Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2007-4191(IT)G

ENTRE :

JEAN BENOIT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 avril 2010, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 245

Date : 20100505

Dossier : 2007-4191(IT)G

ENTRE :

JEAN BENOIT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              La seule question en litige dans la présente affaire consiste à déterminer si le ministre du Revenu national (le « ministre ») était fondé à imposer une pénalité de 27 034 $ en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2003 à l’égard des dividendes imposables de 470 032 $ que l’appelant n’a pas déclarés.

 

Contexte

 

[2]              Le 26 avril 2004, l’appelant a signé sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003. L’appelant n’a déclaré aucun revenu dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003. Madame Louise Benoit, la sœur de l’appelant, est décédée le 26 janvier 2002. L’appelant, ainsi que sa mère, madame Étiennette Benoit, son frère, Luc Benoit, et sa nièce, madame Chantal Benoit, ont hérité les actions que possédait madame Louise Benoit dans la société Marc Benoit inc. (la « société »). L’appelant possédait des actions privilégiées de la société. À la demande de la succession de madame Louise Benoit (la « succession »), la société a racheté les 33 actions ordinaires détenues par madame Louise Benoit et a donné en contrepartie à la succession un billet payable à vue de 1 514 616 $. Cette opération a donné lieu à la réception par la succession, d’un dividende réputé, et la succession a décidé de ne pas payer d’impôt sur le dividende réputé et de plutôt le transférer aux quatre héritiers. L’appelant (de même que les trois autres héritiers) a reçu de la succession, à titre de paiement de dividende, 55 actions ordinaires de catégorie 2 nouvellement acquises de la société, ainsi qu’un billet payable à vue, ayant une valeur totale de 376 025 $. La succession a remis à chaque héritier un feuillet T-3 qui comprenait les informations suivantes :

 

i)     Dividendes réels :

376 025 $

ii)    Dividendes imposables :

470 032 $

iii)   Crédit d’impôt fédéral pour dividendes :

62 670 $

 

L’appelant a reçu le feuillet T‑3 et savait qu’une copie de ce feuillet avait été envoyée au ministre. Les autres héritiers ont déclaré les dividendes imposables dans leur déclaration de revenus respective pour l’année d’imposition 2003. Monsieur Luc Benoit, qui agissait à titre de liquidateur de la succession, et les comptables agréés de celle‑ci ont dirigé les différentes étapes qui ont mené à l’attribution des dividendes imposables aux héritiers et à l’émission des feuillets T‑3.

 

[3]              Le témoignage de l’appelant est comme suit :

 

a.      Le 9 octobre 2003, les héritiers avaient assisté à une réunion convoquée par les comptables et le liquidateur de la succession, réunion dont l’ordre du jour leur avait été remis (l’« ordre du jour »). L’ordre du jour faisait état notamment de toutes les étapes suivies par la succession et ses héritiers pour que le dividende résultant du rachat par la société de ses actions détenues par la succession soit imposable entre les mains des héritiers plutôt qu’entre les mains de la succession. L’appelant a expliqué qu’il avait reçu le feuillet T‑3 lors de cette réunion, mais qu’il n’avait pas pour autant compris les explications qu’avaient alors données les comptables, selon lesquels il devait déclarer le montant indiqué sur le feuillet T‑3 qu’il aurait alors reçu.

 

b.     Après avoir lu le testament de sa soeur, consulté le guide de l’impôt (la section portant sur les autres revenus) et discuté avec des agents de renseignement de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« Agence »), l’appelant était arrivé à la conclusion que le feuillet T‑3 avait été émis par erreur. En effet, les renseignements obtenus du guide et des fonctionnaires indiquaient qu’il n’avait pas à déclarer les biens qui lui avaient été transférés par la succession. Je note que l’appelant a été incapable de nommer les agents de renseignement de l’Agence avec qui il avait communiqué et d’indiquer à quel moment il avait communiqué avec ces derniers. Je souligne que l’appelant a aussi admis qu’il n’avait jamais indiqué aux agents de renseignement de l’Agence qu’il avait reçu un feuillet T‑3. J’ajouterai que l’appelant (pourtant convaincu que le feuillet avait été émis par erreur) a aussi admis qu’il n’avait en aucun temps signalé l’erreur aux comptables de la succession, à son liquidateur, à l’Agence ou encore à ses co‑héritiers, ou n’a tenté de la corriger.

 

c.     L’appelant détient un baccalauréat en relations industrielles.

 

d.     Il avait été propriétaire d’une société pendant dix ans, société qui avait 75 employés.

 

e.      Il avait reçu à plusieurs reprises des dividendes imposables de sociétés  canadiennes et par conséquent les feuillets y relatifs.

 

Analyse et conclusion

 

[4]              Le paragraphe 163(2) de la Loi impose une pénalité à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration pour une année d’imposition ou y participe, y consent ou y acquiesce. Plus précisément, la partie du paragraphe 163(2) de la Loi qui prévoit le calcul de la pénalité se lit comme suit :

 

163(2) Faux énoncés ou omissions

 

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : [. . . ]

 

En vertu du paragraphe 163(3) de la Loi, le fardeau d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité repose sur le ministre et non sur le contribuable. Le paragraphe 163(3) de la Loi se lit comme suit :

 

163(3) Charge de la preuve relativement aux pénalités

 

Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l’article 163.2, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

 

[5]              Comme le juge Dussault l’a dit dans la décision Prud’homme c. Canada, 2005 CCI 423, au paragraphe 47 :

 

[. . .] les faits qui justifient l’imposition d’une pénalité pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi doivent être analysés en fonction de leur contexte particulier, ce qui rend toute comparaison avec les faits d’une autre situation purement aléatoire, sinon carrément dangereuse.

 

[6]              La notion de « faute lourde » qui est acceptée par la jurisprudence est celle qui a été définie par le juge Strayer dans la décision Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (C.F. 1re inst.) :

 

[. . .] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. [. . .]

 

[7]              Dans DaCosta c. Canada, 2005 CCI 545, le juge en chef Bowman fit référence à la décision rendue dans l’arrêt Udell v. M.N.R., [1970] R.C.É. 176 (C. de l’É.), et à deux décisions rendues par le juge Rip (tel était alors son titre) et fit les commentaires suivants :

 

9     Je n'ai aucune difficulté à concilier la décision du juge Cattanach avec celles du juge Rip. Elles découlent toutes d'une conclusion de fait tirée par la cour concernant le rôle joué par les contribuables. Les questions qui se posent dans chaque cas, si on fait abstraction de la question de la préméditation qui n'est pas pertinente en l'espèce, sont les suivantes :

 

a.       « le contribuable a-t-il commis une faute en faisant un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus? »

 

b.      « la faute était-elle assez grave pour justifier l'utilisation de l'épithète "lourde" qui est quelque peu péjoratif? »

 

Selon moi, ces questions rejoignent le principe énoncé par le juge Strayer dans la décision Venne v. The Queen, 84 DTC 6247.

 

[. . .]

 

11     Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l'importance de l'omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l'erreur, ainsi que le niveau d'instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

 

12     Qu'en est-il ici? Un homme fort intelligent qui déclare un revenu d'emploi de 30 000 $ et qui omet de déclarer des ventes brutes d'environ 134 000 $ et des bénéfices nets de 54 000 $. Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l'on peut dire que l'appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l'omission d'un montant qui représente presque le double du montant qu'il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d'attention.

 

[8]              La Cour d’appel fédérale a de plus précisé, dans l’arrêt Villeneuve c. Canada, 2004 CAF 20, que l’expression « faute lourde » pouvait englober l’aveuglement volontaire en plus de l’acte intentionnel et de l’intention coupable. Dans cette décision, le juge Létourneau s’est exprimé à cet égard en ces termes au paragraphe 6 :

 

Avec égards, je crois que la juge a omis de considérer la notion de faute lourde qui peut découler d’un aveuglement volontaire de son auteur. Même l’intention coupable qui, souvent, prend la forme de la connaissance de l’un ou de plusieurs des éléments constitutifs du geste reproché peut s’établir par une preuve d’aveuglement volontaire. En pareil cas, l’auteur du geste, bien qu’il n’ait pas de connaissance actuelle de l’élément reproché, se voit imputer la connaissance de cet élément.

 

[9]              À mon avis, l’appelant a commis une faute lourde, puisqu’il a fait preuve en l’espèce d’aveuglement volontaire. L’appelant en l’espèce est un homme d’affaires intelligent et très instruit. De plus, l’appelant a reçu à plusieurs reprises des feuillets T‑3 et a déclaré les dividendes indiqués sur ces feuillets. L’appelant soutient qu’il n’a pas déclaré les dividendes imposables dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003 parce que les prétendues recherches qu’il avait faites et les communications qu’il avait eues avec les représentants de l’Agence l’avaient amené à conclure qu’il n'avait pas à déclarer les biens qu’il avait reçus de la succession, et qu’ainsi le feuillet T‑3 avait été émis par erreur. Le fait que l’appelant n’a jamais indiqué aux représentants de l’Agence (avec qui il avait communiqué) qu’il avait reçu un feuillet T‑3, le fait qu’il n’a jamais signalé aux comptables ou au liquidateur de la succession ou encore à ses co‑héritiers qu’à sa connaissance le feuillet avait été émis par erreur, et surtout le fait qu’il n’a jamais demandé à ces personnes ou encore aux représentants de l’Agence quels moyens il devait prendre pour corriger cette erreur sont autant d’indices d’aveuglement volontaire, sinon d’une conduite délibérée constituant une faute lourde. En effet, compte tenu que l’appelant est un homme d’affaires averti et instruit, il est plus probable qu’il a délibérément omis de poser les bonnes questions à toutes ces personnes.

 

[10]         Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 245

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4191(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JEAN BENOIT ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 13 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 5 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.