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Dossier : 2004-24(IT)G

ENTRE :

609309 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Stan Nance (2004-25(IT)G) le 9 mars 2010, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gordon D. Beck

 

Avocat de l’intimée :

Me Chang Du

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 1998 et 1999 de l’appelante est rejeté avec dépens conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

Dossier : 2004-25(IT)G

ENTRE :

STAN NANCE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

609309 Alberta Ltd. (2004-24(IT)G) le 9 mars 2010, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Gordon D. Beck

 

Avocat de l’intimée :

Me Chang Du

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 1998 et 1999 de l’appelant est rejeté avec dépens conformément aux motifs du jugement ci‑joints.  

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2010 CCI 166

Date : 20100319

Dossiers : 2004-24(IT)G

2004-25(IT)G

ENTRE :

609309 ALBERTA LTD. et

STAN NANCE,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              Les présents appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Au cours des années pertinentes, soit 1998 et 1999, M. Nance et son ancienne conjointe de fait étaient les uniques actionnaires de la société appelante.

 

 

I. Les points litigieux

 

[2]              Il s’agit en l’espèce de savoir (i) si 609309 Alberta Ltd. (« 609309 ») était une « entreprise de prestation de services personnels » et si M. Nance était un « employé constitué en société » en vertu du paragraphe 125(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »); (ii) si certaines dépenses de 609309 ont été à juste titre refusées à cause des restrictions applicables aux entreprises de prestation de services personnels figurant à l’alinéa 18(1)p) pour le motif qu’elles n’avaient pas été engagées en vue de gagner un revenu comme l’exige l’alinéa 18(1)a), pour le motif qu’il s’agissait de frais personnels ou de subsistance décrits à l’alinéa 18(1)h), ou pour le motif que ces dépenses étaient déraisonnables; (iii) si M. Nance a reçu, en franchise d’impôt, un montant au titre de l’allocation de pension et de logement pour un emploi sur un chantier particulier, laquelle est décrite au paragraphe 6(6); (iv) si les frais de gestion que 609309 avait accumulés en 1999 ont été engagés à titre de dépenses d’entreprise déductibles et, dans l’affirmative, si les exigences concernant le délai de 180 jours énoncées au paragraphe 78(4) s’appliquent à ces frais.

 

 

II. Les faits

 

[3]              M. Nance est un monteur de charpentes métalliques expérimenté qui réussit bien dans son métier. Au cours des premières années, il a participé à un certain nombre de projets de structure d’acier, notamment des immeubles en hauteur, des ponts, des usines de sables bitumineux et de la machinerie lourde. Il a travaillé à des projets d’envergure en Alberta, en Saskatchewan, en Colombie‑Britannique et à Hawaii. Au cours des années en question, il agissait en bonne partie à titre de superviseur dans le domaine de la gestion de travaux de construction et, pendant les années 1990, il a travaillé en cette qualité à plusieurs projets d’envergure réalisés par de grandes sociétés pétrolières et chimiques canadiennes.

 

[4]              En 1993 et en 1994, M. Nance travaillait pour Spantec Constructors Ltd. (« Spantec »), un entrepreneur industriel canadien, à la centrale électrique Genesee, à l’ouest d’Edmonton. Au début de l’année 1994, Spantec a décidé de fermer son bureau de Calgary. Au mois d’avril 1994, Spantec a envoyé à M. Nance une lettre confirmant qu’elle ne lui fournirait plus d’emploi à temps plein. Dans cette lettre, Spantec disait en outre qu’elle avait l’intention de continuer à avoir recours aux services de M. Nance sur une base horaire et qu’elle couvrirait également les dépenses d’emploi y afférentes. À la fin de la lettre, Spantec mentionnait en outre qu’elle fournirait un emploi à M. Nance dans le futur.

 

[5]              M. Nance a témoigné avoir eu à ce sujet, à peu près à ce moment‑là, une conversation avec le représentant de Spantec qui avait signé la lettre l’informant que Spantec voulait continuer à avoir recours à ses services sur une base contractuelle.

 

[6]              M. Nance a témoigné que, compte tenu de la lettre et de la conversation, il avait décidé qu’il serait sensé de travailler par l’entremise d’une société. Il a ensuite formé 609309, dont la personne qui était alors sa conjointe de fait et lui‑même détenaient les actions à parts égales, et il a alors continué à travailler à titre d’entrepreneur.

 

[7]              Pour les contrats obtenus par l’entremise de 609309, M. Nance fournissait aux clients tous les services générateurs de revenus. Sa conjointe de fait s’occupait des registres, de la paie, des opérations bancaires ainsi que de la liaison avec les comptables et elle effectuait les courses. La société 609309 ne comptait pas d’autres employés. Elle fournissait les services de M. Nance pour la gestion des travaux de construction ainsi que pour certains travaux de construction d’immeubles. M. Nance n’accomplissait pas tout son travail par l’entremise de la société et il a continué à être employé directement, lorsqu’il travaillait par l’entremise de son syndicat.

 

[8]              M. Nance et sa conjointe vivaient à Eckville. La conjointe exploitait un salon de coiffure en ville. Ils possédaient également conjointement trois logements locatifs modestes et un quart de section de terrain.

 

[9]              Au mois de novembre 1997, Spantec et 609309 ont conclu un contrat intitulé [traduction] « Contrat de prestation de services personnels », qui prévoyait que 609309 fournirait à Spantec les services personnels de M. Nance à titre de surintendant, Acier. Le travail était exécuté à la centrale de cogénération Nova Chemicals, à Joffre (Alberta), une ville située près de Red Deer, qui compte 90 000 habitants et qui est la troisième plus grosse ville de l’Alberta. Selon la preuve fournie par les deux parties, la ville de Joffre est située à moins d’une heure, en voiture, d’Eckville. Ce qui est surprenant, c’est que personne ne m’a dit ou n’a pu me dire à quelle distance cette ville était située, en voiture, ou n’a pu s’entendre à ce sujet et que personne n’a demandé à M. Nance quelle était la distance entre son lieu de travail, à Joffre, et sa résidence, ni combien de temps il lui fallait pour faire la navette en voiture, et ce, même si, au cours des années en question, il faisait régulièrement la navette.

 

[10]         Le contrat de prestation de services personnels prévoyait que 609309 recevrait quarante‑quatre dollars pour chaque heure effectuée par M. Nance et il n’y avait pas de tarif pour les heures supplémentaires. Spantec était tenue de souscrire une assurance responsabilité professionnelle ainsi qu’une assurance responsabilité civile globale générale pour les services que 609309 fournissait par l’entremise de M. Nance. Le contrat comportait une disposition expresse entre Spantec et 609309 selon laquelle il s’agissait d’une relation d’entrepreneurs indépendants et exigeait que M. Nance soit un employé de 609309. En vertu des dispositions du contrat de prestation de services personnels, Spantec fournissait à M. Nance une camionnette dans le cadre de son travail et remboursait celui‑ci de tous les frais d’essence et d’entretien connexes. M. Nance était également autorisé à utiliser la camionnette afin de se rendre à son lieu de travail et d’en revenir, et ce, qu’il reste à sa résidence, à Eckville, ou dans sa roulotte pendant l’été.

 

[11]         Au mois de novembre 1998, le contrat de prestation de services personnels de 1997 a été remplacé ou prorogé au moyen d’un contrat non signé d’une page concernant le projet ou l’entente parce que, comme l’a dit M. Nance, la commande antérieure avait pris fin. Ce document prévoyait que 609309 fournirait les services de superviseur de M. Nance pour le même projet, aux mêmes taux horaires. Selon le document, les heures facturées devaient correspondre aux heures de l’équipe et les heures additionnelles consacrées aux travaux d’écritures et ainsi de suite ne devaient pas être facturées. Les heures de travail, soit dix heures par jour, du lundi au jeudi, y étaient également fixées. Le contrat prévoyait que les dépenses seraient remboursées à M. Nance plutôt qu’à 609309 et qu’elles seraient facturées sur un formulaire de demande de remboursement des dépenses de Spantec. Il était également stipulé que l’allocation de logement à l’extérieur, ou l’AL, et les dépenses y afférentes devaient également être soumises sur des formulaires de demande de remboursement des dépenses de Spantec.  Il ressort clairement de la preuve que les formulaires de demande de remboursement des dépenses d’employé de Spantec étaient utilisés à ces fins par M. Nance et Spantec.

 

[12]         Ni l’une ni l’autre entente ne prévoyait les modalités de paiement de l’AL, mais M. Nance recevait directement de Spantec, au titre de l’AL, une allocation quotidienne de soixante‑quinze dollars. M. Spantec a déclaré avoir eu droit à cette allocation uniquement pour les jours travaillés, mais comme je l’expliquerai ci‑dessous, je conclus, et il ressort clairement de la preuve documentaire soumise par la Couronne, qu’il a soumis des formulaires signés de remboursement des dépenses d’employé de Spantec et qu’il a touché des AL pour un nombre de jours beaucoup plus élevé que ceux qu’il avait travaillés, comme le montrent les factures que 609309 a présentées à Spantec et les feuilles de présence quotidiennes corroborantes soumises au même moment.

 

[13]         Ni M. Nance ni 609309 n’ont déclaré, aux fins de l’impôt sur le revenu, les montants reçus au titre de l’AL.

 

[14]         Je ferai d’abord certaines remarques au sujet de la quantité et de la qualité des éléments de preuve que les appelants ont présentés.

 

[15]         J’ai obtenu fort peu d’éléments de preuve à l’appui du témoignage de M. Nance. Ni l’ancienne conjointe de fait ni un représentant de Spantec n’ont témoigné. Aucune pièce justificative, de quelque genre que ce soit, n’a été produite en vue de justifier les dépenses déduites qui auraient été engagées ou de confirmer les biens ou les services acquis. Les appelants n’ont soumis aucun élément de preuve, de quelque nature que ce soit, en vue d’expliquer, et encore moins de justifier, les frais de gestion accumulés. Il n’existait aucune preuve corroborant le témoignage de M. Nance selon lequel 609309 avait d’autres clients, à part Spantec, au cours des années 1998 et 1999, et indiquant si 609309 avait déclaré le revenu y afférent. Je n’ai obtenu aucun détail au sujet de ce qui était fait dans le bureau à domicile, au sujet de la nature des services de superviseur fournis par M. Nance, ni au sujet de ce à quoi servaient les nombreux véhicules à moteur, en sus de celui que Spantec fournissait. Dans la même veine, aucune preuve n’a été soumise au sujet de la question de savoir si les dépenses se rattachant à la résidence, à Eckville, par exemple pour les travaux ménagers, les services publics et l’ordinateur, étaient imputées au bureau à domicile, ou au sujet de la façon dont pareilles dépenses étaient ainsi imputées.

 

[16]         Le témoignage de M. Nance était fort général. Il n’y a certes rien de mal à être un homme peu loquace. Toutefois, à certains moments cruciaux, M. Nance était selon moi évasif et peu sincère. Plus précisément, lorsque, pendant le contre‑interrogatoire, on a contesté son témoignage, selon lequel il ne rendait en fait compte à personne, ce qui contredisait grandement les réponses qu’il avait données à l’interrogatoire préalable, à savoir qu’il rendait quotidiennement ou régulièrement compte à un directeur de projet désigné, il s’est contenté de rétorquer : [traduction] « Eh bien, tout le monde doit rendre compte à quelqu’un. » De plus, lorsqu’on lui a posé des questions, au cours du contre‑interrogatoire, au sujet de la mention expresse d’un emploi auprès de Spantec dans la lettre du mois d’avril 1994 qui lui avait été envoyée et du fait que, dans la lettre, le recours à une société de consultation n’était pas proposé, mais qu’il était plutôt question d’un travail effectué sur une base contractuelle horaire, M. Nance a répondu : [traduction] « Je suppose que vous pouvez l’interpréter comme vous le voulez. » Dans ces conditions, en l’absence d’une preuve corroborante, écrite, claire et non contredite, je ne puis considérer le seul témoignage de M. Nance, quant à toute question en litige, comme étant suffisant pour permettre aux appelants de s’acquitter de l’obligation qui leur incombe de me convaincre selon la prépondérance des probabilités.

 

[17]         Plus précisément, je conclus qu’au cours de la période en question, 609309 avait uniquement Spantec comme cliente. Je retiens la preuve présentée par l’intimée, à savoir que presque tous les revenus déclarés de 609309 étaient justifiés au moyen des montants facturés à Spantec et reçus de Spantec. Le témoignage contraire de M. Nance n’était qu’un vœu pieux.

 

[18]         Je conclus également que la décision de M. Nance d’établir 609309 et de fournir ses services par l’entremise de cette société n’avait pas été prise à la demande de Spantec ou sur les instances de Spantec.

 

[19]         Le témoignage de M. Nance était tout à fait incohérent quant à la question de savoir à quels moments il travaillait et à quels moments il faisait la navette entre la ville de Joffre et sa résidence, à Eckville, ou sa roulotte, située près de la rivière, pendant l’été. M. Nance n’avait pas d’endroit où rester au lieu de travail, à Joffre, où on ne lui fournissait qu’un cubicule de travail et une camionnette. M. Nance a témoigné se rappeler qu’il logeait parfois dans un motel ou à l’hôtel, à Blackfalds, près de Joffre, mais il n’a pas donné le nom d’un établissement et il n’a pas expliqué pourquoi il y restait, et il n’a même pas fourni de facture ou de relevé de carte de crédit. La preuve est telle qu’il n’y avait selon moi aucun autre endroit où M. Nance pouvait dormir presque chaque soir, si ce n’est dans son propre lit, à Eckville, ou dans sa roulotte, près de la rivière, pendant l’été. Plus précisément, je conclus que M. Nance faisait bel et bien chaque jour la navette entre sa résidence ou sa roulotte et son lieu de travail, à Joffre, et qu’il n’a pas engagé de frais de pension ou de logement à Joffre ou dans les environs si ce n’est que rarement. Je conclus en outre que M. Nance ne travaillait pas tous les jours sur le chantier, à Joffre, y compris la plupart des weekends. Je conclus qu’il effectuait les quelque quarante heures hebdomadaires prévues au contrat comme le prévoyait l’entente écrite et comme le montraient la facture et la feuille de présence produites en preuve. Je conclus que M. Nance demandait et recevait néanmoins un montant quotidien de soixante‑quinze dollars au titre de l’AL pour chaque jour de l’année, et ce, peu importe s’il travaillait ou non, sauf pour une période d’environ deux semaines, à Noël et au Nouvel An. Je suppose que cela était conforme à l’entente que 609309 et lui‑même avaient conclue avec Spantec au sujet de l’AL.

 

 

III. L’entreprise de prestation de services personnels

 

[20]         L’entreprise de prestation de services personnels est définie au paragraphe 125(7) de la Loi et, dans un cas comme celui‑ci, cela m’oblige à décider s’il était raisonnable de considérer M. Nance comme un employé de Spantec, si ce n’était de l’existence de 609309.

 

[21]         Pour décider si un particulier est un employé ou un entrepreneur indépendant, il faut notamment prendre en considération : (i) l’intention des parties; (ii) le contrôle exercé sur le travail; (iii) la propriété des instruments de travail; (iv) les possibilités de gains et les risques de perte; et (v) les critères d’intégration dans l’entreprise, d’association ou d’entrepreneuriat. Aucune de ces considérations ne l’emporte, la pertinence et le poids relatifs de chacune dépendant des faits propres à l’affaire et du contexte. Les décisions faisant autorité sur ce point sont notamment 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, de la Cour suprême du Canada, Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, 2006 DTC 6323, de la Cour d’appel fédérale et Lang et al. c. M.R.N., 2007 CCI 547, 2007 DTC 1754, de la Cour.

 

[22]         L’avocat des appelants se fonde fortement sur l’intention des parties en l’espèce, comme en font foi les dispositions du contrat de prestation de services personnels conclu par 609309 et Spantec. Il souligne que, dans plusieurs jugements, depuis que la Cour d’appel fédérale a rendu son arrêt Royal Winnipeg Ballet, la Cour a mis l’accent sur l’importance de cette considération.

 

[23]         Dans le contexte de la détermination de l’existence d’une entreprise de prestation de services personnels, l’intention des parties n’est pas un critère utile ou pertinent pour au moins trois raisons. Premièrement, la disposition applicable est une disposition anti‑évitement visant à refuser à certaines sociétés le taux d’imposition réduit applicable aux petites entreprises et le report d’impôt qui y est associé. Le taux réduit et le report d’impôt recherchés ne pourraient pas être obtenus à moins que les parties n’aient eu l’intention d’entretenir une relation d’entrepreneurs indépendants. La juge Sharlow a examiné à fond la nature anti‑évitement des restrictions applicables aux entreprises de prestation des services personnels dans l’arrêt Dynamic Industries Ltd. c. La Reine, 2005 CAF 211, 2005 DTC 5293. Étant donné que le fournisseur de services qui exploite une entreprise de prestation de services personnels est par définition une société, il n’y a pas de possibilité d’emploi. Troisièmement, le libellé de la définition figurant au paragraphe 125(7) exige que le tribunal fasse abstraction de la relation elle-même et qu’il fasse une conjecture raisonnable au sujet de ce que les parties auraient fait si elles avaient agi autrement. Ces deux considérations m’amènent à conclure que la détermination de l’existence d’une entreprise de prestation de services personnels en vertu du paragraphe 125(7) est passablement différente de la détermination habituelle, en ce qui concerne l’assurance‑emploi, le Régime de pensions du Canada et l’impôt sur le revenu, à savoir si la relation connue, réelle et véritable entre un travailleur et un payeur est une relation d’employeur-employé ou d’entrepreneurs indépendants. Sur ce point, je suis d’accord avec la juge V.A. Miller lorsqu’elle dit, dans la décision 1166787 Ontario Limited c. La Reine, 2008 CCI 93, 2008 DTC 2722, qu’elle ne pensait pas que l’intention soit une considération pertinente dans une affaire comportant la détermination de l’existence d’une entreprise de prestation de services personnels au sens du paragraphe 125(7). Je note également que le juge McArthur n’a pas tenu compte de l’intention des parties en rendant une décision défavorable au contribuable au sujet de l’entreprise de prestation de services personnels dans l’affaire 758997 Alberta Ltd. c. La Reine, 2004 CCI 755, 2004 DTC 3669, mettant en cause un concepteur‑dessinateur de tuyauterie industrielle travaillant à la même centrale de cogénération Nova Chemicals, à Joffre. Dans l’arrêt Dynamic Industries, la Cour d’appel fédérale n’a pas tenu compte de l’intention des parties en rendant sa décision au sujet de l’entreprise de prestation de services personnels.

 

[24]         Quoi qu’il en soit, il existe en l’espèce peu d’éléments de preuve utiles qui puissent m’aider à déterminer ce que Spantec et M. Nance auraient eu l’intention de faire s’ils avaient décidé de conclure directement un contrat. M. Nance a témoigné qu’il croyait que Spantec voulait traiter avec une société plutôt qu’avec lui directement. Aucun représentant de Spantec n’a témoigné. Le contrat de prestation de services personnels montre clairement que Spantec exigeait que M. Nance soit un employé de 609309; il n’était pas acceptable pour Spantec que M. Nance soit un entrepreneur indépendant de 609309, il devait être employé. Je puis déduire que Spantec et 609309 voulaient toutes deux entretenir une relation d’entrepreneurs indépendants, mais il n’y avait pas d’autre possibilité, puisqu’une société ne peut pas être un employé. Avant les années ici en cause et par la suite, Spantec a eu recours aux services de M. Nance directement en sa qualité d’employé pour un travail similaire de superviseur dans le domaine de la gestion des travaux de construction. Il y avait peut‑être bien de véritables considérations commerciales amenant Spantec à exiger que M. Nance soit un employé de 609309, sinon un employé de Spantec, de façon à avoir droit à l’indemnisation des accidents du travail et que les cotisations y afférentes soient payées une seule fois par la partie appropriée, et de façon que M. Nance, à titre d’assuré non désigné, bénéficie de l’assurance responsabilité civile générale de Spantec et de l’assurance responsabilité professionnelle, ainsi que pour des raisons similaires. Compte tenu des conclusions ambiguës auxquelles mènent les quelques éléments de preuve peu utiles qui ont été mis à ma disposition au sujet de l’intention qui existait en l’espèce, je conclus que l’intention des parties n’est pas un élément utile lorsqu’il s’agit de rendre une décision dans un sens ou dans l’autre dans la présente affaire.

 

[25]         En ce qui concerne la propriété des instruments de travail, la société 609309 fournissait un ordinateur portatif que M. Nance utilisait dans le cadre de son travail et Spantec fournissait la camionnette et le local de travail. Aucun autre instrument n’était nécessaire. Je note que M. Nance utilisait la camionnette fournie par Spantec afin de faire la navette entre sa résidence et son lieu de travail. Cette considération ne m’amène pas à me prononcer dans un sens plutôt que dans l’autre et elle n’est donc pas particulièrement utile dans la présente affaire.

 

[26]         Les possibilités de gains de M. Nance et de 609309 sont limitées à quarante‑quatre dollars pour chaque heure effectuée par M. Nance, plus le montant additionnel de soixante‑quinze dollars accordé pour l’AL quotidienne. Tous les frais, y compris l’assurance, étaient supportés par Spantec, sauf pour les accidents de travail. Le seul risque de perte auquel M. Nance et 609309 étaient exposés découlait de l’insolvabilité éventuelle de Spantec ou de sa cliente, Nova Chemicals, ce qui, selon la preuve, n’était pas possible.

 

[27]         Quant au contrôle, je dois conclure que le degré de contrôle que Spantec exerçait et qu’il fallait exercer sur les services fournis par M. Nance était tel que, si ces services étaient décrits d’une façon appropriée, il s’agirait d’un emploi, au cas où M. Nance aurait directement conclu un contrat avec Spantec. Un degré important de contrôle était exercé, comme le montrent les documents produits en preuve. Toutefois, je tire cette conclusion en me fondant principalement sur le témoignage tout à fait incohérent que M. Nance a présenté à l’instruction sur ce point, par rapport aux réponses qu’il avait données sous serment lors de l’interrogatoire préalable.

 

[28]         Il est inconcevable que même le représentant le plus important de Spantec sur le chantier ne rende pas régulièrement compte, directement ou indirectement, à un contremaître de projet. Les travaux de structure d’acier ne constituent qu’une seule composante d’une centrale de cogénération en activité. Je déduis de la négation insensée de la réponse que M. Nance avait antérieurement donnée lors de l’interrogatoire préalable que, si la vérité était révélée, la mesure dans laquelle il fallait rendre compte était, du moins aux yeux de M. Nance, suffisante pour que celui‑ci risque tout au moins grandement d’être un employé.

 

[29]         Dans l’ensemble, il est tout simplement difficile de voir comment il serait possible de dire qu’un travailleur qui a pris, par contrat, pareilles dispositions financières avec Spantec était vraiment dans les affaires à son compte.

 

[30]         Compte tenu de la preuve, je ne suis pas convaincu que, si M. Nance et Spantec avaient directement conclu un contrat aux fins de l’obtention des services de M. Nance, le contrat aurait probablement été tel que M. Nance serait considéré comme un entrepreneur indépendant de Spantec. Par conséquent, les nouvelles cotisations n’ont pas à être modifiées en vue de qualifier l’entreprise de 609309 autrement que comme une entreprise de prestation de services personnels.

 

 

IV. Les dépenses refusées

 

[31]         Je ne suis pas convaincu que les dépenses qui ont été refusées doivent être admises. Les dépenses admissibles d’une entreprise de prestation de services personnels sont assujetties aux restrictions imposées à l’alinéa 18(1)p) et, comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dynamic Industries, il peut en résulter que des dépenses d’entreprise par ailleurs déductibles ne soient pas déductibles au niveau de la société, et ce, bien que la déduction refusée puisse également être incluse dans le revenu d’un actionnaire.

 

[32]         Quoi qu’il en soit, la preuve en l’espèce est insuffisante pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que les dépenses qui ont été déduites ont de fait été engagées par 609309 et qu’elles se rapportaient à l’entreprise de cette dernière. Il n’y avait pas de preuve documentaire et aucun témoignage n’a été présenté en vue de fournir des explications. M. Nance a témoigné qu’il ne savait vraiment pas comment les dépenses d’entreprise étaient enregistrées.

 

[33]         L’avocat des appelants se fonde sur le fait que la plupart des montants en question ont été ajoutés au revenu de M. Nance à titre d’avantage conféré à un actionnaire. Il fait valoir que seulement la moitié des montants auraient dû être inclus puisque l’ancienne conjointe de fait de M. Nance était également actionnaire à 50 p. 100 de la société. Je ne dispose d’aucun élément de preuve suffisamment crédible me permettant de conclure que l’ancienne conjointe de M. Nance tirait probablement autant parti que lui de ces montants ou qu’on ne saurait imputer à M. Nance l’avantage au complet.

 

[34]         L’avocat des appelants signale également que le montant des dépenses qui ont été refusées en tant qu’avantage conféré à un actionnaire aurait pu être payable à M. Nance par 609309, à titre de rémunération additionnelle et d’avantage conféré à un employé, et que ces dépenses étaient donc déductibles en vertu des dispositions concernant les entreprises de prestation de services personnels figurant à l’alinéa 18(1)p). L’avocat cite la décision 758997 Alberta à l’appui. Je n’ai même pas à tenir compte de l’approche adoptée par le juge McArthur dans cette affaire‑là puisqu’il est clair que, même si le juge était saisi d’une entente concernant une entreprise de prestation de services personnels à peu près similaire, les témoignages oraux et la preuve qui lui avaient été soumis étaient d’une qualité tout autre. Je tiens à ajouter qu’il n’est pas clair, selon moi, qu’un examen approprié des remarques que la Cour d’appel fédérale a faites dans l’arrêt Dynamic Industries me permettrait de toute façon de suivre le résultat obtenu dans la décision 758997 Alberta.

 

 

V. L’allocation de logement accordée pour un emploi sur un chantier particulier

 

[35]         Les montants que M. Nance a reçus directement de Spantec au titre de l’AL ne sont pas admissibles au traitement libre d’impôt prévu au paragraphe 6(6) à titre d’allocation de pension et de logement raisonnable et d’avantage accordé pour un emploi sur un chantier particulier ou dans un endroit éloigné.

 

[36]         Le paragraphe 6(6) s’applique uniquement à une allocation reçue par un employé. Or, M. Nance n’était pas un employé de Spantec; il était un employé de 609309. Spantec versait l’AL directement à M. Nance. Ni 609309 ni M. Nance ne rendaient compte de l’AL aux fins de la tenue de livres, ou à des fins comptables, fiscales ou autres. Il n’est pas clair que le paragraphe 6(6) puisse s’appliquer à l’AL que Spantec accordait à M. Nance.

 

[37]         Le paragraphe 6(6) exige qu’une allocation admissible se rapporte aux dépenses que le contribuable a engagées pour la pension et le logement sur un chantier particulier et que le montant de cette allocation soit raisonnable. Dans la présente affaire, M. Nance retournait chez lui presque tous les soirs. Il n’utilisait pas les montants reçus au titre de l’AL pour la pension et le logement sur le chantier ou près du chantier. De plus, il recevait l’AL même pour les jours où il ne travaillait pas à Joffre et même lorsqu’il ne restait pas à cet endroit ou dans les environs. Il ne s’agissait tout simplement pas d’une indemnité de sortie pour les weekends où un employé, lorsqu’il ne travaille pas, retourne parfois chez lui afin de voir la famille ou pour d’autres raisons personnelles. Il n’est satisfait à ni l’une ni l’autre exigence.

 

[38]         L’emplacement d’un chantier particulier doit être tel que, compte tenu de la distance, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le contribuable retourne chaque jour chez lui. Dans la présente affaire, M. Nance retournait de fait chez lui presque tous les jours plutôt qu’à l’occasion afin de voir sa famille ou pour d’autres raisons. Il n’est donc pas satisfait à cette exigence.

 

[39]         Le paragraphe 6(6) s’applique uniquement si les fonctions du contribuable obligent celui‑ci à s’absenter de chez lui ou à être sur un chantier particulier ou dans un endroit éloigné pendant au moins 36 heures. Or, dans l’affaire qui nous occupe, M. Nance effectuait des postes de dix heures à un endroit qui était situé à moins d’une heure de route de sa résidence. On ne saurait dire qu’il était tenu de s’absenter pendant 36 heures.

 

[40]         Il m’est fort difficile de voir pourquoi un trajet de cinquante‑quatre minutes sur des voies publiques, à Red Deer ou dans les environs, serait suffisant pour satisfaire à l’une ou l’autre de ces deux dernières exigences.

 

 

VI. Les frais de gestion

 

[41]         La preuve relative aux frais de gestion refusés que 609309 avait déduits n’est pas meilleure que la preuve se rapportant aux autres dépenses de 609309 qui ont été refusées. Je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que ces frais étaient de fait payables ou qu’ils ont été payés, ni au sujet de la question de savoir à qui ces frais ont été versés ou, au sujet des services fournis, de la question de savoir s’ils ont été fournis. On ne m’a soumis aucune entente, aucune facture, aucun chèque oblitéré ni aucun autre élément. M. Nance a témoigné n’avoir appris que peu de temps auparavant que la question était soulevée et il ne sait pas à qui ces frais ont été versés. La preuve ne suffit pas pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que les frais ont été engagés dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise de 609309.

 

[42]         Je tiens à ajouter qu’étant donné que l’entreprise de 609309 était une entreprise de prestation de services personnels, les frais ne seraient pas déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)p) à moins qu’une rémunération n’ait été versée à M. Nance. En pareil cas, rien ne montre que ces montants aient de fait été payés dans le délai de 180 jours prévu au paragraphe 78(4).

 

[43]         Les appels interjetés par les contribuables sont rejetés. La Couronne a droit aux dépens dans chaque appel, conformément au tarif. Étant donné que les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé pour la date de l’audience. Étant donné qu’à la demande des parties, ce à quoi le personnel de la Cour a gracieusement consenti, l’audience s’est poursuivie après 18 h, les frais de l’audience seront calculés comme si l’audience avait duré un jour et demi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 166

 

NOS DES DOSSIERS DE

LA COUR :                                       2004-24(IT)G et 2004-25(IT)G

 

INTITULÉ :                                       609309 ALBERTA LTD. ET AL.

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 9 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 mars 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Gordon D. Beck

 

Avocat de l’intimée :

Me Chang Du

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                          Nom :                      Gordon D. Beck

 

                          Cabinet:                   Henning Byrne, avocats

                                                          Edmonton (Alberta)

 

       Pour l’intimée:                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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