Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2006-3539(IT)G

 

ENTRE :

MARTINE NANTEL,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Denis Larocque (2006-3540(IT)G),

les 28, 29 janvier et 19 mars 2009,

à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Mario Proulx

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Boutin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1999 et 2000 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Bromont (Québec), ce 23e jour de novembre 2009.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

Dossier : 2006-3540(IT)G

 

ENTRE :

DENIS LAROCQUE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Martine Nantel (2006-3539(IT)G),

les 28, 29 janvier et 19 mars 2009,

à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Mario Proulx

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Boutin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1999 et 2000 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Bromont (Québec), ce 23e jour de novembre 2009.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 599

Date : 20091123

Dossiers : 2006-3539(IT)G,

 2006-3540(IT)G

ENTRE :

MARTINE NANTEL,

DENIS LAROCQUE,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit de deux appels entendus conjointement sous le régime de la procédure générale. Madame Martine Nantel et monsieur Denis Larocque (les « appelants ») interjettent appel des nouvelles cotisations établies le 25 septembre 2003 par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour leurs années d’imposition 1999 et 2000. Le présent litige porte sur la juste valeur marchande (« JVM ») d’œuvres d’art des artistes George Delfosse (« Delfosse ») et Henri Hébert (« Hébert ») que les appelants ont données au Musée Laurier (« musée ») en 1999 et 2000.

 

 

Contexte

 

[2]              Le 30 décembre 1999, madame Nantel donnait au musée 90 œuvres de Delfosse. Le même jour, monsieur Larocque donnait au musée 24 œuvres de Delfosse et 50 œuvres de Hébert. Le 7 février 2000, madame Nantel et monsieur Larocque donnaient au musée 73 œuvres de Hébert et monsieur Larocque donnait au musée 55 œuvres de Delfosse. Les œuvres que les appelants ont données au musée font partie d’un lot d’œuvres (242 œuvres de Delfosse et 50 œuvres de Hébert) que monsieur Larocque avait acquises, en 1981 et 1982, de madame Madeleine Delfosse, la fille de Delfosse, pour un coût d’environ 3 000 $.

 

 

[3]              Pour établir la valeur de ces dons, monsieur Richard Pedneault, le directeur‑conservateur du musée depuis 1988, a retenu les services de monsieur Bernard Desroches, un propriétaire d’une galerie d’art à Montréal depuis 1970. Monsieur Desroches a établi la valeur des œuvres données au musée par madame Nantel à 33 910 $ en 1999 et à 35 095 $ en 2000. Par ailleurs, monsieur Desroches a établi la valeur des œuvres données au musée par monsieur Larocque à 30 292 $ en 1999 et à 37 057 $ en 2000.

 

 

[4]              Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1999, madame Nantel indiquait avoir donné au musée des œuvres d’art d’une valeur totale de 33 910 $ et demandait, en conséquence, un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance en nature. Par ailleurs, dans sa déclaration de revenus pour l’année 2000, elle indiquait avoir donné au musée des œuvres d’art d’une valeur totale de 33 095 $ et demandait, en conséquence, un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance en nature. En s’appuyant sur le rapport d’évaluation des œuvres ainsi données par madame Nantel fait par madame Kathryn C. Minard, (une experte indépendante en matière d’évaluation d’œuvres d’art) en date du 30 janvier 2003, déposé en preuve sous la cote I-7, le ministre a établi que la JVM des œuvres ainsi données était plutôt de 1 933 $ en 1999 et de 1 567 $ en 2000 et a donc, par les nouvelles cotisations établies le 25 septembre 2003, réduit les crédits d’impôt non remboursables pour dons de bienfaisance demandés par madame Nantel en 1999 et 2000.

 

 

[5]              Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1999, monsieur Larocque indiquait avoir donné au musée des œuvres d’art d’une valeur totale de 30 292 $ et demandait, en conséquence, un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance en nature. Par ailleurs, dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2000, il indiquait avoir donné au musée des œuvres d’arts d’une valeur totale de 37 057 $ et demandait, en conséquence, un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance en nature. En s’appuyant sur le rapport d’évaluation des œuvres d’art ainsi données par monsieur Larocque qui a été fait par madame Minard en date du 30 janvier 2003 (pièce I-7), le ministre a établi que la JVM des œuvres ainsi données était plutôt de 1 939 $ en 1999 et de 1 236 $ en 2000 et a donc, par les nouvelles cotisations établies le 25 septembre 2003, réduit les crédits d’impôt non remboursables pour dons de bienfaisance demandés par monsieur Larocque en 1999 et 2000.

 

 

[6]              À la suite de ces nouvelles cotisations établies le 25 septembre 2003 par le ministre à l’encontre des appelants, monsieur Pedneault retenait les services d’un deuxième expert en matière d’évaluation d’œuvres d’art, soit monsieur Gianguido Fucito, et ce, dans le but de persuader le ministre que son évaluation des œuvres d’art données au musée par les appelants était erronée. Je souligne immédiatement que le rapport d’évaluation préparé à cette fin par monsieur Fucito en date du 12 mai 2003 et déposé en preuve sous la cote A-9 établissait la JVM des œuvres de Delfosse données par madame Nantel à 66 260 $, la JVM des œuvres de Delfosse données par monsieur Larocque à 50 240 $ et la JVM des œuvres d’art de Hébert données par monsieur Larocque à 19 705 $.

 

 

[7]              Finalement, le ministre a retenu les services de madame Minard pour faire un examen technique du rapport d’évaluation des œuvres d’art de Delfosse et de Hébert préparé par monsieur Fucito en date du 12 mai 2003. Ainsi, le 15 juillet 2008, madame Minard remettait au ministre le rapport ainsi requis, rapport qui d’ailleurs a été déposé en preuve sous la cote I-6. Il convient aussi de souligner que le ministre a aussi retenu les services de madame Minard pour faire un examen technique des évaluations des œuvres d’art de Delfosse et de Hébert préparées par monsieur Desroches le 15 décembre 1999 et le 27 janvier 2000. Le 7 octobre 2008, madame Minard faisait parvenir à madame Anne‑Marie Boutin, le procureur de l’intimée, le rapport ainsi requis, rapport d’expert qui d’ailleurs a été aussi produit en preuve sous la cote I-6.

 

 

[8]              Monsieur Larocque, monsieur Desroches, monsieur Pedneault et monsieur Gianguido Fucito ont témoigné à l’appui de la position des appelants. Seule madame Kathryn C. Minard a témoigné à l’appui de la position de l’intimée.

 

 

 

 

Biographie des artistes et description générale des œuvres données

 

 

[9]              La biographie de Delfosse et de Hébert et la description générale des œuvres données par les appelants figurant dans le rapport d’évaluation (pièce I-7) préparé par madame Minard méritent d’être citées intégralement car elles m’ont parues comme étant complètes et comme étant le résultat d’une recherche approfondie. Madame Minard a résumé ainsi l’histoire de la vie de Delfosse :

 

 

 

 

 

Par ailleurs, elle a décrit de façon générale les œuvres de Delfosse données par les appelants ainsi :

 

 

 

 

 

[10]         Madame Minard a, par ailleurs, résumé ainsi la biographie de Hébert et a décrit de façon générale les œuvres de Hébert données par les appelants ainsi :

 

 

 

 

 

 

 

 

[11]         Je retiens du témoignage de monsieur Larocque, dont la crédibilité ne fait pas de doute, qu’il avait acheté ces œuvres de Delfosse et de Hébert non pas pour spéculer ou les vendre mais bien pour enrichir éventuellement le patrimoine de sa province. Il a expliqué qu’après avoir conservé les œuvres pendant plus de 20 ans, œuvres qui lui avaient coûté des frais de conservation élevés, il avait décidé avec sa conjointe que le temps était venu de les donner en bloc à un musée de façon à ce que ces œuvres ne soient jamais séparées puisqu’il considérait qu’elles formaient un « corpus ».

 

Témoignage de monsieur Pedneault

 

[12]         Monsieur Pedneault a d’abord rappelé que le musée était situé à Arthabaska dans un bâtiment qui avait été la résidence de Sir Wilfrid Laurier et que ce musée avait été créé en 1929 pour commémorer la mémoire de ce dernier. Par la suite, monsieur Pedneault a longuement exposé en quoi les œuvres acquises correspondaient à la vocation du musée. À cet égard, il a expliqué que le musée se spécialisait dans les œuvres d’art à caractère historique et, particulièrement, dans les œuvres faites par des artistes qui avaient habité la région d’Arthabaska et dont la destinée avait croisé celle de Sir Wilfrid Laurier. À cet égard, il a rappelé que le musée possédait plusieurs œuvres de Suzar Côté, d’Alfred Laliberté et de Louis Philippe Hébert (le père d’Henri Hébert), autant d’artistes qui avaient donné de leurs œuvres pour commémorer la vie de Sir Wilfrid Laurier, ce grand protecteur des arts et des lettres qui avait bien voulu les parrainer. Enfin, monsieur Pedneault a longuement exposé le lien entre Delfosse, ce grand portraitiste et peintre religieux né en 1869, et Sir Wilfrid Laurier. À cet égard, il a rappelé que Delfosse avait amorcé sa carrière avec le portrait de Sir Wilfrid Laurier avec qui il s’était lié d’amitié. Monsieur Pedneault a ajouté que le musée possédait des œuvres de Delfosse avant d’acquérir les œuvres de ce dernier données par les appelants.

 

[13]         Par la suite, monsieur Pedneault a témoigné sur la capacité du musée d’acheter des œuvres d’art. Il a expliqué que, depuis qu’il est en poste, soit depuis 1988, le musée ne s’était jamais privé d’acheter une oeuvre d’art pour des raisons financières. À cet égard, les états financiers du musée et un résumé des achats d’œuvres d’art par le musée en 1999 et 2008 furent déposés en preuve sous la cote A‑12. Cette preuve documentaire démontre que le musée a notamment déboursé, pour acquérir des œuvres d’art, 329 000 $ en 2003, 173 000 $ en 2005, 185 496 $ en 2006 et 226 000 $ en 2007.

 

[14]         Les appelants, qui avaient l’obligation de démontrer que la JVM des œuvres d’art qu’ils avaient données au musée était supérieure à celle établie par le ministre, se sont appuyés en grande partie sur les évaluations de messieurs Desroches et Fucito. Avant d’examiner les opinions et les conclusions de messieurs Fucito et Desroches sur la valeur de ces œuvres, j’aimerais indiquer immédiatement que, lorsque la Cour a l’obligation de déterminer la JVM d’un bien et que différents chiffres lui sont présentés, elle ne s’acquitte pas de cette obligation en optant pour la valeur la plus élevée. Elle n’est liée par aucune évaluation et n’est pas tenue de choisir une de celles qui lui ont été présentées. Elle doit faire tout ce qu’elle peut pour établir la valeur réelle du bien, même si cela est difficile. À cette fin, elle peut rejeter toutes les évaluations ou se servir de certains éléments de certaines d’entre elles ou de toutes et arriver à une conclusion différente. Il ne s’agit pas d’un processus mécanique. C’est un processus qui exige de la Cour qu’elle soupèse tous les éléments dont elle dispose et qu’elle utilise son jugement pour en arriver à un résultat correct.

 

[15]         Dans ses rapports d’évaluation (pièces A‑5 et A‑6), monsieur Desroches décrit de façon très succincte chacune des œuvres données par les appelants, en établit la valeur et finalement justifie de façon globale cette valeur. Puisque ces justifications sont très courtes, elles méritent d’être citées intégralement :

 

 

 

 

 

 

[16]         Je souligne immédiatement que les conclusions de monsieur Desroches sur la JVM de ces œuvres ne m’apparaissent pas crédibles, et ce, notamment pour les raisons suivantes :

 

i)                   d’abord, je note que monsieur Desroches cite dans ses rapports deux ventes d’œuvres de Delfosse en vue d’appuyer ses conclusions sur la JVM des œuvres de Delfosse données par les appelants et omet de citer de nombreuses œuvres offertes et vendues dans les ventes aux enchères tenues aux alentours de la période des dons. Ces omissions enlèvent, à mon avis, toute crédibilité aux conclusions sur la valeur des œuvres, car le nombre de ventes citées est tout simplement insuffisant pour appuyer les conclusions de monsieur Desroches sur la JVM des œuvres de Delfosse données par les appelants. Les explications pour le moins loufoques de monsieur Desroches pour justifier ces omissions, qui, je le souligne, n’ont fait que confirmer mes doutes quant à la crédibilité et le sérieux de son analyse et de ses conclusions, méritent d’être citées :

 

[671]    Q.        D’accord. Et vous mentionnez que c’est tout ce que vous aviez?

 

R.         À ma disposition.

 

[672)]  Q.        C’est ça. Mais, on est en 1999, 2000 à cette époque‑là, n’aviez-vous pas accès aux banques de données concernant les ventes par les différents... les encans surtout, par exemple, le artnet, artprice et d’autres?

 

R.         Oui, j’ai certains de ces volumes-là, là.

 

[673]    Q.        Oui, vous les aviez en 1999 et en 2000?

 

R.                 Oui. Oui, je les avais.

 

[674]    Q.        Oui. Et vous ne les avez pas consultés?

 

R.         Non, je ne les ai pas consultés parce que, on vous donne un dessin, vous ne le voyez pas, c’est très difficile de baser son jugement là-dessus. Puis à part ça, les résultats des ventes aux enchères, ça peut être surestimé et sous-estimé aussi. Alors, c’est un critère mais c’est pas une base.

 

ii)                 bien que des œuvres d’Hébert, autant ses dessins que ses sculptures, aient été vendues aux enchères publiques, monsieur Desroches ne cite aucune de ces ventes dans ses rapports. Au lieu de cela, il compare les œuvres de Hébert aux œuvres de Delfosse. À mon avis, la JVM est mieux déterminée par la comparaison de l’oeuvre évaluée avec une autre oeuvre du même artiste. À cet égard, je partage entièrement l’opinion de madame Minard à l’effet que la comparaison d’Hébert à Delfosse est fondamentalement erronée puisque leurs œuvres ne sont pas assez semblables en ce que Hébert est connu comme sculpteur, et Delfosse comme peintre. J’ajouterai que les deux ventes d’œuvres de Delfosse citées à titre de comparables par monsieur Desroches, un dessin d’une église et un portrait à l’huile, ne m’apparaissent pas des comparaisons raisonnables pour les esquisses figuratives de personnes nues par Hébert;

 

iii)               monsieur Desroches a omis dans ses rapports des renseignements sur la condition de certaines œuvres (tels des taches, des déchirures et des pertes de papier) renseignements qui ont généralement, à mon avis, une influence négative sur la JVM d’une oeuvre d’art;

 

iv)               monsieur Desroches décrit dans ses rapports les œuvres de Delfosse comme des « réalisations poussées ». En réalité, bon nombre d’œuvres ne sont pas des dessins entièrement réalisés et de les décrire comme des « réalisations poussées » m’apparaît pour le moins inexact. En effet, plusieurs de ces œuvres sont des esquisses, des études ou des croquis tout au plus. En fait, les œuvres données me semblent mal décrites dans les rapports d’évaluation. En effet, monsieur Desroches aurait dû fournir une identification précise de chaque bien évalué. Ainsi, il aurait dû préciser si le bien donné était un dessin, une étude ou encore une esquisse. Monsieur Desroches ne semble pas faire de différence entre ces formes d’art alors qu’il y a des différences qualitatives entre celles‑ci dont il faut, à mon avis, tenir compte dans le cadre de l’évaluation des mérites esthétiques d’une oeuvre d’art.

 

v)                 monsieur Desroches indique dans ses rapports que plusieurs esquisses de Delfosse ont servi à réaliser les œuvres illustrées dans le volume intitulé « Le Vieux Montréal vu par George Delfosse » publié en 1983 sous l’égide de la Ville de Montréal. Pourtant, lorsque appelé à identifier ces œuvres, monsieur Desroches a été en mesure d’identifier une seule oeuvre pour illustrer ses allégations à ce titre. En fait, monsieur Desroches fait constamment des affirmations et des assertions non fondées et non justifiées. Un autre exemple à ce titre mérite d’être cité : lors de son témoignage, monsieur Desroches a témoigné qu’il avait donné (bien que ses rapports soient silencieux à cet égard) une plus grande valeur aux œuvres de Delfosse qui auraient été utilisées ultérieurement par ce dernier pour peindre des huiles. Encore une fois, lorsqu’il fut appelé à identifier les œuvres de Delfosse qui auraient été utilisées à telles fins, monsieur Desroches a été incapable de donner un seul exemple;

 

vi)               monsieur Desroches fait valoir que la valeur des œuvres données comme collection est supérieure à la valeur de chaque oeuvre évaluée individuellement. Encore une fois, cette assertion de monsieur Desroches n’est pas appuyée par des exemples tirés de ventes sur le marché;

 

vii)             enfin, je souligne qu’aucune définition de la JVM n’apparaît dans ces rapports.

 

 

[17]         Somme toute, la preuve a révélé que monsieur Desroches s’est fié à son flair de marchand d’œuvres d’art pour déterminer la JVM des œuvres données plutôt qu’à des normes d’évaluation reconnues.

 

Évaluation de monsieur Fucito

 

[18]         L’autre expert des appelants, monsieur Fucito, possède 25 ans d’expérience dans le domaine de l’art. Il est expert-conseil et personne-ressource en art du 17e siècle à aujourd’hui. Il a également procédé à de nombreuses évaluations pour des musées et des institutions. Depuis 1986, il est membre fondateur de l’Association des galeries d’art contemporain de Montréal et vice‑président de cette association. Il est directeur de la galerie d’art Bernard. Il a été mandaté par les appelants pour donner une seconde expertise en réponse aux nouvelles cotisations établies par le ministre.

 

[19]         Puisque la justification des valeurs que monsieur Fucito a attribuées aux œuvres données est relativement courte, je me permets de la reproduire intégralement :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[20]         Je souligne ici que l’analyse et les conclusions de monsieur Fucito sur la JVM des œuvres données par les appelants ne m’apparaissent pas crédibles pour les motifs suivants :

 

i)                   je note dans ce rapport que monsieur Fucito énonce les quatre critères principaux qu’il aurait utilisés pour attribuer une valeur aux œuvres données :

 

-         l’état de conservation des œuvres;

-         l’importance des artistes dans le contexte de l’art moderne;

-         l’importance des œuvres et le lien avec la collection du Musée Laurier;

-         les liens avec la compréhension du patrimoine de l’art du Québec et du Canada;

 

Cependant, lorsqu’on analyse son rapport, on note que sa méthode d’évaluation se résume simplement à faire une moyenne des prix au centimètre carré des ventes comparables et à multiplier la superficie de chaque oeuvre évaluée. Monsieur Fucito a été incapable d’expliquer cette incohérence lorsqu’il a été interrogé sur le sujet.

 

ii)                 je note que monsieur Fucito affirme dans son rapport que les œuvres, sans exception, sont en excellente condition alors que la preuve a révélé que plusieurs œuvres étaient tachées ou déchirées;

 

iii)               lors de son témoignage sur son rapport, monsieur Fucito a fait valoir que la valeur des œuvres données comme collection est supérieure à la valeur de chaque oeuvre évaluée individuellement. Il a expliqué que la valeur qu’il avait attribuée à chacune des œuvres avait été augmentée pour tenir compte de ce facteur. D’abord, je souligne que le rapport est silencieux sur ce point. De plus, il me semble qu’il est impossible qu’il ait attribué une valeur additionnelle aux œuvres pour tenir compte du fait qu’elles faisaient partie d’une collection, étant donné la méthodologie utilisée dans son rapport pour déterminer la JVM des œuvres dont la base consistait dans un premier temps à faire une moyenne du prix au centimètre carré des ventes comparables d’oeuvres qui, définitivement, ne faisaient pas partie d’une collection. J’ajouterai que cette assertion de monsieur Fucito n’est pas non plus appuyée par quelque exemple que ce soit dans le marché.

 

 

[21]         Enfin, je souligne que je partage entièrement les conclusions de madame Minard à l’encontre du rapport de monsieur Fucito (pièce A-6), conclusions qui méritent aussi d’être reproduites intégralement :

 

 

 

 

 

 

 

Évaluation de madame Minard

 

[22]         Je souligne immédiatement que le rapport d’évaluation de madame Minard, dont l’expertise, la compétence et l’expérience sont particulièrement impressionnantes, constitue une analyse basée sur une démarche rigoureuse et structurée qui est guidée par les principes reconnus en matière d’évaluation.

 

[23]         Madame Minard a d’abord témoigné de l’étendue des travaux entrepris pour produire son rapport. À cet égard, elle a expliqué que ces travaux ont nécessité notamment un examen des données biographiques et de la documentation des deux artistes, ainsi que des images de l’ensemble de leurs œuvres dans les galeries publiques, les catalogues d’encan et les sites Internet de musées. Dans le cas de Delfosse, elle a examiné des peintures, des esquisses, des études et des desseins mis en vente dans des encans et dans des galeries d’art de Toronto. De plus, elle a rencontré des marchands d’art de Montréal pour discuter avec eux d’exemples représentatifs des œuvres de ces artistes et des marchés pour ces œuvres. Elle a ajouté qu’elle avait communiqué avec les maisons de ventes à l’encan soit Les Encans Penney et l’Hôtel des Encans de Montréal. Madame Minard a aussi expliqué qu’elle avait examiné personnellement chacune des œuvres évaluées.

 

[24]         Madame Minard a par la suite expliqué qu’afin de déterminer la JVM des œuvres, elle avait fait une démarche qui consistait à comparer les ventes pour procéder à l’évaluation, c’est‑à‑dire comparer le bien évalué à des biens semblables qui avaient été vendus auparavant sur le marché où ils sont ordinairement offerts en vente au public. Madame Minard a ajouté que sa recherche lui avait indiqué que les biens qui sont comparables aux biens donnés étaient le plus souvent vendus au public lors de ventes aux enchères, principalement par l’intermédiaire de maisons régionales de vente aux enchères et que, en conséquence, ce marché était approprié pour déterminer la JVM des œuvres données. Je souligne que madame Minard a précisé que la comparaison des œuvres données avec les œuvres vendues dans les encans a été limitée par le manque d’illustrations des biens vendus parce que les articles de faible valeur ne sont pas fréquemment illustrés dans les catalogues de ventes aux enchères et qu’ainsi elle avait nécessairement dû se fier à l’information reçue des marchands d’œuvres d’art et des commissaires‑priseurs de Montréal, ainsi qu’à leur opinion, pour ce qui est de la qualité des œuvres vendues lors des ventes aux enchères en comparaison avec les œuvres données. Elle a enfin expliqué qu’elle avait considéré que le prix obtenu lors des ventes aux enchères reflétait seulement la valeur du dessin ou de l’esquisse, et non la valeur associée à l’encadrement des œuvres.

 

[25]         Madame Minard a déterminé que la JVM totale des œuvres données était de 26 599 $. Elle a expliqué que ce chiffre représente le montant qui aurait été obtenu si les œuvres d’art avaient été vendues séparément, ou en petits groupes, et qui aurait été déboursé par l’intermédiaire de nombreuses maisons de vente aux enchères dans l’ensemble du Canada, de manière à réduire l’effet négatif à la vente simultanée d’un grand nombre d’œuvres similaires. Toutefois, elle a expliqué que, si les biens étaient vendus en bloc, plus précisément en deux blocs de 163 et 79 œuvres de Delfosse et un bloc de 50 œuvres de Hébert, l’acheteur le plus probable serait un marchand d’œuvres d’art, un centre d’archives ou un musée. Elle a expliqué que, si les biens en question étaient vendus en bloc, le prix le plus élevé qui pourrait être obtenu serait d’environ 25 % du prix qui pourrait être obtenu à la suite d'une vente individuelle puisque, généralement, le prix payé par l’acheteur en bloc est moins élevé que celui qui serait payé si chaque article était vendu individuellement.

 

 

Analyse et conclusion

 

[26]         En matière de dons, la Loi ne définit pas la JVM. La définition classique vient de la jurisprudence. Celle qu’a donnée le juge Cattanach, de la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, dans Henderson Estate and Bank of New-York c. M.N.R., 73 D.T.C. 5471 (C.F.), J. Cattanach; confirmé par 75 D.T.C. 5332 (C.A.F.), est la plus citée :

 

[TRADUCTION]

 

Je ne pense pas qu’il faille chercher à définir exactement l’expression employée dans la Loi. Il suffit de s’en tenir à l’interprétation usuelle. Ainsi, à mon avis, il s’agirait du prix le plus élevé qu’il serait raisonnable d’atteindre d’un bien vendu par son propriétaire suivant la méthode habituellement applicable pour un tel bien et suivant le cours normal des affaires sur un marché qui n’est pas soumis à des tensions indues et qui est constitué d’acheteurs et de vendeurs consentants, indépendants les uns des autres et contractant sans contraintes. J’ajouterais que cette interprétation, exprimée de façon générale, renferme ce que j’estime l’élément essentiel à retenir, soit l’existence d’un marché libre où les prix sont modelés en fonction de l’offre et de la demande par des acheteurs et des vendeurs consentants et informés.

 

 

[27]         Somme toute, la JVM est une question de fait. Pour fixer la JVM d’un bien, il faut donc commencer par déterminer quel est le marché le plus pertinent sur lequel on aurait pu trouver le bien au moment du don. Comme l’existence d’un marché est aussi une question de fait, il faut trouver, dans les faits, quel est le marché sur lequel le jeu de l’offre et de la demande s’exercent normalement pour le type de bien en cause.

 

[28]         Puisqu’il n’existait pas en l’espèce au moment des dons de marché comme tel de ventes de lots d’œuvres semblables aux lots d’œuvres données au musée dans le cours ordinaire des affaires, je partage l’opinion de madame Minard à l’effet que, dans un tel cas, le marché, principalement le marché de la vente d’œuvres individuelles aux enchères publiques et, accessoirement, celui de la vente au détail d’œuvres individuelles, devrait être utilisés comme indice indirect pour déterminer la JVM des œuvres données au musée. Comme il s’agissait en l’espèce d’aliénations de lots, je partage l’opinion de madame Minard voulant qu’il fallait appliquer une décote (en l’espèce de 75 %) pour accroissement de l’offre afin de tenir compte de l’effet dépressif sur le prix de vente au détail causé par la présence d’une grande quantité d’œuvres d’un même artiste sur le marché au même moment. En résumé, je suis d’avis que la JVM des œuvres données déterminée par madame Minard est exacte étant donné qu’elle est basée sur une démarche rigoureuse, structurée et guidée par les principes reconnus en matière d’évaluation, principes que je partage entièrement.

 

[29]         Les prétentions des appelants sont plutôt à l’effet que le ministre a omis de tenir compte dans son évaluation du fait que le musée était un acheteur spécial ayant un intérêt particulier et différent pour cette collection d’œuvres, qu’il souhaitait l’utiliser, après son acquisition, à des fins différentes de celles d’autres acheteurs potentiels et qu’ainsi cet acquéreur spécial était prêt à l’acquérir à un prix plus élevé par rapport au prix que d’autres acheteurs auraient été prêts à payer. En d’autres termes, les appelants soutiennent que le marché le plus pertinent pour cette collection d’œuvres était le musée en ce que cette collection d’œuvres correspondait exactement à la vocation du musée d’où son intérêt particulier de l’acquérir, et ce, à un prix plus élevé que les autres acheteurs potentiels auraient été prêts à payer. À cet égard, les appelants ont cité certaines décisions qui ont reconnu la notion de l’acheteur spécial en ce que, dans un marché ouvert et libre, il peut y avoir un acheteur potentiel ayant un intérêt particulier différent pour un bien et désireux d’utiliser le bien, après son acquisition, à des fins différentes d’autres acheteurs potentiels et qu’ainsi la JVM peut comprendre le prix le plus élevé que peut avoir le bien pour cet « acheteur spécial » par rapport au prix que d’autres seraient prêts à payer. À cet égard, le procureur des appelants a prétendu que ses clients avaient fait la preuve que cette collection allait de pair avec la vocation du musée et que le musée avait les ressources financières pour l’acquérir.

 

 

[30]         À mon avis, la théorie de l’acheteur particulier se prête mal au contexte de dons. Elle ne saurait être retenue si son application a un caractère hypothétique et ne repose pas sur des faits. L’existence d’un acheteur particulier doit être établie par la preuve : la démonstration qu’une personne aurait déboursé une somme d’argent supérieure aux autres acheteurs pour acquérir un bien. Dans le cas de dons à un musée, il faut démontrer qu’en l’absence de dons, l’achat des oeuvres n’aurait pu se faire qu’en payant un prix plus élevé que d’autres auraient payé. En l’espèce, l’appelant, sur qui reposait le fardeau de la preuve, devait démontrer que d’autres personnes cherchaient à acquérir ces lots d’œuvres et que le musée était prêt à payer un prix plus élevé pour les acquérir. Cette preuve n’a pas été faite. Les appelants auraient pu indirectement faire la preuve que le musée était un acheteur particulier en faisant la preuve de l’existence de ventes d’œuvres comparables à des musées et que le prix payé par ceux-ci est généralement supérieur au prix payé dans le cours ordinaire des affaires. Encore une fois, la preuve des appelants à ce titre était silencieuse.

 

 

[31]         Les appelants soutiennent que les œuvres données au musée constituaient des collections, que ces collections allaient de pair avec la vocation du musée et qu’ainsi le principe de la décote en cas d’accroissement de l’offre ne s’appliquait pas en l’espèce. En d’autres termes, les appelants prétendent que la présence d’une collection avait un effet positif sur la JVM.

 

 

[32]         Certes, les appelants ont démontré que les œuvres données au musée constituaient des collections et que, au moment des dons, ces collections allaient de pair avec la vocation du musée. Mais encore fallait-il, pour faire échec au principe de la decote, que les appelants démontrent ce que le musée, en l’absence des dons, aurait été prêt à payer pour acquérir ces collections et surtout qu’ils fassent la preuve que le musée n’aurait pu acquérir ces collections qu’en payant un prix plus élevé que ce que d’autres acquéreurs auraient été prêts à payer. À mon avis, s’il n’y a pas plusieurs acquéreurs potentiels ayant un tel intérêt particulier, il est difficile, sinon impossible, de quantifier l’effet positif sur la JVM de l’existence en soi d’une collection. En d’autres termes, dans un tel cas, il devient presque impossible de justifier le fait que le musée aurait payé un prix plus élevé. Les appelants auraient peut-être pu faire cette preuve indirectement en faisant la preuve que les musées, dans les cas où ils sont les seuls à avoir un intérêt particulier pour acquérir une collection d’œuvres d’art, sont toujours prêts à payer un prix plus élevé que ce que d’autres acquéreurs n’ayant pas cet intérêt particulier étaient prêts à payer.

 

 

[33]         Puisque les appelants n’ont pas démontré que la JVM des œuvres d’art qu’ils avaient données au musée était supérieure à celle établie par le ministre, les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

Signé à Bromont (Québec), ce 23e jour de novembre 2009.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 599

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3539(IT)G, 2006-3540(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MARTINE NANTEL, DENIS LAROCQUE et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 15 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 23 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Mario Proulx

Avocat de l'intimée :

Me Anne-Marie Boutin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Mario Proulx

                                                          Bélanger, Sauvé, S.E.N.C.R.L.

                 Cabinet :                           Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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