alinéa 160(1)e), est la décision Algoa Trust du juge Rip dans laquelle figure le passage que j’ai cité au paragraphe 6 des présents motifs.

 

[22]         Le fait qu’il ne peut y avoir appauvrissement de la société et enrichissement des actionnaires ne signifie pas qu’il n’y a pas de transfert de biens lorsqu’il y a versement d’un dividende. Le versement d’un dividende à un actionnaire est un transfert de sorte que la seule question qui demeure est celle de déterminer si le versement d’un dividende constitue un transfert de bien sans aucune contrepartie de la part de l’actionnaire et c’est à cette conclusion que le juge Rip est arrivé dans Algoa Trust, tout comme le juge Nadon de la Cour fédérale dans la décision Gilbert qui reprend d’ailleurs le passage de la décision de la juge Sharlow dans Addison & Leyen Ltd. c. Canada que j’ai reproduit ci-haut. 

 

[15] En ce qui concerne la question de savoir si le paiement d’un dividende constitue un transfert de biens au sens de l’article 160 de la Loi, la juge Sharlow dans Addison & Leyen Ltd. c. Canada [2006] A.C.F. no 489 aux paragraphes 57 à 60, affirmait que les dividendes pouvaient faire l’objet de l’article 160 :

 

… Il est possible d’imaginer qu’une société, surtout si elle a peu d’actionnaires, ait recours au paiement de dividendes pour se départir de certains actifs afin d’éviter de payer de l’impôt, mais dans la plupart des cas, le paiement de dividendes est une transaction commerciale ordinaire. Les dividendes constituent aussi un revenu imposable pour le bénéficiaire (sauf pour certains bénéficiaires qui sont des sociétés)

 

 

Ainsi, la décision rendue en 1993 par la Cour de l’impôt dans Algoa Trust fait autorité en ce qui a trait à la proposition selon laquelle l’article 160 peut s’appliquer aux dividendes.

 

[23]         Pour les fins du présent dossier, la question en litige est véritablement celle de savoir si le versement d’un dividende constitue un transfert sans contrepartie. Le juge Rip, dans Algoa Trust, a été très clair là-dessus à la page 34 de sa décision, un passage que le juge Nadon a cité dans Gilbert et que l’on trouve au paragraphe 9 des présentes. 

 

[24]         Le sens du terme « contrepartie » a également été interprété par cette Cour par le juge Bonner, dans la décision Ruffolo c. Canada, [1998] A.C.I. no 714, une décision maintenue en appel par la Cour d’appel fédérale, [2000] A.C.F. no 700. Dans cette décision, le juge Bonner nous présente la définition classique du terme. Voici ce qu’il a dit aux paragraphes 3 et 7 de sa décision. 

 

Les appelants s’opposent aux cotisations pour deux motifs. Premièrement, ils affirment avoir donné une contrepartie pour les dividendes. Cet argument repose sur le principe bien connu selon lequel, lorsqu’une société déclare qu’un dividende est payable à ses actionnaires à une date donnée, une dette du montant du dividende devient payable à chacun des actionnaires à cette date. Les appelants font valoir que chaque actionnaire donne, pour le dividende, une contrepartie de valeur égale en renonçant au droit de recevoir le dividende qui lui a été attribué du fait de la déclaration.  Par conséquent, affirment-ils, le montant dont il est question au sous-alinéa 160(1)e)(i) est nul. 

 

 

Il est évident que le premier argument des appelants ne peut être retenu. Le terme « contrepartie » au sous-alinéa 160(1)e)(i) doit être interprété dans son sens ordinaire, à savoir qu’il s’agit de quelque chose que l’on donne en paiement. Rien dans le contexte législatif ou dans l’objectif qui sous-tend l’article 160 ne laisse croire le contraire. On ne peut dire qu’un créancier renonce à son droit au paiement d’une dette qui est acquittée et qui, par conséquent, disparaît lorsque la dette est acquittée en contrepartie du paiement. Lorsqu’une société verse des dividendes à un actionnaire, le transfert s’effectue dans un sens seulement. L’actionnaire doit son droit de recevoir le paiement d’un dividende qui a été déclaré à sa qualité d’actionnaire et non à une contrepartie qu’il donne. Rien dans la décision rendue pas la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newman v. The Queen n’appuie la thèse des appelants.

                                                                                                [Je souligne].

 

[25]         Le juge Bowie, quelques années auparavant, dans la décision Logiudice c. Canada, [1997] A.C.I. no 742, avait donné l’interprétation suivante quant à la définition du mot « contrepartie »  dans le contexte de l’article 160 de la Loi :

 

16  Le mot « contrepartie », tel qu’il est utilisé dans le contexte de l’article 160 de la Loi, dans son sens ordinaire, signifie la contrepartie qu’une partie à un contrat donne à l’autre partie en échange du bien transféré.  L’article 160 vise de toute évidence à empêcher les contribuables de se soustraire à leur obligation fiscale ainsi qu’aux intérêts et aux pénalités prévus par les dispositions de la Loi en plaçant les biens exigibles entre les mains de parents ou d’autres personnes avec lesquels ils ont un lien de dépendance, et donc hors de la portée immédiate du percepteur d’impôt.  La disposition restrictive du sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi vise à protéger les véritables opérations commerciales de l’application de la disposition, jusqu’à concurrence de la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour le bien qui a été transféré.  Par conséquent, il est évident que pour que le bénéficiaire du transfert puisse se prévaloir de cette disposition protectrice, il doit être en mesure de prouver que le bien lui a été transféré conformément aux conditions d’une véritable entente contractuelle.

                                                                                                [Je souligne].

 

[26]         Un argument très similaire à celui présenté par l’avocat des appelants en l’espèce a été examiné par la juge Lamarre Proulx dans la décision Gilbert, précitée. Voici ce qu’elle a dit concernant la thèse de la contrepartie du versement d’un dividende :

 

32  En ce qui concerne la possibilité d’une contrepartie à donner pour l’émission d’un dividende, je suis d’avis que la Cour suprême du Canada dans Neuman (supra) a clairement exprimé qu’il n’y en avait pas. Le droit à un dividende découle de la propriété des actions. Il faut éviter de confondre la contrepartie donnée pour l’acquisition des actions et la contrepartie pour dividendes. La contrepartie donnée pour l’acquisition des actions est prise en considération pour l’acquisition et la disposition des actions. Il ne s’agit pas d’une contrepartie donnée pour un dividende.

 

[27]         Le juge Dussault, dans la décision Gosselin, précitée, a clairement indiqué, au paragraphe 16, qu’une société qui verse des dividendes ne reçoit aucune contrepartie de ses actionnaires.

 

[28]         Toute cette jurisprudence s’est appuyée notamment sur les passages suivants des motifs du juge Iacobucci dans l’arrêt Neuman, précité. Je reprends ici certains passages de cet arrêt à l’appui de l’argument qu’aucune contrepartie n’est rattachée au versement d’un dividende :

 

57 Le juge en chef Dickson semblait d’avis que la nature du revenu de dividendes d’un actionnaire était tributaire de l’apport fourni à la société par cet actionnaire. Ce point de vue ne tient pas compte de la nature fondamentale des dividendes; un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu’une personne possède dans une société, et à rien d’autre. Ainsi, l’importance de l’apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l’un de l’autre. Le juge La Forest a fait la même observation dans les motifs dissidents qu’il a rédigés dans McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, (à la page 1073) :

 

En toute déférence, ce fait n’est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C’est mal interpréter la nature d’un dividende que de lier le versement d’un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l’avons dit auparavant, le versement d’un dividende résulte de la propriété du capital-actions d’une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d’aucune façon de la conduite d’un actionnaire donné.

 

 

60 Selon moi, il est erroné de laisser entendre qu’il peut y avoir une exception à la règle selon laquelle le par. 56(2) ne s’applique pas à un revenu de dividendes lorsque le bénéficiaire du revenu de dividendes, dans une opération effectuée avec lien de dépendance, n’a fourni aucun « apport légitime » à la société. En affirmant cela, je tiens pour acquis, bien sûr, qu’une contrepartie suffisante a été donnée pour les actions au moment de leur émission. Je ne connais aucun principe de droit des sociétés qui exige en outre qu’un actionnaire ait fourni un soi-disant « apport légitime » pour avoir droit à un revenu de dividendes, et il est reconnu que le droit fiscal comporte des principes de droit des sociétés à moins que ces principes ne soient expressément écartés par la loi fiscale en cause.

 

 

64.  En résumé, il ne convient pas de prendre en considération les apports fournis à à une société par un actionnaire, pour déterminer si le paragraphe 56(2) s’applique.  Les dividendes sont versés aux actionnaires à titre de rendement du capital qu’ils ont investi dans la société.

                                                                                                [Je souligne].

 

[29]         Revenons à l’argument de l’avocat des appelants qu’il n’y a pas d’appauvrissement de la société ni d’enrichissement de l’actionnaire. À ce sujet, les propos de la juge Lamarre Proulx dans Gilbert, précité, lesquels ont été endossés par le juge Nadon de la Cour d’appel fédérale sont toujours valables et pertinents (voir le paragraphe 9 des présents motifs), tout comme ceux du juge Dussault dans la décision Gosselin, précitée, que l’on trouve au paragraphe 19 des présentes.

 

[30]         La juge Lamarre Proulx a tiré la conclusion suivante dans la décision Benoît Côté c. Canada, [2002] A.C.I. no 76 :

 

[24] Il y a différentes routes qu’un contribuable peut suivre dans l’organisation de ses affaires et chacune de ces routes comporte un traitement fiscal spécifique. Ainsi qu’il en a été décidé de façon constante par les tribunaux compétents en matière fiscale, le tribunal doit tenir compte de ce que le contribuable a fait. Ici le contribuable a choisi de ne pas se payer de salaire, mais de prendre des avances et de rembourser ces avances au moyen d’un dividende. Le traitement fiscal d’un dividende est différent de celui afférent aux salaires ou autres paiements pour services rendus. Je ne puis malheureusement que conclure ainsi : le paiement d’un dividende par la société à l’appelant en 1992 fut le transfert d’un bien au sens de l’article 160 de la Loi et il n’y a pas eu de contrepartie donnée à l’égard de ce bien, car selon le droit corporatif et selon les dispositions de la Loi applicables en l’espèce, le dividende en question est une quote-part des bénéficies de la société attribuée à l’appelant en tant qu’actionnaire.  Il n’est pas un salaire ni autre paiement pour services rendus.

[Je souligne].

 

[31]         Donc, la nature même d’un dividende veut qu’il ne puisse y avoir de contrepartie donnée par l’actionnaire à la société en échange du droit au dividende. Le droit de l’actionnaire dont parle l’avocat des appelants est une conséquence de la déclaration du dividende et rien de plus. La relation créancier-débiteur est créée une fois que le dividende est déclaré et c’est sur cette relation que s’appuie son argument voulant que l’actionnaire renonce à son droit de poursuite. Cette renonciation n’est cependant pas une contrepartie à la déclaration d’un dividende. Je doute même qu’elle soit en elle-même une contrepartie en échange d’un paiement d’une dette. C’est le débiteur qui est en droit d’exiger une quittance.

 

[32]         La déclaration d’un dividende par une société ne peut que l’appauvrir même si son versement constitue le paiement d’une dette. Le versement d’un dividende ne découle pas d’une dette engagée par la société parce qu’elle a reçu quelque chose en retour, tels que des services ou des biens. C’est toujours la nature même d’un dividende qui permet de faire cette distinction.

 

[33]         Il en va de même pour l’actionnaire. Le dividende est un bénéfice que génère son investissement. Donc, il ne peut que l’enrichir, et ce, même si la valeur de ses actions peut avoir diminué. En termes comptables, la conséquence est que l’actionnaire ne s’est peut-être pas enrichi, sauf que, pour tirer cette conclusion, il faut faire abstraction du dividende dont le versement échoit aux propriétaires du capital-actions qui est à la disposition d’une société.

 

[34]         Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 2008.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 448

 

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :  2004-1147(IT)G et 2004-1153(IT)G

 

INTITULÉS DES CAUSES :             Christian Larouche et Sa Majesté la Reine

                                                          2753-1359 Québec Inc. et SMLR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 29 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 3 septembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Serge M. Racine

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants:

 

                     Nom :                            Me Serge M. Racine

 

                 Cabinet :                           Séguin Racine, Avocats Ltée

                                                          Laval (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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