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Référence : 2008CCI202

Date : 20080421

Dossier : 2003-2864(IT)G

ENTRE :

STEPHEN RAPHAEL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Avocat de l’appelant : Me Richard W. Pound

Avocat de l’intimée : Me Ernest Wheeler

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience 

le 3 mai 2005, à Montréal (Québec).)

 

Le juge McArthur

 

[1]     Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation établie à l’égard de l’année d’imposition 2001. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction demandée par l’appelant d’un montant d’environ 74 000 $, soit la somme du montant relatif au jugement d’un tribunal s’élevant à 49 759 $, des frais judiciaires de 1 867 $ et des frais d’avocat de 22 059 $.

 

[2]     La position de l’appelant est que la dépense de 74 000 $ concerne exclusivement son départ de Lafferty, Harwood & Partners Ltd. (ci‑après « LH ») pour aller travailler auprès de RBC Dominion Securities (ci‑après « RBC ») afin d’augmenter son revenu d’emploi et qu’il peut déduire ce montant de ses revenus en vertu de l’alinéa 8(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). 

 

[3]     La position de l’intimée est que l’appelant n’a pas engagé cette dépense en vue de tirer un revenu d’emploi, et qu’elle était plutôt une conséquence directe d’une rupture de contrat par l’appelant d’un contrat de travail auprès de LH. Par conséquent, le montant de la dépense ne peut pas être déduit des revenus. De plus, l’intimée soutient que le montant était une dépense au titre du capital et n’est donc pas déductible des revenus en fonction du sous‑alinéa 8(1)f)(v).

 

[4]     En général, les faits ne sont pas contredits et ils sont établis dans l’exposé conjoint des faits, qui est rédigé en ces termes :

 

     [traduction]

 

1.     L’appelant est un courtier en placements qui réside au 2, avenue Prospect, dans l’arrondissement Westmount, à Montréal (Québec)  H3Z 1W4.

 

2.     L’appelant interjette appel à l’encontre de l’avis de cotisation (la « cotisation ») daté du 17 juin 2002 établi par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l’égard de l’année d’imposition 2001.

 

3.     En février 1999, l’appelant a quitté son emploi auprès de Lafferty, Harwood & Partners Ltd. (ci‑après « LH&P ») pour travailler auprès de RBC Dominion Securities (ci‑après « RBC ») afin, entre autres, d’augmenter son revenu d’emploi. […]

 

4.     L’augmentation immédiate de son revenu est représentée par une « prime à la signature » de RBC s’élevant à 250 000 $.

 

5.     Le revenu de l’appelant était tiré exclusivement des commissions engendrées par l’achat et la vente d’actions et d’obligations au nom de clients.

 

6.     À l’exception de la « prime de signature », tant auprès de LH&P qu’auprès de RBC, l’appelant tirait tout son revenu de ses commissions. S’il n’avait pu tirer de revenu de ses commissions, il n’aurait eu aucun revenu.

 

7.     L’appelant ne suivait pas de conseils en placements ou d’instructions de ses employeurs et il faisait ses propres recherches, à ses propres frais, concernant les placements qu’il suivait afin de conseiller ses clients.  

 

8.     En échange d’environ 50 % des commissions générées par l’appelant, son employeur lui fournissait un espace de bureau, des recherches, de l’appui et l’aide d’une secrétaire. Une des raisons pour lesquelles l’appelant dit avoir quitté LH&P est que, selon lui, la fonction de recherche là‑bas était en train de s’effondrer. L’appelant et LH&P n’avaient pas la même philosophie sur de telles questions.

 

9.     Afin de maximiser la rétention des clients et ses revenus, lorsque l’appelant a quitté LH&P, il n’a pas donné d’avis de départ. Selon l’appelant, il s’agit‑là d’une façon de faire courante dans le domaine. […]

 

10. La grande majorité des clients de l’appelant l’ont suivi de LH&P à RBC.

 

11. Un autre avantage qu’a tiré l’appelant de son transfert de LH&P à RBC était toutes les possibilités de tirer des revenus supplémentaires grâce à des activités de convention de placement. Ceci n’était pas possible à LH&P, comme aucune activité de convention de placement n’y était menée.

 

12. Les parties conviennent que le statut de l’appelant en tant qu’employé n’est pas remis en question. Elles conviennent aussi que l’appelant répond aux conditions énoncées aux sous‑alinéas 8(1)f)(i) à (iv), inclusivement. 

 

13. Après le départ de l’appelant, LH&P a intenté une poursuite judiciaire devant la Cour supérieure du Québec contre lui afin de réclamer la perte de sa part de revenus (50 % de la commission de l’appelant) qu’elle aurait pu s’attendre à recevoir pendant une période de six mois, soit la période que LH&P jugeait comme raisonnable pour un avis de départ de la part de l’appelant. L’appelant avait généré environ 46 % des revenus de LH&P.

 

14. L’appelant s’est défendu, mais un jugement a été rendu en juin 2001 selon lequel il a été tenu de payer 49 759,39 $, en plus des frais juridiques de 1 867,89 $. Il a aussi dû payer des frais d’avocat de 22 059,69 $. Les montants et leur nature ne sont pas remis en question. Personne ne conteste non plus le fait que l’appelant a eu à payer ces montants. […]

 

15. Dans sa déclaration de revenus pour l’année 2001, l’appelant a déduit de ses revenus le montant de 73 686,97 $, soit la somme du montant adjugé, des frais juridiques et des frais d’avocat qu’il a dû payer à la suite de la poursuite par LH&P.

 

16. Pendant l’année d’imposition 2001, les revenus de l’appelant étaient exclusivement tirés de ses commissions de RBC.

 

17. Lorsqu’il a établi la cotisation à l’égard de l’appelant, le ministre a refusé la déduction demandée par ce dernier en partant du principe que les dépenses en cause ne tombaient pas sous le coup des alinéas 8(1)b) et 8(1)f) de la Loi.

 

18. L’appelant a signifié, en temps opportun, un avis d’opposition à l’égard de la cotisation établie en application du paragraphe 165(3) de la Loi, et le ministre a ratifié la cotisation le 11 juin 2003.

 

[5]     De plus, les parties de l’alinéa 8(1)f) de la Loi qui s’appliquent en l’espèce sont rédigées en ces termes :

 

8(1)      Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

 

            […]

 

f)          lorsque le contribuable a été, au cours de l’année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

 

(i)         il était tenu, en vertu de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses,

 

(ii)        […]

 

(iii)       sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés,

 

(iv)       il ne recevait pas, relativement à l’année d’imposition, une allocation pour frais de déplacement qui, en vertu du sous‑alinéa 6(1)b)(v), n’était pas incluse dans le calcul de son revenu,

 

les sommes  qu’il a dépensées au cours de l’année pour tirer le revenu provenant de son emploi (jusqu’à concurrence des commissions ou autres rétributions semblables fixées de la manière prévue au sous‑alinéa (iii) et reçues par lui au cours de l’année) dans la mesure où ces sommes n’étaient pas :

 

(v)                des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l’alinéa j),

 

[…]

 

En l’espèce, c’est le sous‑alinéa (v) qui retient l’attention. L’alinéa 8(1)f) prévoit la déduction de certaines dépenses, à certaines conditions. Heureusement, les parties ont convenu au paragraphe 12 de l’exposé conjoint des faits établi ci‑dessus que l’appelant était un employé et qu’il répondait aux conditions prévues aux sous‑alinéas 8(1)f)(i) à (iv), inclusivement.

 

[6]     En résumé, l’avocat de l’intimée soutient d’abord que le montant représente un paiement au titre du capital et qu’il n’est donc pas déductible en fonction des sous‑alinéas  8(1)f)(iv) et (v). Ensuite, il soutient que le montant ne représente pas une dépense engagée en vue de tirer un revenu. Plus précisément, il a affirmé que le montant n’avait pas été dépensé par l’appelant en vue de tirer des commissions grâce à son nouvel emploi auprès de RBC. Il aurait plutôt été dépensé en raison de la rupture du contrat que l’appelant avait conclu avec LH et représenterait donc un paiement au titre du capital. L’avocat de l’intimée a cité la décision Atkins c. La Reine[1], à laquelle je reviendrai plus bas. 

 

[7]     L’appelant, Stephen Raphael, est un courtier en valeurs mobilières qui jouit d’un très grand succès. Je ne doute aucunement de son intelligence, de son ambition et de son dynamisme. Dans une période de 12 mois précédant le 30 janvier 1999, il a gagné environ 965 000 $ en commissions auprès de LH.

 

[8]     Afin d’augmenter ses revenus et de fournir de meilleurs services à ses clients, l’appelant a quitté LH pour aller travailler auprès de RBC, une maison plus importante. Ainsi, il a reçu des avantages considérables qui ne lui étaient pas offerts par LH. Il a reçu notamment une prime à la signature de 250 000 $, des commissions nettes de 55 % de ses commissions brutes, contrairement au 50 % qu’il gagnait auprès de LH, ainsi que l’accès à de meilleures installations de recherche. LH a introduit une action en dommage‑intérêts contre lui parce qu’il est parti sans donner d’avis. La Cour supérieure du Québec a adjugé environ 50 000 $ à LH. De plus, l’appelant a dû payer environ 24 000 $ en frais d’avocat et en débours.

 

[9]     Les parties conviennent que l’alinéa 8(1)b) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce et, aux fins du présent appel, le montant total de 74 000 $ est traité de façon homogène comme un seul et même montant. La question dont je suis saisi se résume donc à savoir si le montant de 74 000 $ représente une dépense au titre du capital ou bien une dépense engagée au titre des revenus. Je n’accepte pas la position de l’intimée selon laquelle le montant représente une dépense au titre du capital. 

 

[10]    L’intimée fonde sa position sur l’arrêt La Reine c. Atkins dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que l’argent qui a été payé pour tenir lieu de préavis de congédiement a été payé à cause de la rupture du contrat d’emploi et non pas en tant que prestations qui découlent du contrat ou de la relation qui existait en vertu du contrat avant que cette relation ne prenne fin de façon injustifiée. La situation en l’espèce est tout à fait l’inverse. C’est l’employeur qui a intenté une action contre l’employé pour rupture du contrat d’emploi. À mon avis, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atkins doit être utilisé avec circonspection.

 

[11]    Dans l’arrêt Jack Cewe Limited c. Jorgensen[2], la Cour suprême du Canada a remis en question la validité du raisonnement utilisé dans Atkins. À la page 6234, le juge Pigeon a affirmé ce qui suit :

 

Je doute fort du bien-fondé de ce raisonnement. Les dommages-intérêts payables à cause de la rupture d'un contrat ne sont certainement exigibles qu'en vertu de ce contrat; je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient être considérés comme des prestations versées en vertu du contrat. Il est clair qu'ils ne proviennent d'aucune autre source.

 

Le droit a évolué depuis l’arrêt Atkins, et la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce. 

 

[12]    Je conclus que l’appelant a engagé les dépenses en vue de tirer un revenu d’emploi et que les montants en cause ne constituaient pas des dépenses au titre du capital. De toute évidence, j’accepte la position de l’appelant telle qu’elle a été présentée par son avocat. Les deux parties ont cité la décision Vango c. La Reine[3] dont les faits sont très semblables aux faits en l’espèce et dans laquelle l’appelant était aussi un courtier en valeurs mobilières. Ce dernier avait dû se défendre contre des accusations portées contre lui par la Bourse de Toronto, qui l’accusait de graves infractions qui auraient pu entraîner la révocation de son permis. Le ministre avait refusé la déduction de ses frais d’avocats de 7 500 $ et de l’amende de 4 200 $ qu’il avait dû payer pour se défendre.

 

[13]    Le juge Bowman n’avait cependant pas l’avantage que j’ai en l’espèce, soit que les parties aient convenu que M. Raphael était un employé et non un entrepreneur indépendant. Mais dans l’instance dont il a été saisi, il a conclu que l’appelant avait engagé les dépenses afin de conserver son emploi auprès de Nesbitt, Thompson. L’appelant a dépensé l’argent afin de modifier une accusation qui, telle qu’elle était libellée, aurait pu entraîner son congédiement et aurait de fait pu l’empêcher de continuer à faire le commerce de valeurs mobilières. Les frais d’avocat ont donc été engagés afin de permettre à l’appelant de tirer un revenu de son emploi. Par conséquent, les frais d’avocat pouvaient être déduits, étant donné qu’ils ne constituaient pas des dépenses au titre du capital et qu’ils avaient été engagés dans le but de permettre à l’appelant de tirer un revenu.

 

[14]    Le juge Bowman a cité et approuvé la décision de Lord Pearce dans B.P. Australia Ltd. and the Commissioner of Taxation[4] :

 

[traduction]

 

On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une considération peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres et de plus vagues indications dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.

 

Je souligne qu’il s’agit d’une appréciation saine parce que, dans ce cas‑là, je pense qu’il est assez clair que la réponse saine à la question est que le paiement était fait au titre des revenus.

 

[15]    De plus, le paiement dont il est question dans Vango est plus près d’être un paiement au titre du capital que l’est le paiement dont il est question en l’espèce. Dans Vango, l’appelant a dû faire des dépenses pour conserver son moyen de subsistance et son permis de vente de valeurs. Lord Pearce nous enjoint d’examiner tous les aspects ou de nombreux aspects de l’espèce. L’appelant a quitté LH, sans préavis, afin de garder ses clients. Dans ce domaine de travail, il arrive couramment que des employés changent de maison de courtage, et c’est ce que l’appelant a fait afin d’augmenter ses revenus. Il a couru le risque professionnel en pensant qu’il n’aurait peut-être pas à payer pour sa décision de partir sans donner de préavis. Il a cependant eu à payer environ 74 000 $, ce qui est bien peu si on compare à la prime de signature de 250 000 $ qu’il a reçue. Or, c’est un risque professionnel qui a valu le coup. De toute évidence, le paiement a été fait pour des raisons d’affaires valables afin d’augmenter les revenus de l’appelant et ne constitue pas un paiement au titre du capital.

 

[16]    Par conséquent, l’appel est accueilli, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’avril 2008.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juin 2008.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI202

 

N° DE DOSSIER :                             2003-2864(IT)G

 

INTITULÉ :                                       STEPHEN RAPHAEL et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 mai 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :   Le 24 mai 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Richard W. Pound

Avocat de l’intimée :

Me Ernest Wheeler

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Richard W. Pound

 

                        Cabinet :                    Stikeman Elliott

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           76 DTC 6258.

 

[2]           80 DTC 6234.

 

[3]           [1995] A.C.I. n° 659.

 

[4]           [1996] A.C. 224.

 

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