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Dossier : 2000-4164(GST)G

ENTRE :

ROGER OBONSAWIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 29 et 30 septembre, et les 1er, 2 et 5 octobre 2009,

à Toronto (Ontario), et le 2 mars 2010, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Eric Lay

Avocats de l’intimée :

Me Gordon Bourgard

Me Frédéric Morand

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels des cotisations établies en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour la période allant du 1er février 1991 au 31 janvier 1993 au moyen de l’avis de cotisation portant le numéro 08GP0101951 et étant daté du 12 mai 1995, ainsi que pour la période allant du 1er février 1993 au 31 décembre 1996 au moyen de l’avis de cotisation portant le numéro 08GP2100602 et étant daté du 20 août 1998 sont rejetés avec dépens.

 

      


Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’avril 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2010 CCI 222

Date : 20100427

Dossier : 2000-4164(GST)G

ENTRE :

ROGER OBONSAWIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]        L’appelant est un Indien selon la définition figurant à l’article 2 de la Loi sur les Indiens. En exploitant son entreprise individuelle, sous la raison sociale « Native Leasing Services » (« NLS »), l’appelant n’a pas perçu (et n’a pas versé) la taxe sur les produits et services (la « TPS ») sur les fournitures taxables qu’il a effectuées. Deux cotisations sont ici en litige. La première cotisation (datée du 12 mai 1995) se rapporte à la période allant du 1er février 1991 au 31 janvier 1993, le montant de la TPS qui a été établi s’élevant à 759 877 $. La seconde cotisation (datée du 20 août 1998) se rapporte à la période allant du 1er février 1993 au 31 décembre 1996, le montant de la TPS qui a été établi s’élevant à 3 304 715 $. Des intérêts et des pénalités ont également été imposés.

 

[2]        L’avocat de l’appelant a décrit comme suit les moyens d’appel dans ses observations écrites :

 

[traduction]

 

2.   Les moyens invoqués dans l’appel sont identiques pour chacune des années d’imposition ici en cause :

 

a.             La TPS établie à l’égard de l’appelant constitue une taxe sur les biens de l’appelant (un Indien inscrit) situés dans une réserve, ou une taxe à laquelle l’appelant est assujetti à l’égard de ces biens, en violation de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, de sorte que les cotisations sont nulles;

 

b.            En outre, ou subsidiairement, l’ARC a décidé d’établir à l’égard de l’appelant des cotisations théoriques relatives à la TPS en se fondant sur le revenu déclaré aux fins de l’impôt sur le revenu, et ce, bien qu’elle ait eu à sa disposition tous les documents financiers de l’entreprise individuelle de M. Obonsawin.

 

[3]        Au cours de la période ici en cause, les paragraphes 87(1) et (2) de la Loi sur les Indiens étaient libellés comme suit :

 

87. (1)      Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2)      Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

[4]        L’entreprise que l’appelant exploitait sous le nom NLS s’occupait du louage de services d’employés. L’appelant embauchait le personnel d’un client (que l’appelant a appelé un organisme de placement) et [traduction] « louait » ensuite les services des employés à cet organisme. L’appelant devenait l’employeur et il était chargé de faire les retenues à la source. Les organismes de placement continuaient à exercer un contrôle sur les travailleurs individuels, qui continuaient à se présenter aux locaux de l’organisme de placement pour leur travail. L’appelant (ou ses employés) recrutait également des employés à la demande d’organismes de placement. Ces particuliers étaient également des employés de l’appelant, et leurs services étaient loués à l’organisme de placement qui avait fait la demande. Les clients de l’appelant étaient des organismes autochtones sans but lucratif, mais aucun des clients de l’appelant n’était un Indien ou une bande (au sens de la Loi sur les Indiens). Aucun des organismes de placement n’était situé dans une réserve. L’appelant n’a pas soutenu que la TPS ne devait pas s’appliquer parce que ses clients avaient le droit de demander une exemption conformément à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[5]        Avant d’établir NLS, l’appelant avait constitué une société, OI Employee Leasing Inc., en vue d’exploiter l’entreprise de louage de services d’employés. Cette société a exercé ses activités pendant environ trois ans avant que l’appelant établisse NLS, en 1991. L’appelant a décrit la création de NLS comme suit :

 

[traduction]

 

Q.   Vous avez parlé un petit peu, au début, de la création de Native Leasing Services?

 

R.    Oui.

 

Q.   En 1991?

 

R.    Oui.

 

Q.   Pouvez-vous me dire, dans la mesure où vous vous en souvenez, dans quelles circonstances NLS a été créée, et pourquoi vous avez créé NLS?

 

R.    Eh bien, nous exercions nos activités depuis un certain temps, et la taxe sur les produits et services, la TPS, est ensuite entrée en vigueur. Or, les Indiens étaient exemptés de la taxe sur les ventes des fabricants et cette taxe remplaçait la taxe sur les ventes des fabricants.

 

Par conséquent, sans apporter de modification à la Loi sur les Indiens, le gouvernement nous a dit que nous devions désormais payer la TPS ou percevoir la TPS; or, je ne me considérais pas comme un percepteur aux fins de la TPS et j’ai refusé de la percevoir de gens qui arrivent à peine à joindre les deux bouts et qui se tirent finalement de la pauvreté.

 

Q.   Il est utile de parler de l’historique de la création de la TPS. Pouvez-vous indiquer comment la création de Native Leasing Services s’insère dans ce contexte et quel était votre point de vue?

 

R.    Eh bien, nous avons consulté nos employés[1], tous nos employés, et nous leur avons donné le choix de commencer à payer la TPS, et s’ils acceptaient de payer la TPS, nous nous chargions de la percevoir, et certains d’entre eux ont fait ce choix, et de la verser.

 

Quant à ceux qui voulaient exercer les droits issus de traités qui leur étaient reconnus, nous n’allions pas la percevoir. Nous devions respecter leurs droits et ne pas la percevoir, et telle était notre position.

 

Q.   D’accord, je comprends et cela est utile. Par conséquent, ce choix que vous avez offert à vos employés, cela avait‑il de quelque façon quelque chose à voir avec la création de Native Leasing Services?

 

R.    Oui. Les employés qui acceptaient ceux qui ne voulaient pas que nous percevions la taxe, nous les avons placés dans Native Leasing Services. Quant à ceux qui voulaient payer la taxe, nous les avons placés dans OI Employee Leasing, ils ont continué à être employés par OI Employee Leasing.

 

[6]        Lorsque la TPS a été mise en œuvre, en 1991, l’appelant a créé deux entités – OI Employee Leasing Inc., qui devait fournir des services aux organismes de placement desquels la TPS était perçue, et NLS, qui devait fournir des services aux organismes de placement desquels la TPS n’était pas perçue. La décision de percevoir ou non la TPS n’était pas fondée sur quelque disposition de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), mais uniquement sur la décision des organismes de placement d’être assujettis à la TPS ou de ne pas l’être.

 

[7]        OI Employee Leasing Inc. fournissait à ses clients les mêmes services que ceux que NLS fournissait à ses clients et elle avait recours au même personnel que NLS. Toutefois, OI Employee Leasing Inc. percevait et versait la TPS sur les montants qui étaient reçus (ou à recevoir) pour ses services.

 

[8]        L’appelant a clairement choisi sciemment de ne pas percevoir et de ne pas verser la TPS sur les fournitures taxables qu’il effectuait en exploitant l’entreprise de NLS. Il n’est pas contesté que les fournitures que l’appelant effectuait en exploitant l’entreprise de NLS étaient des fournitures taxables pour l’application de la LTA et qu’aucune des fournitures n’était une fourniture détaxée. Dans son avis d’appel, l’appelant a indiqué que certaines fournitures étaient des fournitures exonérées pour l’application de la LTA. Au début de l’audience, l’avocat de l’appelant a déclaré que l’appelant ne soutenait plus que certaines fournitures étaient des fournitures exonérées pour l’application de la LTA, et un avis d’appel modifié (avis modifié à trois reprises) a été déposé, la mention du fait que certaines fournitures étaient des fournitures exonérées pour l’application de la LTA étant supprimée.

 

[9]        Comme l’avocat de l’appelant l’a fait remarquer, le premier moyen d’appel se rapporte à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. L’exemption de taxation sur les biens meubles prévue à l’alinéa 87(1)b) et l’exemption accordée à un Indien au paragraphe 87(2) à l’égard d’un bien meuble sont toutes deux limitées à la taxation des biens meubles d’un Indien situés dans une réserve. Par conséquent, les questions qui se posent en premier lieu sont les suivantes :

 

a)                 Un bien meuble de l’appelant est‑il assujetti à la taxe?

 

b)                L’appelant est‑il assujetti à la taxe à l’égard de la propriété, de l’occupation, de la possession ou de l’usage d’un de ses biens meubles ou est‑il autrement assujetti à la taxe à l’égard de pareil bien?

 

[10]   Si la réponse à l’une ou à l’autre de ces questions est affirmative, il faut ensuite se demander si pareil bien meuble est situé dans une réserve. Si aucun bien meuble de l’appelant n’est assujetti à la taxe et si l’appelant n’est pas assujetti à la taxe à l’égard de la propriété, de l’occupation, de la possession ou de l’usage de l’un de ses biens meubles et n’est pas autrement assujetti à la taxe à l’égard de pareil bien, les dispositions de l’article 87 de la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas.

 

[11]   Dans ses observations écrites, l’avocat de l’appelant a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

97.       La Couronne a admis dans ses actes de procédure que les services que M. Obonsawin offre par l’entremise de son entreprise individuelle constituent des biens aux fins du présent appel.

 

[12]   Or, il n’existe dans les actes de procédure de la Couronne aucun énoncé indiquant que la Couronne a admis que les services constitueraient des biens pour l’application de la Loi sur les Indiens. Dans son argumentation orale, l’avocat de l’appelant a reconnu qu’il avait exagéré la position prise par la Couronne. Quoi qu’il en soit, il me semble qu’il s’agit d’une question de droit (ou d’une question mixte de fait et de droit).

 

[13]   Il semble clair que l’appelant fournissait des services. Au paragraphe 4 de l’avis d’appel modifié à trois reprises, il est dit ce qui suit :

 

[traduction]

 

4.         À compter de l’année 1992, l’appelant a conclu avec de nombreux organismes autochtones partout au Canada (les « organismes de placement ») des contrats (les « contrats de prestation de services ») en fonction desquels il fournissait divers services aux organismes de placement (les « services ») aux conditions énoncées dans les contrats de prestation de services.

 

[14]   Les paragraphes 26 et 27 des arguments écrits qui ont été présentés pour le compte de l’appelant énoncent notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

26.       NLS est une entreprise individuelle appartenant à Roger Obonsawin.

 

27.       NLS a été constituée en 1991 afin de fournir des services de louage de services d’employés à des organismes autochtones.

 

[15]   L’entente type de placement conclue entre NLS et un organisme de placement prévoit ce qui suit à l’annexe A :

 

[traduction]

 

L’organisme de placement s’engage à acquitter en temps opportun tous les frais applicables à l’achat des services décrits comme suit : [...]

 

[16]   Il est également clair que les frais administratifs exigés par NLS représentaient un pourcentage du montant payable pour les services rendus.

 

[17]   Il est clair que la LTA fait une distinction entre un bien et un service. Les termes « fourniture » et « service » sont définis comme suit à l’article 123 de cette loi :

 

« fourniture » Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

 

[…]

 

« service » Tout ce qui n’est ni un bien, ni de l’argent, ni fourni à un employeur par une personne qui est un salarié de l’employeur, ou a accepté de l’être, relativement à sa charge ou à son emploi.

 

[18]   Dans son argumentation orale, l’avocat de l’appelant n’a pas pu citer de décisions portant sur la question de savoir si des services pouvaient constituer des biens pour l’application de la Loi sur les Indiens. À la fin de l’argumentation orale, l’avocat de l’appelant a indiqué qu’il soumettrait des observations écrites supplémentaires au sujet de la question de savoir pourquoi les services devraient être inclus à titre de biens pour l’application de la Loi sur les Indiens.

 

[19]   Dans les arguments écrits supplémentaires qu’il a soumis, l’avocat de l’appelant a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

1.    En vertu de la relation contractuelle existant entre M. Obonsawin et un organisme de placement, l’organisme de placement s’engage essentiellement à payer les services qui lui sont fournis, et M. Obonsawin s’engage à fournir ces services à l’organisme de placement (services qui doivent être fournis par les employés de M. Obonsawin).

 

2.       Conformément aux ententes conclues avec ses employés, M. Obonsawin a le droit de faire appel aux employés afin de fournir ces services, et ce sont ces droits contractuels de M. Obonsawin, par opposition aux services, qui constituent des biens meubles appartenant à M. Obonsawin pour l’application de l’article 87.

 

[20]   L’appelant semble avoir abandonné l’argument selon lequel les services constituent des biens pour l’application de la Loi sur les Indiens. L’appelant soutient maintenant que le droit contractuel qu’il possède vis‑à‑vis de ses employés constitue un bien pour l’application de la Loi sur les Indiens. L’avocat de l’appelant cite deux décisions à l’appui de cette thèse : Phillips c. La Reine, 2006 CCI 24, [2006] 2 C.N.L.R. 112, 2006 G.T.C. 171 et Metlakatla Ferry Service Ltd. v. The Queen in Right of British Columbia, [1987] 2 C.N.L.R. 95.

 

[21]   Dans la décision Phillips, l’organisateur de certaines conférences avait fait l’objet d’une cotisation au titre de la TPS, la Couronne alléguant qu’il aurait dû percevoir la TPS sur les frais de participation exigés des bandes et des entités mandatées par une bande. Les frais étaient payés pour que certaines personnes désignées par les bandes puissent assister à des conférences qui étaient tenues en dehors de la réserve. Dans cette affaire‑là, le juge Paris a dit ce qui suit :

 

[31]    Toutefois, je crois qu’en vertu du contrat entre l’appelant et ses clients, le paiement des droits de participation aux conférences donnait aux clients le droit de participer à la conférence à une date ultérieure. Même si les conférences elles‑mêmes correspondent à la fourniture d’un service, au moment où les bandes ou les entités mandatées par une bande faisaient des paiements à l’appelant, ils acquéraient le droit de se prévaloir d’un service à une date ultérieure.

[32]    Les droits de participation étaient payés par les participants ou (en l’espèce) par leurs employeurs pour que les participants puissent assister aux conférences ou aux ateliers organisés par l’appelant aux dates prévues. Les droits étaient établis en fonction des ateliers particuliers auxquels les participants voulaient assister et étaient payés à l’avance. Selon l’appelant, les diverses bandes d’Indiens ou entités mandatées par une bande payaient souvent les droits pour plus d’une personne et décidaient par la suite qui participerait aux conférences. Il semble donc que le droit de participer aux conférences pouvait être transféré d’une personne à une autre. Les formulaires d’inscription précisaient que les personnes inscrites qui ne souhaitaient pas participer à la conférence et qui voulaient obtenir un remboursement devaient demander celui-ci plus d’une semaine avant la date de la conférence. L’obligation de payer n’était donc pas subordonnée à la réception du service.

[33]    Je conclus qu’en l’espèce, au moment où elles ont été effectuées, les fournitures consistaient en des droits d’assister aux conférences.

 

 

[22]   Il me semble qu’il existe une différence entre le droit d’assister à une conférence et tout droit que l’appelant peut posséder en sa qualité d’employeur, en application du contrat de travail, de [traduction] « faire appel [à l’employé] en vue de fournir [...] des services ». Il me semble également que l’appelant était rémunéré pour des services qui étaient de fait rendus et non pour quelque droit qu’il pouvait avoir de [traduction] « faire appel [à ses employés] en vue de fournir [...] des services ».

 

[23]   Dans l’arrêt Metlakatla Ferry Service Ltd., la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que la location d’un navire et les paiements effectués en vertu du contrat de location constituaient des biens meubles. Dans cette affaire‑là, la bande avait loué un navire et la taxe, si elle s’appliquait, aurait été payable par la bande. Il me semble également qu’il est possible de faire une distinction entre un contrat de location ou le droit d’utiliser un bien (un navire) et des contrats de travail. Une personne peut contraindre le propriétaire d’un bien à exécuter un contrat de location concernant le bien si le propriétaire du bien refuse de lui permettre d’avoir accès au bien, mais l’employeur n’a pas le droit de contraindre une personne à travailler si celle‑ci décide de démissionner.

 

[24]   Il me semble que l’appelant n’avait pas de droit de propriété important (en admettant qu’il en ait eu un) à l’égard des contrats de travail conclus avec les employés. Comme le juge McIntyre l’a fait remarquer dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, 38 DLR (4th) 161 :

 

177. […] La seconde raison est simplement qu’il n’y a aucune analogie entre un arrêt de travail par un seul employé et une grève faite conformément à la législation moderne en matière de travail. L’individu a, par son arrêt de travail, rompu son contrat de travail ou y a mis fin. Il est vrai que la loi ne forcera pas l’exécution en nature du contrat en lui ordonnant de retourner au travail, car cela abaisserait [TRADUCTION]  « l’employé à un état équivalent à l’esclavage » (I. Christie, Employment Law in Canada (1980), à la p. 268).

 

[25]   L’appelant n’aurait pas le droit de contraindre un employé à travailler si celui‑ci ne voulait pas travailler. Tout droit que l’appelant avait à l’égard des contrats qu’il avait conclus avec ses employés ne constituerait pas un droit important et ce ne serait pas la raison pour laquelle les clients payaient l’appelant. Les clients payaient l’appelant parce que des services étaient rendus par les employés de l’appelant.

 

[26]   Il me semble que l’appelant fournissait des services à ses clients et que la TPS serait payable, sous réserve des arguments invoqués en vertu de la Loi sur les Indiens, parce que ces services étaient fournis. L’appelant n’a pas reçu les paiements de ses clients parce qu’il fournissait des biens, mais parce qu’il fournissait des services. Les clients effectuaient un paiement anticipé basé sur une estimation du nombre d’heures effectuées par les employés dont les services étaient loués. Ces employés préparaient des feuilles de présence indiquant le nombre d’heures effectuées. Une fois que le nombre réel d’heures effectuées était établi, le montant payable, fondé sur le nombre d’heures réellement effectuées, était comparé au paiement fondé sur l’estimation du nombre d’heures et toute différence donnait lieu à un rajustement lorsqu’un paiement était par la suite effectué. Les ententes ne précisaient pas ce qui arrivait si aucun service n’était fourni et que le paiement anticipé avait déjà été effectué, mais il me semble que le client aurait fort probablement eu droit à un remboursement. Je conclus que le droit de l’appelant au paiement (ou son droit de conserver les sommes payées d’avance) existait à condition que des services soient réellement fournis.

 

[27]   Par conséquent, contrairement à ce qui se produisait dans l’affaire Phillips, où le paiement ne dépendait pas de l’obtention d’un service, les paiements dans ce cas‑ci dépendaient de la fourniture de services. L’appelant n’avait pas droit au paiement s’il ne fournissait pas de services (par l’entremise de ses employés). L’appelant fournissait des services à ses clients et c’est la fourniture de ces services qui est assujettie à la TPS.

 

[28]   L’article 133 de la LTA prévoit ce qui suit :

 

133. Pour l’application de la présente partie, la fourniture objet d’une convention est réputée effectuée à la date de conclusion de la convention. La livraison du bien ou la prestation du service aux termes de la convention est réputée faire partie de la fourniture et ne pas constituer une fourniture distincte.

 

 

[29]   Lorsque l’appelant a conclu des ententes avec les divers organismes afin de fournir des services (qui devaient être fournis par les employés de l’appelant), cela était réputé être une fourniture du service. Cette disposition ne transforme pas les services en biens, comme on a semblé le soutenir au cours de l’audience.

 

[30]   L’article 87 de la Loi sur les Indiens se rapporte uniquement aux biens. Cette disposition a été mise en application bien avant que la LTA impose une taxe sur les services. Dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] C.T.C. 20, [1983] 1 R.C.S. 29, [1983] 2 C.N.L.R. 89, 46 N.R. 41, 144 D.L.R. (3d) 193, 83 DTC 5041, le juge Dickson (tel était alors son titre), a dit ce qui suit au nom de la Cour suprême du Canada :

 

25     Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d’impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d’impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l’exemption. Dans l’affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens [TRADUCTION] « doivent [...] être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage […] mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage ».

 

[31]   Toutefois, il me semble que la présente affaire ne dépend pas de la question de savoir si l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens peut être interprétée comme prévoyant une exemption à l’égard d’une taxe sur les services. Il me semble que, même si l’appelant fournissait clairement un bien, il n’aurait néanmoins pas gain de cause. Il n’est donc pas nécessaire de décider si l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens peut être interprétée comme incluant des services[2].

 

[32]   L’obligation de payer la taxe en vertu de la LTA est imposée à l’article 165 de cette loi, lequel prévoyait ce qui suit au cours de la période en cause :

 

165. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

 

[33]   Le taux de la taxe a depuis lors été ramené à 5 p. 100, mais la taxe est encore imposée à l’acquéreur de la fourniture et non à la personne qui effectue la fourniture. Or, c’était l’appelant qui effectuait la fourniture de services; l’appelant n’était pas l’acquéreur de cette fourniture. L’appelant n’est donc pas la personne à qui la taxe était imposée.

 

[34]   Le paragraphe 221(1) de la LTA prévoit ce qui suit :

 

221. (1) La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l’acquéreur en vertu de la section II.

 

[35]   L’appelant, en sa qualité de personne qui effectuait les fournitures taxables, était obligé de percevoir la taxe.

 

[36]   Dans ses observations écrites, l’avocat de l’appelant a déclaré ce qui suit, sous le titre : [traduction] « Les cotisations établies par le ministre à l’égard de M. Obonsawin constituent une taxation en vertu de l’article 87 » :

 

[traduction]

 

108.     L’argument invoqué par l’appelant comporte deux volets :

 

a.       Exiger que les tiers paient la TPS à l’égard d’achats de ses biens constitue une taxation de ses biens pour l’application de l’alinéa 87(1)a) de la Loi sur les Indiens;

 

b.      Lui imposer l’obligation de percevoir et de verser la TPS constitue une taxation de ses biens en violation de l’alinéa 87(1)a) de la Loi sur les Indiens, ainsi qu’une taxe à l’égard de l’usage de ses biens, conformément au paragraphe 87(2) de la Loi sur les Indiens[3].

 

[37]   L’avocat de l’appelant a cité la décision rendue par le juge Bowie dans l’affaire Pictou v. The Queen, 2000 G.T.C. 826, [2000] G.S.T.C. 39. Le juge Bowie a conclu que certaines personnes qui étaient des Indiens pour l’application de la Loi sur les Indiens et qui exploitaient des commerces dans une réserve étaient obligées de percevoir la TPS de leurs clients qui n’étaient pas des Indiens, selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Dans cette affaire‑là, il était clair que des biens étaient fournis. Le juge Bowie a dit ce qui suit :

 

45    Je passe maintenant aux arguments basés sur la Loi sur les Indiens. La thèse des appelants est que les dispositions de la Loi en question imposent une taxe à un marchand détaillant parce qu’elles exigent de lui qu’il perçoive et verse la TPS exigible sur une vente au détail et que, en cas d’omission à cet égard, il remette une somme égale à la taxe non perçue. Si tel est le cas, l’article 87 soustrait un Indien à l’application de ces dispositions.

 

46     À mon avis, cet argument ne tient pas en raison du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif à la T.P.S. [*]. Cette affaire avait commencé par un renvoi, par le lieutenant-gouverneur de l’Alberta à la Cour d’appel de l’Alberta, concernant la validité constitutionnelle de la Loi. La troisième question constitutionnelle posée se lit comme suit :

 

Compte tenu de l’art. 103 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la common law, les fournisseurs ont-ils le droit d’exiger et de percevoir du Trésor canadien tous les frais et les dépenses attribuables à la perception et au versement d’une remise en vertu des dispositions législatives sur la TPS?

 

Dans l’appel de la décision de la Cour d’appel de l’Alberta interjeté devant la Cour suprême, le procureur général de l’Alberta soutenait que, en exigeant que le vendeur d’une fourniture taxable perçoive et verse la taxe, la Loi imposait une dépossession forcée du bien du vendeur, par la Couronne, donnant lieu au droit, pour le vendeur, d’être indemnisé en vertu du principe énoncé dans l’arrêt Manitoba Fisheries[*]. Le juge en chef Lamer a, pour la majorité, rejeté cet argument, concernant le fardeau administratif imposé à un détaillant et concernant toute somme que le détaillant pouvait avoir à payer à l’égard de la TPS non perçue. Aux pages 474 et 475, il disait :

 

[...] Il est difficile de comprendre l’argument de l’Alberta selon lequel le vendeur d’une fourniture taxable, lorsqu’il perçoit et remet la TPS, se trouve « dépossédé » de son bien. C’est l’acheteur et non le fournisseur, qui est tenu de payer la TPS. Le fournisseur est simplement le mandataire de la Couronne du chef du Canada aux fins de la perception. Même dans les cas où le vendeur est tenu d’absorber la TPS pour maintenir ses ventes, la réduction de revenu qui en résulte ne peut raisonnablement être qualifiée de « dépossession » du bien du fournisseur par le gouvernement fédéral. Si un tel raisonnement devait s’appliquer, pratiquement toutes les politiques gouvernementales qui entraînent directement ou indirectement une réduction du revenu d’un fournisseur pourraient être qualifiées de « dépossession » d’un bien qui serait susceptible de donner lieu à une indemnisation. En vérité, étant donné que le fournisseur n’est « dépossédé » d’aucun bien par l’imposition des obligations en matière de perception et de remise de la TPS, un droit à une indemnisation ne peut s’appuyer sur ce fondement.

Comme il n’y a aucune « dépossession » du vendeur du fait de l’application de la loi, on ne peut dire qu’une taxe est imposée au vendeur parce qu’une taxe représente essentiellement une dépossession involontaire, par l’État, de biens de la personne. L’article 87 de la Loi sur les Indiens ne peut donc s’appliquer.

 

(* indique des notes de bas de page qui ont été insérées par le juge Bowie)

 

[38]   Lors de l’appel de la décision du juge Bowie devant la Cour d’appel fédérale (lequel a été rejeté), l’argument se rapportant à l’article 87 de la Loi sur les Indiens n’a pas été poursuivi. L’avocat de l’appelant a soutenu que la décision rendue dans l’affaire Pictou ne devait pas s’appliquer. Voici ce qu’il a dit :

 

[traduction]

 

116.     Toutefois, de l’avis de l’appelant, il est clairement possible de faire une distinction entre la question de savoir s’il y a eu « dépossession », eu égard aux faits de cette affaire, et la question de savoir si la cotisation dont l’appelant a fait l’objet : 1) constitue une taxe sur ses biens meubles, ou 2) constitue l’imposition d’une taxe à l’égard de l’usage (ou de la propriété, de l’occupation ou de la possession) de ses biens.

 

117.     La jurisprudence en matière d’expropriation n’a rien à voir avec la législation visant à remédier à la situation des peuples autochtones au Canada. Le principe énoncé dans l’arrêt Nowegijick ne s’applique pas, de toute évidence, et la Cour fait ici face à une loi plutôt qu’à un principe de common law.

 

[39]   Le passage de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445, que le juge Bowie a cité se rapportait à la question constitutionnelle suivante :

 

3          Compte tenu de l’art. 103 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la common law, les fournisseurs ont‑ils le droit d’exiger et de percevoir du Trésor canadien tous les frais et les dépenses attribuables à la perception et au versement d’une remise en vertu des dispositions législatives sur la TPS?

 

[40]   Le juge en chef Lamer, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, a défini la question comme suit :

 

37  Selon le procureur général de l’Alberta, les fournisseurs inscrits aux termes de la Loi sur la TPS ont le droit d’être remboursés par le Trésor canadien de toutes les dépenses et tous les frais engagés pour percevoir la TPS. Cet argument est fondé sur l’art. 103 de la Loi constitutionnelle de 1867 et sur le principe du mandat en common law.

 

[41]   La Cour suprême du Canada a conclu qu’il faut répondre par la négative à la question constitutionnelle, telle qu’elle est définie ci‑dessus. La question était fondée sur le principe du mandat en common law et se rapportait à une indemnisation, mais la Cour suprême du Canada a également examiné la question suivante :

 

4. Compte tenu de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867,

 

a) l’imposition au gouvernement de l’Alberta, en tant que fournisseur et en vertu des dispositions législatives sur la TPS, de l’obligation de percevoir et de verser une remise sur une fourniture taxable qui est une propriété de l’Alberta est‑elle ultra vires du Parlement du Canada,

 

b) l’imposition, en vertu des dispositions législatives sur la TPS, d’une remise à un acquéreur d’une fourniture taxable du gouvernement de l’Alberta qui est une propriété de l’Alberta ou qui est une source de recettes pour le gouvernement de l’Alberta constitue‑t‑elle une taxation d’une propriété de l’Alberta qui est ultra vires du Parlement du Canada, et

 

c) l’imposition d’une remise calculée en vertu de l’art. 154 des dispositions législatives sur la TPS en contrepartie d’une fourniture taxable et qui comprend une taxe provinciale constitue‑t‑elle une taxation d’une propriété de l’Alberta qui est ultra vires du Parlement du Canada?

 

[42]   Voici ce que le juge en chef Lamer a dit au sujet de cette question :

 

52        Voici le texte de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 :

 

                                                         125. Aucune terre ou propriété appartenant au Canada ou à une province ne sera sujette à taxation.

 

       […]

 

54 Le Canada ne soutient pas qu’une province est tenue de payer la TPS à titre d’acheteur de fournitures taxables. Plutôt, il soutient simplement que la province est tenue de percevoir la TPS des acheteurs de fournitures taxables et de la remettre lorsque la province agit à titre de fournisseur. Le procureur général de l’Alberta est d’avis que cette situation équivaut à l’imposition d’une taxe sur un bien de la province.

 

[43]   Telle est la position prise par les parties dans la présente espèce. Selon l’intimée, l’appelant [traduction] « est tenu de percevoir et de verser la TPS des acquéreurs de fournitures taxables lorsqu’il agit à titre de fournisseur »; or, selon l’appelant, [traduction] « cela constitue l’imposition d’une taxe sur ses biens ».

 

[44]   En concluant que les obligations de l’Alberta de percevoir (et de verser) la TPS sur les fournitures taxables de biens effectuées par l’Alberta ne constituaient pas une taxe sur les biens de l’Alberta, le juge en chef Lamer a notamment dit ce qui suit :

 

58.       La TPS par contre ne s’applique pas aux exportations. Elle s’applique à la prestation intérieure de fournitures taxables et c’est l’acheteur, plutôt que le fournisseur, qui est tenu de la payer. En fait, la taxe ne devient payable qu’en vertu des opérations dans lesquelles le fournisseur s’est départi d’un intérêt dans le bien pour le transmettre à l’acheteur. Par conséquent, c’est de toute évidence l’acheteur et non le vendeur qui est taxé.

 

59.       On ne peut non plus dire d’une manière plausible que l’imposition de la TPS sur les ventes de biens de la province équivaut à une taxe sur les fruits de ces biens parce que, en raison de leur obligation de payer la TPS, les acheteurs achèteront moins de ces biens, entraînant des pertes de ventes et des diminutions de recettes pour la province. Le fait qu’une taxe fédérale rend un bien de la province moins attrayant sur le plan commercial qu’il le serait en l’absence de taxe ne transforme pas cette taxe en une taxe sur un bien de la province. Dans l’arrêt Phillips c. City of Sault Ste. Marie, [1954] R.C.S. 404, notre Cour a examiné le cas d’une taxe municipale imposée aux locataires de terrains qui étaient la propriété de la Couronne du chef du Canada. La taxe a été établie sur la valeur des lieux occupés déterminée par l’évaluation municipale. Notre Cour a conclu que la taxe n’avait pas été imposée sur le terrain, mais plutôt sur les occupants; la valeur du terrain était simplement la mesure permettant d’évaluer l’obligation des occupants de payer la taxe. Par conséquent, la taxe ne portait pas atteinte à l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, même si, en réalité, sa perception pouvait réduire les bénéfices que la Couronne du chef du Canada pouvait retirer de la location du terrain.

 

60.       De toute évidence, une conséquence pratique des responsabilités en matière de perception et de remise imposées par la Loi sur la TPS est qu’il peut en résulter des frais pour la province, mais ni le but et l’objectif véritables du régime ni ses effets accessoires ne sont contraires à l’esprit de l’art. 125. Comme notre Cour, à la majorité, l’a dit clairement dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, aux pp. 1053 et 1054, pour qu’il y ait violation de l’art. 125, la mesure contestée doit, de par son caractère véritable, constituer une taxation. La possibilité que la TPS puisse avoir pour effet de réduire les recettes de la province provenant de la vente de ses biens ne transforme pas la TPS en une "taxe" sur un bien de la province. Le calcul de la TPS comme une fraction d’un prix dont une partie constitue une taxe provinciale n’équivaut pas à une taxe fédérale imposée sur une taxe provinciale. Le prix payé pour une fourniture taxable, comprenant une composante qui est une taxe provinciale, est la mesure choisie par le législateur pour calculer l’obligation de l’acheteur de payer la TPS.

 

61.       Étant donné que l’obligation d’une province de percevoir et de remettre la TPS lorsqu’elle agit à titre de fournisseur n’équivaut pas à la taxation d’un bien d’une province, l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique pas dans ces situations. Par conséquent, il faut répondre par la négative à la quatrième question constitutionnelle.

 

[45]   Étant donné que « l’obligation d’une province de percevoir et de [verser] la TPS lorsqu’elle agit à titre de fournisseur n’équivaut pas à la taxation d’un bien d’une province », l’obligation de l’appelant de percevoir et de verser la TPS lorsqu’il agit à titre de fournisseur n’équivaut pas à l’imposition d’une taxe sur ses biens. Étant donné que l’obligation de percevoir la TPS est une obligation en vertu de laquelle la TPS est perçue de tiers acquéreurs, le fait d’obliger les tiers à payer la TPS à l’égard des achats de biens de l’appelant n’équivaut pas à l’imposition d’une taxe sur les biens de l’appelant.

 

[46]   L’appelant a soutenu que :

 

[traduction]

 

113. […] l’alinéa 87(1)a) de la Loi sur les Indiens, selon une interprétation littérale, ne traite pas de l’imposition d’une taxe à un Indien en tant que tel. Le paragraphe 87(2) [...] traite d’une taxe imposée à un Indien, mais le paragraphe 87(1) exempte de la taxe les biens d’un Indien. L’appelant soutient que l’imposition de la taxe à l’égard des biens lui appartenant, situés sur une réserve, même dans le contexte d’une opération où l’obligation de payer la taxe incombe avant tout à l’acquéreur, est visée par l’exemption prévue dans cette disposition.

 

114. Sur ce point, il se fonde sur le principe énoncé dans l’arrêt Nowegijick, en ce qui concerne l’interprétation de lois concernant les Autochtones. Dans ce cas‑ci, puisque la loi ne prévoit rien au sujet de l’identité du premier contribuable, ce principe milite en faveur d’une interprétation de la Loi sur les Indiens qui élargit et protège l’exemption.

 

[47]   L’appelant soutient que les personnes qui achètent des biens lui appartenant, situés dans la réserve, ne devraient pas avoir à payer la TPS à l’égard de l’achat de ces biens. Si l’argument de l’appelant était retenu, des personnes qui ne seraient pas admissibles à une exemption en vertu de la Loi sur les Indiens pourraient acheter les biens de l’appelant sans payer la TPS. La chose aurait effectivement pour effet d’« élargir » l’exemption en vue d’inclure des personnes auxquelles les avantages prévus par la Loi sur les Indiens ne s’adressent pas. Cela ne me semble pas être le bon résultat.

 

[48]   Le juge Gonthier, au nom de la Cour suprême du Canada, a dit ce qui suit dans l’arrêt Williams c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 877 :

 

16     Le juge La Forest a analysé en profondeur la question de l’objet des art. 87, 89 et 90 dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Il a conclu que ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens (aux pp. 130 et 131).

 

[49]   Étant donné que la TPS n’était pas imposée à l’appelant, mais qu’elle était plutôt imposée aux clients de l’appelant, la TPS ne portait pas atteinte aux biens de l’appelant. L’appelant était tenu de percevoir la TPS de ses clients et, par conséquent, la TPS aurait porté atteinte aux biens des clients, et non aux biens de l’appelant. Imposer la TPS aux clients de l’appelant ne contrevient pas à l’objet de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[50]   Par conséquent, les arguments invoqués par l’appelant, en ce qui concerne l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, ne peuvent pas être retenus.

 

[51]   L’appelant a également avancé un argument se rapportant au paragraphe 87(2) de la Loi sur les Indiens, qui est libellé comme suit :

 

(2)      Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

[52]   Pour que cette disposition s’applique dans ce cas‑ci, l’appelant devrait être assujetti à la taxe. Or, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services :

 

58     […] c’est l’acheteur, plutôt que le fournisseur, qui est tenu de la payer. En fait, la taxe ne devient payable qu’en vertu des opérations dans lesquelles le fournisseur s’est départi d’un intérêt dans le bien pour le transmettre à l’acheteur. Par conséquent, c’est de toute évidence l’acheteur et non le vendeur qui est taxé.

 

[53]   Étant donné que c’est l’acquéreur qui est tenu de payer la taxe, l’appelant, en sa qualité de fournisseur, n’est pas assujetti à la taxe, et le paragraphe 87(2) de la Loi sur les Indiens ne s’applique donc pas. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, le juge Bowie est arrivé à la même conclusion dans la décision Pictou.

 

[54]   Dans ce cas‑ci, l’appelant a clairement décidé de ne pas percevoir la TPS. Le 20 décembre 1990 (soit peu de temps avant que la TPS entre en vigueur), l’appelant, en sa qualité de dirigeant d’O.I. Employee Leasing Inc., a écrit à Vince Hill, qui était directeur général du Niagara Regional Native Centre. Dans cette lettre (qui, selon l’appelant, représentait bien les lettres qu’il envoyait aux clients à ce moment‑là), l’appelant disait ce qui suit :

 

[traduction]

 

Nos avocats nous ont récemment informés que notre service de louage de services d’employés est assujetti à la nouvelle taxe sur les produits et services (TPS). Nous serions donc obligés d’ajouter la taxe au montant total facturé pour nos services.

 

Nous croyons comprendre que certains services ont été exemptés de la TPS et qu’ils sont détaxés, de sorte que la TPS n’a pas à être perçue des clients lorsqu’un service est fourni.

 

Selon nous, il est tout à fait inacceptable qu’aucune exemption similaire ne soit accordée aux entreprises autochtones. Cela constitue un précédent dangereux pour la communauté autochtone si aucune modification n’est effectuée. Cette taxe peut fort bien donner lieu à l’imposition d’autres taxes à l’égard des Autochtones et à l’érosion de leurs droits. De plus, un fardeau inéquitable est ainsi imposé au secteur sans but lucratif à un moment où ce secteur fait déjà l’objet de restrictions sur le plan du financement.

 

Au 1er janvier, le gouvernement fédéral s’attend à ce que vous payiez la TPS à l’égard de nos services. Certains de nos clients nous ont informés qu’ils ne paieront pas la taxe même s’ils y sont peut‑être assujettis. Nous intenterons une action en justice et nous demandons à l’Assemblée des Premières nations (APN) de nous aider à contester la taxe. Pendant que ce processus est en place, nous ne percevrons pas la taxe des clients qui ne veulent pas la payer.

 

 

[55]   Comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’appelant a commencé à exploiter une entreprise sous le nom NLS à l’intention des clients qui ne voulaient pas payer la TPS. À coup sûr, l’appelant savait que ses clients étaient redevables de la TPS et que la TPS était une taxe qui était imposée à ses clients. Lorsqu’il accepte de ne pas percevoir la taxe, l’appelant ne peut pas protéger ses clients contre l’application de la TPS en invoquant une exemption fondée sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Si l’argument de l’appelant était retenu, l’appelant pourrait en fait transmettre l’exemption à laquelle il a droit en sa qualité d’Indien en vertu de l’article 87 à toute personne qui n’est pas un Indien ou une bande (selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens). Comme il en a ci‑dessus été fait mention, aucun des clients de l’appelant n’était un Indien ou une bande (selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens).

 

[56]   L’appelant a fait l’objet d’une cotisation à l’égard de la TPS qu’il aurait dû percevoir de ses clients. L’article 296 de la LTA prévoit ce qui suit :

 

296. (1) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire pour déterminer :

 

a) la taxe nette d’une personne, prévue à la section V, pour une période de déclaration;

 

[57]   Le paragraphe 225(1) de la LTA prévoit notamment ce qui suit :

 

225. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente sous‑section, la taxe nette pour une période de déclaration donnée d’une personne correspond au montant, positif ou négatif, obtenu par la formule suivante :

 

                                                            A – B

 

où :

 

A         représente le total des montants suivants :

 

a) les montants devenus percevables et les autres montants perçus par la personne au cours de la période donnée au titre de la taxe prévue à la section II;

 

b) les montants à ajouter aux termes de la présente partie dans le calcul de la taxe nette de la personne pour la période donnée;

 

B          le total des montants suivants :

 

a) l’ensemble des montants dont chacun représente un crédit de taxe sur les intrants pour la période donnée ou une période de déclaration antérieure de la personne, que celle‑ci a demandé dans la déclaration produite en application de la présente section pour la période donnée;

 

b) l’ensemble des montants dont chacun représente un montant que la personne peut déduire en application de la présente partie dans le calcul de sa taxe nette pour la période donnée et qu’elle a indiqué dans la déclaration produite en application de la présente section pour cette période.

 

[58]   L’appelant a fait l’objet d’une cotisation à l’égard des montants qu’il devait percevoir au titre de la TPS, mais cela ne veut pas pour autant dire que l’appelant est maintenant assujetti à la taxe. Il s’agit simplement de la conséquence découlant du fait que l’appelant a omis de percevoir la TPS de ses clients. Si l’appelant avait perçu la TPS de ses clients et l’avait versée (comme l’a fait O.I. Employee Leasing Inc.), il n’aurait pas fait l’objet d’une cotisation. Comme tout fournisseur, l’appelant s’est vu accorder, conformément à l’article 224 de la LTA, le droit de recouvrer de tout acquéreur la TPS qui a été versée à l’égard de la fourniture qu’il a effectuée au profit de cet acquéreur, à condition de satisfaire aux exigences de divulgation énoncées au paragraphe 223(1) de la LTA.

 

[59]   Dans l’arrêt Tseshaht Indian Band v. British Columbia, 94 D.L.R. (4th) 97, 69 B.C.L.R. (2d) 1, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné la question de l’application de taxes imposées par la Colombie‑Britannique sur le tabac et l’essence. La bande Tseshaht exploitait un commerce dans la réserve. Lorsque la bande achetait des cigarettes et de l’essence, elle devait verser à la personne de qui elle achetait ces produits un montant correspondant au montant de la taxe qui serait perçue des consommateurs lorsqu’ils achetaient des cigarettes et de l’essence[4]. La législation applicable à chaque produit assujettissait le consommateur à la taxe. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu à la majorité que le fait que la bande était obligée de payer un montant correspondant à la taxe qui serait finalement payée par les consommateurs lorsque les cigarettes et l’essence étaient achetées ne voulait pas dire que la bande payait une taxe pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[60]   Par conséquent, on ne saurait retenir l’argument de l’appelant selon lequel la fourniture de ses services a pour effet de l’assujettir à une taxe pour ce qui est du paragraphe 87(2) de la Loi sur les Indiens.

 

[61]   Dans ce cas‑ci, l’appelant a fait l’objet d’une cotisation dont le montant a été établi par Revenu Canada (qui est par la suite devenu l’Agence des douanes et du revenu du Canada et ensuite l’Agence du revenu du Canada) compte tenu de son chiffre d’affaires réel ou prévisionnel. Revenu Canada, l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Agence du revenu du Canada seront ci‑après désignés comme étant l’« ARC ». L’appelant n’a pas produit de déclarations relatives à la TPS et il n’a pas permis à l’ARC de vérifier ses livres et registres. À l’audience, l’appelant n’a pas présenté de preuve en vue de contester le montant de la TPS qui avait été établi (il contestait uniquement son obligation de payer le montant en question). L’appelant n’a pas non plus présenté de preuve au sujet des montants qu’il aurait pu demander pour les crédits de taxe sur les intrants. La position prise par l’appelant était claire, à savoir qu’il n’avait pas perçu la TPS; de leur côté, l’avocat de l’appelant et l’avocat de l’intimée ont tous deux soutenu que, si la TPS s’appliquait, elle devait être établie à 7 p. 100 et non à 7/107 du montant payé (ou payable) à titre de contrepartie des services rendus.

 

[62]   Le dernier moyen invoqué par l’appelant était le suivant :

 

[traduction]

 

[…] l’ARC a décidé d’établir à l’égard de l’appelant des cotisations théoriques relatives à la TPS en se fondant sur le revenu déclaré aux fins de l’impôt sur le revenu, et ce, bien qu’elle ait eu à sa disposition tous les documents financiers de l’entreprise individuelle de M. Obonsawin.

 

[63]   Cela n’est pas compatible avec la preuve présentée à l’audience. En effet, au cours de l’interrogatoire principal, l’appelant a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

Q.        J’aimerais simplement vous demander quelle était votre position à ce moment‑là au sujet de la communication des états financiers à l’ARC? Vous opposiez‑vous à ce que les chiffres soient transmis à l’ARC?

 

R.         Quant à la TPS?

 

Q.        Eh bien, si je comprends bien, l’ARC vous demandait de lui fournir certains chiffres.

 

R.         Oui.

 

Q.        Et ces chiffres ont été fournis lors de cette réunion. Je me demandais, vous ne vous en souvenez peut‑être pas, mais vous rappelez‑vous quelle était votre position, en votre qualité de propriétaire de Native Leasing Services, quant à la fourniture à l’ARC de données financières telles que celles‑là?

 

R.         Oui. Eh bien, la fourniture de ces renseignements nous inquiétait énormément parce que, comme il est ici dit, c’est réellement – selon moi, cela va clairement à l’encontre de l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral, et lorsqu’il s’agissait de fournir les renseignements, je n’étais réellement pas – cela me mettait mal à l’aise.

 

À ce moment‑là, il y avait beaucoup de discussions au sujet de la Loi sur les Indiens et de la refonte de la Loi sur les Indiens, et la refonte de la Loi sur les Indiens inquiétait toujours les gens; ce n’est pas le fait qu’une refonte n’était pas nécessaire, mais il faut consulter les Autochtones et cela a été fait sans les consulter.

 

Q.        J’aimerais vous poser la question suivante. En traitant avec l’ARC, qu’est‑ce que vous vous rappelez au sujet de la communication de renseignements concernant l’entreprise de NLS?

 

R.         Eh bien, je me rappelle qu’ils voulaient vérifier nos dossiers –

 

Q.        D’accord.

 

R.          et venir à notre bureau, et nous ne le voulions pas.

 

Q.        Vous rappelez‑vous les nombreuses lettres qui ont été échangées?

 

R.         Oui. Il y en a eu beaucoup.

 

[64]   Comme l’appelant l’a fait remarquer, chaque partie a rédigé un grand nombre de lettres, et des réunions ont également été tenues. La question était toujours la même. L’appelant a toujours maintenu qu’il n’accorderait pas à l’ARC un accès complet à ses livres et registres. En fait, il n’a laissé à l’ARC aucune autre possibilité que celle d’établir une cotisation fondée sur les renseignements restreints qu’il avait fournis. Au cours du contre‑interrogatoire, le vérificateur de l’ARC a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

R.         Eh bien, nous avons demandé à votre client à maintes reprises s’il voulait fournir les documents –

 

Q.        Oui.

 

R.         – de façon que nous puissions procéder à notre vérification et en arriver en fait à une cotisation plus complète, si je puis employer ce terme, et on nous a toujours opposé un refus. Nous avons donc adopté la meilleure solution de rechange dont nous disposions.

 

[65]   Il est clair que l’appelant n’a fourni certains renseignements financiers qu’une fois l’appel interjeté.

 

[66]   L’appelant a affirmé qu’il avait proposé qu’un tiers examine ses documents. Toutefois, il incombe à l’ARC de vérifier les documents afin d’établir si la LTA a été observée. L’autorisation de procéder à une vérification en vertu de l’article 288 de la LTA est accordée à une « personne autorisée » selon la définition figurant à l’article 287 de cette loi. Une « personne autorisée » s’entend d’une personne qui est autorisée par le ministre. Il est clair que l’appelant ne voulait pas permettre à qui que ce soit qui était une « personne autorisée » selon la définition figurant à l’article 287 de la LTA de vérifier ses livres et registres.

 

[67]   L’appelant a également soutenu qu’il avait offert de fournir les renseignements financiers à l’ARC avant le litige. Toutefois, l’offre était assortie de conditions. Selon la proposition de l’appelant, les renseignements seraient fournis, mais on supprimerait ou expurgerait [traduction] « certains renseignements identifiant les clients et les employés afin de préserver la confidentialité et l’anonymat »[5].

 

[68]   Dans la lettre qu’il a envoyée à Revenu Canada le 11 février 1992, l’appelant déclarait ce qui suit :

 

[traduction]

 

La clientèle servie par Native Leasing Services est principalement composée de groupes autochtones fournissant des services à la communauté autochtone et mandatée par divers types de gouvernements indiens. Cela étant, la communauté autochtone considère ces organismes comme des extensions de ces gouvernements autochtones, de sorte qu’ils sont exemptés de la TPS.

 

[69]   Me James Fyshe, qui était l’avocat représentant l’appelant, a déclaré ce qui suit dans une lettre envoyée à Revenu Canada le 22 février 1993 :

 

[traduction]

 

Comme vous le savez, M. Obonsawin fournit à diverses agences autochtones, dans les réserves et en dehors des réserves, les services d’employés conformément à des ententes de placement.

 

[70]   La proposition selon laquelle des renseignements seraient fournis sans les renseignements identifiant les clients et les employés n’a pas été retenue par l’ARC. En l’absence de renseignements identificateurs, comment l’ARC pouvait‑elle vérifier l’exactitude des allégations de l’appelant lorsque celui‑ci disait que ses clients étaient [traduction] « des prolongements des gouvernements autochtones » ou qu’ils étaient situés dans des réserves? Il me semble que l’appelant était tenu de percevoir la taxe et qu’il était tenu de permettre à l’ARC de vérifier ses livres et registres. Fournir des renseignements sans révéler l’identité des clients, ce n’est pas fournir à l’ARC les renseignements dont elle a besoin pour procéder à une vérification lorsque l’appelant affirme ne pas être tenu de percevoir la TPS à cause de l’identité ou de l’emplacement de ses clients.

 

[71]   L’appelant a également soutenu que la Couronne avait une obligation fiduciaire envers lui. Dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. La Reine, [2002] A.C.S. no 79, [2002] 4 R.C.S. 245, le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, a dit ce qui suit :

 

            80        L’aspect positif de l’établissement de ces rapports sui generis fut, historiquement, la protection des intérêts des peuples autochtones (qu’il suffise de rappeler, par exemple, le passage de la Proclamation royale de 1763, L.R.C. 1985, App. II, no 1, précisant « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages »), mais l’étendue de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne à l’égard des populations autochtones sur les plans économique, social et foncier a également eu pour effet d’exposer ces populations aux risques de faute et d’ineptie de la part de la Couronne.  L’importance de cette autorité et de ces pouvoirs en tant qu’ingrédients fondamentaux de relations fiduciaires a été soulignée par le professeur E. J. Weinrib dans la phrase suivante, citée dans l’arrêt Guerin, précité, p. 384 : [traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ».  Voir aussi : Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka, p. 599‑600; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, le juge La Forest, p. 406; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, madame le juge Wilson, dissidente, p. 135‑136.  L’obligation de préserver [traduction] « l’honneur de l’État » est liée d’une certaine façon aux normes éthiques que doit respecter un fiduciaire dans le contexte des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones : R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A.), le juge en chef adjoint MacKinnon, p. 367, autorisation d’appeler refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; Van der Peet, précité, le juge en chef Lamer, par. 24; Marshall, précité, par. 49‑51.

 

            81        L’« obligation de fiduciaire » est toutefois assortie de limites.  Les appelantes semblent parfois invoquer cette obligation comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes.  C’est aller trop loin.  L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens.  En l’espèce, ce sont des terres qui sont en jeu, et les terres jouent généralement un rôle central dans les économies et cultures autochtones.  Des terres étaient également en jeu dans les affaires Ross River (« les terres occupées par la Bande ») et Bande indienne de la rivière Blueberry et Guerin (aliénation de réserves existantes).  Jusqu’à présent, notre Cour n’a pas élargi la protection de l’obligation de fiduciaire applicable aux actes accomplis par la Couronne à l’égard de droits fonciers autochtones (notamment la création de réserves) à d’autres intérêts des Indiens, à l’exception de terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[…]

 

83        Je ne ferai aucun commentaire sur le bien‑fondé, eu égard aux faits qui leur sont propres, des décisions rendues dans les affaires susmentionnées, dont aucune ne fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant nous, mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s’applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones.  Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.

 

[…]

 

85        Je ne prétends pas que l’existence d’une obligation de droit public exclut nécessairement la création de rapports fiduciaires.  Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin.

 

[72]   Dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] C.T.C. 20, [1983] 1 R.C.S. 29, 144 D.L.R. (3d) 193, 83 DTC 5041, le juge Dickson (tel était alors son titre), a dit ce qui suit :

 

24     Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d’impôts, que les autres citoyens canadiens.

 

[73]   Étant donné que, comme il en a ci‑dessus été fait mention, les dispositions de la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas, à mon avis, à l’application de la TPS aux services fournis par l’appelant, l’appelant aurait la même obligation de se conformer aux demandes de l’ARC en ce qui concerne la vérification que toute autre personne exploitant une entreprise au Canada. Il me semble que la Couronne n’a pas d’obligation fiduciaire envers l’appelant à l’égard de l’obligation imposée à celui‑ci de percevoir et de verser la TPS pour les services qu’il fournissait et de se conformer aux demandes formulées par l’ARC dans le cadre de la vérification. Pour que les obligations imposées par la LTA créent un rapport fiduciaire, il faut qu’il y ait « un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité de la nature d’une obligation de droit privé ». Étant donné que, comme il en a ci‑dessus été fait mention, les dispositions de la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas à l’application de la TPS aux services fournis par l’appelant, il n’existe aucun droit indien identifiable reconnu à l’appelant, et encore moins un engagement de la part de la Couronne, tel que l’a décrit le juge Binnie. L’obligation fiduciaire n’existe pas simplement parce que l’appelant est un Indien étant donné que, comme le juge Binnie l’a fait remarquer, « [l]’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens ».

 

[74]   L’appelant avait également soutenu qu’il fallait utiliser la jurisprudence en matière d’obligation fiduciaire comme outil pour établir si les cotisations devaient être annulées. Étant donné qu’à mon avis, il n’existe en l’espèce aucune obligation fiduciaire, la jurisprudence n’aide pas l’appelant.

 

[75]   L’appelant, qui ne s’est pas conformé aux demandes que l’ARC avait faites en vue d’être en mesure de procéder à une vérification, ne peut pas maintenant affirmer qu’un montant plus exact aurait peut‑être été établi si une vérification avait été effectuée. L’appelant aurait pu soulever, dans son avis d’appel, la question du montant auquel s’élevait, selon lui, la taxe nette pour les périodes visées par l’appel (à titre d’argument subsidiaire) et il aurait pu présenter une preuve à l’audience en vue de contester l’exactitude des montants établis, mais il a décidé de ne pas le faire.

 

[76]   La seule preuve se rapportant à l’exactitude des montants établis au titre de la TPS a été fournie par le vérificateur de l’ARC. Lors de l’interrogatoire principal du vérificateur, les propos suivants ont été échangés :

 

[traduction]

 

Q.        Merci, monsieur Brown. En vous préparant pour le présent litige, étiez‑vous au courant des documents‑source que M. Obonsawin avait fournis à la Couronne, à l’intimée?

 

R.         Oui.

 

Q.        Quels étaient ces documents?

 

R.         Si je comprends bien, nous avons communiqué, ou nous avons été mis au courant, ou on nous a fourni des états financiers pour les années manquantes, une copie d’un grand livre pour certaines années a été obtenue, et certains autres documents de vente ou certains documents‑source, des contrats, ont été obtenus.

 

Q.        Et avez‑vous examiné les principaux renseignements?

 

R.         Oui, je l’ai fait. J’ai fait un bref résumé de certains renseignements et un calcul plus détaillé pour d’autres.

 

Q.        Et qu’avez‑vous conclu en examinant les renseignements?

 

R.         Eh bien, j’ai consulté les états financiers des années 1994, 1995, 1996 et 1997, et j’ai fait un calcul, comme dans la cotisation numéro un, pour voir jusqu’à quel point mon calcul était exact selon cette méthode. J’aimerais dire que le montant de la cotisation numéro un est en fait sous‑estimé par rapport aux montants obtenus à l’aide des états financiers.

 

            Par conséquent, je suis passablement convaincu que notre méthode était correcte.

 

[77]   Dans la réponse, la pénalité n’est pas expressément identifiée à titre de pénalité imposée conformément à l’article 280 de la LTA, telle qu’il était libellé au cours des périodes visées par l’appel, mais cela semble être la pénalité qui a été imposée. L’appelant n’a pas invoqué d’argument se rapportant expressément à l’imposition de la pénalité et, en particulier, il n’a pas invoqué d’argument fondé sur le moyen de défense de la diligence raisonnable en ce qui concerne l’imposition de la pénalité[6]. Quoi qu’il en soit, comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’appelant a sciemment décidé de ne pas percevoir la TPS pour les services fournis à ses clients lorsqu’il exerçait ses activités par l’entremise de NLS et il était clairement au courant des dispositions de la LTA, comme en font foi les lettres qu’il a rédigées lorsque la TPS a été mise en œuvre et le fait qu’OI Employee Leasing Inc. percevait et versait la TPS pour les services que celle‑ci fournissait (qui étaient des services identiques à ceux que l’appelant fournissait par l’entremise de NLS, quoique à des clients différents). La décision délibérée de ne pas percevoir la TPS empêcherait l’appelant d’invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable dans ce cas‑ci.

 

[78]   Par conséquent, les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’avril 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 222

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2000-4164(GST)G

 

INTITULÉ :                                       ROGER OBONSAWIN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 29 et 30 septembre, 1er, 2 et 5 octobre 2009 et 2 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DES MOTIFS :                       Le 27 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Eric Lay

Avocats de l’intimée :

Me Gordon Bourgard

Me Frédéric Morand

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Eric Lay

 

                   Cabinet :                         Eric Lay Law

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] L’appelant a affirmé avoir consulté ses employés pour savoir s’ils voulaient payer la TPS. Il me semble qu’il voulait plutôt parler de ses clients ou des organismes de placement. Les employés ne paieraient de toute façon pas la TPS à NSL à l’égard de la prestation de leurs services. En effet, ce ne sont pas les employés qui sont les acquéreurs de la fourniture des services; les employés sont plutôt les fournisseurs de ces services. De plus, les services fournis par un employé relativement à son emploi sont exclus de la définition du terme « service », à l’article 123 de la Loi sur la taxe d’accise, de sorte que la fourniture de pareils services n’est pas assujettie à la TPS (ou à la TVH).

[2] L’Agence du revenu du Canada a appliqué à certains services, sur le plan administratif, l’exemption accordée à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Voir B‑039 – Politique administrative de la TPS/TVH – Application de la TPS/TVH aux Indiens.

[3] Étant donné que l’alinéa 87(1)a) de la Loi sur les Indiens se rapporte aux terres et que l’alinéa 87(1)b) se rapporte aux biens meubles, il semble qu’il aurait plutôt fallu mentionner l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens au lieu de l’alinéa 87(1)a).

[4] Les clients du magasin comprenaient tant des Indiens que des non‑Indiens. Le montant payable à l’égard de la taxe sur l’essence représentait une estimation de la quantité d’essence qui serait achetée par des Non‑Indiens. Aucun montant n’était payable à l’égard des achats prévus d’essence qui seraient effectués par des Indiens dans la réserve. Quant au tabac, le montant perçu au départ était établi comme si toutes les ventes de tabac étaient assujetties à la taxe, et la bande demandait un remboursement pour les ventes de cigarettes à des Indiens dans la réserve.

[5] Paragraphe 127 des observations écrites de l’appelant.

[6] Dans la décision Pillar Oilfield Projects Ltd. v. The Queen, [1993] G.S.T.C. 49, le juge Bowman (tel était alors son titre) a conclu que les pénalités imposées à l’article 280 de la LTA (lesquelles ont depuis lors été supprimées) « peuvent être contestées par le contribuable qui prouve la diligence raisonnable ».

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