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Dossier : 2004-4390(EI)

ENTRE :

RÉAL BUJOLD,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 24 mars 2005, à Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelant :

Roland Couturier

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2005.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2005CCI299

Date : 20050517

Dossier : 2004-4390(EI)

ENTRE :

RÉAL BUJOLD,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     Il s’agit de l’appel d’une détermination du ministre du Revenu national (le « ministre ») en date du 20 septembre 2004 à l’effet que l’appelant n’occupait pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») au cours de la période du 14 juillet 2003 au 8 mars 2004 (période en question) pendant laquelle il était associé à North American Forest Products Ltd. (la payeuse).

 

[2]     La payeuse exploite une entreprise forestière qui fait la coupe du bois, le transport de billots de bois et la vente de ces billots aux scieries et qui fait le sciage dans ses propres usines. L’appelant était engagé par la payeuse pour faire le transport de billots de bois des chantiers forestiers de la payeuse à différentes destinations. À cette fin, il devait effectuer lui-même le chargement et le déchargement des billots. Pour effectuer ce travail, l’appelant devait avoir un camion à sa disposition. Il était, durant la période en question, propriétaire d’un camion pour le transport de bois équipé d’un chargeur et ce véhicule avait une valeur approximative de 75 000 $.

 

[3]     L’appelant a produit à l’audience un contrat d’emploi qu’il a conclu avec la payeuse et qui a été signé le 24 janvier 2003. La durée de l’entente n’est pas claire puisque, sous cette rubrique, on ne peut y lire que la mention « Du au 2003 ». Le contrat indique que l’appelant serait payé par semaine selon un montant déterminé chaque semaine conjointement avec l’employeur. Il y a aussi dans ce contrat d’une page la mention suivante quant au contrôle du travail :

 

Il est entendu que l’employeur contrôlera sur le terrain la façon dont le travail est exécuté. Ce contrôle sera exercé par un contre-maître et/ou la direction. C’est l’employeur qui indiquera à l’opérateur-propriétaire l’endroit et le genre de travaux que ce dernier effectuera ainsi que la durée de ceux-ci.

 

[4]     L’appelant a témoigné qu’il lui fallait aussi un contrat de location. Celui qu’il a produit vise la période du 1er juin 2004 au 31 mars 2005, une période postérieure à la période en question. Il ne pouvait donc avoir pour la période en question qu’une entente verbale de location de son camion selon ce que la preuve a révélé.

 

[5]     La payeuse payait l’appelant en fonction du poids, de la distance à parcourir et de l’espèce de bois à transporter. Le fait que le camion soit équipé de sa propre chargeuse ou non avait également une incidence sur le paiement. Le transport se faisait selon un horaire établi par la payeuse. À chaque semaine, le montant dû à l’appelant, selon l’horaire, était reparti sur deux chèques. L’appelant recevait un chèque de paye de 721,20 $, plus 4 % comme paye de vacances, pour conduire le camion pendant une semaine. De cette somme, on soustrayait les déductions normales retenues de la paye d’un employé. Le deuxième chèque émis à l’appelant représentait le montant qui lui était dû selon l’horaire. La payeuse y soustrayait son salaire de 721,20 $, la paye de vacances de 4 %, soit 28,85 $, le prix de l’essence que la payeuse avait fournie à l’appelant, la part de l’employeur des cotisations au régime de pensions du Canada et au régime d’assurance-emploi et toutes autres dépenses encourues par la payeuse pour le compte de l’appelant. En fait, la payeuse ne prenait à sa charge aucune dépense afférente aux services de l’appelant et à son camion. Son rôle se limitait à lui verser la somme convenue au kilo pour le transport du bois.

 

[6]     Le salaire de l’appelant était basé sur un horaire de travail de 60 heures par semaine compte non tenu du nombre réel d’heures travaillées. Aucun registre des heures de travail n’était tenu par les parties et on se fiait aux documents produits par les scieries pour faire le calcul des heures de travail de l’appelant.

 

[7]     L’appelant prenait également à sa charge aussi les frais d’assurance, d’entretien et de réparation pendant la durée de l’entente. Il était responsable de tout dommage qu’il causait dans le cadre du travail. Il réparait lui-même son camion, à moins qu’il s’agisse de réparations importantes. Il a déclaré avoir reçu sa paye même lorsque le camion avait été peu utilisé, du motif que le revenu engendré permettait à la payeuse de le payer. À mon avis, le travail de l’appelant était étroitement lié à l’utilisation de son camion. Malgré la prétention de l’appelant qu’il existait un contrat de location pour son camion, il est évident que la payeuse n’exerçait aucun contrôle sur le camion pendant la période en question.

 

[8]     Les factures déposées en preuve confirment que le salaire de l’appelant était soustrait des revenus de son camion et qu’il prenait à sa charge toutes les dépenses de sorte que la payeuse ne déboursait que le tarif au kilo sur lequel ils s’étaient entendus. Dans les déclarations de revenus de l’appelant, tout y est traité comme si ce dernier exploitait sa propre entreprise. Dans son témoignage, il a également mentionné être à son propre compte.

 

[9]     Le contremaître de la payeuse a déclaré dans son témoignage qu’il supervisait la construction des chemins et le transport du bois. Il rencontrait l’appelant pour lui assigner ses tâches. La payeuse s’assurait que l’appelant et les autres travailleurs forestiers reçoivent une formation en sécurité une fois par année. Un représentant de la payeuse rencontrait l’appelant tous les jours et celui-ci remplissait une série de documents. Les heures travaillées par l’appelant n’étaient pas comptabilisées, mais il savait quoi faire et il communiquait par radio pour indiquer où il en était rendu. Le témoin n’a rien mentionné au sujet d’un contrat de location du camion pour la période en question. Il s’agit donc de déterminer si l’appelant occupait chez la payeuse un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi au cours de la période en question. La Cour d’appel fédérale, dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, a fourni un guide utile pour distinguer un contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, a donné son aval à ce guide en résumant l'état du droit comme suit :

 

47        Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

[10]    Le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (Q.L.), nous rappelle que les facteurs en question sont des points de repère qu'il est généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice, qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles.

 

[11]    Dans une décision récente, la Cour d'appel fédérale a exposé à nouveau les principes juridiques qui gouvernent la question de l'assurabilité d'un emploi. Dans Livreur Plus Inc. c. Canada, [2004] A.C.F. no 267, le juge Létourneau a résumé ces principes en ces termes aux paragraphes 18 et 19 de son jugement :

 

Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem.

 

Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 749, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, « rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur ».

 

[12]    Récemment, le même juge Létourneau reprenait tous ces principes dans l’arrêt Tremblay c. Canada, [2004] A.C.F. 802, où il devait traiter des questions semblables à celles en l’espèce et en particulier de l’application du Bulletin d’assujettissement no 97-1. Il résume très bien la raison d’être de ce bulletin en ces termes :

 

Ce bulletin vise à clarifier la politique de Revenu Canada relative aux travailleurs oeuvrant dans le domaine forestier qui, en plus de leur prestation de services à un entrepreneur, louent leurs machineries lourdes à ce même entrepreneur. Le but recherché était de faciliter la détermination de l'assurabilité d'un emploi et de réduire les demandes d'assurabilité faites à Revenu Canada à l'égard de ces travailleurs.

 

17 En un mot, le Bulletin que je reproduis ci-après permet à un opérateur-propriétaire d'une machinerie lourde de conclure deux contrats séparés avec un entrepreneur : un contrat de location de la machinerie et un contrat de travail que le Bulletin appelle louage de services. En principe, les ententes séparées doivent être écrites quoique celles verbales sont aussi acceptées, mais les demandes fondées sur des ententes verbales sont soumises à un examen particulier par Revenu Canada : voir aussi l'Addenda au Bulletin d'Assujettissement No. 97-1 de politique d'assurance qui confirme cela. Le contrat de location et celui d'emploi doivent respecter des conditions strictes, à défaut de quoi la demande d'assurabilité de l'emploi sera refusée :

 

[13]    Et plus loin, il ajoute :

 

19 Au niveau du contrat de location, le Bulletin d'Assujettissement exige, à bon droit, que certaines clauses du contrat démontrent que le locataire assume le contrôle de la machinerie pour la durée de l'entente. En ce qui concerne le contrat d'emploi, celui-ci doit être distinct du contrat de location. En outre, les services de l'opérateur-propriétaire ne doivent pas être directement et exclusivement liés aux opérations de sa machinerie et l'employeur doit assumer la responsabilité pour les dommages ou blessures causés par l'opérateur dans le cadre de ses fonctions.

 

[14]    L’appelant soutient que les faits en l’espèce sont conformes aux conditions requises dans le Bulletin d’assujettissement no 97-1 que les opérateurs-propriétaires de machinerie forestière doivent remplir pour devenir admissibles aux prestations d’assurance-emploi. Le Bulletin prévoit que, pour qu’il y ait un contrat de louage de services, les parties concernées doivent répondre aux conditions suivantes :

 

a)                 le contrat d’engagement doit être distinct du contrat de location de machinerie;

b)                le mode de rémunération doit être indiqué dans le contrat (taux horaire, journalier, à la pièce, etc.);

c)                 l’employeur doit avoir le droit de contrôler la façon dont le travail sera exécuté. Généralement, ce contrôle est exercé par un contremaître sur le chantier;

d)                c’est l’employeur qui indique au travailleur où il rendra les services et ainsi que la durée de ceux-ci (lieu ou emplacement-horaire, durée de l’emploi);

e)                 l’employeur a le droit de décider quel genre de travaux l’opérateur exécutera;

f)                  les services de l’opérateur-propriétaire ne doivent pas être directement liés aux opérations de sa machinerie. Par exemple, en cas de bris majeur, l’opérateur peut être requis par l’employeur d’effectuer d’autres tâches pour lesquelles il sera rémunéré en conséquence et;

g)                 l’employeur est responsable des dommages ou blessures causés par l’opérateur dans le cadre de ses fonctions, y compris les blessures subies par ce dernier.

 

[15]    Même si, à première vue, il semble y avoir en l’espèce un contrat d’emploi écrit et un contrat de location verbal, les certaines modalités de ces contrats, notamment leur durée et la rémunération ne sont pas présentes, de sorte qu’ils sont loin de contenir les éléments essentiels d’un contrat valide. Si contrat valide il y a, il est impossible de distinguer les deux contrats puisque la rémunération de l’appelant en vertu du contrat d’emploi est liée directement à l’exploitation de son camion en vertu du contrat de location.

 

[16]    L’appelant assumait la responsabilité du préjudice causé à autrui du fait de l’utilisation de son camion et prenait à sa charge les dépenses liées à son fonctionnement. À mon avis, nous sommes loin d’un véritable contrat de location. Il s’agirait ici plutôt d’un entrepreneur exploitant sa propre entreprise. Même si les faits de l’espèce semblent démontrer, à première vue, que la payeuse avait un certain contrôle sur l’exécution des travaux par l’appelant, il s’agissait davantage d’un contrôle de la qualité et du résultat des travaux. L’appelant n’avait qu’à se conformer à un code de sécurité et à des normes environnementales. Pour le reste, l’appelant était laissé à lui-même. Cet état de chose laisse peu de place à l’établissement d’un lien de subordination.

 

[17]    L’appelant était propriétaire de son camion et était responsable de toutes les dépenses, y compris l’essence. De ce fait, il prenait à son compte les risques de perte et les chances de profit. Les tâches qu’il exécutait cadraient bien avec son entreprise puisque sa rémunération était directement liée à l’exploitation de son camion. Aucune comptabilisation de ses heures travaillées n’étant tenue, son relevé d’emploi ne reflétait pas la réalité.

 

[18]    Pour ces raisons, je conclus qu’il n’existait pas, en l’espèce, un véritable contrat de louage de services entre la payeuse et l’appelant durant la période en question. L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2005.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI299

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-4390(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Réal Bujold et le M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 24 mars 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       l'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 17 mai 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelant :

Roland Couturier

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                   Nom :                            

 

                   Étude :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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