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Dossier : 2005-1829(IT)G

 

ENTRE :

WILLIAM MERCHANT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

________________________________________________________________

 

Appels entendus à Toronto (Ontario), les 9 et 10 décembre 2008.

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me James Rhodes

Avocat de l'intimée :

Me Brent E. Cuddy

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d'imposition 2000 et 2001 sont accueillis et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant n'était tenu de payer aucune somme à Client Server Management, Inc. en 2000 ou en 2001, et que, par conséquent, la somme de 6 151,14 $ n'aurait pas dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2000 en application des paragraphes 6(9) et 80.4(1) de la Loi et la somme de 108 306,29 $ n'aurait pas dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2001 en application de l'alinéa 6(1)a) et du paragraphe 6(15) de la Loi.

 

          L'avocat de l'appelant a demandé l'autorisation de présenter des observations relatives aux dépens avant leur adjudication. Par conséquent, à compter de la date du présent jugement, les parties auront 30 jours pour présenter leurs observations écrites ou pour demander la tenue d'une audience sur la fixation des dépens adjugés à l'appelant. Une audience sera tenue si l'une ou l'autre des parties en fait la demande.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 22e jour de janvier 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 31

Date : 20090122

Dossier : 2005-1829(IT)G

 

ENTRE :

WILLIAM MERCHANT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              En l'espèce, la question en litige est de savoir si certaines sommes reçues par l'appelant en 1997, 1998 et 1999 correspondaient à des prêts que son employeur lui avait consentis.

 

[2]              L'intimée a affirmé que les chèques qui avaient été faits par Client Server Management, Inc. (« CSM ») et pour lesquels aucune somme ne semble avoir été retenue pour l'impôt sur le revenu, ou à titre de cotisations en vertu du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance‑emploi, correspondaient à des prêts que CSM avait consentis à l'appelant. (Ces chèques sans retenues à la source sont ci‑après appelés les « chèques SRS ».) Ces sommes n'auraient donc pas à être incluses dans le revenu de l'appelant avant l'année où un salaire ou une « prime » lui serait payé et serait appliqué en réduction de la somme que, selon l'intimée, l'appelant devait à CSM, ou avant l'année où la créance ferait l'objet d'une renonciation. En l'espèce, l'intimée a soutenu qu'une partie importante des sommes correspondant aux chèques SRS n'avait pas été convertie en salaire ou en prime et n'avait pas fait l'objet d'une renonciation avant 2001. Par conséquent, l'intimée a inclus les sommes qui auraient fait l'objet d'une renonciation en 2001 dans le revenu de l'appelant pour cette année‑là.

 

[3]              L'appelant a soutenu qu'il n'avait pas reçu les chèques SRS à titre de prêts, et qu'il n'existait donc aucune créance ayant fait l'objet d'une renonciation en 2001. Si l'appelant a raison, ces sommes auraient logiquement dû être incluses dans le calcul de ses revenus pour les années où il a reçu les chèques, à savoir 1997, 1998 et 1999. Essentiellement, l'intimée (la Couronne) a soutenu que l'impôt à payer à l'égard de ces sommes pouvait être reporté jusqu'en 2001, c'est‑à‑dire au moment où CSM aurait renoncé à sa créance.

 

[4]              Deux sommes connexes qui ont été incluses dans le revenu de l'appelant font l'objet des présents appels. Pour l'année d'imposition 2000, une somme de 6 151,14 $ a été incluse dans le revenu de l'appelant à titre d'avantage lié aux intérêts relativement au supposé prêt. Pour l'année d'imposition 2001, une somme de 108 306,29 $ a été incluse dans le revenu de l'appelant au motif qu'elle représentait la créance à laquelle CSM aurait renoncé en 2001. CSM n'a pas exigé d'intérêts à l'égard des sommes désignées comme étant les sommes que l'appelant devait lui rembourser.

 

[5]              L'appelant est devenu un employé de CSM en 1997. Rick Penton était l'unique actionnaire de CSM. L'appelant connaissait déjà M. Penton avant de commencer à travailler pour CSM. Il n'y avait pas de lien de dépendance entre l'appelant et M. Penton.

 

[6]              L'appelant et M. Penton discutaient souvent de l'idée de faire de l'appelant un actionnaire de CSM. Les deux parties souhaitaient que cela se produise, mais aucune transaction à cette fin n'a eu lieu. Pour devenir actionnaire, l'appelant aurait été obligé d'acheter les actions dont il aurait fait l'acquisition. Rien n'indique le prix que l'appelant aurait dû payer pour les actions de CSM qu'il aurait acquises, mais il lui aurait fallu débourser plus qu'une somme symbolique.

 

[7]              En 1997, 1998 et 1999, l'appelant recevait régulièrement des chèques de CSM. Sur certains des talons des chèques émis en 1997 et en 1999, il était indiqué que des retenues avaient été faites pour l'impôt sur le revenu et les cotisations au Régime de pensions du Canada (le « RPC »), et que des cotisations d'assurance‑emploi (l'« AE ») avaient été faites en 1997 (aucune cotisation d'AE n'a été faite en 1999). Le reste des chèques reçus par l'appelant en 1997 et 1999 sont des chèques SRS. En 1998, aucun des talons des chèques faits à l'appelant n'indiquait qu'il y avait eu de retenue pour l'impôt sur le revenu, pour le RPC ou pour l'AE. Ainsi, tous les chèques que l'appelant a reçus en 1998 étaient des chèques SRS; l'intimée soutient donc que toutes les sommes reçues par l'appelant au moyen de chèques en 1998 constituaient des prêts.

 

[8]              Rien n'indique que les chèques SRS correspondaient à des avances sur le revenu futur que l'appelant gagnerait à l'égard de services qu'il devait fournir après avoir reçu les chèques. Les montants de plusieurs des chèques SRS étaient à peu près les mêmes que la rémunération nette que l'appelant recevait lorsque des retenues à la source étaient effectuées.

 

[9]              Dans les documents comptables de CSM, des sommes équivalant à chacun des chèques SRS étaient considérées comme des prêts consentis à l'appelant. Ainsi, le compte de prêts aux actionnaires de l'appelant — désigné comme tel même si l'appelant n'était pas un actionnaire — indique que le montant de chaque chèque SRS était ajouté à la somme que l'appelant devait verser à CSM. En 1998 et 1999, une partie de cette somme a été convertie en salaire et déduite de la somme que l'appelant devait rembourser à CSM. Les retenues à la source n'étaient pas inscrites au compte de prêts aux actionnaires, car il ne s'agissait pas de sommes versées à l'appelant.

 

[10]         L'intimée soutient que les documents comptables de CSM représentent fidèlement le fait que les chèques SRS correspondaient à des prêts consentis par CSM à l'appelant, et que le montant de chaque chèque SRS avait été ajouté à juste titre à la somme que l'appelant devait rembourser à CSM. Selon l'appelant, les documents comptables de CSM ne reflètent pas fidèlement la réalité; l'appelant a soutenu que les chèques SRS ne correspondaient pas à des prêts qu'il devait rembourser à CSM, mais plutôt à une partie de la rémunération que celle‑ci lui versait.

 

[11]         Dans Trudel‑Leblanc c. La Reine, 2003 D.T.C. 257, [2005] 2 C.T.C. 2361, 2003 CCI 7, le juge Tardif s'est exprimé de la sorte :

 

[27]      Je doute fortement que les comptables aient expliqué les conséquences de la constitution de la corporation. Trop souvent, certains professionnels de la comptabilité et fiscalité ont tendance à assumer que les faits devront être façonnés par les entrées comptables alors qu'en réalité, les chiffres doivent refléter les faits et non l'inverse.

 

[12]         Dans VanNieuwkerk c. La Reine, 2003 CCI 670, [2004] 1 C.T.C. 2577, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) a affirmé ce qui suit :

 

[6]        [...] Cette cour a eu maintes fois l'occasion de dire que les écritures comptables ne créent pas la réalité. Elles ne font que refléter la réalité. Il doit y avoir une réalité sous-jacente pouvant exister indépendamment des écritures comptables. [...]

 

[13]         Les écritures comptables ne déterminent pas les conséquences fiscales. C'est la réalité sous‑jacente qui est pertinente : il faut donc la découvrir. À mon avis, les faits en cause peuvent recevoir trois interprétations :

 

a)       les chèques SRS ont été faits à l'appelant par CSM à titre de prêts que l'appelant devait rembourser à partir de n'importe quelle source;

 

b)      les chèques SRS ont été faits à l'appelant par CSM à titre de prêts qui devaient être remboursés par l'appelant à partir du salaire ou des « primes » que CSM allait lui verser par la suite (et uniquement à partir du salaire ou des primes);

 

c)       les chèques SRS faits à l'appelant par CSM faisaient partie de la rémunération que celle‑ci versait à l'appelant et ne correspondaient pas à des prêts ou à des avances.

 

[14]         Pour ce qui est de la première interprétation, il ne me semble pas raisonnable d'affirmer que les chèques SRS ont été faits à titre de prêts que l'appelant aurait dû rembourser à partir de n'importe quelle source. Comme je l'ai déjà expliqué, rien n'indique que les chèques SRS représentaient des avances sur un salaire que l'appelant n'avait pas encore gagné quand les chèques SRS ont été faits. S'il était vrai que les chèques SRS correspondaient à des prêts, cela voudrait dire que pour toute l'année 1998, l'appelant n'aurait reçu aucune rémunération régulière pour ses services et qu'il n'aurait reçu aucune rémunération du tout si une partie des sommes provenant des chèques SRS n'avait pas été convertie en salaire le 31 décembre 1998. L'appelant ne pouvait pas décider si un salaire ou une « prime » lui serait versé. En l'espèce, le 31 décembre 1998, une somme de 31 721,10 $ a été déduite du montant qui était inscrit comme montant que l'appelant devait rembourser à CSM. Cette somme de 31 721,10 $, tout comme les retenues faites au titre de l'impôt sur le revenu et du RPC (aucune déduction pour l'AE n'était indiquée sur le feuillet T4 pour 1998), a été traitée comme un salaire versé à l'appelant. Les retenues faites au titre de l'impôt sur le revenu et du RPC s'élevaient à 31 256,57 $ (selon le feuillet T4 pour 1998) et le revenu d'emploi de l'appelant indiqué pour 1998, toujours selon le feuillet T4 pour 1998, s'élevait donc à 62 977,67 $. Les déductions faites au titre de l'impôt sur le revenu représentaient environ 48 % des revenus d'emploi indiqués pour l'appelant, ce qui lui aurait probablement donné droit à un remboursement d'impôt considérable s'il n'avait pas d'autres revenus en 1998.

 

[15]         Les chèques SRS faits à l'appelant en 1998 totalisaient 79 000 $. Dans une lettre datée du 18 avril 1997, Rick Penton indiquait que le salaire annuel de l'appelant serait de 92 000 $. Monsieur Penton a dit qu'il était satisfait du travail de l'appelant et que celui‑ci avait probablement été la personne qui avait généré le plus de revenu pour CSM en 1998. Ainsi, rien ne permet de croire que l'appelant n'avait pas mérité son salaire en 1998.

 

[16]         L'appelant n'était pas un actionnaire de CSM, et il faut distinguer le cas de l'appelant des affaires où des actionnaires de sociétés fermées à actionnariat restreint auraient emprunté à leur société des sommes devant être repayées à même leurs primes ou dividendes futurs. En l'espèce, l'appelant, en tant qu'employé, pouvait seulement être rémunéré au moyen d'un salaire ou de primes. De plus, comme l'appelant ne dirigeait pas CSM, il ne pouvait pas décider du moment où le salaire ou des primes allaient être versés. Puisque l'appelant n'était pas actionnaire de CSM, il n'aurait pas eu droit à des dividendes, et il n'aurait pas profité d'une hausse du cours de l'action de CSM entraînée par sa décision de réduire son salaire, ou d'y renoncer complètement. L'interprétation selon laquelle tous les chèques reçus par l'appelant en 1998 correspondaient à des prêts qu'il devait rembourser à partir de n'importe quelle source — ce qui aurait voulu dire que si aucun salaire et aucune prime n'avaient été versés (ce dont l'appelant ne pouvait pas décider), l'appelant aurait travaillé toute une année sans être rémunéré — ne peut pas être prise au sérieux.

 

[17]         Ainsi, je suis d'avis que la première interprétation n'est pas la bonne, et que rien ne permet de conclure que les chèques SRS correspondaient à des prêts que l'appelant devait rembourser à partir de n'importe quelle source.

 

[18]         La deuxième interprétation veut que les chèques SRS correspondaient à des prêts qui devaient être remboursés par l'appelant à partir du salaire ou des « primes » que CSM lui verserait par la suite. En l'espèce, il ne faut pas oublier que c'est l'intimée (la Couronne) qui a soutenu que les sommes en cause n'auraient pas dû être incluses dans le revenu de l'appelant avant 2001. Logiquement, l'intimée devrait donc affirmer qu'un employeur et un employé pourraient s'entendre pour reporter le versement obligatoire des retenues à la source à un moment convenant mieux à l'employeur, et, s'il ne s'agissait pas de la même année civile, ils pourraient s'entendre pour reporter la reconnaissance d'un revenu de l'employé à une année postérieure. Si un employé et un employeur pouvaient s'entendre pour que l'employeur fasse des « paiements » mensuels à l'employé pour les services que ce dernier lui rend ou lui a déjà rendu, pour que les « paiements » soient égaux aux sommes nettes que l'employé aurait par ailleurs reçues (si des retenues à la source avaient été faites) et pour que les « paiements » soient traités comme des prêts ou des avances que l'employé doit rembourser (et seulement rembourser) à une date ultérieure à même les salaires ou les « primes » que la société lui verserait, l'employeur et l'employé pourraient donc s'entendre pour reporter leur obligation de verser l'impôt sur le revenu et les cotisations au RPC et à l'AE à une date convenant mieux à l'employeur. Si l'intimée devait avoir gain de cause, c'est à cette conclusion qu'il faudrait parvenir.

 

[19]         L'avocat de l'intimée a soutenu que la présente affaire peut être distinguée du cas général où un employeur et un employé s'entendraient pour reporter le versement de retenues à la source en traitant les « paiements » comme des prêts parce qu'en l'espèce, l'appelant avait l'intention de devenir actionnaire de CSM. Toutefois, comme la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») s'applique au contribuable en fonction de ses actions, et non pas en fonction de ses intentions, l'intention non réalisée de l'appelant (et de Rick Penton) de voir l'appelant devenir actionnaire de CSM ne peut pas influencer l'application de la Loi. En l'espèce, c'est ce que les parties ont réellement fait qui importe, et non ce qu'elles voulaient faire.

 

[20]         Sur plusieurs des chèques SRS, il était indiqué que la somme était une « avance ». Je ne suis pas d'avis que le simple fait de qualifier d'avance le paiement effectué à l'égard de services rendus fasse de ce paiement un prêt et permette à un employeur et un employé de reporter le traitement de cette somme comme un revenu jusqu'à la date du remboursement du prêt. Si la véritable intention des parties était de traiter les sommes reçues par l'appelant comme des avances, sur le salaire ou sur une autre rémunération, qui devaient être remboursées par l'employé à même le salaire ou les « primes » qu'il recevrait plus tard de l'employeur (et qui devaient seulement être remboursées à partir de cette source de revenus), les parties n'avaient pas vraiment l'intention de créer une relation créancier‑débiteur. Si les parties avaient réellement eu l'intention de créer ce genre de relation entre elles, l'employeur aurait eu le droit de réclamer à l'employé les sommes que celui‑ci lui devait dans le cas où aucun salaire ou « prime » n'aurait été versé à l'employé, et ce, même si les services relatifs à l'avance avaient déjà été rendus. Quant à lui, l'employé aurait peut‑être pu réclamer une rémunération pour services rendus, qui aurait peut‑être pu compenser la réclamation de l'employeur. Si les parties voulaient bel et bien que les prêts soient remboursés à même le salaire ou les primes qui devaient ultérieurement être versés par l'employeur, et seulement à partir de cette source‑là, — ce qui aurait voulu dire que l'employé n'aurait eu aucune obligation si aucun salaire et aucune prime n'étaient versés — l'employeur et l'employé n'avaient pas réellement l'intention de créer une véritable relation créancier‑débiteur.

 

[21]         Dans Continental Bank of Canada et Continental Bank Leasing Corporation c. La Reine, no 91‑683(IT), 4 août 1994, 94 D.T.C. 1858, le juge Bowman (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit :

 

Pour ce qui est de la question plus large du fond versus la forme, nous devrions à tout le moins être clairs sur ce dont on parle lorsqu'on emploie l'expression floue « le fond l'emporte sur la forme ». Le juge Cartwright (tel était alors son titre) a déclaré dans l'arrêt Dominion Taxicab Assn. v. M.N.R., 54 D.T.C. 1020, à la page 1021 :

 

[TRADUCTION]

 

Il est de jurisprudence constante que, pour décider si une opération déterminée fait tomber une personne sous le coup de la Loi de l'impôt sur le revenu, on doit tenir compte du fond plutôt que de la forme de cette opération.

 

Sa Seigneurie n'est pas entrée dans les détails, mais à la lumière d'autres précédents, je ne crois pas que ses propos puissent être interprétés comme signifiant que l'effet juridique d'une opération n'est pas pertinent ou qu'on a le droit de considérer le fond comme synonyme d'effet économique. La véritable signification de l'expression se trouve, selon moi, dans le jugement prononcé par le juge Christie, J.C.A.C.C.I., dans l'affaire Purdy v. M.N.R., 85 D.T.C. 254, à la page 256, où il déclare :

 

N'oublions pas que, lorsqu'il s'agit de statuer sur des questions relatives à l'assujettissement à l'impôt sur le revenu, la qualification des opérations donnée par les parties n'est pas nécessairement le critère à retenir. Il faut plutôt déterminer d'après la preuve quelle est la substance ou le caractère véritable de l'opération et se prononcer en conséquence.

 

[...]

 

Rendant jugement au nom de la Chambre des lords dans Commissioners of Inland Revenue v. Wesleyan and General Assurance Society, (1948) 30 T.C. 11, le vicomte Simon dit, à la page 25 :

 

[TRADUCTION]

 

Il convient sans doute de répéter deux propositions bien établies en ce qui a trait à l'application des règles de droit en matière d'impôt sur le revenu. En premier lieu, l'appellation donnée à une opération par les parties en cause n'établit pas péremptoirement la nature de celle‑ci. Qualifier un paiement de prêt, alors qu'il s'agit en réalité d'une rente, n'est d'aucun secours pour le contribuable, pas plus que de donner à un poste la qualification d'élément en capital ne saurait nous empêcher de le considérer comme un élément imputable au revenu si c'est la véritable nature de celui‑ci. Il s'agit dans chaque cas de savoir quel est le caractère réel du paiement, et non pas quelle est la qualification donnée à celui‑ci par les parties.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[22]         Dans les cas où un paiement est fait à un employé par chèque ou au comptant pour des services rendus et que la transaction est qualifiée de prêt ou d'avance, mais que, dans les faits, l'employé est seulement tenu de rembourser la somme, sans intérêts, à même le salaire ou les « primes » versés ultérieurement par l'employeur, je suis d'avis que la somme ainsi reçue par l'employé constitue en fait une rémunération plutôt qu'un prêt. Dans un tel cas, les parties n'ont pas réellement l'intention de voir l'employé rembourser la somme reçue à partir d'une autre source que les « paiements » futurs que l'employeur doit lui verser.

 

[23]         Dans Meredith c. La Reine, [1994] 1 C.T.C. 2538, 94 D.T.C. 1271, no 91‑1429(IT)G, 27 janvier 1994, le juge Kempo s'est ainsi exprimé :

 

Lorsqu'il est impossible de déterminer avec un certain degré de certitude qu'un revenu sera gagné et reçu à l'avenir, il est peut-être en fait plus précis de qualifier les avances de prêt. Pour que les avances en l'espèce soient considérées comme un revenu, la Cour doit être en mesure de conclure que, en vertu de son contrat d'emploi, l'appelant avait droit à un revenu de commissions et à des avances à valoir sur les revenus futurs éventuels, remboursables de temps à autre uniquement à partir de ces revenus. Autrement dit, les revenus futurs éventuels devaient servir à effectuer les remboursements et à les garantir et, s'ils se révélaient insuffisants, aucun remboursement n'était exigible. Si tel était véritablement le cas en l'espèce, les avances auraient constitué une forme de traitement, de salaire ou d'autre rémunération au sens du paragraphe 5(1) de la Loi.

 

Il me semble que, si l'on peut s'attendre à ce qu'un vendeur à commission touche un revenu de commissions à l'avenir et que, dans l'intervalle, l'employeur lui verse, pour l'aider, des avances en prévision des ventes futures, ces avances peuvent à bon droit être considérées comme des prêts à court terme. Cette description a été considérée comme reflétant fidèlement ce type de situation dans l'affaire Associated Investors of Canada Ltd. v. M.N.R., 67 D.T.C. 5096 (C. de l'É.), à la page 5100. À mon avis, c'est aussi facile que de ne pas dire d'une avance reçue par un employé qu'elle peut être considérée comme un prêt, étant implicitement entendu que, si les ventes à commission futures ne se réalisent pas, elle devra être remboursée autrement.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[24]         S'il faut inclure les avances sur le salaire dans le revenu d'un contribuable même si ces avances doivent seulement être remboursées au moyen du salaire futur du contribuable, il faut alors inclure dans le revenu du contribuable, au moment de leur réception, les avances sur rémunération pour services rendus qui devront seulement être remboursées à même le salaire ou les « primes » versés ultérieurement par l'employeur. La véritable nature de ces « avances » est celle d'une rémunération pour services rendus. En l'espèce, je conclus que les chèques SRS ont tous été faits relativement à des services qui avaient déjà été rendus.

 

[25]         Ainsi, je suis d'avis que si la deuxième interprétation était la bonne, les sommes en cause auraient dû être incluses dans le revenu de l'appelant au moment de leur réception, et qu'aucune de ces sommes n'aurait dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2001 par suite de la prétendue renonciation de CSM à sa créance envers l'appelant, car, en 2001, l'appelant n'avait aucune dette envers CSM parce qu'en réalité, les chèques SRS correspondaient à des versements de salaire et non pas à des prêts. De plus, aucune somme n'aurait dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2000 en vertu des paragraphes 6(9) et 80.4(1) de la Loi.

 

[26]         La troisième interprétation que l'on pourrait donner aux faits veut que les chèques SRS faisaient partie de la rémunération versée à l'appelant par CSM et qu'ils ne correspondaient donc pas à des prêts ou à des avances. Cette dernière interprétation mènerait au même résultat que la deuxième : aucune somme ne serait incluse dans le revenu de l'appelant pour 2000 relativement à des avantages au titre des intérêts, et aucune somme ne serait incluse dans le revenu de l'appelant pour 2001 relativement à la supposée renonciation à une créance. Les sommes en cause seraient plutôt incluses dans le revenu de l'appelant pour les années où elles ont été reçues.

 

[27]         En l'espèce, il est difficile de savoir laquelle de la deuxième et de la troisième interprétation est la bonne, mais, comme aucune de ces deux interprétations n'aurait fait en sorte que les sommes visées par les cotisations à titre de « prêts à un actionnaire » soient incluses dans le revenu de l'appelant pour 2000 ou 2001, il n'est pas important de savoir laquelle est la bonne. La seule question que je dois trancher est celle de savoir si les cotisations pour 2000 et 2001 ont été correctement établies.

 

[28]         Ainsi, les appels sont accueillis et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant n'était tenu de payer aucune somme à CSM en 2000 ou en 2001, et que, par conséquent, la somme de 6 151,14 $ n'aurait pas dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2000 en application des paragraphes 6(9) et 80.4(1) de la Loi et la somme de 108 306,29 $ n'aurait pas dû être incluse dans le revenu de l'appelant pour 2001 en application de l'alinéa 6(1)a) et du paragraphe 6(15) de la Loi.

 

[29]         L'avocat de l'appelant a demandé l'autorisation de présenter des observations relatives aux dépens avant leur adjudication. Par conséquent, à compter de la date du présent jugement, les parties auront 30 jours pour présenter leurs observations écrites ou pour demander la tenue d'une audience sur la fixation des dépens adjugés à l'appelant. Une audience sera tenue si l'une ou l'autre des parties en fait la demande.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 22e jour de janvier 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 31

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-1829(IT)G

 

INTITULÉ :

William Merchant et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 9 et 10 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me James Rhodes

Avocat de l'intimée :

Me Brent E. Cuddy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

James Rhodes

 

Cabinet :

Miller, Thomson LLP

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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