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Référence : 2009 CCI 203

 

Dossiers : 2006-2196(EI)

2006-2197(CPP)

 

ENTRE :

 

1478399 ONTARIO INC., a/s LARRY KRAUSS,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

CERTIFICATION DE LA TRANSCRIPTION DES

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Je requiers que la transcription certifiée ci‑jointe des motifs du jugement que j’ai rendus oralement à l’audience, à Toronto (Ontario), le 24 novembre 2008, soit déposée.

 


 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour d’avril 2009.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’octobre 2009.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

                                                                   Nos des dossiers de la Cour : 2006-2196(EI)

2006-2197(CPP)

 

 

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

 

 

ENTRE :

 

1478399 ONTARIO INC., a/s LARRY KRAUSS,

appelante.

 

 

- et -

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

* * * * *

MOTIFS RENDUS ORALEMENT

AFFAIRE ENTENDUE DEVANT M. LE JUGE WEISMAN

dans les bureaux du Service administratif des tribunaux judiciaires,

Centre judiciaire fédéral, 180, rue Queen Ouest,

à Toronto (Ontario),

le lundi 24 novembre 2008.

 

* * * * *

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Larry Krauss                                                               appelant se représentant lui‑même

 

Me Sharon Lee                                                                                                  pour l’intimé

 

 

Également présent :

 

M. D.W. Burtnick                                                                                     greffier audiencier

 

 

A.S.A.P. Reporting Services Inc. © (2009)

 

200, rue Elgin, pièce 1105                 130, rue King Ouest, bureau 1800

Ottawa (Ontario) K2P 1L5                Toronto (Ontario) M5X 1E3

613-564-2727                                      416-861-8720


 

(ii)

 

 

TABLE

 

PAGE

 

Décision et motifs                                                                                                               1

 

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 


Toronto (Ontario)

--- La décision motivée a été rendue

    le lundi 24 novembre 2008.

                 JUGE WEISMAN : Il s’agit de deux appels interjetés à l’égard de décisions rendues par l’intimé, le ministre du Revenu national (le « ministre » selon lesquelles l’appelante, 1478339 Ontario Incorporated (la « société 147), était l’employeur réputé de Michael Gotkin du 4 mars 2003 au 4 mars 2005, alors que ce dernier travaillait à titre de directeur des travaux d’un projet appelé « Wallace Street Lofts ». Le ministre a fondé sa décision sur le paragraphe 10(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, pris en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi, et du paragraphe 8.1(1) du règlement pris en vertu du Régime de pensions du Canada. En peu de mots, ces deux dispositions prévoient que, si une personne paye un employé, elle est réputée être son employeur et elle est chargée de retenir et de verser les cotisations exigibles en application du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance‑emploi.

                 L’appel de l’appelante comporte deux aspects. Premièrement, Terradigm Developments Incorporated (« Terradigm ») a simplement engagé M. Gotkin à titre de mandataire du promoteur 1317621 Ontario Incorporated (la « société 131 »). Ce point est pertinent parce que lorsque la Cour doit se prononcer sur la question du contrôle, qui constitue l’un des quatre volets des lignes directrices énoncées dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (1986), 87 DTC 5025, elle doit se demander qui exerce ce contrôle; est‑ce la société 131, Terradigm ou la société 147? Qui a réellement retenu les services de M. Gotkin?

                 L’appelante avance en second lieu l’argument selon lequel M. Gotkin était, quoi qu’il en soit, un entrepreneur indépendant et qu’il n’était donc pas visé par les deux dispositions réglementaires susmentionnées.

                 Après avoir examiné l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée, je conclus que les services de M. Gotkin ont été retenus par Terradigm à titre de directeur des travaux du projet. C’est Terradigm qui a annoncé le poste de directeur des travaux, annonce à laquelle M. Gotkin a répondu avec succès. Il me paraît en outre logique qu’un directeur de projet inexpérimenté dans le domaine de la rénovation et du réaménagement d’installations existantes ait besoin d’une personne possédant les compétences de M. Gotkin pour agir comme directeur des travaux.

                 Plus important encore, dans son témoignage et dans ses observations, M. Krauss ne cessait d’employer l’expression [TRADUCTION] « notre relation avec lui », et il m’était impossible d’interpréter ces termes comme si M. Krauss voulait parler de la relation entre la société 131 et M. Gotkin ou de la relation se résumant au fait que la société 147 a émis des chèques à l’ordre de M. Gotkin.

                 Monsieur Gotkin était manifestement payé par l’appelante, de sorte qu’il ne reste plus qu’à savoir s’il s’agissait d’un employé exerçant un emploi aux termes d’un contrat de louage de services ou d’un entrepreneur indépendant engagé aux termes d’un contrat d’entreprise. Pour trancher cette question, qui a été qualifiée de diverses façons — fondamentale, centrale, essentielle —, il convient d’examiner l’entière relation existant entre les parties ainsi que l’effet conjugué de l’ensemble des opérations.

                 À cette fin, la preuve en l’espèce doit être analysée au moyen du critère à quatre volets que lord Wright a énoncé à titre de lignes directrices dans l’arrêt Montreal City v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al, publié à [1947] 1 D.L.R. 161. Ces lignes directrices ont été adoptées par M. le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door Services, publié à [1986] 3 C.F. 553 et à (1986), 87 DTC 5025, de la Cour d’appel fédérale. Elles visent l’exercice d’un contrôle sur le travailleur; la question de savoir si c’est le travailleur ou le payeur qui est propriétaire des instruments de travail requis pour permettre au travailleur d’exercer ses fonctions; ainsi que la possibilité de profit ou le risque de perte qu’a le travailleur dans le cadre de sa relation avec le payeur.

                 Je pense que M. Krauss a mal interprété la jurisprudence qu’il a lue, parce que les lignes directrices énoncées dans les arrêts Wiebe Door et Montreal City n’intéressent pas l’intention des parties, mais bien l’ensemble de la relation existant entre les parties.

                 Examinons d’abord la ligne directrice relative au contrôle. Le droit établit une distinction entre les travailleurs qui exercent un emploi ordinaire et ceux qui, hautement spécialisés, possèdent des compétences qui excèdent la capacité des personnes qui les supervisent de leur dire comment exécuter leurs fonctions. Dans le cas d’un travailleur qui se trouve dans une situation d’emploi ordinaire, il faut donc, pour qu’il y ait contrôle, que le superviseur ait le droit de dire au travailleur non seulement ce qu’il doit faire, mais aussi comment il doit le faire. Dans ce dernier cas, lorsqu’il s’agit d’une personne possédant des compétences spécialisées qui excèdent celles du superviseur, il est suffisant que celui‑ci ait le droit de dire au travailleur quoi faire, même s’il ne possède pas les connaissances nécessaires pour lui dire comment le faire.

                 Il ressort sans équivoque de la preuve que M. Larry Spring était un employé du directeur de projet, Terradigm, et qu’il avait le droit de dire à M. Gotkin quoi faire, c’est‑à‑dire de diriger le projet. Cela donne à penser que M. Gotkin était un employé de Terradigm. Mais la preuve montre également que peu de contrôle était exercé sur M. Gotkin, mis à part ce qui est mentionné ci‑dessus; il allait et venait à sa guise; il était théoriquement tenu de rendre compte à M. Spring, mais ce dernier était rarement sur les lieux, la preuve révélant qu’il ne s’y rendait qu’environ deux fois par mois.

                 Outre le fait qu’en réalité seul un faible degré de contrôle était exercé à l’égard de M. Gotkin, je signale qu’il a négocié sa rémunération et que celle‑ci n’a pas été fixée par Terradigm, ce qui permet de penser qu’il était un entrepreneur indépendant.

                 En conséquence, pour tenter de déterminer de quel côté doit pencher la balance en ce qui touche au contrôle, j’ai convenu avec M. Krauss que le conflit qui l’opposait à M. Gotkin constituait un élément non négligeable. Ce conflit tient au fait que M. Gotkin était au courant du complot formé entre M. Spring et M. Van Den Burg afin d’escroquer de l’argent à la société 131 par l’acceptation d’honoraires de 20 000 $ de clients éventuels en échange d’une réduction de 50 000 $ du coût du loft.

                 L’avocate du ministre a bien raison; il n’y a pas de jurisprudence permettant d’affirmer qu’un employé doit être loyal, mais un élément important de l’existence d’un contrôle a été importé du Code civil du Québec et il s’agit de la notion de subordination. Les employés sont subordonnés à leurs employeurs. Les entrepreneurs indépendants sont indépendants des personnes qui retiennent leurs services.

                 À mon avis, l’omission, par M. Gotkin, d’avertir M. Krauss de ce complot me fait penser qu’il n’existait aucune relation de subordination entre lui et Terradigm. Par souci de précision, je cite la page 129 de la transcription, à la ligne 10. L’échange débute avec les propos suivants de M. Krauss :

[TRADUCTION]

Lorsque nous nous sommes rencontrés en février 2005, vous vous souvenez peut‑être que vous m’avez informé que Harold Spring et Gerard Van Den Burg avaient tous deux été impliqués dans le fait que des acquéreurs versent immédiatement à George et à Harold une somme en espèces et que le prix d’achat est réduit dans la convention d’achat—vente. (tel que cet extrait a été lu)

                 M. Gotkin a répondu ce qui suit :

                      [TRADUCTION]

                      Il y avait des rumeurs.

                      Question : Vous avez attiré         mon attention sur cela.

                      Réponse : Oui.

Question : Y avait‑il une raison pour attendre jusqu’à cette rencontre pour me le dire?

Réponse : Vous ne veniez jamais sur les lieux. Je ne vous voyais jamais.

Question : Mais vous êtes venu à mon bureau à un certain nombre d’occasions pour ramasser des chèques.

                      Réponse : Oui.

Question : Avez-vous à un quelconque moment demandé à me voir?

Réponse : Je n’ai jamais demandé à voir

                      personne.

Question : Ce n’était pas ma question. Avez-vous à un quelconque moment demandé à me voir?

                      Réponse : Non.

Question : Vous déteniez ce renseignement important.

Réponse : Je ne savais pas que c’était important. Je ne savais pas comment c’était important.

Question : Le fait que George ait pu recevoir un pot‑de‑vin, en marge des modalités prévues par la convention d’achat‑vente?  Vous ne voyiez pas l’importance de cela? (tel que cet extrait a été lu)

                 Tout compte fait, il est bien rare en ce monde que ce soit tout noir ou tout blanc. La relation comporte des aspects qui laissent à penser que M. Gotkin était un employé mais, tout bien pesé, la plupart des éléments permettent d’affirmer qu’il était un entrepreneur indépendant, et je conclus donc en ce sens au regard du facteur lié au contrôle.

                 Quant aux instruments de travail, M. Gotkin en utilisait très peu dans le cadre de ses fonctions. On lui fournissait un lieu de travail, soit un loft vacant, mais c’est le promoteur, la société 131, et non Terradigm, qui mettait cet espace à sa disposition. En revanche, Terradigm avait doté ce bureau d’un télécopieur et d’un téléphone dont M. Gotkin et d’autres personnes pouvaient se servir. D’un autre côté, M. Gotkin fournissait son propre casque de protection et ses propres bottes de sécurité, et il y a l’arrêt Precision Gutters Ltd. c. M.R.N., [2002] A.C.F. no 771, dans lequel la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes au paragraphe 25 :

Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu'il était raisonnable que ceux-ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur indépendant même si l'employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l'entreprise en cause

                 Dans la présente affaire, M. Gotkin fournissait les instruments de travail qu’il était normal pour lui de fournir. Cependant, l’entreprise en cause ne nécessitait pas d’instruments spéciaux très coûteux devant être fournis par la personne ayant retenu les services de M. Gotkin. Dans l’arrêt Precision Gutters, il était question d’une machine très chère servant à transformer des bandes d’aluminium en gouttières.

                 Selon moi, ce facteur particulier ne joue donc en faveur ni de l’une ni de l’autre thèse, et j’arrive à la conclusion que le volet relatif aux instruments de travail est équivoque et neutre.

                 J’examine maintenant le critère de la possibilité de profit. M. Krauss fait valoir, pour le compte de l’appelante, que oui, il y avait une possibilité de profit, et de deux manières différentes. Premièrement, l’entente conclue de vive voix entre Terradigm et M. Krauss ne prévoyait aucune restriction empêchant ce dernier de travailler pour d’autres personnes. Il pouvait donc réaliser un profit en travaillant ailleurs pendant la période de 18 mois au cours de laquelle le projet a dû être interrompu en raison de négociations avec CNR visant à décider s’il était possible d’aménager une berme ou un mur de protection. Et, selon M. Krauss, M. Gotkin avait une deuxième possibilité de profit puisqu’il s’attendait initialement à gagner 49 000 $ pendant une période de sept mois, au taux de 7 000 $ par mois mais que, comme le projet s’est étalé sur une période de quatre années, il a finalement gagné quelques 336 000 $, ce qui, de l’avis de M. Krauss, constitue un profit appréciable.

                 Sur ce point précis, j’ai estimé que M. Gotkin était digne de foi en ce qui concerne le premier volet de l’argument de M. Krauss voulant qu’il ait pu travailler ailleurs pendant l’intervalle de 18 mois. M. Gotkin a affirmé que la société s’attendait à ce qu’il soit présent sur les lieux de travail pour les locataires, les ouvriers et les inspecteurs en bâtiment. M. Krauss a tenté de soutenir que deux des ouvriers travaillant sur le projet résidaient dans des lofts et étaient sur place pour se charger du peu qu’il y avait à faire pendant ces 18 mois. Je n’ai pas considéré qu’il s’agissait d’un argument réaliste que de s’attendre à ce que des ouvriers n’ayant aucune responsabilité quelle qu’elle soit autre que celle liée à leur travail assument les fonctions de M. Gotkin lorsque celui‑ci était ailleurs.

                 Puis, le second volet de l’argument voulant que des gains de 7 000 $ se transforment en un profit de 336 000 $. Je nie avoir convenu avec l’avocate du ministre que ce salaire continu ne constitue pas un profit. M. Gotkin pouvait uniquement recevoir un salaire mensuel déterminé, et le fait que ce revenu a été versé pendant une période sensiblement plus longue que celle initialement prévue ne fait pas en sorte qu’il constitue un profit. Je suis sûr que M. Krauss connaît bien le sens du terme « profit » sur le plan commercial. Il s’agit des revenus d’entreprise excédant les dépenses d’entreprise, et cela ne correspond nullement à la situation de M. Gotkin.

                 L’arrêt Hennick c. M.R.N., [1995] A.C.F. no 294, de la Cour d’appel fédérale permet d’affirmer que, si une personne travaille plus fort et plus longtemps ou, dans le cas où elle travaille à la pièce, si elle produit davantage de pièces et gagne plus d’argent, il ne s’agit pas de profit.

                 Comme il n’y a, à mon avis, aucune possibilité de profit pour M. Gotkin, cela indique qu’il était un employé pendant la période en cause.

                 La question du risque de perte a fait naître, entre M. Gotkin et M. Krauss, une curieuse tension qui s’est manifestée dans leur attitude, parce que M. Gotkin emploie des termes comme [TRADUCTION] « je reçois des prestations d’assurance‑emploi et je suis donc peu enclin à courir des risques. Je n’étais plus en affaires et je ne voulais pas être en affaires; j’ai donc répondu à l’annonce placée dans le Star et je suis allé travailler chez Terradigm. »

                 Monsieur Krauss fait preuve d’une attitude totalement contraire : [TRADUCTION] « Nous n’aurions pas engagé un employé qui avait davantage de connaissances spécialisées que nous puisque nous devions bénéficier de recours dans l’éventualité où il commettrait une faute. Nous ne pouvions nous permettre d’être exposés à des actions de tiers sans nous‑mêmes avoir un tiers expert que nous pouvions poursuivre en justice. »

                 À cet égard, je préfère le témoignage et l’attitude de M. Krauss, qui sont davantage logiques sur le plan commercial. Comme il l’a précisé à un certain nombre d’occasions, ils s’étaient lancés dans une entreprise nouvelle pour eux, à savoir Terradigm, ils avaient besoin des connaissances spécialisées d’un tiers, il fallait que ce tiers soit tenu de rendre compte et il devait s’agir d’un entrepreneur indépendant et non d’un employé.

                 Ce qui mine l’argument de M. Gotkin est le fait qu’il a accepté d’être un entrepreneur indépendant, à tout le moins pendant les sept premiers mois, ce qui est absolument contraire à son attitude susmentionnée et à ses propos que j’ai cités. En outre, dans la pièce A-6, qui est une entente datée de 2005 rédigée par son avocat et qui, si j’ai bien compris, a été signée par lui, mais par aucun représentant de l’autre partie, soit Terradigm, la société 131 ou la société 147, il se désigne toujours comme un entrepreneur indépendant.

                 C’est l’une des raisons pour lesquelles je préfère la façon dont M. Krauss a compris leur relation. En outre, pendant toute la période en cause, M. Gotkin a perçu et, on le suppose, versé la TPS, ce que les employés ne font pas. De plus, il a produit ses déclarations de revenus pour toutes les années en cause à titre d’entrepreneur indépendant et il a défalqué de son revenu les dépenses déductibles prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu. Une certaine décision permet d’affirmer que, si une personne choisit d’agir ainsi, cela constitue une preuve de son intention d’être un entrepreneur indépendant. Il s’agit de la décision dans l’affaire Combined Insurance Co. of America c. M.R.N., [2007] A.C.F. no 124, de la Cour d’appel fédérale.

                 Enfin, je ne suis saisi d’aucun élément de preuve établissant que la relation entre M. Gotkin et son employeur a changé à un quelconque moment au cours de la période, contrairement à ce qu’il avance. Ses conditions de travail n’ont donc pas changé. Son mode de rémunération n’a pas changé. Aucun feuillet T4 n’a été délivré. Il n’y avait aucune retenue à la source. Je pense qu’il était un entrepreneur indépendant. Il courait un grand risque de perte s’il interprétait mal les dessins de l’architecte ou s’il donnait de mauvaises directives aux ouvriers, et le facteur lié au risque de perte montre qu’il était un entrepreneur indépendant.

                 Qu’il me soit permis de résumer. Le facteur relatif au contrôle donne à penser qu’il était un entrepreneur indépendant. Le facteur relatif aux instruments de travail est neutre. Le facteur relatif à la possibilité de profit indique qu’il était un employé tandis que, selon le facteur relatif au risque de perte, il était un entrepreneur indépendant.

                 Parmi les trois éléments pertinents — parmi les trois éléments probants —, deux permettent de croire qu’il était un entrepreneur indépendant.

                 Ce qui m’amène à l’intention des parties, facteur auquel il convient d’accorder un poids croissant au fur et à mesure que le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door devient moins convaincant, ou prédominant, ou ne permet pas de trancher l’affaire. Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, le tribunal mentionne que, dans ces circonstances, il convient de tenir compte de l’intention des parties. J’ai déjà dit que, manifestement, il était dès le départ de l’intention commune des parties que M. Gotkin soit un entrepreneur indépendant. À mon sens, rien n’est venu changer cette situation par la suite, en particulier à la lumière de la pièce A-6, selon laquelle cette entente conclue avec un entrepreneur indépendant était prolongée jusqu’au mois de mars 2005. 

                 Si je devais souligner les plus importants facteurs qui intéressent la question de la relation entre les parties en l’espèce, je mentionnerais l’absence de subordination et cette entente de 2005, qui désigne M. Gotkin comme entrepreneur indépendant.

                 Selon les règles de droit, il incombe à l’appelante de réfuter les hypothèses énoncées dans la réponse du ministre à l’avis d’appel et, dans la présente affaire, une réponse modifiée à l’avis d’appel a été produite. Les hypothèses se trouvent au paragraphe 15. Il est toujours problématique de démolir des hypothèses qui ne sont pas litigieuses, qui ne sont pas probantes ou qui ne permettent pas de décider si le travailleur est un entrepreneur indépendant ou un employé.

                 En pareilles circonstances, j’examinerai volontiers les hypothèses formulées par le ministre. Vous verrez qu’elles ne permettent pas de trancher l’affaire. Par exemple, l’alinéa 15a) : [TRADUCTION] « le propriétaire du projet était la société 1317621 ». C’est exact. L’appelante ne pourrait jamais démolir cette hypothèse, mais celle‑ci ne m’aide nullement à statuer sur la situation de M. Gotkin. De même, l’alinéa b) : [TRADUCTION] « le propriétaire du projet a engagé l’appelante pour qu’elle fournisse des services de "gestion de projet" ». Exact. L’alinéa c) : [TRADUCTION] « l’appelante a été constituée en société pour offrir des services de gestion de projet dans le cadre d’un seul projet particulier, à savoir "The Wallace Station Lofts" »; exact. Il s’agit d’une série de faits établissant le contexte, mais rien qui permette d’appliquer les lignes directrices qui ont été énoncées dans l’arrêt Wiebe Door afin d’aider le tribunal à décider de la situation d’un travailleur.

                 Plutôt que de faire perdre le temps de tous et d’examiner toutes ces hypothèses qui ne mènent nulle part, je passerai immédiatement à l’alinéa f), lequel intéresse les fonctions du travailleur et constitue un résumé utile de ces tâches mais, je le répète, il aurait pu accomplir ces fonctions autant en qualité d’employé qu’en qualité d’entrepreneur indépendant. Ce n’est pas concluant. Cela ne permet pas de trancher l’affaire.

                 Passons maintenant à l’alinéa g), lequel est erroné : [TRADUCTION] « le travailleur exerçait ses fonctions sur les lieux mêmes du projet, où un bureau lui était fourni ». Un bureau était effectivement fourni, mais pas par la bonne personne ou entité de sorte que cette assertion ne permet pas d’établir que cette entité était l’employeur.

                 Puis, on fait état du salaire annuel, lequel est ensuite fractionné selon une base hebdomadaire.

                 Puis, on énonce un fait qui est exact, alinéas j) et k) : il n’avait pas de vacances payées. Aucun avantage social lié à l’emploi. Ces hypothèses sont vraies, mais elles tendent à établir exactement ce que le ministre conteste. Elles donnent à penser que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Il serait bien difficile pour l’appelante de réfuter ou de démolir ces hypothèses.

                 L’alinéa l) précise les heures de travail.

                 Selon l’alinéa m), on s’attendait à ce que le travailleur soit présent sur le lieu de travail pendant ses heures de travail, et qu’il soit disponible les nuits et les fins de semaine. Suivent enfin certaines hypothèses qui tendent à montrer que le travailleur se trouve sous le contrôle du directeur du projet et qu’il pourrait donc être un employé.

                 L’alinéa n) est une autre hypothèse : [TRADUCTION] « le travailleur n’était pas payé pour ses heures supplémentaires ». Ce qui indique une situation d’entrepreneur indépendant, et non d’employé, et il s’agit à nouveau d’une hypothèse qu’il est très difficile pour l’appelante de réfuter.

                 L’alinéa o) : [TRADUCTION] « les heures de travail du travailleur n’étaient pas consignées ». Cette assertion est certainement exacte, mais je ne pense pas qu’elle permette de croire que le travailleur était un employé.

                 L’alinéa p) : [TRADUCTION] « le travailleur était supervisé par Harold Spring ». Bien, comme je l’ai déjà dit, la preuve révèle qu’en théorie, M. Spring avait probablement le droit de le superviser mais, en réalité, il ne se trouvait sur place que quelques fois par mois et il n’exerçait pas vraiment une supervision à l’égard du travailleur. Cependant, comme je viens de le mentionner, il avait effectivement le droit de lui dire quoi faire et cela indique que M. Gotkin était un employé.

                 L’alinéa q) a été démoli : [TRADUCTION] « le travailleur restait toujours en contact avec son superviseur, Harold Spring, puisque c’est l’appelante qui prenait les décisions définitives ». La preuve produite par l’appelante a permis de réfuter cette hypothèse. Ce fait n’a pas été établi.

                 Il est à nouveau question du bureau fourni au lieu de travail à l’alinéa r) : [TRADUCTION] « l’appelante fournissait le bureau au lieu de travail ». La preuve n’étaye pas cette hypothèse, laquelle a été démolie.

                 L’alinéa s) est exact : [TRADUCTION] « l’appelante remboursait au travailleur ses frais de téléphone cellulaire au moyen d’une indemnité mensuelle ». Je ne me prononce pas sur l’indemnité mensuelle, mais je reconnais qu’il serait inhabituel de rembourser un entrepreneur indépendant de ses frais de téléphone cellulaire. On pourrait donc dire que l’hypothèse s) étaye la thèse du ministre voulant que cet homme ait été un employé, et cela n’a pas été réfuté par l’appelante.

                 L’alinéa t) : [TRADUCTION] « l’appelante n’a offert aucune formation au travailleur ». C’est vrai, mais cela indique aussi qu’il s’agit d’un entrepreneur indépendant. On ne forme pas des entrepreneurs indépendants, on forme des employés.

                 L’alinéa u) : [TRADUCTION] « l’appelante couvrait le coût de tous les matériaux ». Cela est erroné. C’est la société 131 qui assumait le coût des matériaux.

                 L’alinéa v) : [TRADUCTION] « l’appelante décidait si le travail devait être refait et elle était responsable des coûts afférents ». Je conclus que l’appelante a à dessein choisi cette façon de faire et qu’elle voulait que M. Gotkin soit un entrepreneur indépendant justement parce qu’ils avaient besoin d’une personne tenue de rendre compte, autre qu’eux‑mêmes, une personne qui connaissait cette exigence relative au rattrapage puisque eux‑mêmes ne s’y connaissaient pas. Cette hypothèse a été réfutée et démolie.

                 L’alinéa w) : [TRADUCTION] « l’appelante était responsable des frais liés à l’assurance de la responsabilité civile ». À mon avis, ce point n’a pas beaucoup de poids, ni dans un sens ni dans l’autre.

                 L’alinéa x) : [TRADUCTION] « le travailleur n’avait pas investi de capitaux dans l’entreprise ». C’est exact. Ce qui tend à montrer qu’il était un employé.

                 L’alinéa y) : [TRADUCTION] « le travailleur devait fournir ses services lui‑même ». Cette assertion est tout à fait exacte, mais cela ne permet pas de trancher l’affaire puisque je suis certain que nous aimerions tous que notre chirurgien fournisse ses services lui‑même, mais cela ne fait pas de lui un employé. Voilà donc une autre hypothèse qui ne peut être démolie, mais elle n’est pas déterminante.

                 L’alinéa z) : [TRADUCTION] « le travailleur fournissait des services exclusivement à l’appelante ». Je conclus que cette assertion est fondée, mais je conclus également qu’elle ne permet pas de trancher l’affaire puisque de nombreux entrepreneurs indépendants n’ont qu’un seul client.

                 À l’alinéa aa), [TRADUCTION] « l’appelante avait le droit de mettre fin aux services du travailleur ». Cette assertion à elle seule ne nous mène pas très loin. La question est la suivante : Ont‑ils le droit de mettre fin aux services sans préavis ou sans indemnité de préavis? Cette assertion ne m’aide pas à décider si le travailleur en cause, M. Gotkin, était un employé ou un entrepreneur indépendant.

                 Je conclus que l’appelante a démoli un nombre suffisant d’hypothèses litigieuses ou probantes de sorte que les hypothèses qui restent ne suffisent pas à étayer les décisions du ministre, et je ne suis pas certain de pouvoir vous renvoyer à un précédent, mais la Cour d’appel fédérale a statué en ce sens dans l’arrêt Jencan Ltd. c. M.R.N., [1997] A.C.F. no 876 :

[TRADUCTION]

Même si certaines hypothèses ont été réfutées, si les autres suffisent à justifier la décision du ministre, celle‑ci demeure. (tel que cet extrait a été lu)

                 J’estime que ce n’est pas le cas dans l’affaire dont je suis saisi. La décision du ministre, les deux décisions, sont objectivement déraisonnables parce que j’ai entendu de nouveaux éléments de preuve à l’instruction ou parce que la preuve connue du ministre n’a pas été correctement appréciée. En conséquence, je vais faire droit aux deux appels et annuler les deux décisions du ministre.

                 Je vous remercie de votre collaboration. Je vais maintenant mettre fin aux audiences de la Cour jusqu’à 9 h 30 demain matin.

--- Le prononcé de la décision et des motifs est terminé.


RÉFÉRENCE :

2009 CCI 203

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2006-2196(EI)

2006-2197(CPP)

 

INTITULÉ :

1478399 Ontario Inc. a/s Larry Krauss

et Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable N. Weisman,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT :

 

Le 24 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimé :

Me Sharon Lee

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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