Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2007-114(IT)G

 

ENTRE :

 

FERGUSON-NEUDORF GLASS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 décembre 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

MJeffrey L. Goldman

 

Avocat de l'intimée :

Me Brandon Siegal

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition qui s'est terminée le 31 juillet 2002 est accueilli, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte des éléments suivants :

 

1.       l'appelante a droit à l'allégement prévu par le consentement partiel à jugement qui a été déposé auprès de la Cour;

 

2.       l'appelante a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, une amende de 212 500 $.

 

          L'appelante a droit à ses dépens.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 19e jour de décembre 2008.

 

 

« J. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI684

Date : 20081219

Dossier : 2007-114(IT)G

 

ENTRE :

 

FERGUSON-NEUDORF GLASS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Woods

 

[1]     La société Ferguson‑Neudorf Glass Inc. interjette appel d'une cotisation établie pour l'année d'imposition qui s'est terminée le 31 juillet 2002.

 

[2]     Les parties sont parvenues à un accord au sujet de certains points en litige avant l'audience; cet accord est consigné dans un consentement partiel à jugement qui a été déposé auprès de la Cour.

 

[3]     La seule question qui reste à trancher est de savoir si l'appelante peut déduire de son revenu l'amende qui lui a été imposée à la suite d'un accident survenu en milieu de travail.

 

[4]     L'appelante s'occupe de la fabrication et de l'installation de vitres pour des projets commerciaux. La nature même du travail à accomplir le rend intrinsèquement dangereux, ce dont témoignent les primes versées par les entreprises dans ce domaine aux régimes d'accident du travail.

 

[5]     À l'automne 2000, un employé de l'appelante a connu une fin tragique quand il a été frappé par un chariot élévateur à fourche alors qu'il travaillait à un chantier de construction au centre‑ville de Toronto.

 

[6]     Le ministère du Travail de l'Ontario a mené une enquête sur les causes de l'accident et a accusé l'appelante d'infraction à la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario.

 

[7]     À l'audience qui s'est tenue le 18 octobre 2002 devant un juge de la Cour de justice de l'Ontario, l'appelante a plaidé coupable à l'accusation de ne pas avoir fourni « au travailleur les renseignements, les directives et la surveillance nécessaires [...] ». Elle s'est vu imposer une amende de 170 000 $.

 

[8]     À la suite de l'audience, une suramende compensatoire de 25 % a été imposée à l'appelante, ce qui a fait passer le montant total de l'amende à 212 500 $. C'est ce montant que l'appelante souhaite déduire de son revenu.

 

[9]     L'intimée est d'avis qu'une amende imposée dans de telles circonstances ne satisfait pas à l'exigence prévue par l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu voulant que la dépense ait été engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu.

 

[10]    L'alinéa 18(1)a) prévoit ce qui suit :

 

18(1) Exceptions d'ordre général. Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) Restriction générale  les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

 

[11]    Pour étayer sa position, l'intimée s'est appuyée sur un commentaire formulé dans un arrêt de la Cour suprême du Canada laissant entendre que l'alinéa 18(1)a) peut être appliqué quand les infractions sont « flagrantes ». Dans l'arrêt en question, 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, 99 D.T.C. 5799, [1999] 3 R.C.S. 804, c'est une dépense relative à une taxe de dépassement de quota imposée en vertu d'un plan de commercialisation des oeufs qui avait été déduite du revenu de l'appelante.

 

[12]    Il est utile de citer les passages pertinents de l'arrêt en question. Au paragraphe 69, le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la majorité, a déclaré :

 

Finalement, au par. 17, mon collègue fait observer que les amendes pénales ne sont pas, au sens juridique du terme, engagées en vue de tirer un revenu. Il est vrai que l'al. 18(1)a) permet expressément la déduction de dépenses engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise. Cependant, il est tout aussi vrai que si le contribuable ne peut démontrer que l'amende a en fait été encourue en vue de tirer un revenu, l'amende ou la pénalité ne peut alors être déduite et l'analyse s'arrête là. Il est envisageable qu'une infraction puisse être à ce point flagrante ou répugnante que l'amende imposée par la suite ne puisse se justifier comme ayant été encourue en vue de tirer un revenu. Cependant, une telle situation ne surviendrait que rarement et n'a pas besoin d'être examinée plus en détail dans le contexte du présent pourvoi, compte tenu plus particulièrement du fait que le Parlement pourrait lui-même choisir de délimiter ce type d'amendes ou pénalités comme il l'a fait pour les amendes prévues à la Loi de l'impôt sur le revenu. Une fois de plus, le Parlement pourrait fort bien vouloir réagir promptement et de façon générale afin d'interdire clairement et directement la déduction de toutes ces amendes et pénalités s'il le désirait.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[13]    Le commentaire reproduit ci‑dessus a été formulé en réponse à celui que le juge Bastarache a apporté dans les motifs minoritaires, au paragraphe 17. Il s'agit de l'extrait suivant : 

 

Je partage l'avis de mon collègue le juge Iacobucci selon lequel il vaudrait mieux laisser au législateur le soin de prendre les décisions relatives à l'ordre public. Cependant, je ne dis pas que la déduction des amendes pénales devrait être refusée pour des motifs d'ordre public mais plutôt que leur déduction, qui n'est pas spécifiquement autorisée par la Loi, serait contraire à l'intention du Parlement exprimée dans d'autres lois, si nous décidions qu'elles relèvent de l'al. 18(1)a) de la Loi. À mon avis, les amendes pénales ne sont pas des dépenses engagées aux fins de tirer un revenu, au sens juridique de l'expression. Mes préoccupations ne relèvent pas tant d'une question d'ordre public, de moralité ou de légitimité, que d'une compréhension réaliste du concept d'accumulation de la richesse et de l'obligation de la cour de préserver l'intégrité du système juridique dans son interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme l'a expliqué le juge McLachlin dans Hall c. Hebert, [1993] 2 R.C.S. 159, à la p. 169, avant de conclure qu'un tribunal pourrait refuser l'indemnisation en matière délictuelle en raison de la conduite immorale ou illégale des demandeurs :

 

Selon moi, ce pouvoir est fondé sur le devoir qu'ont les tribunaux de préserver l'intégrité du système juridique, et il ne peut être exercé que lorsque cette préoccupation est en cause. Elle est en cause lorsque l'attribution de dommages‑intérêts dans une poursuite civile aurait pour effet de permettre à une personne de tirer profit de sa conduite illégale ou fautive, ou de faire en sorte qu'elle échappe à une sanction pénale ou qu'elle bénéficie d'une réduction de cette sanction. Le principe commun à tous ces cas est que le droit refuse de donner d'une main ce qu'il retire de l'autre.

 

[14]    En l'espèce, la question à trancher est de savoir si l'amende imposée à la suite de l'accident survenu en milieu de travail représente une dépense engagée afin de tirer un revenu de l'entreprise de l'appelante.

 

[15]    La jurisprudence a établi que les amendes imposées en conséquence des activités normales d'une entreprise satisfont généralement au critère voulant que la dépense ait été engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu. L'activité qui a mené à la tragédie dont il est question en l'espèce répond à ce critère. La seule question à trancher est de savoir si l'appelante a agi de manière si répréhensible qu'on ne peut dire de l'activité en question qu'elle a été entreprise en vue de générer un revenu.

 

[16]    Aucun des deux avocats n'avait entendu parler de circonstances dans lesquelles un tribunal avait refusé la déduction d'une amende ou d'une pénalité en se fondant sur le commentaire formulé au paragraphe 69 de l'arrêt 65302 British Columbia Ltd. Si on devait s'en réclamer en l'espèce, ce serait une première.

 

[17]    L'intimée soutient que si les actions, ou l'inaction, d'un employeur sont telles qu'elles mettent en danger la vie de ses travailleurs en raison d'une formation insuffisante et à un lieu de travail dangereux, on se trouve alors en présence du type de circonstances auquel le juge Iacobucci a fait allusion en parlant d'infraction flagrante.

 

[18]    Malheureusement, la Cour suprême n'a pas précisé le type d'infraction qui donnerait lieu à une telle conclusion, mais les juges ont souligné qu'une telle situation ne surviendrait que rarement.

 

[19]    Il n'est pas nécessaire de tenter de définir le type de conduite visé par la remarque incidente formulée par la Cour suprême. Il suffit de conclure que ce paragraphe ne vise très certainement pas les circonstances ayant conduit à l'amende ici en cause.

 

[20]    Je voudrais souligner le commentaire suivant, qui a été formulé par le juge de paix qui a imposé l'amende (pièce R-2, page 24) :

 

[TRADUCTION]

 

Il n'existe aucune preuve d'inaction flagrante ou de conduite blâmable de la part de la défenderesse, que ce soit avant ou même au moment de — en relation avec ce tragique accident. Il semble s'agir d'un accident isolé. Les travailleurs avaient entrepris de déplacer quelque chose. Il a été reconnu que la formation et la surveillance auraient pu être meilleures, et il a été admis qu'on avait travaillé à améliorer la situation, et qu'on continuerait d'y travailler.

 

[21]    L'appel est accueilli, avec dépens.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 19e jour de décembre 2008.

 

 

« J. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI684

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-114(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Ferguson‑Neudorf Glass Inc. et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 18 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jeffrey L. Goldman

 

Avocat de l'intimée :

Me Brandon Siegal

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                     Nom :        Jeffrey L. Goldman

                   Cabinet :      Jeffrey L. Goldman

                             Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                             Sous‑procureur général du Canada

                             Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.