Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2008-1465(IT)I

ENTRE :

ÉRIC ALBERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 4 novembre 2008, à Percé (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelant :

 

Gérald Parent

Avocat de l'intimée :

Me Vlad Zolia

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2004 est rejeté, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de février 2009.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 16

Date : 20090202

Dossier : 2008-1465(IT)I

 

ENTRE :

ÉRIC ALBERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle d’une nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelant en rapport avec son année d’imposition 2004 (l’« année visée»). Dans la nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à l’appelant le crédit d’impôt à l’investissement de 13 178,50 $ (le « crédit ») qu’il avait demandé pour son année d’imposition 2004 en vertu du paragraphe 127(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

Contexte

 

[2]              Pendant l’année visée, l’appelant exploitait une entreprise à titre de dentiste dans la région de Carleton dans la province de Québec. Le 17 décembre 2004, l’appelant a acquis un CEREC 3D de Serona (le « bien »).

 

[3]              Le bien acquis pour la somme de 147 815,30 $ était composé des éléments suivants :

 

Logiciel (avant taxes) :

42 918,55 $

Imagerie (avant taxes) :

43 341,39 $

Façonneur (avant taxes) :

61 735,06 $

Crédit :

(10 809,70 $)

Total

137 185,30 $

 

 

[4]              L’appelant a réparti le crédit à l’achat comme suit :

 

 

Coût

Crédit

Total

Logiciel

42 918,55 $

3 134,81 $

39 783,74 $

Imagerie et Façonneur

105 076,45 $

 7 164,89 $

 97 401,56 $

Total

147 076,45 $

(10 809,70 $)

137 185,30 $

 

 

[5]              L’appelant a inscrit le logiciel à la catégorie 12 et les deux autres composantes (Imagerie et Façonneur) à la catégorie 8 de la cédule d’amortissement de l’année visée.

 

[6]              Le crédit demandé par l’appelant pour l’année visée relativement à l’achat du bien était de 13 718,50 $.

 

[7]              Le bien est un appareil de précision utilisé pour la restauration dentaire. Le bien permet de fabriquer des obturations et des couronnes en céramique. Le bien fonctionne à partir d'une image de la dent du patient afin de déterminer et de façonner la céramique adéquatement. Le bien effectue le travail à partir de l’image de la dent. Le bien façonne du matériel de restauration dentaire à partir de la dent du patient.

 

[8]              Par ailleurs, la preuve a révélé que :

 

                            i)               les biens (obturations et couronnes) fabriqués par le bien et les services de l’appelant pour les installer étaient facturés séparément au patient[1];

 

                          ii)               le coût de l’obturation ou de la couronne facturée au patient était toujours inférieur aux honoraires facturés au patient par l’appelant pour avoir installé l’obturation ou la couronne;

 

                        iii)               seul un dentiste est habilité en vertu des lois en vigueur au Québec à installer dans la bouche du patient l’obturation de la couronne fabriquée par le bien;

 

                        iv)               20 % des biens (obturations et couronnes) fabriqués par le bien était vendus à un autre dentiste.

 

 

Question en litige

 

[9]              La seule question en litige consiste à déterminer si l’imagerie et le façonneur inscrits par l’appelant à la catégorie 8 de sa cédule d’amortissement de l’année visée était un bien employé par l’appelant principalement pour fabriquer ou transformer des marchandises destinées à la vente ou à la location. En effet, l’appelant ne conteste plus le fait que le ministre était en droit de lui refuser le crédit à l’égard du logiciel puisque les biens de la catégorie 12 ne sont pas des machines prescrites ni du matériel prescrit selon la définition de « bien admissible » au crédit d’impôt à l’investissement qui se trouve au paragraphe 127(9) de la Loi.

 

 

Position de l’appelant

 

[10]         L’appelant a essentiellement réitéré lors de sa plaidoirie la position qu’il avait soutenue dans son avis d’appel, position qui se lit comme suit pour la partie pertinente :

[…]

 

Je considère que le bien (CEREQ 3D) au coût de 97 166 $ est un bien admissible au crédit d’impôt à l’investissement. Le crédit d’impôt demandé est de 9 717 $.

 

Le CEREQ 3D est un appareil de précision qui permet de fabriquer des restaurations entièrement en céramique (inlays, onlays, facettes et couronnes partielles et totales des blocs antérieur et postérieur). L’appareil fonctionne à partir d’une image de la dent du client. À partir de ces paramètres bucaux‑dentaires, le CEREQ 3D fabriquera le bien qui sera vendu au client.

 

Auparavant, je devais acheter ce bien d’un laboratoire privé qui le fabriquait sur demande et sur mesure pour mon client. Sur réception de ce bien, je pouvais alors restaurer la dent du client. Je lui facturais mes honoraires de dentiste et je lui facturais aussi la couronne achetée séparément sur la facture.

 

Aujourd’hui, je fabrique moi-même la couronne. Lorsque ce bien est fabriqué, je peux alors restaurer la dent du client. De la même façon que par le passé, je facture au client mes honoraires de dentiste et je lui facture séparément la couronne. Vous trouverez ci-joint des copies de factures qui vous démontrent que la couronne est toujours facturée séparément. Le client achète donc une couronne et il utilise mes services pour l’installer. De plus, à partir du même appareil, je fabrique des couronnes qui sont revendues à d’autres dentistes.

 

Du point de vue du laboratoire privé qui fabrique des couronnes, il m’apparaît évident que ce dernier effectue la fabrication d’un bien destiné à la vente. Même si la couronne est fabriquée sur demande et pour un client (ou plus précisément une dent) spécifique, il est évident que le CEREQ 3D est un bien admissible au crédit d’impôt. Même si le laboratoire façonne du matériel de restauration dentaire à partir et pour la dent d’un client d’Eric Albert, il est évident que cet article est destiné à la vente, Lorsque la couronne est fabriquée, le client n’est pas présent. On ne travaille pas sur la dent du client mais à partir d’une empreinte de la dent du client.

 

De la même manière, tout le matériel qui est fabriqué par le CEREQ 3D qui appartient maintenant à Éric Albert ne change rien pour le client. Il achète un bien (une couronne) et il me paie des honoraires pour l’installer. La couronne est donc un bien destiné à la vente. Lorsque j ‘achetais la couronne d’un laboratoire, cette dernière était destinée à être vendue à un client. Si ce n’était pas le cas, je n’aurais jamais acheté une couronne de ce laboratoire. Le fait que je possède maintenant un CEREQ 3D ne change rien à cela. La couronne est toujours destinée à être vendue au client. La seule différence est que la fabrication est effectuée dans ma clinique. C’est la même unité d’usinage CEREC3D qui fabrique le bien que dans un laboratoire privé ou je me procurais ce bien destiné à la vente de mon client.

 

De plus, vous trouverai ci-joint le code bien distinct de l’Association des chirurgiens dentistes du Québec qui démontre clairement que nous facturons et vendons au patient un bien fait en laboratoire. C’est avec ce même code que nous réclamons aux assurances dentaires le bien que nous avons vendu au patient sous la rubrique frais de laboratoire. Le code est le même et le bien est le même peu importe si ce bien destiné à la vente provient d’un laboratoire CEREC 3D privé ou d’un laboratoire CEREC 3D dans une clinique dentaire.

 

Pour ces raisons, nous considérons que le CEREQ 3D est un bien admissible au crédit d’impôt à l’investissement. C’est pourquoi nous vous demandons de corriger l’avis de cotisation pour l’année 2004 et d’accorder le crédit tel que demandé.

 

[…]

 

Analyse et conclusion

 

[11]         Les dispositions pertinentes de la Loi et de ses règlements se lisent comme suit :

 

Paragraphe 127(5) de la Loi

 

127 (5) Crédit d'impôt à l'investissement -- Est déductible de l'impôt payable par ailleurs par un contribuable en vertu de la présente partie pour une année d'imposition un montant qui ne dépasse pas le moins élevé des montants suivants :

 

a) le total des sommes suivantes :

 

(i) tout crédit d'impôt à l'investissement du contribuable à la fin de l'année au titre de biens acquis avant la fin de l'année, de sa dépense d'apprentissage pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure, de sa somme relative à une place en garderie pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure, de sa dépense minière déterminée pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure, de sa dépense minière préparatoire pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure ou de son compte de dépenses admissibles de recherche et de développement à la fin de l'année ou d'une année d'imposition antérieure,

 

(ii) la moins élevée des sommes suivantes :

 

(A) le crédit d'impôt à l'investissement du contribuable à la fin de l'année au titre de biens acquis au cours d'une année d'imposition ultérieure, de sa dépense d'apprentissage pour une année d'imposition ultérieure, de sa somme relative à une place en garderie pour une année d'imposition ultérieure, de sa dépense minière déterminée pour une année d'imposition ultérieure, de sa dépense minière préparatoire pour une année d'imposition ultérieure ou de son compte de dépenses admissibles de recherche et de développement à la fin d'une année d'imposition ultérieure, dans la mesure où un tel crédit n'était pas déductible pour l'année ultérieure en application du présent paragraphe,

 

(B) l'excédent éventuel de l'impôt payable par ailleurs par le contribuable en vertu de la présente partie pour l'année sur le montant éventuel calculé selon le sous-alinéa (i);

 

b) si la section E.1 s'applique au contribuable pour l'année, l'excédent éventuel de son impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie pour l'année sur l'impôt minimum qui lui est applicable pour l'année calculé selon l'article 127.51.

 

Article 127(9) de la Loi

 

127 (9) Idem -- Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« bien admissible » Relativement à un contribuable, bien (à l’exclusion d’un bien d’un ouvrage approuvé et d’un bien certifié) qui est :

 

[…]

 

b) soit une machine ou du matériel visés par règlement et que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,

 

qui, avant l'acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit, et :

 

c) soit qu'il compte utiliser au Canada principalement à l'une des fins suivantes :

 

(i) la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer,

 

[…]

 

Pour l'application de la présente définition, le Canada comprend la zone extracôtière visée par règlement dont il est question à la définition de « pourcentage déterminé »;

 

Règlement 4600 des Règlements

 

4600. Biens admissibles

 

[…]

 

(2) [Machines prescrites] -- Sont des machines prescrites ou constituent du matériel prescrit pour l'application de la définition de « bien admissible », au paragraphe 127(9) de la Loi, les biens amortissables suivants du contribuable qui ne sont pas déjà visés au paragraphe (1) :

 

[…]

 

c) des biens compris dans la catégorie 8 de l'annexe II (à l'exclusion du matériel roulant de chemin de fer);

 

[…]

 

Catégorie 8 -- (20 pour cent)

 

Les biens non compris dans les catégories 1, 2, 7, 9, 11, 17 ou 30 qui sont constitués par :

 

a) une structure consistant dans des machines ou du matériel de fabrication ou de transformation;

 

[…]

 

Catégorie 12 -- (100 pour cent)

 

Les biens non compris dans aucune autre catégorie constitués par

 

[…]

 

o) un logiciel acquis après le 25 mai 1976, mais non un logiciel de base ou un bien acquis après le 8 août 1989 et avant 1993 figurant à l’alinéa s);

 

[…]

 

 

[12]         Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« CCQ ») pour les fins du présent litige sont les articles 1708, 2098 et 2103. L’article 1708 définit ainsi la vente :

 

1708. La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère la propriété d'un bien à une autre personne, l'acheteur, moyennant un prix en argent que cette dernière s'oblige à payer.

 

Le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.

 

[13]         L’article 2098 du CCQ définit ainsi le « contrat de service » :

 

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[14]         Le paragraphe 3 de l’article 2103 du CCQ porte sur le critère qui permet de distinguer le contrat de vente du contrat de services. Ce paragraphe se lit ainsi :

 

« Il y a contrat de vente et non contrat d’entreprise ou de service, lorsque l’ouvrage ou le service n’est qu’un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis. »

 

[15]         Les questions auxquelles nous devons répondre sont les suivantes :

 

1)                 Est-ce qu’en l’espèce l’obturation ou la couronne a réellement fait l’objet d’un contrat de vente ?

 

2)                 Est-ce que l’obturation ou les couronnes ont plutôt été fournies aux clients de l’appelant dans le cadre d’un contrat de service, c’est‑à‑dire d’une demande de services dentaires de la part d’un client?

 

[16]         La facturation distincte aux clients de l’appelant des matériaux et du travail pour installer ces matériaux ne nous autorise pas pour autant à conclure que les parties ont réellement conclu deux contrats distincts, c’est-à-dire un contrat de vente et un contrat de services. À mon avis, un seul contrat était conclu par l’appelant et ses clients. La facturation distincte des matériaux et du service d’installation visait à masquer la véritable relation contractuelle entre les parties et surtout à répondre aux exigences des assureurs des clients à propos d’une facturation distincte. Il est difficile d’imaginer qu’un client veuille acheter une couronne sans les services d’installation de cette dernière d’autant plus que le dentiste est la seule personne capable et habilitée en vertu des lois du Québec à installer cette couronne. Autrement dit, la couronne peut difficilement être en soi un bien de consommation pour un client d’un dentiste. L’achat d’une couronne sans les services d’installation de cette dernière par un dentiste ne fait tout simplement aucun sens.

 

[17]         Puisque je suis d’avis que l’appelant et ses clients ont conclu un seul contrat, il nous faut maintenant déterminer si le contrat est un contrat de vente ou de services. Il ressort de l’arrêt Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] R.C.S. 915, 2000 C.S.C. 36, qu’il faut supposer que le législateur, en parlant de vente, à l’alinéa 127(9)c) de la Loi, a voulu qu’on interprète ce mot en se référant au droit général en matière de vente. En l’espèce, le concept de « vente » doit être analysé, à mon avis, à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit applicable est celui du Québec. Il suffit, à cet égard, de consulter l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans St‑Hilaire c. Canada, [2004] 4 C.F » 289 (C.A.F.) et l’article 8.1 de la Loi sur l’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I-21) pour s’en convaincre. Les dispositions pertinentes du CCQ nous enseignent essentiellement que nous sommes en présence d’un contrat de vente quand le travail n’est qu’un accessoire par rapport à la valeur des matériaux. Dans son ouvrage, l’auteur Pierre Gabriel Jobin écrit ce qui suit à cet égard : « Pour que ce soit une vente, il faut donc démontrer que l’écart entre la valeur respective du travail et des matériaux est si considérable que le travail n’apparaisse que comme un accessoire ». Or, la preuve ayant révélé en l’espèce que la valeur du travail était toujours plus élevée que celle des matériaux, nous nous devons de conclure que les parties ont conclu un contrat de services, puisque le bien n’était pas employé par l’appelant principalement pour fabriquer ou transformer des marchandise destinées à la vente ou à la location. Par conséquent, nous nous devons de conclure que le bien n’était pas un « bien admissible » pour les fins de la demande de crédits de l’appelant pour l’année visée.

 

[18]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de février 2009.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 16

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-1465(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              ÉRIC ALBERT ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Percé (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 4 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 2 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelant :

 

Gérald Parent

Avocat de l'intimée :

Me Vlad Zolia

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]               Vg pièce A-1.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.