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Dossier : 2005-1757(GST)G

ENTRE :

TRAITEMENT DE DÉCHETS JRG INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Fertigel Inc. (2005‑1758(GST)I) les 28 et 29 février 2008

et les 22 et 23 septembre 2008, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Pierre Gagné

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte le numéro 6895161 et est daté du 23 septembre 2004, pour la période du 1er janvier 1996 au 30 avril 2004 est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelante avait droit aux CTI demandés.

 

          Les appelantes ont droit à un seul ensemble de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de février 2009.

 

"Pierre Archambault"

Juge Archambault


 

 

 

 

Dossier : 2005-1758(GST)I

ENTRE :

FERTIGEL INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Traitement de déchets JRG inc. (2005‑1757(GST)G)

les 28 et 29 février 2008 et les 22 et 23 septembre 2008,

à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Pierre Gagné

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte le numéro 4780901 et est daté du 5 août 2004, pour la période du 20 décembre 2002 au 31 octobre 2003 est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelante avait droit aux CTI demandés.

 

          Les appelantes ont droit à un seul ensemble de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de février 2009.

 

"Pierre Archambault"

Juge Archambault


 

 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 67

Date : 20090202

Dossiers : 2005-1757(GST)G

2005-1758(GST)I

ENTRE :

TRAITEMENT DE DÉCHETS JRG INC.,

FERTIGEL INC.,

appelantes,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Archambault   

 

[1]              Traitement de Déchets JRG Inc. (TD) et Fertigel Inc. interjettent appel de cotisations établies par le ministère du Revenu du Québec (ministère) pour le compte du ministre du Revenu national (ministre) relativement à la taxe sur les produits et services (TPS). La période pertinente visée par l'appel de TD est du 1er janvier 1996 au 30 avril 2004, et celle visée par l’appel de Fertigel, du 20 décembre 2002 au 30 avril 2004[1]. La cotisation visant Fertigel est en date du 5 août 2004, alors que celle de TD est datée du 23 septembre 2004.

 

[2]              Même si le ministre a d'abord procédé à la vérification de Fertigel et, après l'avoir terminée, a fait la vérification de TD, je reproduirai ici le paragraphe 15 de la réponse de l'intimée à l’avis d’appel de TD, où sont exposées les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé pour établir sa cotisation :

 

a)         Au cours de la période du 1er janvier 1996 au 30 avril 2004, l'appelante était un inscrit aux fins de l'application de la TPS;

 

b)         L'appelante exploitait supposément une entreprise œuvrant dans le domaine du traitement et de la transformation de purin de porc en engrais écologique;

 

c)         Au cours de la période en litige, l'appelante a réclamé des crédits de taxe sur les intrants (ci‑après « CTI ») auxquels elle n'avait pas droit;

 

d)         Au cours des exercices financiers se terminant les 31 octobre 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003, l'appelant n'a effectué aucune vente de produits ou de services quelconques;

 

e)         À ce jour, l'appelante n'a obtenu aucune autorisation gouvernementale pour la production et la commercialisation de son engrais écologique;

 

f)          L'appelante ne possède aucune usine, centre de production ou laboratoire pour le développement et la production de son produit;

 

g)         L'appelante ne détient aucune entente de commercialisation pour la vente de son produit;

 

h)         L'appelante ne possède pas les ressources financières adéquates et n'a aucun investisseur potentiel sérieux pour mener à bien son projet d'entreprise;

 

i)          L'appelante ne détient aucune entente de vente avec des clients potentiels pour ce qui est de l'achat de son produit ou de ses services;

 

j)          Les représentants de l'intimée ont tenté, sans succès, d'obtenir du représentant de l'appelante, Roland Gingras, des documents démontrant l'exploitation d'une entreprise tels notamment des factures d'analyse d'échantillon, des dépenses de recherches, des dépenses d'achats d'équipements, un plan d'affaires, des études de marché, un plan budgétaire, etc.;

 

k)         Compte tenu de ce qui précède, les représentants du [sic] l'intimée ont conclu [sic] que l'appelante n'avait pas droit à des CTI puisqu'elle n'exerçait aucune activité commerciale et ce, pour l'ensemble de la période en litige;

 

l)          D'ailleurs, les CTI réclamés par l'appelante sont essentiellement des dépenses d'essence, de téléphone, de restaurant et d'électricité;

 

m)        Ainsi, les représentants de l'intimée ont établi que l'appelante avait réclamé des CTI auxquels elle n'avait pas droit pour un montant de 37 069,01 $ et ce, pour l'ensemble de la période en litige;

 

n)         Le montant de taxe nette de 37 069,01 $ a généré des intérêts de 12 945,88 $ et des pénalités de 30 441,26 $;

 

o)         De plus, le 15 septembre 2004, les [sic] représentant de l'intimé [sic] confirmait à l'appelante l'annulation de son numéro de TPS.

 

[3]              Les seuls faits que le procureur de TD a admis sont ceux énoncés à l’alinéa 15 b) − sauf le mot « supposément », qu'il nie − à l’alinéa 15 c) − sauf le bout de phrase « auxquels elle n'avait pas droit », qu’il nie −, et à l’alinéa 15 o). Les faits tenus pour acquis par le ministre dans le dossier de Fertigel sont essentiellement les mêmes que ceux dans le dossier de TD. Par contre, le montant en jeu est beaucoup plus important dans le dossier de TD ; en effet, le montant de CTI refusé par le ministre à TD s'élève à 37 069,01 $, alors que celui refusé à Fertigel ne s'élève qu'à 1 573,60 $.

 

[4]              Avant le début de l'audience, le procureur de l'intimée a produit un document dans lequel il précisait les questions en litige, qui sont essentiellement les mêmes dans les deux dossiers. Voici ce qu'il a écrit relativement à l'appel de TD :

 

A)        TRAITEMENT DE DÉCHETS JGR [sic] INC.

 

1.)        L'appelante a‑t‑elle exercé des activités de nature commerciale donnant droit à des crédits de taxe sur les intrants et ce, pour l'ensemble de la période en litige, soit du 1er janvier 1996 au 30 avril 2004?

 

2.)        Dans l'affirmative, l'appelante a‑t‑elle réclamé des crédits de taxe sur les intrants auxquels elle n'avait droit et ce, pour l'ensemble de la période en litige, soit du 1er janvier 1996 au 30 avril 2004?

[Je souligne.]

 

[5]              Au cours de l'audience, on a soulevé la question de savoir quels étaient les motifs justifiant le refus des CTI. Il ressort clairement des faits tenus pour acquis par le ministre que la question de l'existence d'une activité commerciale était au cœur de sa décision de refuser les CTI. D'ailleurs, dans ses cahiers de documents[2], les feuilles de travail du vérificateur indiquent clairement que les CTI de TD et de Fertigel ont été refusés pour le motif « pas d'activité commerciale »[3]. D'ailleurs, nulle part il n’est indiqué dans les faits tenus pour acquis par le ministre dans ses réponses à l'avis d'appel qu'il considérait les dépenses pour lesquelles des CTI ont été demandés comme des dépenses de nature personnelle. Par conséquent, j'ai informé l'avocat de l'intimée qu'à ce moment‑là il avait le fardeau d'établir qu'une partie ou l'ensemble des dépenses pour lesquelles des CTI ont été refusés était des dépenses de nature personnelle.

 

Exposé des faits

 

•   Commentaires généraux

 

[6]              Avant d'exposer les faits révélés par la preuve, des remarques préliminaires s'imposent. Le principal témoin présenté par les deux sociétés appelantes est l'âme dirigeante de ces sociétés, à savoir monsieur Roland Gingras. Ce dernier était à la fois le dirigeant, l'administrateur et l'actionnaire majoritaire de ces deux sociétés. Malheureusement, son témoignage a été loin d'être satisfaisant. Une très grande partie de ce témoignage consistait en un exposé très général et peu précis des activités poursuivies par les deux sociétés. Certaines de ses réponses, notamment celles expliquant pourquoi son projet de transformation du purin en engrais n'avait jamais démarré, sont à tout le moins surprenantes et font naître un doute quant à leur vraisemblance. J'y reviendrai plus loin. En outre, monsieur Gingras n'était pas souvent en mesure de fournir les précisions nécessaires pour qu’on puisse se faire une idée claire de la situation. Il était souvent incapable de répondre à des questions aussi importantes que celles ayant trait au capital‑actions des deux sociétés, et celles ayant trait à la disparition du bilan pour l'exercice financier 2000 de TD d'une dette à long terme totalisant 245 866 $[4]. Finalement, il est difficile de se faire une idée si le projet poursuivi par les deux appelantes constituait un projet d'affaires viable, un projet d'un grand rêveur ou une fumisterie. Par contre, plusieurs documents ont été produits qui, avec le témoignage de monsieur Gingras, permettent de brosser le tableau suivant des événements qui sont survenus de 1995 à 2008.

 

•   Preuve documentaire et testimoniale de monsieur Gingras

 

[7]              Monsieur Gingras, né en mai 1938, ne détient aucun diplôme collégial ni universitaire. Il a terminé son secondaire V. Au début de la période pertinente de TD, soit en janvier 1996, monsieur Gingras avait donc 57 ans. Il en a maintenant 70. Il affirme avoir été courtier pendant une trentaine d'années, soit de 1960 à 1990, dans le domaine du papier et du carton d'emballage. Mais, cette affirmation est erronée. En effet, elle occulte une période durant laquelle monsieur Gingras semble avoir réorienté ses activités vers d'autres secteurs, notamment le chauffage domestique, industriel et agricole, l'écologie, et les nouvelles technologies pour le traitement et la valorisation des déchets. Ces informations ressortent de son curriculum vitae, contenu dans un plan d'affaires préparé par Samson Bélair/Deloitte & Touche (Rapport Samson Bélair). Selon ce curriculum, ses activités reliées à l'industrie du papier s'échelonnent sur les années 1957 à 1983. La description des nouvelles activités susmentionnées couvre la période de 1983 à 1995. Il est aussi question, dans le curriculum, d'expérience de gestion acquise à titre de président directeur général d'une société connue sous le nom de P.M.V.F. Inc.

 

[8]              Il ressort d'une décision de la Commission des valeurs mobilières du Québec (Commission) du 31 août 1992 que celle-ci a interdit à monsieur Roland Gingras, à Valorisation P.M.V.F. Inc[5] et à 14 sociétés à dénomination numérique toute activité en vue d'effectuer le placement des actions de ces sociétés parce que monsieur Gingras avait fait des placements sans aucun prospectus auprès de 618 actionnaires − lesquels placements lui avaient permis de recueillir un montant d'environ deux millions de dollars −, violant ainsi l'article 11 de la Loi sur les valeurs mobilières[6]. Monsieur Gingras a également plaidé coupable relativement à 25 chefs d'accusation se rapportant à ces activités (voir pièce I‑13). Finalement, il a aussi plaidé coupable, le 26 novembre 1998, relativement à une accusation, portée en vertu de l'article 380(1) du Code criminel du Canada,  d'avoir, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant,  frustré le public ou toute personne de quelque bien, service, argent ou valeur. Sa peine a été prononcée le 29 avril 1999 (voir pièce I‑14).

 

[9]              La provenance des fonds pour financer les activités de TD n'est pas claire. Certains fonds ont été avancés par la banque dans les circonstances décrites plus loin. Monsieur Gingras a indiqué que ses économies s'élevaient à environ 300 000 $. Durant les périodes pertinentes, ses revenus semblent s’être limités à la  rente de la Régie des rentes du Québec et à la pension de vieillesse[7]. Il y a eu ventes d'actions de Fertigel, mais le montant de la contrepartie reçue par monsieur Gingras n'a pas été établi[8].

 

[10]         Monsieur Gingras aurait rencontré en 1984 un ingénieur italien vivant en France, un certain Edoardo Marchese. Monsieur Marchese serait âgé d'environ 76 ans aujourd'hui. Il serait, avec un autre résident français, monsieur Dominique Pugliese, propriétaire de la société civile Kheper Biotechnologies (Kheper), dont le siège social est à Vigneux‑sur‑Seine en France. Monsieur Pugliese est décrit comme le gérant de Kheper dans un contrat de licence de brevets entre Kheper et Fertigel signé le 18 mars 2003[9]. Selon ce document, Kheper serait  propriétaire et titulaire de brevets d'invention français, l’un du 10 mars 1994 et l’autre du 6 février 1996[10], « ayant pour objet la production d'engrais en utilisant comme matière première les déjections d'animaux et autres produits » (pièce A‑6, page 2). Le procédé utilise des « cristaux de gélule polymère ayant une forte capacité de rétention d'eau ou d'autres produits biologiques. De technique similaire à d'autres géllules [sic] polymères existante [sic], celles‑ci on [sic] l'avantage important d'être non toxique [sic] et biodégradable [sic] »[11]. Monsieur Gingras a affirmé qu'il était le découvreur de l'utilisation de la gélule polymère pour transformer le purin en engrais, qu'il s'était associé avec messieurs Marchese et Pugliese, qui auraient engagé de la recherche scientifique et du développement technologique (R&D) en France et qui auraient supporté le coût d'inscription des brevets non seulement en Europe, mais aussi aux États‑Unis et ailleurs. Il prétend qu'une entente entre lui et le groupe Kheper prévoyait que le droit de propriété sur le brevet lui serait transféré après le paiement d'une somme de 1,2 million de dollars. Toutefois, il n'existe aucun document écrit pour appuyer cette affirmation.

 

[11]         Au milieu des années 1990, monsieur Gingras aurait tenté d'intéresser des producteurs de l'industrie porcine à son procédé de transformation des déjections animales, qui devait permettre la protection de l'environnement en amont et la transformation de ces déjections en produits fertilisants en aval. Le document le plus ancien produit comme preuve et attestant cette démarche est une lettre d'intention datée du 24 janvier 1995 de la société F. Ménard Inc., de l'Ange‑Gardien, au Québec (pièce A‑10). Cette société informe monsieur Gingras de son intérêt pour son projet et évoque la possibilité de louer son site à monsieur Gingras et de fournir des quantités variant de 5 000 000 à 25 000 000 gallons (de purin, je présume, puisqu'il n'est pas précisé dans la lettre de quoi il s'agit). On y mentionne que si les résultats étaient concluants, F. Ménard Inc. pourrait discuter d'engagements futurs.

 

TD

 

[12]         Le 20 avril 1995, monsieur Gingras signait une demande de financement de 50 000 $ dans le cadre du Programme d'investissement en démarrage d'entreprises de la Société de développement industriel du Québec (SDI); cette demande était faite au nom de la société « Traitement de déchets I.G.M. Inc. » (pièce A‑14). On décrit l'entreprise de cette société comme étant le « traitement de purin de porc et de lisier ». On indique dans la demande que le personnel de direction de cette société comprend monsieur Gingras à titre de président, le « Groupe Ménard » à titre d'administrateur, monsieur Marchese, ingénieur, à titre de vice‑président et monsieur Yves Marchand, agronome, à titre d'administrateur. Monsieur Gingras aurait détenu 55 % de la société, le Groupe Ménard, 25 %, et monsieur Marchand, 20 %. Toutefois, la société n'existe pas au moment de la demande puisque TD ne sera constituée que le 15 novembre 1995 sous la dénomination sociale de 9028‑0074 Québec Inc.[12] Le nom de cette société sera changé pour celui de TD le 6 février 1996 (pièce I‑1, onglet 4, ainsi que pièce A‑5). Une note d'honoraires de Me Drapeau révèle qu'il a fourni des services professionnels relativement à un projet de démarrage d'entreprise (TD) à compter du 27 avril 1995 jusqu'au 9 janvier 1996 et qu'il a, durant cette période, eu des conversations téléphoniques non seulement avec monsieur Gingras, mais également avec monsieur François Ménard (pièce I‑1, onglet 16, pp. 33, 34 et 35). Le montant des honoraires s'élève à 5 950 $ avant taxes.

 

[13]         Le Rapport Samson Bélair n'est pas daté, mais il contient un avis au lecteur en date du 13 octobre 1995 concernant la compilation de projections financières. Ce rapport décrit un projet d'installations de traitement de purin et de lisier, et comprend des projections financières. Le rapport prévoit notamment des ventes de produit traité totalisant 740 000 $ pour l'exercice allant du mois d'octobre 1995 au 30 septembre 1996, ainsi que des revenus de 50 000 $ tirés des produits à traiter, pour un total de 790 000 $. Parmi les hypothèses utilisées par Samson Bélair, il y a celle selon laquelle la production devait débuter en octobre 1995 pour se terminer en décembre 1995 et redémarrer en avril 1996. Dans le rapport on mentionne également que les projections avaient été préparées par les responsables du projet. On y prévoit des dépenses de 75 000 $ au titre du soutien technologique et technique, dont 25 000 $ au titre de frais de R&D. Finalement, on y écrit que TD est à la recherche d'un emprunt de 50 000 $ dans le cadre du Programme d'investissement  en démarrage d'entreprises. Cet emprunt devait servir à appuyer le fonds de roulement et à acquérir des immobilisations. Il est également question, dans le rapport, d'obtenir des subventions salariales d'environ 25 000 $ pour 35 semaines de travail ainsi que d’obtenir un emprunt de 20 000 $, non remboursable, de la Société québécoise de développement de la main‑d'oeuvre (SQDM). Le 29 septembre 1995, un représentant du Bureau régional Travail - Québec des Laurentides et de Lanaudière écrit à monsieur Gingras pour l'informer que le Comité d'approbation des projets dans le cadre de la mesure Soutien à l'emploi autonome a accepté conditionnellement son projet d'entreprise, les conditions étant la réalisation du financement du projet et la présentation au comité d'un avis technique d'un spécialiste attestant que le processus de traitement du purin n'était pas dommageable à l'environnement. Selon monsieur Gingras, cet avis favorable a été donné par monsieur Pierre Desmarais. Mais selon le Rapport Samson Bélair, cet expert était un diététicien (pièce A‑42, document 4, note 6)!

 

[14]         Il y a également une lettre du ministère de l'Environnement et de la Faune du 6 décembre 1995, dans laquelle un chef de division informe monsieur Gingras des règles environnementales pertinentes en ce qui concerne son projet d'utiliser des gélules pour transformer le lisier et le fumier. On y mentionne notamment qu'une demande de certificat d'autorisation peut être nécessaire s'il peut y avoir rejet possible d'eau contaminée par le fumier dans l'environnement (pièce A‑20).

 

[15]         Le 7 janvier 1996, monsieur Gingras signait, au nom de la société TD, une demande de garantie dans le cadre du Programme d'aide au financement des entreprises (financement de crédits d'impôt remboursables) de la SDI (pièce A‑15). Dans ce document, on indique que la date de constitution de la société est le 15 novembre 1995 et que la date du début de ses activités est le 11 janvier 1996. Le montant de l’emprunt demandé pour lequel on désire la garantie de la SDI est de 115 000 $. On indique dans la demande que l’argent devait servir à financer des coûts d'un projet de R&D s’élevant à 505 042 $,[13] projet dont le début était prévu pour le 11 janvier 1996, et la fin, pour le 31 octobre 1996. Cette demande de financement de 505 042 $ de dépenses de R&D est plutôt surprenante puisqu'elle intervient à peine quelques mois après le Rapport Samson Bélair, qui prévoyait, sur la foi des prévisions préparées par le responsable du projet, monsieur Gingras lui‑même, une exploitation commerciale devant générer, à compter du mois d'octobre 1995, un revenu annuel de 790 000 $.

 

[16]         Les activités de R&D devaient avoir lieu à l'Ange‑Gardien, à la ferme de F. Ménard Inc. Dans la demande de garantie, il est indiqué que monsieur Gingras était le président, le directeur général et le directeur de la R&D, qu’il détenait 50 % des actions ordinaires de TD et que son épouse, madame Dagenais, détenait le reste. On estimait à 133 846 $ le total des crédits d'impôt remboursables pour ce projet de R&D.

 

[17]         Les appelantes n'ont produit aucune documentation bancaire établissant que les emprunts ont été obtenus. Toutefois, dans les états financiers de TD pour l'exercice financier terminé le 31 octobre 1997, préparés par monsieur Réjean Paillé, CSA, on trouve à la note 2, le détail des dettes à long terme apparaissant au bilan de TD[14]. La note 2 indique qu'il y a un prêt de 50 000 $ garanti par la SDI, ce prêt étant décrit comme suit : « Prêt Plan Paillé, remboursable par versements mensuels en intérêts […] et le capital est payable après 3 ans sur une période de 5 ans ». La note indique aussi un prêt pour équipement (PPE) de 126 000 $ garanti par le gouvernement fédéral à 90 %. En plus de ces prêts garantis par les gouvernements, il y a un prêt d'un particulier de 50 000 $, ce qui fait un total de 245 866 $ au 31 octobre 1997. Ce particulier aurait été un ami de monsieur Gingras qui, selon le témoignage de ce dernier, n'était pas actionnaire de TD. Ce prêt n'aurait jamais été remboursé.

 

[18]         Une note d'honoraires de Me Drapeau en date du 18 janvier 1996 décrit les services rendus pour les 2 500 $ (avant taxes) demandés relativement à l’obtention d’un financement du banquier[15].

 

[19]         Quoique monsieur Gingras ait affirmé que la démonstration de la conversion de purin de porc en engrais s’était déroulée à la ferme de F. Ménard Inc. à l'automne 1995, il est plus probable que cette démonstration a eu lieu à la fin de l’hiver 1996. En effet, il y a une note d'honoraires de l'ingénieur Marchese d’un montant de 800 $ concernant le mois de février 1996; elle apparaît à la pièce I‑1, onglet 16, à la page 4. Il s'agit d'une facture du 4 mars 1996 ayant trait à des honoraires et à des frais de séjour divers pour la période du 15 au 25 février 1996, le tout s’élevant, comme je l’ai dit, à 800 $. À ces honoraires viennent s'ajouter les frais de billets d'avion de monsieur Marchese, de 800 $ aussi. On trouve également parmi les factures produites à la pièce I‑1, onglet 16, une facture faisant état de la location d'un abri Tempo le 8 mars 1996. Des photos d'une démonstration se passant sous un tel abri se trouvent parmi celles produites à la pièce A‑12; il s’agit notamment de la série de photos numérotées 3A à 3J. Selon monsieur Gingras, cette démonstration aurait duré trois mois et le programme de R&D se serait avéré un succès. TD aurait, par contre, refusé de procéder à la transformation commerciale du purin en raison du fait que F. Ménard Inc. exigeait l’exclusivité! Aucun représentant de cette société n’est venu témoigner pour corroborer cette version des faits. L'équipement qui apparaît sur les photographies aurait été mis au rancart après la démonstration.

 

[20]         Lors de son témoignage, monsieur Paillé a reconnu l'abri Tempo et l'équipement utilisé à L'Ange‑Gardien, à la ferme de F. Ménard Inc. Il a indiqué qu'une partie de l'équipement utilisé pour la démonstration avait été fabriqué par l'Atelier la Corne d'or appartenant à un ingénieur, monsieur Couture. Cette entreprise n'avait pu terminer les travaux en raison de difficultés financières. Seulement deux factures ont été mises en preuve pour justifier le coût de 330 773 $ des « équipements‑prototype » qui apparaît au bilan du 31 octobre 1996 (pièce A‑47, page 2). Il y a une facture de l’Atelier la Corne d'or inc., en date du 11 juin 1996, pour des bassins d'oxygénation et de mélange, une « unités » de séchage et un système de mise en sac, pour un montant total de 82 500 $ (pièce A‑40), et une facture de B.N. Métal inc., une entreprise de St‑Mathieu de Beloeil, du 15 mai 1997, pour un montant de 41 850 $. Cette dernière facture se rapporte à un système automatique de séchage et à un fourneau de séchage[16]. Monsieur Paillé a indiqué que la facture de 82 500 $ avait été payée par traite bancaire, tel qu'il appert de la note manuscrite sur la pièce A‑40.

 

[21]         On trouve également parmi les documents produits en preuve une facture en date du 26 juillet 1996 établie par B.N. Métal Inc. d’un montant de 7 888,49 $. Toutefois, il s'agit d'équipement vendu à l’Atelier la Corne d'or inc., de Sainte‑Agathe-des-Monts (voir pièce I‑1, onglet 16, page 104).

 

[22]         Il est à noter que le service d'évaluation de R&D de l'Agence du revenu du Canada (ARC) a dressé le 13 mai 1997 un rapport d'admissibilité ayant trait à l'année d'imposition terminée le 31 octobre 1996 (pièce A‑9). On y parle de dépenses de R&D totalisant 387 000 $[17]. Le projet qui y est décrit est celui d’un procédé de traitement de lisier de porc pour en faire un engrais. La question était de savoir si les travaux effectués satisfaisaient aux exigences de la définition de R&D de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi de l'impôt). Dans ce rapport, on décrit le projet comme suit :

 

[…] Le procédé est basé sur une résine plastique capable d'absorber de 400 à 1000 fois son poids de lisier. Cette résine est fabriquée à partir de pétrole selon un procédé breveté. En plus de transporter les éléments fertilisants du lisier, elle régularise le taux d'humidité dans le sol en absorbant rapidement l'eau de pluie et en la relâchant directement aux racines des plantes selon leurs besoins, sur une période qui peut s'étendre jusqu'à 90 jours dans le sol. Elle est complètement dégradée après  5 ans environ.

[Voir la pièce A‑9, p. 3.]

 

[23]         Selon l'évaluateur, ce procédé représente un avancement technologique. À la page 4 du rapport, l'auteur écrit :

 

Lors de la visite, qui a eu lieu dans le hangar où était entreposé le matériel, M. Gingras n'avait pas la documentation des travaux[18], préparée surtout par le sous‑traitant BIOAGVET. Je n'ai donc pas pu la consulter, mais les explications de M. Gingras et les évidences sous forme de photos, échantillons et matériel m'ont convaincu que les travaux avaient comporté une investigation systématique effectuée par du personnel compétent.

[Je souligne.]

 

[24]         Selon le témoignage de monsieur Paillé, des vérificateurs de l'ARC lui ont suggéré de modifier ses états financiers pour refléter le fait qu'une partie des frais de R&D de 505 042 $ de TD, soit 330 773 $, devait être capitalisée parce que non admissible comme frais de R&D étant donné que le prototype pouvait être utilisé dans le cadre d'une exploitation commerciale. Par conséquent, monsieur Paillé a préparé de nouveaux états financiers dans lesquels apparaît comme immobilisation un montant de 330 773 $ pour « L’Équipements‑prototype », et le reste des dépenses ont été inscrites au bilan comme « Autres actifs », à savoir des frais de R&D de 174 269 $.

 

[25]         Les états financiers pour les exercices financiers de 1997 à 2003 ont été produits sous la cote I‑1, aux onglets 5 à 11, et sous la cote A‑7[19]. On trouve également parmi les factures produites par TD une facture du 13 juin 1996 (pièce A‑24) de Natasha Cournoyer pour la création du logo de Fertigel et la conception et la rédaction d’un dépliant, le montant total de cette facture étant de 724 $. Également, il y a un état de compte de SubitoPresto, du 7 février 1997, ayant trait notamment à des services de conception du « sac Fertigel », qui avaient fait l’objet d’une facture du 21 août 1996, et à des services de conception et de production du document couleur Fertigel qui avaient fait l’objet d’une facture de 2 566,45 $ en date du 9 septembre 1996. Il s'agit là aussi d'un document signé par madame Cournoyer. Il existe également des chèques représentant des sommes de 600 $ versées régulièrement pour des services de Marc Leblond au cours de l'été et l'automne 1996; la rémunération de monsieur Leblond était, selon toute vraisemblance, financée par le programme de la SQDM, qui relevait du Ministère de la Sécurité du revenu.

 

[26]         Au cours de l'automne 1996, monsieur Réjean Paillé écrit au conseiller politique du vice‑premier ministre et ministre d'État de l'Économie et des Finances relativement au dossier de TD. Dans cette lettre, il fait état de mises de fonds au 31 août 1996 s'élevant à 86 262 $, mises de fonds qui auraient été augmentées à 103 562 $ au 31 octobre 1996. Le montant de 86 262 $ se compose d'un capital‑actions de 10 000 $, de même qu'un dû aux actionnaires de 76 262 $. Monsieur Paillé mentionne dans sa lettre que le solde du PPE de 33 000 $ au 31 août 1996 a été utilisé en septembre et en octobre 1996 pour le paiement des équipements de B.N. Métal. Il y mentionne également qu'une nouvelle demande de PPE, de 100 000 $, a été faite à la Banque Nationale pour le financement de la soumission de 124 850 $ concernant le fourneau.

 

[27]         Les états financiers pour 1997 détaillent des dépenses de R&D de 134 638 $. On y trouve des dépenses générales, notamment du loyer, des honoraires, des frais généraux, des frais de représentation et des dépenses de matériel roulant (dépenses générales); la seule dépense qu'on pourrait relier directement à de la R&D est celle de 821 $ pour la « location d'équipements pour montage prototype » (voir pièce I‑1, onglet 5, page 7). Il y a également des frais de tenue de livres facturés par Samson Bélair pour les mois de janvier, novembre et décembre 1997 (pièce I‑1, onglet 16, pages 24 et 25). Monsieur Paillé a également facturé à TD des honoraires de 1 200 $ pour le travail effectué en août 1997 (ibid., page 27). Il a également produit des extraits de registres comptables, préparés à l’aide du logiciel Fortune 1000, pour les mois de novembre 1996 à janvier 1997 (pièce A‑43).

 

[28]         La seule documentation visant l'année 1997 que j'ai pu trouver dans la preuve documentaire des appelantes est une note d'honoraires de Me Drapeau dans laquelle il est fait état de services professionnels rendus au cours du mois de septembre 1997 relativement à l'étude de documents de règlement et de préparation d'un contrat de licence, le total des honoraires étant de 1 260 $. Une autre note, du 22 août 1997, fait état d'honoraires de 1 000 $ relatifs à la préparation et à la rédaction de contrats. Me Drapeau y fait également état d'une conversation téléphonique avec les représentants de Mazda. (Voir pièce I‑1, onglet 16, pages 39 et 41.)

 

[29]         Les dépenses de R&D pour 1998 s'élèvent à 81 896 $. On ne trouve à cet égard que des dépenses générales. Il n'y a aucune dépense pour la location d'équipement pour le montage d’un prototype. La seule facture que j'ai trouvée qui peut être reliée directement à de la R&D est une facture de 17 $ relative à l'analyse de fumier et de compost datée du 2 avril 1998 et adressée à monsieur Gingras (voir pièce I‑1, onglet 15). Il y a également des honoraires de 2 690 $ de monsieur Paillé pour 12 mois de comptabilité en 1998 (pièce I-1, onglet 16, page 29). Et il y a des factures pour la location d'un véhicule Mazda à TD (pièce I‑1, onglet 16, pages 88 et 90).

 

[30]         Les états financiers pour 1999 indiquent des dépenses de R&D, toutes des dépenses générales, totalisant 17 162 $, dont 6 745 $ au titre de frais de représentation et 5 220 $ pour du matériel roulant. Parmi les dépenses pour lesquelles on trouve les factures dans le recueil des pièces de l'intimée, il y a un état de compte d’une agronome, Sylvie Moreau, en date du 13 septembre 1999, adressé à JRG Inc., pour un montant de 3 660 $ pour 30.5 heures de services  consistant en une étude préliminaire de faisabilité en ce qui concerne la fabrication d'engrais en gélule à partir du lisier de porc (pièce I‑1, onglet 16, page 2). Elle y indique que les services ont été rendus en août 1999. On ne trouve pas cette dépense de 3 660 $ parmi les dépenses apparaissant aux états financiers pour l'exercice financier de 1999 parce que TD ne l'a pas acquittée selon les dires du vérificateur du ministre qui a parlé à Mme Moreau.

 

[31]         On trouve aussi une facture du 18 octobre 1999, adressée à monsieur Gingras et à JRG Inc., relative à la vente d'une semi‑remorque pour un montant de 15 000 $ par la société Demix Béton (pièce I-1, onglet 16, page 91).

 

[32]         Pour les exercices financiers terminés les 31 octobre 2000, 2001 et 2002, on trouve dans les états financiers des dépenses de R&D totalisant, pour 2000, 63 822 $, dont 41 254 $ au titre de l’amortissement du prototype, pour 2001, 55 801 $, dont 33 004 $ au titre de l'amortissement du prototype, et pour 2002, 65 879 $, dont 26 403 $ au titre de l’amortissement du prototype. Les dépenses autres que celles relatives à l’amortissement totalisent environ 22 000 $ en 2000 et en 2001 et presque 40 000 $ en 2002; ce sont toutes des dépenses générales (en apparence), les plus importantes d’entre elles étant, en 2000 et en 2001, environ 7 000 $ pour le matériel roulant et 6 000 $ pour les frais de représentation. Pour 2002, les dépenses les plus importantes sont 13 096 $ pour les achats et les fournitures, 13 051 $ pour les frais de représentation et 7 884 $ pour le matériel roulant. Pour cette période de 2000 à 2002, il n'y a pas de dépenses de loyer.

 

[33]         La seule indication d'une activité quelconque de TD en 2000 est une proposition de partenariat présentée par le vice‑président de la Chambre d'agriculture de la province de Taounate au Maroc. Dans ce document, on fait référence au produit Fertigel, sans faire aucune mention de TD ni de monsieur Gingras. Mais il y a une référence à Fertinova, une société immatriculée en juillet 2000, dont aucun des actionnaires n'est monsieur Gingras mais dont l'un des administrateurs serait monsieur Marchese! (Voir pièces A‑23, I‑4, I‑5 et I‑6). L'interrelation de TD de Fertinova n'a pas été expliquée clairement. Il semblerait que cette dernière soit une concurrente de la première!

 

[34]         Selon monsieur Paillé, les montants dus à la Banque Nationale qui étaient garantis par la SDI ont été radiés en 2000 par TD sans avoir été payés. Il ne savait pas si le matériel appartenant à TD avait été saisi. Le montant de 50 000 $ qui avait été avancé par un tiers a aussi été radié. Selon monsieur Paillé, ce tiers s'était contenté de déduire aux fins fiscales une perte au titre d’un placement d’entreprise.

 

[35]         Il existe également un état de compte établi par Agri Ventes Brome Ltée. en date du 31 mai 2001, adressé à TD, pour un montant total de 26 841,08 $ (pièce I‑1, onglet 16, page 102). L'état de compte ne précise pas la nature du bien ou du service fourni, et aucune explication n'a été fournie lors de l'audience.

 

[36]         En date du 10 avril 2002, il y a une facture d’un montant de 106 $ adressée à TD relativement à des analyses faites par Biolab (pièce I‑1, onglet 16, page 17). Une autre, du 15 novembre 2002, est pour la location d'une pompe pour 100 $ pendant six jours (pièce I‑1, onglet 16, page 13).

 

[37]         L'analyse des états financiers de TD au 31 octobre 2003 révèle que le poste « équipement prototype », se rapportant à du matériel dont la valeur amortie était de 105 612 $ en 2002, est disparu du bilan de cette société pour 2003. Par contre, on trouve ce même matériel, à la même valeur amortie dans les livres de Fertigel (voir note 2 des états financiers de Fertigel au 31 octobre 2003, pièce A‑11, page 4).

 

Fertigel

 

[38]         Selon monsieur Paillé, il y avait eu transfert par TD à Fertigel de cet actif, ainsi que de la plupart de ses dépenses de R&D. Par conséquent, le transfert aurait été effectué après le 30 octobre 2002, donc peut-être en novembre 2002, mais, en tout état de cause, avant le 31 octobre 2003. Selon une feuille de travail de monsieur Paillé et les états financiers de Fertigel au 31 octobre 2003 (pièces A‑49 et A‑11), Fertigel aurait émis un million d'actions ordinaires de catégorie A pour un capital versé de 330 000 $. Ces actions[20] ont été émises en contrepartie du transfert de l'équipement prototype d’une valeur de 105 612 $, des 197 700 $ qu'avait payées « JRG » au titre de la R&D et des 30 093 $ représentant des dépenses engagées pour le compte de Fertigel du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003. Ce qui est intrigant, c'est que, selon le livre de procès‑verbaux de Fertigel (pièce A‑36), monsieur Roland Gingras aurait souscrit 750 000 actions de catégorie C le 24 mai 2002 au prix de 0,20 $ l’action, et son cousin, monsieur René Gingras, aurait souscrit 250 000 actions de catégorie C au même prix, ce qui ferait un capital versé de 200 000 $[21]. En outre, ces actions de catégorie C auraient été souscrites alors qu'elles n'existaient pas. En effet, les actions de catégorie C n'ont été créées, par certificat de modification, que le 13 juin 2002 (pièce A‑36). La date du 24 mai 2002 ne concorde pas non plus avec le roulement qui serait survenu après le 31 octobre 2002. Par conséquent, il n'existe aucune concordance des états financiers préparés par monsieur Paillé et du livre des procès‑verbaux de Fertigel rédigés par son conseiller juridique, Me Drapeau.

 

[39]         Dans la déclaration initiale de Fertigel, en date du 23 janvier 2002, on indique que les activités de cette société consistent dans la fabrication d'engrais écologique et le traitement de purin (pièce I‑2, onglet 8). Par contre, dans les états financiers de la société, on décrit ses activités comme consistant dans la R&D (pièce A‑11). Monsieur Roland Gingras apparaît dans la déclaration initiale comme le seul administrateur et le seul actionnaire de la société, qui a été constituée le 18 janvier 2002.

 

[40]         Parmi les documents illustrant une certaine activité exercée par Fertigel, on trouve un document d'une page détaillant les éléments entrant dans la construction d'une usine pilote et leur coût. Ce document semble avoir été faxé par l'ingénieur Marchese le 9 janvier 2002, quelques jours avant la constitution de Fertigel (pièce A‑28). Le coût total prévu est de 351 000 $.

 

[41]         Au cours de l'année 2002, Fertigel effectue du démarchage auprès de différents ministères du gouvernement du Québec pour faire connaître son procédé de traitement du lisier de porc et obtenir de l’aide pour financer son usine pilote. On trouve à la pièce A‑35 de la correspondance. Notamment, il y a une lettre du 19 mars 2002 du directeur de l'Environnement et du Développement durable du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), adressée à monsieur Gingras, « président » de Fertigel Québec inc., dans laquelle il invite Fertigel à soumettre sa technologie à l'analyse du « Groupe transfert technologique » établi par la Fédération des producteurs de porcs du Québec. Il est mentionné dans cette lettre que le ministère pourrait, si l’évaluation faite par le Groupe de transfert technologique s’avérait positive, guider Fertigel et la soutenir dans ses démarches auprès de différents organismes, comme la Société générale de financement, la SDI ou le ministère de l’Industrie et du Commerce ou le ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie, en vue de l’obtention de financement.

 

[42]         Il y a également un certificat d'analyse préliminaire de la société Biolab daté du 18 avril 2002 et adressé à Fertigel (en fait, on a écrit Sertigel Inc.). Il s’agit d’une analyse des matières solides, de l'azote, du phosphore et du potassium (pièce A‑24).

 

[43]         De même, le directeur de l’Environnement et du Développement durable du MAPAQ envoie, le 8 octobre 2002, une lettre à Fertigel Inc. en réponse à une demande transmise le 18 septembre 2002 concernant un projet pilote pour l’usine de Fertigel. Le directeur signale à monsieur Gingras qu’il n’a pas reçu les résultats de la démarche de celui-ci auprès du Groupe de transfert technologique et lui rappelle qu’il est important de soumettre le projet à ce groupe pour qu’il puisse évaluer le potentiel de sa technologie. Le directeur lui indique notamment que les informations qu’il a déposées « ne permettent pas d’évaluer l’opportunité pour le MAPAQ de soutenir la mise en place d’une usine pilote sur la base de [sa] technologie » (pièce A‑35, lettre du 8 octobre 2002).

 

[44]         On trouve également une facture de 160 $ au nom de Vertigel pour une enseigne de 48 pouces sur 72 pouces, en date du 25 octobre 2002 (pièce I‑1, onglet 16, page 65). Fertigel a aussi acquis, le 29 octobre 2002, cinq cahiers de plans d'affaires pour un montant total de 60 $, ainsi que 50 photocopies couleur pour 175 $ (pièce I‑1, onglet 16, page 68).

 

[45]         Le 13 novembre 2002, le sous‑ministre adjoint, Formation, Agroenvironnement et Technologies, du MAPAQ, écrit à monsieur Gingras relativement à sa lettre au ministre du 1er octobre 2002 concernant son usine pilote de traitement  de lisier de porc et l’invite à poursuivre ses discussions avec le directeur de l’Environnement et du Développement durable (Pièce A‑35).

 

[46]         Le 20 novembre 2002, la maison Le Sieur de Laval a facturé à Fertigel un montant de 180 $ pour des frais de traiteur pour 30 personnes (pièce I‑1, onglet 16, page 97). (Voir l’article du Journal de Montréal dont il est question plus loin.)

 

[47]         Le 27 novembre 2002, la Coopérative de gestion des engrais organiques de Lanaudière (Cogenor) informe Fertigel qu’elle a pris connaissance du projet d’implantation et d’évaluation d’un centre de traitement de lisier de porc à Berthierville dans Lanaudière. On écrit : « En tant qu’organisme régional coopératif (plus de 350 entreprises agricoles membres) avec pour mission la gestion agro-environnementale des engrais organiques et minéraux, COGENOR Lanaudière appui [sic] ce projet ». On indique que Cogenor est prête à participer directement au projet comme partenaire, particulièrement en ce qui concerne « la valorisation agricole et l’évaluation au champ de l’efficacité agronomique des gélules de lisier » (pièce A‑13). Invité à commenter cette lettre, le directeur de Cogenor a informé le vérificateur du ministre, dans une lettre du 19 juillet 2004, qu’elle représentait « simplement un appui moral à un promoteur qui tente de trouver des solutions aux surplus de lisier de porcs ». De plus, il a affirmé que la lettre ne constituait pas une entente sur la commercialisation des produits de Fertigel ou sur l’approvisionnement en lisier par des producteurs membres de Cogenor (pièce I‑3).

 

[48]         Un article du Journal de Montréal du 2 décembre 2002 relate une entrevue avec monsieur Gingras. On y affirme que Fertigel construira une première usine de petite taille et embauchera une douzaine d’employés afin de commercialiser son engrais. L’article dit que, dès 2003, Fertigel traitera au moins 25 000 tonnes de purin grâce à une entente qu’elle a signée avec une association regroupant quelque 350 agriculteurs de Lanaudière. On y décrit le « petit miracle » du Fertigel, qui a un pouvoir d’expansion pouvant atteindre 1 000 fois son volume initial. On décrit l’entreprise de Fertigel comme une PME de Berthierville et précise que la gélule a été mise au point par monsieur Gingras après 24 ans de dur labeur (pièce A‑18)!

 

[49]         Le 4 mars 2003, Fertigel présentait au comité consultatif du programme SDÉR‑Lanaudière (Société de diversification économique des régions) une demande d’étude de « pré-faisabilité » relativement à la mise en place d’une usine pilote utilisant le procédé de traitement de lisier Fertigel (pièce A‑16). Il s’agit d’un document de sept pages qui porte la signature de monsieur Normand Gariépy, directeur général du Centre local de développement de la Municipalité régionale de comté D’Autray. Ce document semble avoir été préparé par ConquêteTech. Dans la demande, on exprimait le désir d’obtenir une subvention de 50 000 $. Il devait en coûter 25 000 $ pour préparer la demande d’aide financière et pour obtenir cette aide, et sur ce montant 5 000 $ ont été versés le 3 janvier 2003 par monsieur Gingras personnellement! (Voir le chèque, pièce A‑24.) Le solde devait être versé si la subvention était obtenue.

 

[50]         Le 18 mars 2003, ConquêteTech Inc. communiquait avec monsieur Gariépy pour lui fournir des réponses aux questions soulevées par le « CRD » quant à l’expertise et à l’expérience des promoteurs (voir pièce A‑24, note du 18 mars 2003 de Michel Laplante). On indiquait que monsieur Gingras avait plus de 30 années d’expérience dans la vente de produits de pâtes et papiers. On décrivait la force de monsieur Gingras comme étant « sa capacité de mettre en place une solide équipe » (page 2 de la note). On décrivait monsieur Marchese comme un détenteur d’un diplôme universitaire d’ingénieur chimiste obtenu de l’Université de Gênes. On indiquait qu’il était employé par Kheper et qu’il était le directeur du développement technologique au sein de cette entreprise.

 

[51]         Dans la même note, on parle aussi du partage des coûts et on affirme : « il sera facile de démontrer un paiement au fournisseur de services (ConquêteTech). Le déboursé de Fertigel provient de l’entreprise (dans laquelle des amis et de la famille ont contribués [sic] » (page 3 de la note). On y affirme également qu’un monsieur René Gingras, un membre de la famille, avait la volonté d’investir dans l’entreprise pour payer l’étude de « pré-faisabilité ».

 

[52]         On explique également pourquoi les pourparlers avec Kheper pour signer une entente de licence ont traîné : c’était à cause des problèmes financiers que posait l’obtention d’une licence pour le Canada, les États-unis et le Mexique, laquelle devait coûter 50 000 $. L’autre raison était le fait que le projet devait avoir un cadre organisationnel. On affirme dans la note que le rôle de ConquêteTech consistait à « organiser le travail, contacter les spécialistes, le gouvernement, les investisseurs potentiels et veiller à ce que les travaux soient exécutés en conformité avec les exigences gouvernementales […]. Un mandat de 25 000 $ a été signé et 10 000 $ sont déjà engagés dans le processus » (page 4 de la note).

 

[53]         Comme cela a été mentionné précédemment, le contrat de licence aurait été signé le 18 mars 2003 entre Fertigel et Kheper (pièce A‑6). La preuve révèle que monsieur René Gingras aurait fait une avance de fonds de 10 000 $ à Fertigel pour permettre le versement d'un montant de 10 000 $ en paiement partiel des 50 000 $ que coûtait l'acquisition de la licence du brevet. Cette somme a été virée par la Caisse centrale Desjardins le 25 mars 2003 (voir pièces I‑7, I‑8 et I‑9). Les dépenses de R&D pour TD en 2003 s'élèvent à 6 301 $, les montants les plus importants étant 3 246 $ de frais de représentation et 1 415 $ pour les achats et les fournitures. Monsieur Paillé a reconnu que la somme de 10 000 $ avancée par monsieur René Gingras n'apparaissait pas au bilan de Fertigel pour 2003. Cela pourrait s’expliquer par le fait que cette somme a été déposée dans le compte bancaire de Fertigel puis en a été retirée (pièce I‑7). Monsieur Paillé n'avait pas été informé que le retrait avait servi à effectuer un virement en faveur de la société française Kheper Biotechnologies. Selon monsieur Roland Gingras, la somme de 10 000 $ avait été avancée à lui et non à Fertigel, nonobstant la documentation produite devant la Cour (pièces I‑8 et I‑9).

 

[54]         Monsieur Gingras a indiqué, lors de son témoignage, que sa demande d’aide financière avait été refusée par le comité consultatif du programme SDÉR‑Lanaudière, et ce, selon lui, sans que les motifs lui aient été communiqués[22].

 

[55]         En plus de la proposition présentée pour le programme SDÉR en mars 2003, il semble que ConquêteTech ait préparé un document intitulé « Fertigel, une opportunité d’affaires, résumé opérationnel » de mars 2003, dans lequel on décrit la mission de Fertigel, le concept, la situation actuelle en ce qui concerne le traitement du lisier de porc au Québec, les marchés, l’investissement requis et la participation dans le capital‑actions de Fertigel et son utilisation des fonds; on y parle également des promoteurs. Il s’agit d’un document de 15 pages (pièce A‑25).

 

[56]         La prochaine preuve documentaire qui a été produite à la Cour est une note de service en date du 23 novembre 2003 adressée à monsieur Gingras par un monsieur Robert Church, dans laquelle celui-ci indique que le projet de traitement des déchets pourrait être intéressant à certaines conditions (pièce A‑19). Il y dit que les promoteurs devront lui prouver qu’ils ont fait l’acquisition de la licence des promoteurs européens et lui faire savoir dans quels pays ils pourront commercialiser le produit.

 

[57]         Le sous‑ministre adjoint à l’Agroenvironnement écrit à nouveau le 12 décembre 2003 à monsieur Gingras relativement à une lettre du 6 novembre dans laquelle ce dernier demandait une subvention de 10 000 $ pour lui permettre d’engager une firme reconnue de professionnels pour produire des états financiers et confirmer l’exactitude de ses chiffres financiers projetés afin qu’il puisse faire une présentation adéquate aux intervenants (pièce A‑35). Dans sa lettre, monsieur Gingras faisait part au MAPAQ que Fertigel était au bout de ses ressources financières et qu’une aide était essentielle dans le but d’obtenir le financement nécessaire pour mettre en place une usine pilote. Dans sa réponse, le sous‑ministre adjoint mentionne que cette lettre n’était pas « explicite quant au type de traitement et aux essais que [monsieur Gingras avait] réalisés pour évaluer l’efficacité ». Il rappelle que les représentants du MAPAQ l’avaient « déjà avisé à plusieurs reprises que pour qu'un système puisse faire l’objet d’une aide financière, le promoteur doit être en mesure d’en démontrer l’efficacité agronomique, économique et environnementale ». Il rappelle aussi que le Groupe de transfert technologique regroupe des experts du gouvernement et de l’industrie et a pour but de déterminer le potentiel de différentes technologies; il invite à nouveau monsieur Gingras à présenter son projet à ce groupe.

 

[58]         Le 5 mars 2004, le bureau du sous‑ministre informe monsieur Gingras qu’il n’existe aucun programme pour appuyer les promoteurs dans les démarches de validation financière et économique de leur procédé. Toutefois, on l’invite à contacter la coordonnatrice régionale du ministère du Développement économique et régional à Joliette afin d’évaluer avec elle la possibilité d’un soutien pour l’établissement d’un plan d’affaires pour une entreprise en démarrage (pièce A‑35).

 

[59]         Il faut rappeler qu’en novembre 2004, on a présenté au ministre du Développement économique et régional et de la recherche, monsieur Michel Audet, un résumé de projet intitulé « Valeur agronomique et impact environnemental de l’engrais écologique obtenu par la technologie Fertigel ». Il s’agissait d’une « proposition spontanée de recherche » présentée par Fertigel en partenariat avec l’Université du Québec à Montréal et SNC‑Lavalin Environnement Inc. » (pièce A‑22). Dans ce document, on décrit Fertigel comme une société en démarrage formée en vue d’exercer une activité rentable de fabrication et de commercialisation de fertilisants écologiques. On y indique, à la page 10, que les travaux devaient se dérouler selon l’échéancier suivant : « Volet revue de littérature • avril et mai 2005 Volet description de cette technologie et méthode de fabrication : • de avril 2005 à juin 2005 Volet Adaptabilité à la ferme • montage du dispositif : mai à juillet 2005 • essais : juillet à septembre 2005 Volet essais au champ • de mai 2005 à octobre 2006 Volet essais de laboratoire • de mai 2005 à début 2006 Volet essais en serre • d’octobre 2005 à juin 2006 ». Le budget du projet s’élevait à un total de 180 000 $ (voir page 11 de la pièce A‑22).

 

[60]         Pour des raisons nébuleuses, le projet avec SNC‑Lavalin ne s’est jamais réalisé. Probablement que le gouvernement n’a pas jugé approprié de fournir la subvention désirée. Par contre, monsieur Gingras parle d’un différend avec SNC‑Lavalin.

 

[61]         Des états financiers pour Fertigel ont été produits pour les exercices terminés le 31 octobre 2003 et le 31 octobre 2004 (pièce A‑11). Ils ressemblent à ceux de TD. En effet, on n’y indique aucune vente, et ce en raison du fait que la société est dans sa période de R&D. On y fait état de frais de R&D totalisant 40 904 $ pour 2003, dont 10 561 $ au titre des frais d’amortissement pour le prototype, lequel avait été transféré par TD à Fertigel. Le reste des dépenses sont de la même nature que celles que l’on trouve dans les états financiers de TD à partir de 2000, à savoir des dépenses générales, dont les plus importantes pour 2003 sont, dans le cas de Fertigel, des frais de représentation de 13 240 $, des frais d’achats et de fournitures de 9 119 $ et des frais de matériel roulant de 4 199 $. À la note 1 aux états financiers de 2003, on décrit Fertigel comme une société qui exploite une entreprise de R&D. À la note 3, le capital‑actions est décrit comme comprenant 585 000 actions ordinaires de catégorie A pour 193 050 $ et 415 000 actions ordinaires de catégorie A pour 136 950 $, soit un total de 330 000 $[23].

 

[62]         Monsieur Gingras affirme ne pas avoir investi cette somme de 330 000 $. Il a été incapable d’expliquer comment son comptable avait justifié ce montant de 330 000 $ dans les états financiers de Fertigel. Il faut se rappeler que le prototype d’équipement qui a été transféré à Fertigel par TD a été mis de côté après la démonstration de TD en 1995 ou en 1996.

 

[63]         Monsieur Gingras a produit le livre de procès‑verbaux de Fertigel dans lequel on trouve le registre des transferts des actions de catégorie C. L'analyse de ce registre révèle un nombre important de transferts d'actions de catégorie C effectués par monsieur Gingras pour la période du 16 août 2002 au 10 juillet 2006, à savoir :

 

Nom du cessionnaire

Nombre d'actions de catégorie C

Date

 

 

 

Yves Marcil Inc.

                         37 500

16 août 2002

Placements Normont Ltée

                         56 250

30 août 2002

Paul-Aimé Sauriol

                         56 250

2 octobre 2002

Les Placements

Pierre A. Moisan Inc.

 

                         15 000

 

31 décembre 2002

Jacques St-Pierre

                           2 500

1er décembre 2003

Jacques St-Pierre

                           5 000

9 février 2004

Jacques St-Pierre

                           7 000

1er avril 2004

Danielle Gilbert

                           3 000

1er février 2005

Yvon Labonté

                              300

1er février 2005

Laurent Corbin

                           2 000

1er février 2005

Dorothée Gilbert

                           6 000

1er février 2005

Bruno Guertin

                         10 000

1er février 2005

Bernard Robert

                         15 000

1er février 2005

Gilles Boudreault

                           4 000

1er février 2005

Jacques St-Pierre

                           2 500

1er février 2005

Jacques Perreault

                                10

9 février 2005

René Gingras

                         85 000

15 février 2005

Joanne Dupont

                           3 000

31 mars 2005

Laurent Corbin

                         2 000

31 mars 2005

Dorothée Gilbert

                         2 000

31 mars 2005

Alain G. Rochefort

                         6 000

31 mars 2005

Bernard Robert

                         5 000

31 mars 2005

Gilles Boudreault

                         5 000

31 mars 2005

Pierre Olive

                         3 000

31 mars 2005

Danielle Gilbert

                         2 000

31 mai 2005

Pierre Olive

                         2 000

31 mai 2005

Gilles Boudreault

                         5 000

31 mai 2005

Alain G. Rochefort

                       14 000

31 mai 2005

Dorothée Gilbert

                       11 000

31 mai 2005

Joanne Dupont

                         2 000

31 mai 2005

Bernard Robert

                       10 000

15 décembre 2005

Placements Normont Ltée

                       10 000

31 janvier 2006

Bernard Robert

                         4 000

31 janvier 2006

Louis-Luc Lessard

                         5 000

31 janvier 2006

Gaétan Leduc

                         5 000

31 janvier 2006

René Gingras

                       68 000

10 juillet 2006

 

TOTAL

 

                     471 310

 

 

[64]         Le prix payé par les cessionnaires n’a pas été établi en preuve. En tenant pour acquis que les actions ont été cédées par monsieur Gingras pour une contrepartie en espèces, ces cessions d’actions pourraient constituer les seules opérations ayant pu générer un bénéfice! Ces transferts sont intrigants, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une société qui n'a jamais réalisé de vente de produits depuis sa constitution et qui, à la date du dernier jour de l’audience, n'avait pas obtenu le feu vert pour débuter ses opérations. Cet état de fait est encore plus troublant quand on pense que monsieur Gingras a déjà été condamné pour fraude et pour avoir fait des placements de titres sans prospectus.

 

[65]         La situation financière apparaissant aux états financiers de Fertigel de 2004 est sensiblement la même que celle pour l'année précédente, sauf que le déficit passe de 40 904 $ à 84 311 $. Dans les dépenses de R&D de 43 407 $ pour 2004, il y a 19 000 $ de frais d'amortissement relatifs au prototype. Les autres dépenses sont des dépenses générales. Par ordre d'importance, il s'agit de frais d'achats et de fournitures de 8 224 $, de frais de représentation de 6 922 $ et de frais de matériel roulant de 4 985 $.

 

[66]         Monsieur Gingras a aussi produit un rapport d’analyse d’amendement organique en date du 23 août 2005 portant sur un échantillon de farine de sang. Ce rapport a été préparé par la firme GEO Laboratoire de Mont‑Saint‑Hilaire (pièce A‑8).

 

[67]         Monsieur Gingras a produit sous la cote A-17 un plan d’affaires préparé par son comptable, monsieur Paillé. Ce plan d’affaires est en date du 14 août 2007. Il s’agit d’un document comportant 10 onglets. Au premier onglet, on présente l’entreprise et ses produits. Au deuxième, il y a un plan de développement, et au troisième, des prévisions budgétaires. Aux autres onglets, on trouve un bilan pro forma, l’état des liquidités, l’état des résultats, un tableau des immobilisations, un dessin de l’équipement et l’état des informations sur une personne morale établi par le registraire des entreprises. Le dixième onglet, intitulé « Informations subventions », contient essentiellement une description du programme de R&D de l’ARC. Monsieur Gingras affirme avoir déboursé 500 $ pour le plan d’affaires (pièce A‑33).

 

[68]         Dans le document du premier onglet, intitulé « Fertigel inc., Plan d’affaires », on affirme au premier paragraphe que « [l]’ industrie porcine au Québec est dans un état de crise actuellement à cause d’un moratoire décrété par le Gouvernement du Québec sur la prolifération des porcheries et sur l’augmentation du cheptel ». On ajoute : « Il semblerait que ce moratoire va se prolonger au‑delà de l’année 2004, parce que le Gouvernement n’a pas encore trouvé de solutions […] ». Ce document, de toute évidence, semble avoir été préparé bien avant le 14 août 2007. Il s’agirait donc d’un recyclage de documents ayant déjà été préparés. On trouve un autre indice de ce recyclage dans le plan d’affaires trois pages plus loin, où il est affirmé que Fertigel « sera, lors de sa constitution et pour un territoire déterminé, titulaire d’un contrat de license [sic] exclusif lui permettant d’utiliser les gellules [sic] polymères ainsi que le procédé breveté […] ». Or, Fertigel a été constituée le 18 janvier 2002; ainsi, tout laisse croire que ce document intitulé « Plan d’affaires » a été rédigé, au moins en partie, avant cette date.

 

[69]         Monsieur Gingras a aussi déposé des lettres d’intention conditionnelles d’investisseurs potentiels (pièce A‑34). Il y a d’abord une lettre du 16 octobre 2007, signée par un monsieur Marcel Asselin, qui confirme son « intérêt à participer au projet d’implantation d’un centre de traitement du lisier de porc à Louiseville » et indique qu’il dispose à cette fin d’une somme de 100 000 $[24]. Il y a également une autre lettre, du 19 décembre 2007, signée par un monsieur Claude Lavigne,[25] dans laquelle celui‑ci fait part d’une offre d’acquérir « 33% de la valeur de la compagnie Fertigel inc. », à certaines conditions. Le 22 janvier 2008, un monsieur Pierre Couture confirme qu’on effectue « des démarches en vue d’assurer dans les deux semaines à venir le démarrage des activités de production Fertigel Inc. et [qu’on dispose] actuellement d’une enveloppe de plus de 800 000 $ ». Son bailleur de fonds exigeait au préalable que soient remplies deux conditions, à savoir : 1) que « les granules de polymère ne contiennent pas de produits toxiques ou chimiques pouvant affecter l’environnement » et 2) que « le traitement des déjections animales […] apporte une solution environnementale écologique, c’est‑à‑dire biodégradable et non toxique ».

 

[70]         Lors de son témoignage en février 2008, monsieur Gingras a affirmé qu’il se donnait 90 jours pour obtenir le financement nécessaire pour commencer la construction de son usine pilote et qu’il espérait être en mesure de faire des ventes à partir du mois de mai 2008.

 

[71]         Lors de l'audience tenue les 22 et 23 septembre 2008, Fertigel n'avait toujours pas commencé la construction de son usine pilote. Par contre, monsieur Gingras a produit une entente relative à la cession de lisier intervenue entre Profid'Or, une coopérative agricole ayant son siège social à Joliette, et Fertigel, et dans laquelle Profid’Or s'engage à fournir tout le lisier se trouvant sur deux propriétés, situées à Saint‑Justin[26] et à Sainte‑Ursule, décrites comme les fermes Profid'Or. Il s’agit de fournir une quantité minimale de 12 000 mètres cubes de lisier annuellement, afin que Fertigel puisse utiliser son processus de gélification et de transformation en engrais écologique. Cette entente serait en vigueur jusqu'au 30 juin 2013. Dans l’entente, Fertigel garantit à Profid'Or qu'elle a obtenu, notamment du ministère du Développement durable, toutes les autorisations et tous les certificats d'autorisation et permis nécessaires à ses activités, et que ces activités seront exercées d’une manière qui respectera en tout point les lois, règlements, normes et exigences applicables (pièce A‑50). Monsieur Gingras n'a aucunement produit la preuve qu'il détient les autorisations en question. Il a plutôt indiqué qu’on attendait de recevoir une autorisation de la Commission de protection du territoire agricole avant de commencer la construction.

 

[72]         Pour justifier qu’il y a eu exercice d'une activité commerciale par les deux appelantes, monsieur Paillé a préparé un tableau sur lequel apparaît le sommaire des sommes déboursées par les deux appelantes pour la période allant de 1996 à 2007[27]. Selon les calculs de monsieur Paillé, une somme de 925 761 $ aurait été déboursée par les deux sociétés appelantes, dont 36 % (330 773 $) à l'égard du prototype, 20 % à l'égard du matériel roulant, de l'électricité, du téléphone et dans une proportion de 50 % des frais de représentation (pièce A‑48). Les autres postes les plus importants sont les salaires (8 %, soit 75 950 $), les honoraires (8 %, soit 77 243 $), les fournitures (7 %, soit 61 047 $) et le loyer (4 %, soit 34 000 $).

 

•   Vérification du ministère

 

[73]         Dans le cadre de sa vérification, le vérificateur a demandé, par lettre en date du 21 juillet 2004, que TD lui fournisse des preuves prépondérantes démontrant une activité commerciale. Il suggérait, en autres, des lettres d'entente ou contrats avec des fournisseurs, des lettre d’entente ou contrats avec les ministères concernés ou un permis, une licence ou une autorisation obtenu de ceux‑ci, des lettres d'entente ou contrats avec des producteurs de porcs, un plan d'affaires, un budget, une étude des coûts du projet au démarrage, une étude de marché, etc. Le vérificateur a témoigné qu'il n'avait reçu que quatre documents, dont deux articles de journal ou de magazine, une copie du contrat de licence (pièce A‑6) et la lettre d'encouragement de Cogenor, en date du 27 novembre 2002, au sujet du projet d'implantation et d'évaluation d'un centre de traitement du lisier de porcs à Berthierville (pièce A‑13). Quoiqu'on lui ait montré les factures pour justifier les CTI lors de la rencontre du 4 mars 2004 à Berthierville, on ne lui a pas fourni les registres comptables qui pouvaient lui permettre de concilier ces factures avec les montants réclamés. Malheureusement, monsieur Paillé, le comptable de TD, était en Floride et il semble que, même après son retour, il n'y a pas eu de contact entre le vérificateur et ce comptable.

 

[74]         Lors de l'audition des appels de TD et de Fertigel en février 2008, les deux appelantes avaient apporté trois boîtes de documents, qu’elles ont produites sous la cote A‑29 et qui contenaient essentiellement des factures. Le procureur de l'intimée a demandé que l'audition de l'appel soit remise à une date ultérieure pour lui permettre de prendre connaissance de ces documents, demande à laquelle il fut acquiescé. Il faut ajouter que beaucoup des documents produits lors de l'audience n'avaient jamais été communiqués au vérificateur ni à l'avocat de l'intimée. Par la suite, le vérificateur a préparé une feuille de travail, qu’il a dû mettre trois semaines à confectionner et sur laquelle il a colligé les renseignements contenus dans ces trois boîtes de documents. La feuille de travail fournit le nom de l'acquéreur et le nom du fournisseur ainsi que l'adresse et la description des biens ou services dont il s’agit (onglets 15 et 16 de la pièce I‑1).

 

[75]         Le vérificateur s'est contenté de faire la saisie des renseignements contenus dans les documents de la pièce A‑29. Il n'a porté aucun jugement sur l'admissibilité des dépenses. Le vérificateur a indiqué que son examen de ces documents, soit environ 7 500 factures au total, ne l'avait pas amené à changer d'opinion quant à l'absence d'activité commerciale. Il a indiqué qu'il n'avait trouvé que deux factures d'analyse pouvant justifier qu’il y avait eu exercice d’une activité de recherche et de développement. La pièce A‑29 ne contenait pas de contrat relatif à l'achat de matériel conclu par Fertigel ou TD. Il a bien trouvé une facture de 7 888 $ de BN Métal, mais elle était adressée à l’Atelier la Corne d'Or (voir la pièce I‑1, onglet 16).

 

[76]         Lorsque le vérificateur a été contre‑interrogé par l'avocat des appelantes, celui‑ci lui a demandé s'il avait pris en compte, comme élément de preuve démontrant l'activité des sociétés appelantes, la tenue de livres, notamment celle faite par Samson Bélair pour TD. Le vérificateur a répondu qu'on ne lui avait jamais fourni les livres de cette société.

 

Analyse

 

[77]         Le ministre a refusé des CTI de 37 069 $ à TD et de 1 573 $ à Fertigel pour les périodes pertinentes. Les dispositions pertinentes édictant les conditions auxquelles on doit satisfaire pour avoir droit aux CTI sont celles du paragraphe 169(1) de la Loi sur la taxe d'accise (Loi):

 

169(1) Règle générale − Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d'une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu'elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l'importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable :

A × B

 

A   représente la taxe relative à la fourniture, à l'importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable;

B  :

 

a)   […]

b)   dans le cas où le bien ou le service est acquis, importé ou transféré dans la province, selon le cas, par la personne pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l'immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l'immobilisation;

c)   dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l'a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

169(1) General rule for [input tax] credits − Subject to this Part, where a person acquires or imports property or a service or brings it into a participating province and, during a reporting period of the person during which the person is a registrant, tax in respect of the supply, importation or bringing in becomes payable by the person or is paid by the person without having become payable, the amount determined by the following formula is an input tax credit of the person in respect of the property or service for the period:

 

A × B

where

 

A   is the tax in respect of the supply, importation or bringing in, as the case may be, that becomes payable by the person during the reporting period or that is paid by the person during the period without having become payable; and

B is

 

(a) […]

(b) where the property or service is acquired, imported or brought into the province, as the case may be, by the person for use in improving capital property of the person, the extent (expressed as a percentage) to which the person was using the capital property in the course of commercial activities of the person immediately after the capital property or a portion thereof was last acquired or imported by the person, and

(c) in any other case, the extent (expressed as a percentage) to which the person acquired or imported the property or service or brought it into the participating province, as the case may be, for consumption, use or supply in the course of commercial activities of the person.

 

[Je souligne.]

 

[78]         L'expression « activité commerciale » est définie au paragraphe 123(1) de la Loi :

 

 

123(1) Définitions − Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

 

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

 

a)   l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b)   les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l'exception de quelque projet ou affaire qu'entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l'affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c)   […]

 

 

123(1) Definitions − In section 121, this Part and Schedules V to X,

 

 

"commercial activity" of a person means

 

 

(a)  a business carried on by the person (other than a business carried on without a reasonable expectation of profit by an individual, a personal trust or a partnership, all of the members of which are individuals), except to the extent to which the business involves the making of exempt supplies by the person,

 

(b)  an adventure or concern of the person in the nature of trade (other than an adventure or concern engaged in without a reasonable expectation of profit by an individual, a personal trust or a partnership, all of the members of which are individuals), except to the extent to which the adventure or concern involves the making of exempt supplies by the person, and

 

(c[…]

 

 

[79]         Finalement, le terme « entreprise » est également défini au paragraphe 123(1) :

 

 

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

 

 

"business" includes a profession, calling, trade, manufacture or undertaking of any kind whatever, whether the activity or undertaking is engaged in for profit, and any activity engaged in on a regular or continuous basis that involves the supply of property by way of lease, licence or similar arrangement, but does not include an office or employment;

 

[Je souligne.]

 

[80]         Selon l'exposé du procureur de l'intimée, la première question que doit trancher la Cour est celle de savoir si les deux appelantes ont exercé des activités de nature commerciale durant les périodes pertinentes. Tel qu'il a déjà été mentionné, la vérification du ministre s'est arrêtée à cette question, c’est-à-dire que le vérificateur a conclu que les appelantes n'avaient pas exploité d'entreprise commerciale et que, par conséquent, elles n'avaient droit à aucun des CTI. Le vérificateur du ministre n'a jamais déterminé si les factures donnant droit aux CTI réunissaient toutes les autres conditions nécessaires prévues par la Loi et le règlement pertinent, ou si les dépenses en question pouvaient être considérées comme étant de nature personnelle. Le seul motif du refus, je le répète, était qu'il n'y avait aucune activité commerciale. À cet égard, j'avais informé le procureur de l'intimée qu'il avait le fardeau d'établir les faits justifiant tout autre motif pour refuser les CTI. Le procureur a reconnu, lors de sa plaidoirie, que sa preuve n'avait pas permis d'établir, notamment, que certaines des dépenses engagées par les appelantes étaient des dépenses de nature personnelle. Par conséquent, le sort de l'appel dépend entièrement du bien‑fondé du motif du ministre pour refuser les CTI, à savoir l'absence d'activité commerciale.

 

[81]         Si les appelantes avaient été des particuliers, j'aurais été porté à conclure que les activités exercées par elles l’étaient sans attente raisonnable de profit, compte tenu de l'ensemble de la preuve présentée devant moi. En effet, de 1995 à 2008, soit une période d’environ 14 ans, ni l'une ni l'autre appelante n'a généré une seule vente d’un produit fabriqué grâce au procédé prétendument révolutionnaire pour transformer du purin en engrais. Non seulement il n'y a eu aucune vente de produits durant les périodes pertinentes, mais j’entretiens de sérieux doutes si un processus viable de transformation de purin de porc en engrais existe vraiment. La seule activité lucrative qui pourrait exister est celle de monsieur Gingras, à suposer qu'il ait recueilli par la vente des actions de Fertigel des fonds dont le montant dépasse ses propres coûts. Mais le litige ne porte pas sur lui.

 

[82]         Par contre, la question se présente tout autrement pour des sociétés par actions comme les deux appelantes. En effet, une activité commerciale est définie comme étant l'exploitation d'une entreprise et il découle des exclusions que l'on trouve aux alinéas a) et b) de cette définition que l'attente raisonnable de profit ne constitue pas une condition nécessaire pour qu’il y ait activité commerciale dans le cas de sociétés par actions. Par conséquent, on doit s'en tenir uniquement à la définition d'entreprise du paragraphe 123(1), laquelle comprend « toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif » (« undertaking of any kind whatever, whether the activity or undertaking is engaged in for profit »). Les expressions employées ont un sens très large, assez large d’ailleurs, pour comprendre le travail d’un salarié ou d’un administrateur, puisqu’il y a une exclusion expresse à cet égard. Les « affaires quelconques » ne semblent pas comprendre, par contre, le fait de louer des biens, puisque le mot entreprise comprend, en plus de « toutes affaires quelconques », les activités exercées « de façon régulière ou continue » qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable.

 

[83]         À mon avis, les activités poursuivies par TD, telles qu’elles sont décrites dans le long exposé des faits plus haut, suffisent amplement pour constituer des « affaires quelconques » ou une « undertaking of any kind whatever ». Le fait de vouloir lancer une entreprise de transformation de purin en engrais, de procéder à la réalisation d’un programme de R&D et obtenir une licence de brevet, de faire l'acquisition du matériel nécessaire pour entreprendre un tel programme, d'engager des agronomes et des graphistes, et d'engager des professionnels pour obtenir un financement pour le programme de R&D, pour la construction d'une usine pilote et pour la préparation des états financiers constitue nettement l'exercice d’activités qui sont des affaires quelconques au sens de la Loi.

 

[84]         Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que le ministre a erré en droit lorsqu'il a conclu que ces activités ne pouvaient constituer une activité commerciale pour l'application de l'article 169 de la Loi. Je doute qu'il se soit demandé si les activités des deux appelantes pouvaient constituer une activité commerciale même s'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit. Il est fort possible que le ministre ait été justifié dans le calcul du revenu imposable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, de refuser en raison de l’absence d’une entreprise la déduction des dépenses engagées par les deux appelantes. Par contre, pour l'application de la Loi, cette question n'est pas pertinente lorsque la personne inscrite qui réclame des CTI est une société par actions.

 

[85]         Comme les appelantes ont réussi à démontrer qu'elles exerçaient une activité commerciale au cours des périodes pertinentes, elles ont réussi à démolir les cotisations du ministre, et ce dernier n'a pu justifier par d’autres motifs, tel qu’il est mentionné plus haut, le refus des CTI.

 

 

[86]         Pour toutes ces raisons, les appels de TD et de Fertigel sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis qu'elles avaient droit aux CTI demandés. Les appelantes ont droit à un seul ensemble de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e  jour de février 2009.

 

 

"Pierre Archambault"

Juge Archambault


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 67

 

 

Nºs DES DOSSIERS DE LA COUR : 2005-1757(GST)G et 2005‑1758(GST)I

 

 

INTITULÉS DES CAUSES :             TRAITEMENT DE DÉCHETS JRG INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE et

                                                          FERTIGEL INC.

                                                          c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 les 28 et 29 février 2008 et

                                                          les 22 et 23 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       l'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 2 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelantes :

Me Jean-Pierre Gagné

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes:

 

                     Nom :                            Me Jean-Pierre Gagné

                 Cabinet :                           Jean-Pierre Gagné, Avocat

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Selon la réponse à l'avis d'appel. Toutefois, l'avis de cotisation produit sous la cote I‑2,  à l’onglet 1, ne vise que la période du 20 décembre 2002 au 31 octobre 2003. Le procureur de l'intimée semble s'être fondé sur le bordereau de paiement plutôt que sur l'avis de cotisation.

[2]           Pièce I‑1, onglet 12, deuxième feuille, et pièce I‑2, onglet 4.

[3]           Lors de son témoignage, le vérificateur a confirmé que sa vérification s'était arrêtée à cette étape. Il n'a jamais vérifié si les dépenses avaient été engagées et payées, si les pièces justificatives étaient suffisantes ou si une partie de ces dépenses pouvaient être attribuables à des activités autres que des activités commerciales. Ainsi, il n'a pas vérifié si une partie des dépenses avaient été faites à des fins personnelles.

[4]           Il a avancé comme explication de la disparition de cette dette qu’elle avait été transférée à Fertigel. Pourtant, cette société n’existait pas au 31 octobre 2000, puisqu’elle n'a été constituée que le 18 janvier 2002.

[5]           On décrit l'activité de cette société dans la décision de la Commission comme un « projet de valorisation des déchets ». Voir pièce I‑12.

[6]           La date de ces événements n'est pas précisée, mais monsieur Gingras avait été convoqué en décembre 1991 devant la Commission. Voir pièce I‑12.

[7]           À ces revenus s'ajoutent ceux de son épouse, qui proviennent des deux mêmes sources.

[8]           Voir le paragraphe 64 ci-dessous.

[9]           Pièce A‑6. Il s'agit du seul contrat de licence produit à l'audience. En vertu de ce contrat, Fertigel devait payer 50 000 $ lors de la signature et verser une redevance de 10% sur toute vente de projet et/ou usine ou équipement de production et sur toute concession de sous-licence de n'importe quelle nature, ainsi qu’une redevance de 5% sur toute vente d'engrais et d'autres produits fabriqués en utilisant le procédé faisant l’objet de la licence (voir pièce A‑6, article 5, « Contrepartie »). Des ententes de licence antérieures avaient été signées en 1995 et/ou en 1998 entre monsieur Marchese et le « Groupe Gingras » (1985) et 3095‑2261 Québec inc. (1998) (voir pièce A‑6, page 7, article 11.1). En outre, à la pièce I‑1, onglet 16, à la page 39, on voit que le conseiller juridique de TD, Me Bernard Drapeau, notaire, dans une note d'honoraires, indique pour le 11 septembre 1997 des services rendus à TD pour la « Préparation d'un contrat de licence ».

[10]          Le procédé en question est aussi inscrit au registre de l'Office européen des brevets. Des brevets sont également enregistrés au Canada et aux États-Unis (voir la pièce A‑25, page 3, et la pièce A‑6).

[11]          Selon une description apparaissant dans un plan d'affaires du 14 août 2007, pièce A‑17, onglet 1, 4e feuille.

[12]          Le nom prévu de « Traitement de déchets I.G.M. » n'était pas disponible. Il a fallu en trouver un autre.

[13]          De façon surprenante, le montant des dépenses prévues au sommaire des coûts du projet correspond au montant indiqué aux états financiers au 31 octobre 1996 (pièce A‑47, page 7)!

[14]          Pièce I‑1, onglet 5. Il faut mentionner que les états financiers ont été préparés sous l'en-tête de monsieur Réjean Paillé et que CSA signifie « certificat en sciences administratives ». Quelqu'un qui ne prête pas attention à cette mention sur l'en-tête pourrait lire CGA, puisque le « S » ressemble également à un « G ». Ajoutons également que monsieur Paillé a déjà été comptable agréé et qu'il a été radié à vie par son ordre professionnel. Dans sa décision du 26 mars 1998 (pièce I-10), le comité de discipline de l'Ordre des comptables agréés du Québec conclut que monsieur Paillé a manqué à son devoir de fiduciaire en retirant des sommes de son compte en fiducie. Les événements qu’on lui reprochait avaient eu lieu au cours de l'année 1997. Dans l'exposé des faits de sa décision, le comité disciplinaire écrit que monsieur Paillé « s'est acoquiné avec un certain Moktar Zouaoui [...] pour arnaquer d'honnêtes commerçants, leur soutirant des sommes importantes. » À la page 4, on écrit que monsieur Paillé « est donc l'un des acteurs de plusieurs fraudes ». D'ailleurs, monsieur Paillé a plaidé coupable d’infractions à l'alinéa 465(1)c) du Code criminel et a été condamné le 11 février 1999. Selon cette disposition, « est coupable d'un acte criminel quiconque complote avec quelqu’un de commettre un acte criminel [...]. »

[15]          Pièce I-1, onglet 16, page 36. On trouve également, à la page 32 de l’onglet 16, une note d'honoraires de Me Drapeau en date du 17 juin 1996 pour un montant de 1 000 $ relativement à la préparation d'une convention entre actionnaires. Cette note d'honoraires est adressée à TD.

[16]          Pièce A‑41. Monsieur Gingras a indiqué sur des photos de l'équipement qui aurait été fabriqué à un coût d'environ 100 000 $ par B.N. Métal inc. Il s'agit de l'équipement apparaissant notamment sur les photos 3 E et 3 F de la pièce A‑12.

[17]          Il est intéressant de constater que le montant de 387 000 $ correspond presque au dollar près au montant prévu dans la demande de garantie présentée à la SDI en janvier 1996. Le montant des dépenses courantes admissibles de R&D qui y apparaissait s'élevait à 386 938 $.

[18]          Voir également les feuillets de renseignements T661 décrivant, avec photos, le projet de R&D (pièce A‑38).

[19]          Dans un document adressé à Environair SIPA (pièce A‑9), on trouve un sommaire des dépenses d’investissement qui indique que les débours s’élevaient, selon les états financiers au 31 octobre 1996, à 174 269 $, selon ceux au 31 octobre 1997, à 134 638 $, et selon ceux au 31 octobre 1998, à 81 896 $, pour un total de 390 803 $. Pour l'équipement prototype, on trouve un montant de 206 373 $.

[20]          Auxquelles s'ajoute une dette de 3 405,99 $ envers monsieur Gingras.

[21]          Selon le livre de procès-verbaux de Fertigel, monsieur Gingras aurait souscrit 100 000 actions de catégorie C additionnelles le 9 février 2005 pour une contrepartie de 1 000 $. Selon monsieur Gingras, cette somme n’a pas encore été payée et il se fie à son conseiller juridique pour lui rappeler sa dette.

[22]          En outre, monsieur Gingras a fait état d’une étude effectuée par le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement), et quand le BAPE a demandé une fiche technique pour avoir plus de renseignements sur le procédé consistant dans l’emploi de gélules, appelées Fertigel, monsieur Gingras s’est retiré de l’étude de l’efficacité de son produit menée par le BAPE.

[23]          S'agit‑il d'une erreur typographique de la part du comptable relativement à la catégorie d'actions? Il est inhabituel de présenter deux groupes d'actions de la même catégorie. Les 415 000 actions sont peut-être des actions de catégorie C, mais rien n’est certain. En effet, il est probable que le comptable n’a pas consulté les registres des transferts et les résolutions de Fertigel pour préparer ses états financiers. Il est à noter que le livre de procès-verbaux ne contient pas de résolution des actionnaires, sauf la résolution initiale prise lors de la constitution de Fertigel. Par conséquent, il n’y aurait eu d’élection d’un conseil d’administration pour aucune des années subséquentes à 2002.

[24]          Monsieur Asselin aurait signé, le 2 juin 2008, une nouvelle lettre, dans laquelle il se disait disposé à investir une somme de 100 000 $. Cette lettre d'intention n'était valide que pour une période de 30 jours.

Un autre investisseur, monsieur Jacques Goudreau, aurait signé le 2 juin 2008, une lettre semblable indiquant qu’il était prêt à investir une somme de 200 000 $ selon les mêmes conditions.

[25]          Selon le procureur des appelantes, ce monsieur aurait fait l'objet de nombreuses accusations d'infraction à la Loi sur les valeurs mobilières du Québec.

[26]          Saint‑Justin est situé à environ 10 km au nord de Louiseville.

[27]          Ces chiffres sont tirés des états financiers pour les deux sociétés pour la période couverte par le tableau.

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