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Dossier : 2007-3055 (IT)I

ENTRE :

741290 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Audience relative à la requête présentée par l’intimée en vue de l’annulation de l’avis d’appel de l’appelante, tenue le 28 septembre 2007 et poursuivie le 25 octobre 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge E. P. Rossiter

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Osborne G. Barnwell

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Samantha Hurst

 

ORDONNANCE

          Ayant rendu une décision à l’égard de la requête en annulation présentée par l’intimée :

 

LA COUR ORDONNE :

 

          La requête en annulation est rejetée en ce qui concerne les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, et l’intimée dispose d’un délai de 60 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer sa réponse à l’avis d’appel;

 

          La requête en annulation est accueillie en ce qui concerne les évaluations établies en vertu du Régime de pensions du Canada et celles établies en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi ou de la Loi sur l’assurance‑chômage;

 

          Le tout conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints.

 

          Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de janvier 2008.

 

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2008

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


 

 

Référence : 2008CCI55

Date : 20080130

Dossier : 2007-3055(IT)I

ENTRE :

741290 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Rossiter

 

A.      Introduction – Historique

 

[1]     L’appelante a fait l’objet de cotisations et d’évaluations, établies par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), pour avoir omis de verser les sommes retenues à la source de 1991 à 1999. L’appelante affirme ne jamais avoir reçu les avis de cotisation et d’évaluation pour les années d’imposition 1991 à 1999. L’intimée soutient de son côté que les avis ont été envoyés par la poste à l’appelante, à son adresse commerciale enregistrée, et qu’elle lui a en outre fourni, en 2006, des avis de cotisation et d’évaluation reconstitués. Dans l’intervalle, l’appelante : (1) a présenté cinq demandes en vertu des « dispositions d’équité » de la Loi de l’impôt sur le revenu (ou d’autres lois, le cas échéant); (2) a effectué de nombreux paiements dans son compte et a reçu des états de compte de façon continue; et (3) a eu des discussions avec des représentants de l’ARC. L’intimée a présenté une requête en vue de faire annuler l’appel.

 

B.    La question en litige

[2]     Une seule question est soulevée dans la requête.

 

L’appelante a‑t‑elle interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt dans le délai prescrit à l’égard des retenues à la source non versées, aux termes de la Loi sur l’assurance‑chômage (la « LAC »), de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « LAE »), du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») et de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »)?

 

C.      Les faits

[3]     L’appelante était une société qui exploitait une maison de soins infirmiers à Toronto (Ontario) au cours des années 1990 et qui a cessé ses activités en 1998. De 1991 à 1999, l’appelante a fait l’objet de cotisations et d’évaluations pour avoir omis de verser les sommes retenues à la source au titre de l’impôt sur le revenu, de l’assurance‑chômage et du RPC. L’ARC affirme avoir envoyé par la poste à l’appelante des avis de cotisation et d’évaluation entre le 13 avril 1992 et le 14 juillet 1999, à son adresse commerciale enregistrée, qui est demeurée la même pendant les dix années d’exploitation de l’établissement à Toronto. Au cours de cette période, l’appelante a effectué de nombreux paiements dans son compte courant et son compte d’arriérés à l’ARC. L’appelante a également demandé un allégement à cinq reprises en vertu des dispositions d’équité de la loi applicable :

 

1.    Le 13 juillet 1993, l’ARC a accordé un allégement à l’égard de la pénalité de 24 658,51 $ et des intérêts additionnels de 15 452,39 $ en ce qui concerne les dettes de l’appelante pour les années 1991 et 1992.

 

2.    Le 21 novembre 1994, l’ARC a rejeté la deuxième demande fondée sur l’équité que l’appelante avait présentée.

 

3.    Le 17 janvier 1997, l’ARC a rejeté la troisième demande fondée sur l’équité que l’appelante avait présentée.

 

4.    Le 15 mars 2001, l’ARC a rejeté la quatrième demande fondée sur l’équité que l’appelante avait présentée.

 

5.    Le 15 février 2004, la dirigeante de l’appelante, Stella Pinnock, s’est renseignée au sujet d’autres demandes qu’elle avait faites à l’ARC lorsqu’elle avait cherché à interjeter appel devant le Comité d’examen de l’équité.

 

6.    Le 3 mars 2004, l’appelante a été avisée qu’aucun autre examen ne serait effectué tant que les appels concernant l’appelante, en ce qui a trait à la responsabilité d’administrateurs de M. et Mme Pinnock, ne seraient pas réglés.

 

7.    Le 15 novembre 2005, une cinquième demande fondée sur l’équité que l’appelante avait présentée a été rejetée.

 

[4]     L’ARC a également obtenu trois certificats et brefs de saisie de la Cour fédérale du Canada à l’égard des montants à payer par suite de l’omission de l’appelante de verser les sommes retenues à la source, ainsi que les pénalités et les intérêts (8 décembre 1994, 29 septembre 1998 et 17 janvier 2005).

 

[5]     Le 25 novembre 2005, l’appelante a demandé à la Cour fédérale du Canada la suspension de la mesure de perception que l’ARC avait prise contre elle; c’est dans le cadre de cette instance que l’ARC a reconstitué, en 2006, les avis de cotisation et d’évaluation.

 

[6]     Le 23 janvier 2007, l’appelante a tenté de déposer auprès de l’ARC quatre‑vingt‑sept avis d’opposition concernant les avis de cotisation et d’évaluation.

 

[7]     Le 22 mars 2007, l’ARC a informé l’appelante par lettre que le délai dans lequel elle pouvait s’opposer aux cotisations et aux évaluations était expiré et que les oppositions ne seraient pas acceptées.

 

[8]     Le 2 avril 2007, l’ARC a de nouveau informé l’appelante que les oppositions ne seraient pas acceptées parce qu’elles avaient été déposées plusieurs années après l’expiration du délai applicable.

 

[9]     Le 21 juin 2007, l’appelante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

D.    Position des parties

 

1.    Position de l’appelante

[10]    L’appelante prend la position suivante :

 

(1) elle n’a jamais reçu les avis de cotisation et d’évaluation et elle affirme que la seule preuve sur ce point dans le cadre de la requête est l’affidavit de la dirigeante de l’appelante, Stella Pinnock, déclarant que l’appelante n’a jamais reçu les avis de cotisation et d’évaluation;

 

(2) le délai d’appel ne commence à courir qu’au moment où l’appelante a effectivement reçu notification des cotisations et des évaluations, ce qui ne s’est produit que lorsque l’appelante a reçu les avis de cotisation et d’évaluation reconstitués, de sorte que les avis d’opposition ont été déposés à temps;

 

(3) l’appelante doit connaître le contenu réel des cotisations et des évaluations, et non simplement être au courant de leur existence;

 

(4) l’intimée n’a pas prouvé devant la Cour que les avis de cotisation et d’évaluation avaient de fait été envoyés par la poste à l’appelante comme l’exigent la LIR, le RPC et la LAE.

 

2.    Position de l’intimée

 

[11]    L’intimée prend la position suivante : (1) les avis de cotisation et d’évaluation ont été envoyés par la poste à l’appelante; (2) il existe bon nombre d’éléments de preuve démontrant que l’appelante était au courant des cotisations et des évaluations, étant donné qu’elle avait présenté cinq demandes fondées sur l’équité, qu’elle avait effectué des paiements dans le compte, qu’elle avait reçu des états de compte de l’ARC et qu’elle avait eu des discussions de façon continue avec l’ARC.

 

E.  Analyse

 

1.  Délais

 

[12]    Pour voir si l’appelante a déposé en temps opportun, le 23 janvier 2007, ses quatre‑vingt‑sept avis d’opposition aux cotisations et évaluations établies par l’ARC, il faut examiner les délais applicables. En raison des modifications législatives apportées entre 1991 et 1999, les délais varient selon le moment où chaque avis de cotisation ou d’évaluation a été délivré.

 

(A) Loi de l’impôt sur le revenu

Le paragraphe 165(1) de la LIR prévoit notamment ce qui suit :

Le contribuable qui s’oppose à une cotisation prévue par la présente partie peut signifier au ministre, par écrit, un avis d’opposition exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents, dans les délais suivants :

[...]

b) dans les autres cas, au plus tard le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation. [Non souligné dans l’original.]

 

       (B) Régime de pensions du Canada

Le délai applicable aux oppositions présentées en vertu du RPC a été modifié en 1997. Les appels en matière de révision interjetés avant le 18 décembre 1997 sont régis par l’ancien paragraphe 27(2) du RPC, qui est ainsi libellé :

 

Lorsque le ministre a évalué le montant payable par un employeur aux termes de la présente loi, l’employeur ou son représentant peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours de l’envoi par la poste de l’avis d’évaluation, en appeler au ministre pour demander que soit reconsidérée l’obligation de verser un montant ou le montant ainsi évalué.

 [Non souligné dans l’original.]

 

Le délai qui s’applique aux appels interjetés en vertu du RPC le 18 décembre 1997 ou après cette date est prévu à l’article 27.1 du RPC :

 

Lorsqu’une somme payable par lui a été évaluée par le ministre au titre de l’article 22, l’employeur peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la date à laquelle il reçoit l’avis d’évaluation, demander au ministre de réviser l’évaluation quant à la question de savoir s’il y a matière à évaluation ou quel devrait être le montant de celle‑ci.

     [Non souligné dans l’original.]

 

 

       (C)  Loi sur l’assurance-emploi – Loi sur l’assurance-chômage

 

Par ailleurs, tout appel en matière de révision interjeté avant le 30 juin 1996 est régi par le paragraphe 61(2) de la LAC, qui est ainsi libellé :

 

Lorsque le ministre a évalué une somme payable par un employeur en vertu de la présente loi, l’employeur peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours de la date d’expédition par la poste de l’avis d’évaluation, demander au ministre de reconsidérer l’évaluation, quant à la question de savoir s’il y a matière à évaluation ou quel devrait être le montant de l’évaluation.

 [Non souligné dans l’original.]

 

 

Si l’appel se rapporte à une évaluation établie le 30 juin 1996 ou après cette date, le délai applicable est celui prévu à l’article 92 de la LAE, qui prévoit ce qui suit :

 

Lorsque le ministre a évalué une somme payable par un employeur au titre de l’article 85, l’employeur peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la date à laquelle il reçoit l’avis d’évaluation, demander au ministre de reconsidérer l’évaluation quant à la question de savoir s’il y a matière à évaluation ou quel devrait être le montant de celle‑ci.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]    En résumé, les délais sont les suivants :

 

1.     En vertu de la LIR, l’avis d’opposition doit être signifié au plus tard le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation.

 

2.           Le délai mentionné au paragraphe 1 s’applique également aux questions se rapportant au RPC et à la LAC, si l’appel en matière de révision, interjeté en vertu du RPC, vise une évaluation établie avant le 18 décembre 1997 et, en vertu de la LAC, s’il vise une évaluation se rapportant à une question qui est survenue avant le 30 juin 1996.

 

3.           Dans les évaluations relatives au RPC qui ont été établies le 18 décembre 1997 ou après cette date, et dans les évaluations établies en vertu de la LAE qui se rapportent à des questions qui sont survenues le 30 juin 1996 ou après cette date, les appels en matière de révision doivent être signifiés au ministre dans les 90 jours suivant la date de notification de l’évaluation.

 

Il importe de noter que la notification se distingue nettement de l’envoi par la poste de l’avis de cotisation ou d’évaluation et que, par conséquent, les délais sont différents.

 

2.    Cotisations et évaluations exigeant un envoi par la poste

[14]    Quant à l’envoi par la poste, plusieurs dispositions législatives rendent la charge de la preuve plus facile pour l’intimée lorsqu’il s’agit d’établir qu’un délai a commencé à courir.

 

       (A)  Loi de l’impôt sur le revenu

 

[15]    Le paragraphe 244(14) de la LIR prévoit que, lorsqu’un avis de cotisation a été envoyé par la poste, il est présumé avoir été mis à la poste à la date inscrite sur l’avis de cotisation :

 

Pour l’application de la présente loi, la date de mise à la poste [...] d’un avis de cotisation ou de détermination est présumée être la date apparaissant sur cet avis ou sur cette notification.

 

[16]    De plus, si l’avis de cotisation a été envoyé par courrier de première classe, l’avis est réputé, en vertu du paragraphe 248(7) de la LIR, avoir été reçu par le contribuable le jour de sa mise à la poste :

 

Pour l’application de la présente loi :

 

a) tout envoi en première classe ou l’équivalent, sauf une somme remise ou payée qui est visée à l’alinéa b), est réputé reçu par le destinataire le jour de sa mise à la poste; [...]

 

[17]    La présomption selon laquelle quelque chose a été reçu à la date de sa mise à la poste n’est pas réfutable. Voir Schafer v. R., [2000] G.S.T.C. 82 (C.A.F.). Voir également McClelland v. R., [2007] 5 C.T.C. 109 (C.A.F.).

 

[18]    Ces dispositions ont créé la présomption suivante : si le ministre peut établir qu’un avis de cotisation a été envoyé par la poste, le délai commence à courir à la date inscrite sur l’avis de cotisation.

 

[19]    Le ministre bénéficie d’une présomption additionnelle, à savoir que dans les circonstances appropriées, une copie d’un document constitue une preuve du document original. Cette présomption est énoncée au paragraphe 244(9) de la LIR :

 

Un affidavit d’un fonctionnaire du ministère du Revenu national, souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu’il a la charge des registres appropriés et qu’un document qui y est annexé est un document, ou une copie conforme d’un document, fait par ou pour le ministre ou une autre personne exerçant les pouvoirs du ministre, ou par ou pour un contribuable, doit être reçu comme preuve, sauf preuve contraire, de la nature et du contenu du document et doit être admis comme preuve et avoir la même valeur probante qu’aurait eue le document original si sa véracité avait été prouvée de la manière ordinaire.

 

 [20]   Cette présomption pourrait être utile à l’intimée, étant donné qu’il n’existe pas de copies des avis de cotisation originaux selon la preuve soumise dans la présente requête. Avec une preuve par affidavit suffisante pour étayer les avis de cotisation reconstitués, ces documents peuvent être acceptés comme copies conformes des avis de cotisation originaux.

 

[21]    De plus, dans les circonstances appropriées, l’intimée peut se prévaloir de la présomption selon laquelle certains documents, y compris les avis, ont été envoyés par la poste. Le paragraphe 244(5) de la LIR prévoit ce qui suit :

 

Lorsque la présente loi ou son règlement prévoit l’envoi par la poste d’une demande de renseignements, d’un avis ou d’une demande formelle, un affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada, souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu’il est au courant des faits de l’espèce, que la demande, l’avis ou la demande formelle en question a été adressée, par lettre recommandée, à une date indiquée, à la personne à qui elle a été adressée (fournissant cette adresse) et qu’il identifie comme pièces attachées à l’affidavit, le certificat de recommandation de la lettre fourni par le bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat et une copie conforme de la demande, de l’avis ou de la demande formelle, doit être reçu comme preuve, sauf preuve contraire, de l’envoi ainsi que de la demande, de l’avis ou de la demande formelle.

 

       B.  Régime de pensions du Canada

 

[22]    Le RPC incorpore par renvoi l’article 244 de la LIR dans son paragraphe 23(2). La version du RPC antérieure à 1997 renfermait une disposition similaire.

 

       C.  Loi sur l’assurance-emploi

 

[23]    En ce qui concerne l’envoi par la poste, la LAE renferme une disposition déterminative plutôt qu’une présomption en matière de preuve. Le paragraphe 85(4) de la LAE prévoit ce qui suit :

 

La date d’expédition par la poste d’un avis d’évaluation visé au paragraphe (2) est réputée, à défaut de preuve contraire, être la date qui, au vu de cet avis, paraît être la date d’expédition, sauf si elle est contestée par le ministre ou par une personne agissant pour lui ou pour Sa Majesté.

 

[24]    Avant d’indiquer ce qui est exigé de l’intimée dans la présente requête en annulation, il convient de mentionner que l’appelante, dans la défense qu’elle a déposée dans le cadre de cette requête, a insisté sur l’affidavit du 20 septembre 2007 de Stella Pinnock, dirigeante de l’appelante qui administrait les affaires de celle-ci; au paragraphe 2, elle a déclaré notamment que :

 

[traduction]

[...] Je déclare d’une façon catégorique que la société n’a jamais reçu d’avis de cotisation ou d’évaluation concernant des divergences dans les cotisations et évaluations établies de façon continue à l’égard des retenues à la source.

 

[25]    La position de l’appelante est essentiellement qu’elle n’a jamais reçu les avis de cotisation et d’évaluation que l’intimée lui aurait censément envoyés par la poste, et non que l’intimée ne lui a jamais envoyé par la poste les avis de cotisation et d’évaluation. Il y a une différence importante entre l’argument selon lequel l’intimée n’a jamais mis à la poste les avis de cotisation et d’évaluation et l’assertion selon laquelle l’appelante n’a jamais reçu les avis de cotisation et d’évaluation. Dans l’arrêt Schafer, précité, il a été conclu que la réception par un contribuable d’un avis de cotisation n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer le délai applicable au dépôt d’un avis d’opposition. La contribuable dans cette affaire s’opposait à la requête pour le seul motif qu’elle n’avait pas reçu l’avis de cotisation. En l’espèce, l’appelante a cité diverses décisions portant sur la question de savoir si l’ARC avait envoyé par la poste un avis de cotisation ou d’évaluation : Aztec Industries Inc. v. Canada, [1995] 1 C.T.C. 327 (C.A.F.), Katepwa Park Golf Partnership v. Canada, [2000] 3 C.T.C. 2043 (C.C.I.) et Central Springs Ltd. v. Canada, 2006 D.T.C. 3597 (C.C.I.). Bien qu’il soit fait mention de l’envoi par la poste dans la requête de l’appelante, celle-ci soutient que les cotisations et évaluations n’ont pas été reçues et elle a affirmé à maintes reprises que la Cour avait devant elle des éléments de preuve non controversés et non contestés provenant de l’affidavit susmentionné de Stella Pinnock. Cet affidavit ne constitue pas une preuve démontrant que les avis de cotisation et d’évaluation n’ont pas été envoyés par la poste; il s’agit simplement d’une preuve démontrant que l’appelante n’a pas reçu les avis de cotisation et d’évaluation, et, par conséquent, compte tenu de l’arrêt Schafer, précité, cet argument est rejeté.

 

[26]    En examinant ce qui est exigé de l’intimée dans la présente requête en annulation, je me reporte à l’affaire Aztec Industries Inc., précitée, dans laquelle la contribuable avait présenté une demande à la Cour canadienne de l’impôt en vue d’obtenir une prorogation du délai pour le dépôt d’un avis d’opposition. La Cour avait rejeté la demande au motif que le délai applicable était déjà expiré. La Cour d’appel fédérale a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Cour canadienne de l’impôt et a conclu que le ministre n’avait pas présenté de faits permettant d’établir qu’un avis de cotisation avait été envoyé à la contribuable. Le ministre avait uniquement pu établir que des demandes de paiement finales avaient été envoyées à la contribuable. La Cour d’appel fédérale a accueilli la demande et a ordonné à la Cour canadienne de l’impôt de rejeter la demande de prorogation de délai pour des motifs différents. Aucune explication n’a été donnée, mais la Cour d’appel semblait être d’avis que, étant donné que la mise à la poste de l’avis de cotisation n’avait pas été prouvée, la contribuable n’avait pas besoin d’une prorogation de délai pour déposer un avis d’opposition. Au paragraphe 12 de l’arrêt, le juge Hugessen a affirmé ce qui suit :

 

Lorsque, comme en l’espèce, le contribuable affirme non seulement qu’il n’a pas reçu l’avis de cotisation, mais encore que cet avis n’a jamais été émis, c’est au ministre qu’il incombe de prouver l’existence de l’avis et la date de sa mise à la poste; lui seul est en possession de ces faits et lui seul peut en administrer la preuve. Diverses dispositions de la Loi confirment que la charge de la preuve incombe au Ministre à cet égard et visent manifestement à l’alléger.

 

[27]    De plus, dans cette affaire‑là, la preuve soumise par l’ARC était constituée uniquement de simples assertions indiquant que les cotisations avaient été mises à la poste. Or, lors du contre‑interrogatoire, il a été révélé que le déposant n’avait commencé à s’occuper du dossier qu’environ neuf ans après l’expédition des présumés avis de cotisation et qu’il n’avait pas travaillé au bureau des services fiscaux dans lequel les avis auraient été établis puis expédiés.

 

[28]    En l’espèce, il n’a pas été allégué ni soutenu que les avis de cotisation et d’évaluation n’avaient pas été mis à la poste; il a seulement été soutenu que les avis n’avaient pas été reçus. L’appelante a peut‑être supposé que, si les avis de cotisation et d’évaluation n’avaient pas été reçus, ils n’avaient pas été mis à la poste. C’est au ministre néanmoins qu’incombe la charge de prouver que ces avis ont été mis à la poste. L’arrêt Aztec établit la norme à laquelle l’intimée doit satisfaire afin de démontrer qu’un avis de cotisation ou d’évaluation a été mis à la poste.

 

[29]    Dans la décision Central Springs Ltd. v. Canada, précitée, la contribuable sollicitait une ordonnance prorogeant le délai dans lequel elle pouvait produire un avis d’opposition. Le ministre avait soumis un affidavit d’une représentante de l’ARC déclarant que les documents pertinents étaient sous son contrôle et que les avis de cotisation avaient été envoyés. Or, compte tenu de l’affidavit et du contre‑interrogatoire de la représentante de l’ARC, la Cour avait estimé que la représentante n’exerçait aucun contrôle sur l’ordinateur dans lequel étaient stockés tous les documents pertinents et qu’elle n’était pas non plus au courant du processus d’envoi par la poste des avis de cotisation. La Cour a préféré retenir la preuve non contestée produite par les représentants de l’appelante. Selon ceux-ci, l’appelante n’avait pas eu connaissance des avis de cotisation parce qu’ils s’étaient entendus avec deux représentants de l’ARC pour qu’aucun avis de cotisation ne soit délivré en attendant l’issue d’un long procès auquel participait l’appelante. Cette décision semble étayer l’avis que, pour que l’ARC établisse que les avis de cotisation ont été envoyés, une simple assertion de la part d’un représentant de l’ARC doit l’emporter sur la preuve soumise par l’appelante. Il s’agit de savoir si une simple assertion de la part d’un représentant de l’ARC constitue une preuve suffisante pour établir que les avis de cotisation ont été mis à la poste.

 

[30]    Les principes énoncés dans l’arrêt Aztec Industries Inc., précité, ont été suivis dans plusieurs décisions, notamment Kovacevic v. Canada, [2002] 4 C.T.C. 2325 (C.C.I.), Massarotto v. R., [2000] G.S.T.C. 19 (C.C.I.), Rick Pearson Auto Transport Inc. v. Canada, [1996] G.S.T.C. 44 (C.C.I.).

 

[31]    L’élément commun de toutes ces décisions est l’obligation incombant au ministre de soumettre une preuve établissant que les avis de cotisation ou d’évaluation ont été mis à la poste. Il est rare qu’un témoignage puisse être fourni par quelqu’un au sein de l’ARC qui se rappelle avoir envoyé un avis de cotisation ou d’évaluation en particulier, et l’ARC s’acquitterait normalement de cette obligation en soumettant des affidavits ou en citant des témoins à témoigner au sujet de la procédure d’établissement d’un avis de cotisation et des formalités habituelles de mise à la poste suivies par l’ARC (voir par exemple le type de preuve soumise dans la décision Abraham v. R., [2004] 5 C.T.C. 2149 (C.C.I.)). La preuve produite par l’ARC se verra accorder plus de poids lorsqu’un plus grand nombre de détails de la procédure sont donnés et que la preuve soumise n’est pas compromise lors du contre‑interrogatoire.

 

[32]    Il importe également de mentionner la décision Tomaszewski v. R., [2004] 2 C.T.C. 2341 (C.C.I.), dans laquelle la juge Woods a examiné la faible preuve présentée à l’appui de la prétention de l’ARC selon laquelle un avis de cotisation avait été envoyé. La juge Woods a conclu que le fait que l’appelant avait connaissance de sa dette fiscale ne permettait pas pour autant d’affirmer que l’avis de cotisation avait été mis à la poste.

 

[33]    Quelle preuve a‑t‑on présenté pour établir que les avis de cotisation et d’évaluation avaient été mis à la poste, de manière que l’intimée puisse se prévaloir de l’article 244 et du paragraphe 248(7) de la LIR, du paragraphe 23(2) du RPC et du paragraphe 85(4) de la LAE et de manière que les délais prévus au paragraphe 165(1) de la LIR, à l’ancien paragraphe 27(2) du RPC et au paragraphe 61(2) de la LAC puissent commercer à courir?

 

[34]    Il existe très peu d’éléments de preuve à l’appui de la position de l’intimée selon laquelle les avis de cotisation et d’évaluation ont été envoyés par la poste au cours de la période de 1991 à 1999. Premièrement, il y a une déclaration, au paragraphe 26 du mémoire des faits et du droit de l’intimée, selon laquelle l’affidavit de Mme Ebanks établit que les cotisations et évaluations contestées ont été [traduction] « envoyées par la poste ou communiquées de quelque autre façon » à l’appelante. Or, la loi exige l’envoi par la poste. Le délai prévu pour le dépôt d’un avis d’opposition ou l’introduction d’un appel ne commence pas à courir du seul fait qu’une cotisation ou une évaluation est [traduction] « communiquée de quelque autre façon ». L’unique mention, dans l’affidavit du 28 août 2007 de Mme Ebanks, du fait que les avis de cotisation et d’évaluation originaux avaient été mis à la poste se trouve au paragraphe 4 de l’affidavit :

 

[traduction] Comme il en a été fait mention aux paragraphes 87 et 88 de l’affidavit susmentionné, j’ai fait établir 93 avis de cotisation et d’évaluation reconstitués, dont les avis originaux avaient été envoyés par la poste à l’appelante au cours de la période du 13 avril 1992 au 14 juillet 1999.

 

Deuxièmement, au paragraphe 8 de son affidavit du 25 octobre 2006, Mme Ebanks déclare ce qui suit :

 

[traduction] L’ARC a établi de nombreuses cotisations et évaluations à l’encontre de 741290 au titre de l’impôt des employés non versé, des cotisations des employés au RPC et à l’AE non versées et des cotisations des employeurs au RPC et à l’AE non versées, pour les années d’imposition 1988 à 1998 inclusivement.

 

Troisièmement, aux paragraphes 73 et 74 de son affidavit du 25 octobre 2006, Mme Ebanks déclare ce qui suit :

 

[traduction]

73  En dernier lieu, au paragraphe 21 de son affidavit, Mme Pinnock semble nier le fait que la société a reçu des avis de cotisation et d’évaluation au titre de l’impôt des sociétés ou des retenues sur la paie au cours de la vingtaine d’années d’existence de la société. Cela semble incroyable. Certaines cotisations et évaluations ont été établies par suite des vérifications des feuilles de paie. Je crois comprendre qu’un représentant du contribuable (la société) doit normalement signer une vérification des feuilles de paie.

 

74  De plus, au paragraphe 21 de son affidavit, elle soutient que l’ARC a fait savoir qu’aucun avis de cotisation ou d’évaluation n’était « disponible ». Elle ne précise pas à quelle personne, au sein de l’ARC, elle a demandé des copies des cotisations et des évaluations, ni à quel moment la demande a été faite. Elle ne donne pas de précisions au sujet de ce qui est disponible ou de ce qui n’est pas disponible. Je ne puis trouver dans le dossier de perception de l’ARC aucune demande que Mme Pinnock ou la société aurait faite en vue d’obtenir des copies des divers avis de cotisation et d’évaluation. Les avis de cotisation et d’évaluation sont délivrés au contribuable. Je joins aux présentes la pièce « HH », qui est une copie certifiée conforme d’un extrait du manuel de paie en direct de l’ARC, qui explique les circonstances dans lesquelles sont établies des cotisations relatives aux retenues sur la paie ainsi que les modalités y afférentes. L’ARC ne conserve pas de copies, mais les renseignements figurant dans la cotisation ou dans l’évaluation sont conservés. Un avis de cotisation ou d’évaluation peut être reconstitué par l’ARC à partir des renseignements consignés dans son système informatique, mais sa création prend du temps. Je joins aux présentes sous la cote « II » la pièce renfermant les passages du manuel de paie de l’ARC dans lesquels des explications sont données à ce sujet.

 

Ces déclarations, aux paragraphes 8, 73 et 74 précités de l’affidavit du 25 octobre 2006 de Mme Ebanks, donnent uniquement à entendre que l’ARC a établi les cotisations et les évaluations; elles n’indiquent pas si les cotisations et les évaluations ont été mises à la poste.

 

Quatrièmement, au paragraphe 87 de son affidavit du 25 octobre 2006, Mme Ebanks déclare ce qui suit :

 

[traduction] Étant donné que la question des arriérés a été contestée, j’ai fait préparer des avis de cotisation et d’évaluation reconstitués pour la période se rapportant à ces arriérés. [...] Les renseignements énoncés dans chacun de ces avis de cotisation et d’évaluation reconstitués sont ceux qui sont stockés dans l’ordinateur central de l’ARC.

 

Ces renseignements peuvent être utiles dans la mesure où ils établissent le contenu probable de l’avis de cotisation ou d’évaluation original, mais ils n’indiquent pas si l’avis original a effectivement été délivré ou envoyé par la poste à la contribuable.

 

La déposante a déclaré à peu près la même chose au paragraphe 4 de son affidavit du 28 août 2007.

 

Cinquièmement, au paragraphe 14 de son affidavit du 27 août 2007, Mme Ebanks affirme que les avis de cotisation et d’évaluation ont été délivrés au cours de la période de neuf ans s’étendant de 1991 à 1999. Il s’agit là d’une simple assertion de sa part, qui n’indique pas si les avis ont été mis à la poste, qui a mis les avis à la poste, à quel moment les avis ont été mis à la poste, le bureau d’où les avis ont été envoyés par la poste et aucun autre renseignement pouvant confirmer l’envoi par la poste.

 

Enfin, deux lettres ont été produites en preuve. La première est une lettre de Karyn Thuss, chef d’équipe, Appels RPC/AE, portant la date du 22 mars 2007, et la seconde est une lettre de Mark Okonski, chef d’équipe des CGA, Appels, portant la date du 2 avril 2007. Dans la lettre de Mme Thuss, il n’est pas fait mention de l’envoi par la poste des cotisations et des évaluations; il y est seulement fait mention des 90 jours suivant la notification des cotisations et des évaluations. Il s’agissait ici des cotisations et des évaluations des années 1991 à 1998. La lettre de M. Okonski se rapporte à une opposition présentée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu; il y est aussi fait mention des cotisations et des évaluations établies entre les années 1991 et 1999, mais rien n’est dit au sujet de leur envoi par la poste. Dans les deux lettres, on a indiqué que les avis d’opposition avaient été produits trop tard, sans préciser sur quoi on se fondait et sans faire mention des recherches effectuées dans le système informatique de l’ARC ou du moment auquel les cotisations ou les évaluations avaient été mises à la poste.

 

[35]    Il n’y a pas d’éléments de preuve établissant quand, où, comment et par qui les avis de cotisation ou d’évaluation originaux ont été envoyés par la poste à l’appelante. Étant donné l’absence de preuve établissant les détails de l’envoi par la poste des avis de cotisation ou d’évaluation à l’appelante, la requête présentée par l’intimée pour faire annuler l’avis d’appel, qui se rapporte aux avis de cotisations délivrés en vertu de la LIR et aux avis d’évaluation délivrés en vertu du RPC pour la période antérieure au 18 décembre 1997, ainsi qu’aux avis d’évaluation délivrés en vertu de la LAC pour la période antérieure au 30 juin 1996, devrait être rejetée pour ce seul motif; toutefois, nous reviendrons ci‑dessous sur ce point.

 

3.    Évaluations exigeant une notification

[36]    Il reste encore la question des évaluations établies en vertu du RPC pour la période à compter du 18 décembre 1997 et des évaluations établies en vertu de la LAE pour la période à compter du 30 juin 1996.

 

[37]    En vertu du RPC, le délai actuellement applicable aux appels concernant les évaluations établies le 18 décembre 1997 ou après cette date est de 90 jours suivant la date à laquelle l’employeur reçoit l’avis d’évaluation (article 27.1).

 

[38]    Le délai actuellement applicable aux appels portant sur les évaluations établies en vertu de la LAE le 30 juin 1996 ou après cette date est de 90 jours suivant la date à laquelle l’employeur reçoit l’avis d’évaluation (article 92).

 

[39]    Dans la décision Sajim c. M.R.N., [1989] A.C.F. no 821 (1re inst.), confirmée par [1990] A.C.F. no 232 (C.A.), la question en litige était de savoir si un avocat avait dûment reçu signification de la décision rendue par le ministre en vertu de la Loi sur les douanes. Selon les exigences de cette loi, la signification devait être faite par courrier recommandé, mais le délai de 90 jours commençait à courir seulement au moment où l’intéressé était notifié. La Cour fédérale a conclu que la notification avait lieu au moment où l’avis était reçu par l’avocat, et non au moment où il avait été envoyé.

 

[40]    Cette cour a conclu qu’il était loisible au demandeur de contester le moment de la réception d’un avis, même si la Couronne pouvait établir la date de la mise à la poste. Dans l’arrêt Brière c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1988) 93 N.R. 115 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 57, le juge Lacombe a affirmé qu’en droit le mot « notifier » signifie : « porter à la connaissance d'une personne intéressée et dans les formes légales (un acte juridique) ». Dans la décision Hornby (Re), [1993] A.C.F. no 431 (1re inst.), la Cour fédérale a cité le dictionnaire Petit Robert, édition de 1982,  pour affirmer que le mot « informer » signifie : « Mettre au courant (de qqch.), faire part (à qqn.). V. apprendre, avertir, aviser, éclaircir, éclairer, enseigner, instruire, notifier, prévenir, renseigner [...]. » La Cour d’appel a également conclu que l’action d’informer impliquait la prise de mesures concrètes par la partie qui procédait à la notification.

 

[41]    Ces précédents laissent entendre que le contribuable doit effectivement avoir reçu un avis quelconque de l’évaluation dont il a fait l’objet. Cela ne veut pas nécessairement dire que le contribuable doit recevoir l’évaluation en tant que telle. La version anglaise des lois respectives ne fait pas mention d’un délai de quatre‑vingt‑dix jours suivant la réception de l’avis d’évaluation, mais d’un délai de « 90 days after being notified of the assessment » (quatre‑vingt‑dix jours après avoir reçu notification de l’évaluation). Si le contenu et l’effet d’une communication faite à l’employeur font en sorte qu’il soit informé du contenu de l’évaluation, cela peut constituer un avis suffisant. L’employeur serait en mesure de contester et de protéger ses droits légaux.

 

[42]    Il s’agit alors de savoir si l’intimée a établi que l’appelante avait de fait reçu notification des évaluations. Compte tenu de la preuve soumise à la Cour, j’estime que l’appelante a reçu notification de ses obligations relatives aux évaluations.

 

Premièrement, l’appelante a effectué des paiements dans son compte courant et au titre des arriérés conformément aux avis d’évaluation. Cela démontre que l’appelante était du moins au courant de l’existence de ses obligations relatives aux évaluations.

 

Deuxièmement, l’appelante a présenté cinq demandes fondées sur l’équité, dont une a été accueillie. Il semble plutôt étrange que l’appelante soit suffisamment au courant de l’existence de ses obligations relatives aux évaluations pour contester les intérêts et les pénalités qui en découlent et, en même temps, qu’elle ne soit pas suffisamment au courant de leur nature en affirmant ne pas avoir reçu notification des évaluations. Cela est tout à fait contradictoire.

 

Troisièmement, l’intimée a envoyé plusieurs états de compte à l’appelante au sujet de ses obligations relatives aux évaluations. Ces états ont été établis à la suite des demandes faites par l’appelante et visaient à lui donner les détails des évaluations.  Compte tenu de ce que veut dire selon moi le mot « notifier », ces états, avec d’autres renseignements connus de l’appelante, pourraient tenir lieu de notification des avis d’évaluation.

 

Quatrièmement, l’ARC a obtenu trois certificats et brefs de saisie à l’encontre de l’appelante – les 8 décembre 1994, 29 septembre 1998 et 17 janvier 2005. De tels certificats et brefs devaient pour le moins permettre à l’appelante de se rendre compte que quelque chose n’allait pas.

 

Cinquièmement, trois privilèges ont été enregistrés sur les biens de l’appelante, les 10 novembre 2004, 28 octobre 2004 et 21 février 2005 respectivement.

 

[43]    Compte tenu de la preuve mise à ma disposition, il est presque impossible d’affirmer que l’appelante n’a pas reçu notification de ses obligations relatives aux évaluations; bien au contraire, l’appelante a manifestement reçu notification de ses obligations, ne serait‑ce pour la seule raison qu’elle a présenté de nombreuses demandes en vertu des dispositions d’équité. Comment les demandes fondées sur les dispositions d’équité de la LIR (ou de la LAE ou du RPC, le cas échéant) auraient‑elles pu être présentées si l’appelante n’avait pas reçu notification des évaluations?

 

[44]    Dans le cadre de la défense présentée à l’encontre de la requête, Stella Pinnock a déclaré, dans son affidavit, qu’elle était préoccupée par le fait d’avoir à obtenir des fonds pour payer l’ARC et d’avoir à traiter avec des employés syndiqués et à s’occuper de questions financières; or cet argument ne saurait aucunement constituer un moyen de défense.

 

[45]    Il est bien évident qu’il fallait que l’appelante ait été notifiée ou ait eu connaissance des évaluations établies en vertu du RPC et de la LAE pour être en mesure de présenter une demande fondée sur l’équité. (L’article 99 de la LAE et le paragraphe 23(2) du RPC incorporent tous deux par renvoi le paragraphe 220(3.1) de la LIR, qui prévoit un allégement à l’égard des intérêts accordé au titre de l’équité). En présumant que la toute dernière demande fondée sur l’équité a été présentée et rejetée le même jour, soit le 15 novembre 2005, le délai commencerait à courir à cette date. Je mentionne les demandes fondées sur l’équité uniquement parce que ce sont des demandes présentées par l’appelante. Il y a également les autres éléments de preuve mentionnés, qui démontrent que l’appelante devait avoir reçu notification. Étant donné que les avis d’opposition ont été produits le 23 janvier 2007, le délai applicable était depuis longtemps expiré, de sorte qu’il semble que la requête de l’intimée devrait être accueillie en ce qui concerne les évaluations établies en vertu du RPC le 18 décembre 1997 ou après cette date et les évaluations établies en vertu de la LAE le 30 juin 1996 ou après cette date. Toutefois, cela ne met pas pour autant fin à l’affaire.

 

4.    Absence de décision du ministre

[46]    L’intimée a invoqué un argument subsidiaire, à savoir que le ministre n’ayant rendu aucune décision, il ne peut pas y avoir d’appel et la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour entendre l’appel.

 

Régime de pensions du Canada

 

[47]    La pertinence d’une décision du ministre à l’égard de la partie de l’appel concernant le RPC est fondée sur les dispositions du RPC relatives aux appels. L’ancien paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada, qui a été modifié par L.R.C. 1985, ch. 51 (4e suppl.), en vigueur du 1er janvier 1991 au 18 décembre 1997, était ainsi libellé :

 

28. (1) Un employé ou un employeur visé par l’arrêt du ministre ou par sa décision sur l’appel que prévoit l’article 27, ou son représentant, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle l’arrêt ou la décision lui est communiqué, ou dans le délai supplémentaire que la Cour canadienne de l’impôt peut accorder sur demande qui lui est présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours, en appeler de l’arrêt ou de la décision en question auprès de cette Cour en envoyant un avis d’appel dans la forme prescrite par courrier recommandé au greffe de la Cour.

[Non souligné dans l’original.]

 

Le paragraphe 28(1) a été modifié comme suit par L.C. 1997, ch. 40, article 65, et est entré en vigueur le 18 décembre 1997 :

 

28. (1)  La personne visée par la décision du ministre prise en vertu de l’article 27 ou 27.1, ou son représentant, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de celle‑ci, ou dans le délai supplémentaire que la Cour canadienne de l’impôt peut accorder sur demande qui lui est présentée dans ces quatre‑vingt‑dix jours, en appeler devant cette Cour en envoyant un avis d’appel dans la forme prescrite par courrier recommandé au greffe de la Cour.

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

Le paragraphe 28(1) a été modifié comme suit par L.C. 1998, ch. 19, article 255, et est entré en vigueur le 18 juin 1998 :

 

28. (1) La personne visée par la décision du ministre sur l’appel que prévoient les articles 27 ou 27.1, ou son représentant, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle la décision lui est communiquée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour canadienne de l’impôt peut accorder sur demande qui lui est présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, en appeler de la décision en question auprès de cette Cour en conformité avec la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

                             [Non souligné dans l’original.]

 

Pour toutes les périodes qui sont considérées en l’espèce, le ministre doit avoir rendu une décision avant qu’un appel puisse être interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 28(1) du RPC.

 

Assurance-emploi – assurance-chômage

 

[48]    Le paragraphe 70(1) de la LAC était la disposition conférant le droit d’appel qui était en vigueur avant le 30 juin 1996. Ce paragraphe était ainsi libellé :

 

70. (1) La Commission ou une personne que concerne le règlement d’une question par le ministre ou une décision sur appel au ministre, en vertu de l’article 61, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours de la communication du règlement ou de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre‑vingt‑dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prescrite.    

      [Non souligné dans l’original.]

 

Lorsque la LAE a été édictée en 1996, un nouveau mécanisme d’appel a été adopté au paragraphe 103(1), qui est entré en vigueur le 30 juin 1996 et prévoyait ce qui suit :

 

103. (1) La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre‑vingt‑dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par règlement.

                                                                          [Non souligné dans l’original.]

 

Ce mécanisme d’appel a été modifié par L.C. 1998, ch. 19, art. 268, qui est entré en vigueur le 18 juin 1998 et est ainsi libellé :

 

103. (1) La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

                                                                                     [Non souligné dans l’original.]

 

Comme c’est le cas pour le RPC, il fallait que le ministre ait rendu une décision pour qu’un appel puisse être interjeté en vertu de la LAE ou de la LAC au cours des périodes considérées.

 

[49]    Dans la décision Power c. Ministre du Revenu national, 2005 CCI 200, le juge Bowie a conclu que le refus d’examiner un appel interjeté devant le ministre au motif qu’il avait été déposé en retard ne constituait pas une décision rendue par le ministre. Selon le juge Bowie, le recours approprié consistait à demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d’exercer sa compétence et de rendre une décision. Dans cette affaire‑là, l’appel se rapportait à des décisions rendues en vertu du RPC et de la LAE au sujet d’un emploi assurable et d’un emploi ouvrant droit à pension. La décision de l’ARC de refuser d’examiner les oppositions que l’appelant avait présentées au sujet des décisions relatives au RPC et à la LAE au motif qu’elles avaient été présentées en retard ne constitue pas une décision pour l’application du RPC et de la LAE. Le recours dont l’appelant peut se prévaloir n’est pas d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, mais de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d’exercer sa compétence et de rendre une décision. Ce n’est que si le ministre rend une décision qui ne satisfait toujours pas l’appelant que ce dernier peut déposer un avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[50]    La requête sera accueillie en ce qui concerne les évaluations établies en vertu du RPC et de la LAE, puisque que le ministre n’a pas rendu une décision qui peut être portée en appel à ce stade et qu’aucun appel ne peut donc être interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt. Toutefois, il n’en est pas ainsi pour les cotisations établies en vertu de la LIR. En effet, l’alinéa 169(1)b) de la LIR accorde un droit d’appel au contribuable même si le ministre n’a pas rendu de décision. En l’absence d’une décision du ministre, il faut que 90 jours se soient écoulés depuis la production de l’avis d’opposition pour que la Cour canadienne de l’impôt ait compétence à l’égard des cotisations établies en vertu de la LIR. Pour cette raison, la requête sera rejetée en ce qui a trait aux cotisations établies en vertu de la LIR.

 

En résumé, le résultat de la requête en annulation est le suivant :

 

a)       la requête en annulation est rejetée en ce qui concerne les cotisations établies en vertu de la LIR;

 

b)      la requête en annulation est accueillie en ce qui concerne les évaluations établies en vertu du RPC et les évaluations établies en vertu de la LAE ou de la LAC;

 

c)       aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de janvier 2008.

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge Rossiter

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2008

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI55

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3055(IT)I

 

INTITULÉ :                                       741290 ONTARIO INC.

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 28 septembre et 25 octobre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :     L’honorable juge E.P. Rossiter

 

DATE DE L’ORDONANNCE :          Le 30 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Osborne G. Barnwell

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Samantha Hurst

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Osborne G. Barnwell

 

                   Cabinet :                         Osborne G. Barnwell

                                                          North York (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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