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Dossier : 2008-1255(EI)

ENTRE :

JACQUES BORGIA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

9045-9942 QUÉBEC INC.,

intervenante.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 12 mai 2009, à Shawinigan (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Représentant de l'intervenante :

Me Mélanie Bélec

Georges Bérard

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 266

Date : 20090616

Dossier : 2008-1255(EI)

ENTRE :

JACQUES BORGIA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

9045-9942 QUÉBEC INC.,

intervenante.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              L'appelant interjette appel d'une décision du Ministre du Revenu national (le « Ministre ») en date du 10 décembre 2007 selon laquelle l'appelant n'occupait pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi ») au motif qu'il n'exerçait pas un emploi aux termes d'un contrat de louage de services mais plutôt en vertu d'un contrat d'entreprise. L’appelant aurait travaillé du 1er novembre 2004 au 29 avril 2005, du 5 décembre 2005 au 2 juin 2006 et du 13 novembre 2006 au 11 mai 2007 pour l’intervenante, la société 9045‑9942 Québec Inc.

 

[2]              L'appelant était l'unique actionnaire de la société. Celle‑ci exploitait une entreprise de distribution de vente en gros de véhicules amphibies de marque Argo, de pièces et d’équipement. En 1997, il a vendu la totalité de ses actions à Gestion Georges Bérard inc. et s'est retiré de la société jusqu'en 1999. Il n'y avait d'ailleurs rien dans le contrat de vente des actions de la société qui obligeait l'acquéreur Gestion Georges Bérard inc. à retenir les services de l'appelant à quelque titre que ce soit.

 

[3]              C'est en janvier 1999 que la société a eu besoin de retenir les services de l'appelant. Elle s'est rendue compte que les connaissances et l'expérience de l'appelant étaient nécessaires afin d'améliorer le rendement de l’entreprise. Les parties auraient convenu, à ce moment, que les services de l'appelant seraient nécessaires pour une période de 26 semaines par année. L’appelant a donc ainsi été embauché à partir de janvier 1999 jusqu'à la fin de la dernière période en cause, soit le 11 mai 2007. La seule chose qui a changé était le début de la période d'embauche qui variait entre novembre et décembre chaque année et qui se terminait 26 semaines plus tard. Selon la société, l'appelant devait travailler en moyenne 40 heures par semaine bien que le nombre d'heures pouvait varier de semaine en semaine. Quant à l’entreprise de la société, elle était exploitée trente heures par semaine par 4 à 5 employés. L’appelant a reçu une rémunération de $600 par semaine pour les trois périodes en cause.

 

[4]              Durant les premières années de travail de l'appelant au service de la société, celui‑ci a participé à la préparation des kiosques utilisés dans les expositions, au transport des véhicules, au nettoyage de tapis, etc. Il était responsable des expositions et montrait aux employés de la société comment préparer de telles expositions. L'appelant conseillait également la société sur les achats qu'elle devait faire, les différents modèles à acheter, les quantités, les couleurs, les devis et faisait des tests sur différents modèles tout en renseignant la société sur le rendement des modèles compétitifs existants.

 

[5]              La société ne comptabilisait pas les heures de services de l'appelant. Elle se fiait sur l'appelant et estime savoir approximativement le temps que l'appelant pouvait prendre pour effectuer des tests. Elle a abordé la question du contrôle des heures indirectement. Le représentant de la société rencontrait l'appelant trois à quatre fois par semaine et il a affirmé qu'il pouvait jauger ses heures de travail. En contre-interrogatoire, il a cependant reconnu qu'il lui arrivait de ne pas rencontrer l'appelant pendant trois semaines consécutives et parfois même pendant deux à trois mois. En fait, l'appelant se rendait en Floride tous les hivers et, selon le représentant de la société, l'appelant apportait son travail avec lui et ils se rencontraient en Floride pour discuter des choses à faire. Leur relation était basée sur la confiance.

 

[6]              Durant les périodes en cause, l’appelant résidait à Windigo, soit à une distance d'environ trois heures en voiture du lieu où la société exploite son entreprise. Il est évident que l’appelant ne se rendait pas travailler dans les locaux de la société sur une base régulière, notamment lorsqu’il séjournait en Floride. De plus, l'appelant a subi une intervention chirurgicale au son bras droit le 25 avril 2007 et, dans une lettre adressée à l'Agence du revenu du Canada, il reconnaissait qu'après la chirurgie en question, il était incapable de conduire était donné qu’il était également atteint d'un handicap au bras gauche. Il a pourtant été payé jusqu'au 11 mai 2007 selon la preuve.

 

[7]              L'appelant a témoigné qu'il recevait des directives de la société mais c'est son expertise que recherchait la société. Il n'a jamais préparé de rapport écrit pour la société car il lui communiquait le fruit de son travail verbalement. La société pouvait aussi contacter l'appelant en tout temps de l'année pour le consulter, et ce, même en dehors des périodes en cause. La société a reçu des prix de meilleur vendeur et distributeur et le travail de l'appelant a été grandement apprécié.

 

[8]              L'agente des appels, madame Lyne Courcy, a présenté son rapport et la recommandation qui en découle est à l'effet que l'appelant, lorsqu'il fut au service de la société au cours des périodes en cause, occupait un emploi non assurable au motif que le dit emploi ne répondait pas aux exigences d'un contrat de louage de services prévues à l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

 

[9]              Il incombe donc à l'appelant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la décision du Ministre est mal fondée et qu'il occupait un emploi assurable durant les périodes en cause.

 

[10]         Le Code civil du Québec définit ce qu'est un contrat de travail et un contrat d'entreprise. Ces définitions se lisent comme suit :

 

Contrat de travail

 

2085.   Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

Contrat d'entreprise

 

2098.   Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

 

[11]         Dans un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale, NCJ Educational Services Ltd. c. Canada, [2009] F.C.J. no 507, la juge Desjardins a souligné l'historique du concept de subordination que l'on trouve dans le Code civil du Québec en renvoyant à l'auteur Robert Gagnon (Le droit du travail du Québec, 6e  édition) et au fait que, dans la dernière édition de son ouvrage, on trouve l'ajout de certaines indices permettant une analyse qui ressemble à celle applicable en common law. Le passage pertinent de cet ouvrage se lit comme suit:

 

92 — Notion — Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.).  Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités.  Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large.  La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail.  On est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler.  En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail.  En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc.  Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

 

[12]         Je tiens à préciser de prime abord qu'il ne fait aucun doute que l'appelant a rendu des services à la société et qu'il a effectué du travail au bénéfice de la société. Ce n'est pas la question qui est en litige en l'espèce. Il s'agit de déterminer si le contrat entre l'appelant et la société est un contrat de travail ou d'entreprise.

 

[13]         Les circonstances et la preuve entendue démontrent que l'appelant n'avait aucun horaire de travail à respecter et que le nombre d'heures travaillées n'était pas, à toutes fins pratiques, comptabilisé. En fait, le nombre d'heures par semaine que devait travailler l'appelant ne correspond pas du tout aux heures d’ouverture de l'entreprise. Qui plus est, l'appelant n'avait pas de bureau de travail dans les locaux de la société. Il a pu effectuer son travail chez lui ou encore en Floride pendant trois à quatre semaines durant les périodes de travail de 2005 et de 2006 et pendant au moins onze semaines sur les 26 semaines de travail en 2007, sans oublier une période où il fut incapable de travailler en raison d'une intervention chirurgicale subie en avril 2007. Il est donc assez évident que les heures travaillées avaient peu d'importance dans le contexte des services que devait rendre l'appelant à la société.

 

[14]         Ainsi, l'appelant était le seul à contrôler son temps et ses heures de travail et, en bout de ligne, la société n'était intéressée qu'à obtenir le fruit de son travail (le résultat), soit les recommandations verbales que l'appelant lui communiquait à l'occasion de leurs rencontres.

 

[15]         Durant les trois années en cause, l'appelant n'agissait que comme conseiller étant donné son expérience et ses connaissances dans le domaine. La société pouvait consulter l'appelant en dehors des périodes de travail et la preuve nous a appris que la société lui aurait même confié un nouveau modèle de véhicule pour qu’il en fasse l'essai à l'automne 2007, soit en dehors de sa période de travail. Ce sont là des indications qui appuient la thèse du Ministre voulant qu'on se trouve en présence d'une prestation de services dans le cadre d’un contrat d’entreprise.

 

[16]         La société a reconnu devant l'agente des appels que, même si l'appelant ne travaillait pas une semaine donnée, il était quand même rémunéré. De plus, la preuve révèle que la durée de l'emploi a toujours été de 26 semaines chaque année. Cependant, l'appelant a été incapable de justifier la durée de son emploi, si ce n’est d’affirmer que les parties avaient convenu que 26 semaines étaient nécessaires. Aucun détail ou information n'a été présenté pour justifier la durée de l’emploi ou le fait qu’il était nécessaire de réembaucher l’appelant pour la même durée chaque année. La preuve semble indiquer qu'il s'agit en l’espèce du versement d'une somme d'argent répartie sur 26 semaines sans droit de regard sur les heures véritablement travaillées par l'appelant.

 

[17]         La société, à mon avis, n'était intéressée qu'au rapport verbal de l'appelant et qu’à ses précieux conseils. La société n'exerçait aucun suivi ou contrôle sur les va-et-vient de l'appelant. Ce dernier n'était pas encadré et il n'y avait, à mon avis, aucun lien de subordination entre lui et la société. Tous ces éléments de preuve m'amènent à conclure que la prestation de travail effectuée par l'appelant était exercée en fonction d'un contrat d'entreprise. L'appel est donc rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 266

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-1255(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Jacques Borgia c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Shawinigan (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 12 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Représentant de l'intervenante :

Me Mélanie Bélec

Georges Bérard

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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