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Dossier : 2007-3565(GST)G

ENTRE :

LE RESTAURANT LE RELAIS DE ST-JEAN INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 1er et le 2 octobre 2009, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Alexandre E. Paradissis

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis est daté du 5 avril 2005 et porte le numéro 03403542 relativement à la période du 29 janvier 2002 au 31 décembre 2003 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, sur la base que la taxe supplémentaire de 47 080 $ calculée sur des ventes additionnelles de 261 789 $ en 2002 et de 254 574 $ en 2003 doit être annulée, de même que tous les intérêts (2 719 $) et pénalités (15 539 $), afférents à cette taxe supplémentaire. Le tout, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 15e jour d’octobre 2009.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 515

Date : 20091015

Dossier : 2007-3565(GST)G

ENTRE :

LE RESTAURANT LE RELAIS DE ST-JEAN INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) par l’entremise du ministre du Revenu du Québec (ministre) le 5 avril 2005, se reportant à la période du 29 janvier 2002 au 31 décembre 2003.

 

[2]              Par cette cotisation, le ministre réclame une taxe supplémentaire de 47 080 $, avec pénalités de 15 539 $ et intérêts de 2 719 $ relativement à des revenus additionnels, qui n’auraient pas été déclarés par l’appelante, et estimés par le ministre à 261 789 $ en 2002 et à 254 574 $ en 2003 (voir l’avis de cotisation produit sous la pièce I-1, onglet 1 et la reconstitution des revenus jointe au rapport de vérification sous la pièce I-1, onglet 4, page 6.4).

 

[3]              Le ministre a utilisé une méthode de vérification indirecte pour reconstituer les ventes de l’appelante au cours de la période visée. Les raisons de procéder ainsi et la façon de faire sont expliquées aux paragraphes 12.5 et suivants de la Réponse à l’avis d’appel, que je reproduis ci-après :

 

12.5          Compte tenu que les registres comptables de l’appelante étaient déficients, que les notes de repas étaient manquantes pour la période du 29 janvier 2002 au 11 juillet 2003, et qu’un test préliminaire des ventes par rapport aux achats avait révélé des incohérences et des irrégularités dans les montants déclarés par l’appelante, la vérificatrice a utilisé une méthode de vérification indirecte pour reconstituer les ventes de l’appelante pendant la période visée;

12.6          La méthode de vérification utilisée est celle par échantillonnage qui consistait à analyser les achats et les ventes d’items sélectionnés pendant la période de sondage;

12.7          La période sondée se situe entre le 30 juillet 2003 et le 31 décembre 2003;

12.8          Compte tenu que l’appelante n’avait pas conservé les notes de repas pour la période du 29 janvier 2002 au 11 juillet 2003, la période sondée a servi de référence pour ces périodes;

12.9          Lors du début de la vérification en juillet 2003, la vérificatrice a informé le représentant de l’appelante qu’il devait désormais conserver les notes de repas et la vérificatrice a utilisé les notes de repas des cinq mois qui ont suivi, soit de août à décembre 2003, pour constituer son échantillonnage;

12.10      Malgré la demande de la vérificatrice de regrouper les notes de repas par jour, celles-ci n’étaient pas classées, ce qui rendait la conciliation avec les rubans de caisse quasi impossible;

12.11      La vérificatrice a utilisé un pas de sondage de 10, ce qui implique qu’une note de repas sur dix notes a servi comme base d’échantillonnage;

12.12      La vérificatrice a sélectionné trois items parmi les mets servis au restaurant pour faire sa vérification soient les pains hamburger, le fromage en grains et la bière;

12.13      Le pas du sondage, le nombre total de notes de repas disponibles, de même que le nombre d’items sélectionnés et la fréquence à laquelle ces items ressortent dans les notes de repas sélectionnées, sont suffisants pour assurer au sondage effectué par la vérificatrice une fiabilité de 95% et une marge d’erreur de 10,7%;

12.14      Pour chaque note de repas sélectionnée, la vérificatrice inscrivait la date de la note de repas, son numéro, le montant de vente nette et les items sélectionnés mentionnés au sous-paragraphe 12.11 s’ils figuraient sur la note ou s’ils étaient inclus dans le met [sic] indiqué sur la note;

12.15      Les fèves au lard initialement sélectionnées comme item à analyser n’ont pas servi dans le sondage en litige car la vérificatrice a constaté que les achats annuels de fèves au lard auprès des fournisseurs de l’appelante étaient inférieurs aux quantités vendues par l’appelante, ce qui affectait la crédibilité des montants d’achats déclarés par l’appelante et démontrait que l’appelante ne déclarait pas tous ses achats;

12.16      Le total des ventes nettes de l’échantillonnage s’élève à 32 836,27 $;

12.17      La vérificatrice a ensuite déterminé un ratio de 71.84 [ratio final, pièce I‑1, onglet 4 p. 6.4] en divisant le total des ventes nettes de l’échantillonnage (32 836,27 $) par le nombre total d’items vendus dans l’échantillonnage 457 [montant final, pièce I-1, onglet 4, p. 6.4] pour la période sondée;

12.18      La vérificatrice a également considéré une majoration des prix de 10% entre l’année 2002 et l’année 2003, affectant ainsi à la baisse le ratio établi pour la période sondée;

12.19      Pour reconstituer les ventes de l’appelante pendant la période visée, la vérificatrice a multiplié le ratio mentionné au paragraphe 12.16 par le nombre total d’items achetés par l’appelante pendant la période sondée;

12.20      La vérificatrice a déterminé les items achetés par l’appelante pendant la période visée en se servant des factures des fournisseurs remises par l’appelante;

12.21      La vérificatrice a pris en considération les ventes externes (take-out) qui pouvaient ne pas se retrouver sur des notes de repas, de même que les pertes et la consommation personnelle telles que déterminées par l’appelante (soit 5% des items achetés);

12.22      Des ajustements ont également été apportés suite aux représentations sur projet de cotisation pour corriger certaines erreurs mais ces corrections n’ont pas diminué la fiabilité du sondage effectué par la vérificatrice;

12.23      Les ventes nettes ainsi reconstituées par la vérificatrice pour la période du 29 janvier 2002 au 31 décembre 2002 sont de 974 925 $ alors que les ventes déclarées par l’appelante étaient de 713 136 $;

12.24      Les ventes nettes ainsi reconstituées par la vérificatrice pour la période du 1 janvier 2003 au 31 décembre 2003 sont de 927 587 $ alors que les ventes déclarées par l’appelante étaient de 673 013 $;

12.25      L’appelante a donc omis de déclarer et de remettre la TPS sur des fournitures de 261 789 $ pour la période du 29 janvier 2002 au 31 décembre 2002 et sur des fournitures de 254 574 $ pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2003.

 

[4]              Par ailleurs, l’intimée indique également dans sa Réponse à l’avis d’appel que, postérieurement à la ratification de la cotisation, la vérificatrice agissant pour le ministre, madame Carole Thibault, aurait obtenu par demande péremptoire auprès des fournisseurs de pains, des documents montrant que l’appelante aurait acheté 6 648 pains hamburger alors qu’elle n’avait remis des factures d’achat que pour 6 120 pains hamburger, soit une différence de 528 pains, ou si on veut 44 douzaines. Ceci fait dire à l’intimée que les ventes non déclarées estimées selon la cotisation sont même inférieures à ce qu’elles auraient dû être.

 

[5]              Dans son rapport de vérification, madame Thibault indique au paragraphe 7.3 de la page 4 (pièce I-1, onglet 4) que « dû aux irrégularités des états financiers, du contrôle interne restreint et au système comptable défaillant, nous avons dû utiliser une méthode alternative », laquelle a été reprise de façon assez explicite dans la Réponse à l’avis d’appel et reproduite plus haut.

 

[6]              Au paragraphe 6.8 de ce même rapport, à la page 3, elle disait avoir eu en main les états de comptes bancaires de février 2002 à décembre 2003, les factures d’achat de février 2002 à décembre 2003, les états financiers de 2002-12-31 et 2003-12-31, les notes de repas internes à partir du 12 juillet 2003 jusqu’au 31 décembre 2003 et les rubans de caisse à partir du début des opérations. Elle explique au même paragraphe que les ventes aux états financiers sont déterminées à partir des lectures de caisse « Z » du restaurant. Monsieur Argyris Chionis, le propriétaire majoritaire du restaurant, additionnait les rubans de caisse à la fin de chaque trimestre pour déterminer les ventes.

 

[7]              Au début de la vérification en juillet 2003, monsieur Chionis ne conservait les notes de repas que pour une période de 15 jours, car cela lui servait à compiler les pourboires attribués à chaque serveuse. Une fois ce travail fait, il ne jugeait pas nécessaire de conserver ces notes de repas puisque les ventes étaient enregistrées sur les rubans de caisse qu’il conservait et remettait à son comptable. Madame Thibault a constaté qu’il ne consignait pas les ventes dans un journal de ventes. Toutefois, elle a pu concilier les taxes et les intrants du grand livre avec ce qui a été déclaré. Elle a par ailleurs demandé à monsieur Chionis de conserver les notes de repas dans l’avenir, ce qu’il a fait. Toutefois, il lui a remis ces notes de repas pêle-mêle, sans ordre chronologique, mais regroupées selon chaque serveuse.

 

[8]              Lors de son témoignage, monsieur Chionis a expliqué qu’il a acheté ce restaurant au début de l’année 2002 de deux personnes âgées, qui en étaient propriétaires depuis 35 ans. Il y avait une clientèle régulière, des personnes généralement plus âgées. Il y avait un bar vidéo adjacent, ouvert toute la nuit. Lors de l’acquisition, monsieur Chionis a fermé pendant quelques semaines pour faire quelques rénovations. Par la suite, il a changé un peu le menu afin d’attirer également une clientèle plus jeune. Le menu affichait des prix variant de 1,25 $ à 13,95 $ en général (sauf pour les pizzas 14" dont le prix pouvait aller jusqu’à 17,25 $). Il s’agissait surtout de sous-marins, pizzas, hamburgers, poutines et autres mets du même style (pièce I-4). Après quelques mois, il a fermé le bar la nuit. Il a aussi changé de fournisseurs pour certains aliments.

 

[9]              Monsieur Chionis avait connu la restauration avec son père, qui exploitait plutôt un casse-croûte avec des mets à emporter. Son père a toujours calculé ses ventes à l’aide de rubans de caisse. Monsieur Chionis n’avait jamais géré un restaurant auparavant, mais avait de l’expérience en cuisine. Son restaurant était plutôt occupé aux heures de repas et il offrait également le service de mets à emporter. Il y avait quelques membres de sa famille qui travaillaient au restaurant.

 

[10]         Lorsque madame Thibault et une collègue se sont présentées sur les lieux pour faire la vérification, il a collaboré de son mieux et ceci est corroboré par madame Thibault. Il s’est conformé à ses demandes de conserver les documents requis. Tout au long de sa vérification, elle se présentait quelques fois par mois au restaurant et elle lui posait des questions auxquelles il répondait du mieux qu’il pouvait, de façon approximative. Il a expliqué que tout ce temps, il continuait à s’occuper de sa clientèle, et courait d’un bout à l’autre de la cuisine pour servir les clients. Ces derniers recevaient une facture à la fin du repas qu’ils présentaient à la caisse pour payer. La personne à la caisse poinçonnait chaque vente. Aucune serveuse ne se promenait avec de l’argent sur elle; tout passait par la caisse.

 

[11]         Quand madame Thibault a présenté son premier projet de cotisation, elle avait estimé à 1 million $ les ventes non déclarées sur deux ans. Monsieur Chionis a été atterré, disant avoir toujours déclaré toutes ses ventes. La vérificatrice avait fait son sondage en se servant de 4 000 factures environ, en en sélectionnant une sur dix. Le comptable de monsieur Chionis en a regardé environ 600 et a montré plusieurs erreurs à madame Thibault. Celle-ci les a toutes corrigées et a finalement réduit les ventes qu’elle estimait non déclarées selon son sondage, de la moitié. Entre autres, elle a accepté de réduire les achats servant à établir le montant des ventes non déclarées, pour tenir compte des mets à emporter et fait quelques autres modifications afin de « régler le dossier » comme elle a dit en Cour. Monsieur Chionis, de son côté, ne voulait pas régler car il considérait, et considère toujours que les ventes reconstituées par le sondage effectué, ne reflètent pas la réalité. Il ne comprend tout simplement pas pourquoi il est cotisé pour autant d’argent.

 

[12]         Madame Thibault avait d’abord fait un pré-test sur une période de neuf jours pour voir s’il était nécessaire de reconstituer les ventes. Elle a trouvé qu’il y avait plus de ventes de fèves au lard qu’il n’y avait d’achats. Cet élément a été tenu en compte dans sa décision de procéder à une reconstitution des ventes. Elle a fait cette constatation en remarquant que les fèves étaient vendues dans des petits contenants de deux onces. Je crois comprendre qu’elle aurait comparé la quantité de fèves vendues selon ces contenants avec la quantité de fèves achetées selon le nombre de boîtes de fèves acquises. Monsieur Chionis a expliqué en Cour qu’il était difficile d’affirmer que les ventes de fèves au lard étaient supérieures aux achats. En premier lieu, il a dit que ces contenants n’étaient jamais remplis à ras bord. De plus, une boîte de fèves pouvait servir plus de contenants que la quantité indiquée sur la boîte, car les fèves au lard sont diluées avec de l’eau. Finalement, selon lui, le fait qu’il n’y ait pas eu d’achat de fèves dans un mois n’est pas significatif, car souvent les clients demandent de ne pas en servir.

 

[13]         Par ailleurs, monsieur Chionis a constaté que madame Thibault n’a pas comptabilisé tous les mets dans lesquels des pains hamburger sont servis, ce qui à son avis, vient fausser les résultats obtenus. Il a déposé sous la pièce A-3, tous les mets dans lesquels on retrouve ces pains, et qui n’ont pas été tenus en compte dans la vérification.

 

[14]         De plus, madame Thibault avait constaté également qu’il y avait des notes de repas servis au bar. Ces factures étaient enregistrées à la caisse du bar, mais monsieur Chionis pouvait attendre quelques jours avant de les enregistrer à la caisse principale. Il a expliqué qu’il tenait un bar dans le but de générer des revenus de loterie et vidéo. Selon ce qu’il dit, la clientèle mangeait très peu au bar et c’est pourquoi il ne transférait pas quotidiennement les ventes de ces repas sur la caisse enregistreuse principale, mais qu’il le faisait aux deux ou trois jours.

 

[15]         Madame Thibault a aussi fait allusion dans son témoignage au fait que les achats de fromage en grains n’étaient peut-être pas tous déclarés puisque la quantité achetée variait selon les mois (pièce I-1, onglet 8, p. 6.15).

 

Analyse

 

[16]         Le principal argument de l’intimée pour maintenir la cotisation est que la reconstitution des ventes par échantillonnage effectuée par madame Thibault, bénéficie d’une présomption de validité et que l’appelante devait apporter une preuve statistique pour renverser cette présomption.

 

[17]         L’avocate de l’intimée s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Amiante Spec Inc. c. Canada., [2009] A.C.F. no 603, au paragraphe 15, qui rappelle qu’il revient au contribuable de démolir les présomptions formulées par le ministre pour établir une cotisation. On ajoute que le contribuable s’acquittera de ce fardeau initial s’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude de ces présomptions. La Cour d’appel fédérale établit plus loin, aux paragraphes 23 et 24 de cette même décision, ce qu’est une preuve prima facie :

 

23.              Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vrai » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

24.              Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agisse de l’entreprise du contribuable » (Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425 au paragraphe 20). Cette Cour a précisé que c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle » (ibid.).

 

[18]         Par ailleurs, dans l’affaire Brasserie Futuriste de Laval inc. c. Canada, [2006] A.C.I. no 440, confirmée par [2007] A.C.F. no 1653, le juge Dussault de cette Cour (tel qu’il était alors) a apporté un bémol à cette présomption de validité dans le cas de reconstitution des ventes d’une entreprise selon une méthode alternative (dans ce cas particulier, on avait reconstitué des ventes de nourriture, en appliquant une majoration de 200% des achats moins 5% pour les pertes, en l’absence de factures de vente). Le juge Dussault s’exprimait ainsi au paragraphe 158 :

 

158     Il va sans dire que les marges bénéficiaires brutes dans l'industrie de la restauration et plus particulièrement dans le secteur des brasseries ne sont pas du domaine de la connaissance judiciaire. Si les autorités fiscales estiment que la seule façon d'établir les ventes d'un contribuable dont la comptabilité est déficiente et qui ne possède pas les documents appropriés est de majorer ses achats d'un certain pourcentage, encore faut-il démontrer, sinon par expert, par la présentation de statistiques, par une preuve quant aux normes de l'industrie ou autrement que la majoration appliquée constitue une norme reconnue, raisonnable et pertinente relativement à l'entreprise du contribuable. Je ne peux souscrire à la prétention de l'avocat de l'intimée selon laquelle la présomption de validité de la cotisation emporte automatiquement présomption de validité quant à toutes les hypothèses retenues par le ministre pour établir une cotisation, sans qu'il soit jamais nécessaire d'apporter quelque preuve que ce soit. Il se peut que la majoration de 200 % retenue par madame Morand corresponde effectivement à une norme reconnue, fiable et raisonnablement applicable en l'espèce ce dont je doute dans les circonstances. Il se peut que la majoration appropriée eût dû être de 175 %, de 150 % ou même moins. En un mot, lorsqu'un contribuable peut soulever un doute sérieux, il s'agit de démontrer que la majoration retenue n'est pas une norme purement subjective, mais une norme objective, fiable et acceptable dans les circonstances. On ne peut se réfugier derrière la présomption de validité de la cotisation pour s'abstenir de faire cette preuve. Prétendre le contraire, c'est donner ouverture à l'arbitraire en permettant aux autorités fiscales de formuler n'importe quelle hypothèse, qui serait toujours réputée valide. Ce n'est pas parce qu'un contribuable manque à ses obligations, qu'il a une comptabilité déficiente ou qu'il n'a pas les documents appropriés ou qu'il les a détruits qu'on peut supposer n'importe quoi et prétendre que ces suppositions sont tout simplement réputées valides en toutes circonstances. En matière d'impôt sur le revenu, lorsque l'on établit une cotisation à l'égard d'un contribuable par la méthode indirecte de l'avoir net et que, faute de mieux, l'on établit le montant de ses dépenses personnelles en formulant des hypothèses, on le fait en utilisant des normes objectives minimales tirées des statistiques officielles publiées par Statistique Canada sur le coût de la vie des individus et des ménages dans les différentes régions du pays et non en s'appuyant sur des chiffres qui sont le produit des impressions du vérificateur. À mon avis, cette façon de faire est également applicable en matière de TPS. Pour résumer, dire "mon équipe et moi appliquons une majoration minimale de 200 % moins 5 % pour les pertes", n'est pas suffisant pour faire porter au contribuable le fardeau entier de démolir cette hypothèse lorsque des doutes sérieux peuvent être exprimés à l'égard de celle-ci. Un minimum de preuve est requis pour démontrer qu'une telle majoration constitue une norme reconnue, fiable et raisonnablement applicable dans les circonstances.

[Je souligne.]

 

[19]         Le juge Dussault disait qu’il fallait tenir compte, entre autres, de la réalité globale de l’entreprise. Parallèlement, dans cette même décision, le juge Dussault acceptait la reconstitution des ventes de boissons alcooliques faites à partir d’un échantillonnage des rapports des employés fournissant le détail des ventes sur 14 jours d’une période de trois mois, en estimant que cela était suffisamment représentatif des produits vendus et des prix de vente au cours de cette période.

 

[20]         Il faut souligner que dans Brasserie Futuriste de Laval inc., le juge Dussault précise que le travail de la vérificatrice avait été tributaire de la façon de faire de la contribuable. Il dit ceci au paragraphe 152 :

 

152.     […] Je reconnais volontiers que tout échantillonnage ne peut donner que des résultats approximatifs, lesquels ne reflètent pas nécessairement toute la réalité, ce qui est vrai de toute méthode alternative ou indirecte utilisée par les autorités fiscales lorsque les affaires d'un contribuable ou ses documents, ou l'absence de ceux-ci, les obligent à y avoir recours.

 

[21]         Dans cette affaire, il était admis dès le départ qu’un montant de taxe nette important (près de 80 000 $) avait été perçu par la contribuable et non remis. Les dépôts bancaires excédaient les ventes inscrites aux livres. De plus, au début de la vérification, la vérificatrice avait demandé aux représentants de la contribuable de lui fournir les rapports concernant les ventes de boissons alcooliques qui étaient systématiquement détruits. Contrairement au cas en l’espèce, la contribuable n’avait pas obtempéré et, après deux avertissements, la vérificatrice avait dû avoir recours à une demande péremptoire de produire ces documents. De plus, toujours dans Brasserie Futuriste de Laval inc., la vérificatrice avait découvert beaucoup d’indices de salaires payés comptant, certains indiquant même des paiements « dessous table ». Elle n’avait pas eu non plus le loisir d’analyser en profondeur le livre des salaires et, de façon générale, elle n’avait pas réussi à faire la conciliation avec les livres et registres fournis. Dans ce contexte, vu l’attitude rébarbative du représentant de la contribuable, l’inexactitude des livres et des registres de l’entreprise, la destruction des rapports des employés sur le détail des ventes et la preuve que les sommaires des ventes étaient faussés, la vérificatrice n’avait eu d’autre choix que de procéder en utilisant une méthode alternative. De plus, toujours dans cette même affaire, la brasserie était exploitée par le même propriétaire depuis près de 10 ans au moment de la vérification.

 

[22]         Dans la présente instance, je suis d’avis que la situation est nettement différente. D’une part, la vérification porte sur les deux premières années d’exploitation du restaurant par le propriétaire actuel, monsieur Chionis. Il est vrai qu’il détruisait les factures de vente des repas après deux semaines, mais seulement après les avoir enregistrées sur les rubans de caisse. Il en était à sa première expérience comme propriétaire de restaurant et n’avait pas de raison de croire qu’il n’agissait pas légalement. Madame Thibault lui a reproché dès le début de ne pas inscrire ses ventes sur un registre de ventes. Il me semble que cela ne justifie pas de se lancer dans une méthode arbitraire pour reconstituer des ventes qu’elle suppose dès le départ non déclarées.

 

[23]         Même en l’absence du registre des ventes, elle constate que les états financiers reflètent la totalité des ventes que l’on retrouve sur les rubans de caisse. Elle fait la conciliation entre les ventes déclarées et les taxes remises.

 

[24]         Après avoir demandé à monsieur Chionis de conserver les notes de repas, elle fait un test préliminaire pour tenter de concilier les achats et les ventes. Il semble que ce soit la vente des fèves au lard qui lui ait donné le feu vert pour procéder à une reconstitution des ventes. En effet, elle juge que les ventes dépassent les achats, ce qui selon elle prouve que tous les achats ne sont pas déclarés et en conséquence, qu’on ne déclare pas toutes les ventes. Monsieur Chionis a très bien expliqué l’écart qu’il pouvait y avoir entre la vente des fèves au lard et les achats. On peut aisément comprendre que la quantité achetée en boîte n’est pas nécessairement revendue dans les mêmes proportions, puisqu’il faut les diluer. Par ailleurs, je crois comprendre que madame Thibault avait remarqué que l’achat du fromage en grains n’était pas constant à chaque mois. Au lieu de poser des questions pour avoir quelques explications, elle décide de démarrer sa vérification par échantillonnage. Quant à la différence entre les achats de pains et les factures fournies, ceci n’a fait l’objet d’aucune enquête précise puisque ce n’est qu’après avoir établi la cotisation que madame Thibault s’est enquis auprès des fournisseurs du nombre de pains vendus. Monsieur Chionis n’a pas eu la possibilité de s’expliquer là-dessus.

 

[25]         De ce que je comprends, ce sont ces éléments très aléatoires qu’elle considère comme des irrégularités aux états financiers pour conclure à un système comptable déficient et ainsi se justifier de tenter d’établir des ventes non déclarées. Madame Thibault a admis en contre-interrogatoire que le cas de l’appelante faisait partie d’une série de vérifications dans le domaine de la restauration.

 

[26]         À mon avis, les éléments relevés par madame Thibault pour procéder à une reconstitution des ventes selon une méthode plus qu’arbitraire, n’étaient pas justifiés. Monsieur Chionis commençait à exploiter son commerce. S’il ne comptabilisait pas ses ventes de la façon préconisée par madame Thibault, ce n’est pas une raison pour entraîner ce dernier dans des coûts astronomiques pour se défendre contre une cotisation astronomique. Elle aurait pu conseiller à ce dernier d’entrer ses données selon une méthode acceptable pour le ministre et revenir une ou deux années plus tard pour faire sa vérification. D’ailleurs, madame Thibault reconnaît elle-même que les résultats obtenus étaient peu réalistes, puisqu’une partie de son témoignage a servi à expliquer tout ce qu’elle a fait pour réduire le montant des ventes non déclarées de 1 million $ à environ 500 000 $. Ce simple exercice démontre que les ventes reconstituées sont très aléatoires à la base et prouve, à mon sens, l’élasticité et la fragilité de la méthode alternative utilisée. Il est difficile, avec un tel écart, de justifier un coefficient de fiabilité de 95%.

 

[27]         J’estime que l’appelante a fait une preuve prima facie que la reconstitution des ventes selon une méthode alternative n’était pas justifiée dans les circonstances. Les éléments tenus en compte pour procéder ainsi étaient à mon avis insuffisants, particulièrement lorsqu’on considère que l’appelante commençait tout juste l’exploitation de son restaurant. Il aurait été plus judicieux, et beaucoup moins coûteux pour tous, de donner un simple avis à l’appelante sur une meilleure façon de comptabiliser ses achats et ses ventes. Chose certaine, l’appelante a semé un doute sérieux sur la nécessité de procéder à la reconstitution des ventes dans ce cas particulier.

 

[28]         Pour ces raisons, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de déférer la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin d’annuler la taxe supplémentaire de 47 080 $ calculée sur des ventes additionnelles de 261 789 $ en 2002 et de 254 574 $ en 2003, de même que tous les intérêts (2 719 $) et pénalités (15 539 $), afférents à cette taxe supplémentaire.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 15e jour d’octobre 2009.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 515

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3565(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LE RESTAURANT LE RELAIS DE ST-JEAN INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               les 1 et 2 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 15 octobre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Alexandre E. Paradissis

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Alexandre E. Paradissis

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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