Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2009­1297(IT)G

2009­1299(GST)G

 

ENTRE :

 

TERRY E. TAYLOR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Renvoi entendu les 17 et 18 février 2010, à Halifax (Nouvelle­Écosse).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Gerard Tompkins, c.r.

Me Dennis J. James

Me Melissa P. MacAdam

 

Avocate de l’intimée :

Me Amy Kendell

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

DANS L’AFFAIRE concernant des questions renvoyées à la Cour en application de l’article 173 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 310 de la Loi sur la taxe d’accise;

 

ATTENDU que la question relative à la Loi de l’impôt sur le revenu se rapporte à des cotisations dont les avis sont datés (1) du 7 mai 2009 pour les années d’imposition 2000, 2001, 2002 et 2003, et (2) du 31 juillet 2006 pour l’année d’imposition 2005;

 

ATTENDU que la question relative à la Loi sur la taxe d’accise se rapporte à des cotisations dont les avis sont datés (1) du 28 novembre 2006 pour la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001, et (2) du 8 mai 2008 pour la période allant du 1er octobre au 31 décembre 2006;

 

ET ATTENDU que la question relative à chaque loi, telle qu’elle est libellée par les parties est :

 

[traduction]

de savoir si la transaction datée du 22 janvier 2009 est valide et lie les parties, de façon à empêcher l’appelant d’interjeter appel des nouvelles cotisations devant la présente cour.

 

          IL EST DÉCIDÉ qu’il faut répondre par l’affirmative à la question relative à chaque loi. L’intimée a droit aux dépens.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2010.

 

« J. M. Woods”

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de novembre 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

Référence : 2010 CCI 246

Date : 20100505

Dossiers : 2009­1297(IT)G

2009­1299(GST)G

 

ENTRE :

 

TERRY E. TAYLOR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

 

[1]     Il est demandé à la Cour de trancher une question en application de l’article 173 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») et de l’article 310 de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

 

[2]     La question à trancher, telle qu’elle est libellée par les parties dans chacune des demandes, est la suivante :

 

[traduction]

Est-ce que la transaction datée du 22 janvier 2009 est valide et lie les parties, de sorte que l’appelant ne peut interjeter appel des nouvelles cotisations devant la présente cours.

 

[3]     Les cotisations auxquelles le renvoi se rapporte sont :

 

a)                 les cotisations établies en vertu de la LTA (1) par des avis datés du 28 novembre 2006 pour la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001; et (2) par un avis daté du 8 mai 2008 pour la période allant du 1er octobre au 31 décembre 2006;

 

b)                les cotisations établies en vertu de la LIR (1) par des avis datés du 7 mai 2009 pour les années d’imposition 2000, 2001, 2002 et 2003, et (2) par un avis daté du 31 juillet 2006 pour l’année d’imposition 2005.

 

[4]     L’appelant, M. Terry Taylor, soutient que la transaction n’est pas valide eu égard aux circonstances dans lesquelles elle a été conclue.

 

[5]     La soi­disant transaction a été signée lors d’une réunion en vue d’une transaction qui a eu lieu au stade des oppositions. La transaction est consignée dans deux documents : une offre de transaction signée par l’agent des appels et une renonciation signée par M. Taylor.

 

[6]     Les éléments essentiels de la transaction étaient que les pénalités pour faute grave imposées en vertu de la LIR étaient être annulées et que l’appelant renonçait à son droit d’opposition ou d’appel conformément aux paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la LIR et aux paragraphes 301(1.6) et 306.1(2) de la LTA.

 

[7]     Ces dispositions législatives sont reproduites ci­dessous :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

165(1.2) Malgré les paragraphes (1) et (1.1), aucune opposition ne peut être faite par un contribuable à une cotisation établie en application des paragraphes 118.1(11), 152(4.2), 169(3) ou 220(3.1) Il est entendu que cette interdiction vaut pour les oppositions relatives à une question pour laquelle le contribuable a renoncé par écrit à son droit d’opposition.

 

169(2.2) Malgré les paragraphes (1) et (2), il est entendu qu’un contribuable ne peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier une cotisation établie en vertu de la présente partie relativement à une question à l’égard de laquelle le contribuable a renoncé par écrit à son droit d’opposition ou d’appel.

 

Loi sur la taxe d’accise

 

301(1.6) Malgré le paragraphe (1.1), aucune opposition ne peut être faite par une personne relativement à une question pour laquelle elle a renoncé par écrit à son droit d’opposition.

 

306.1(2) Malgré les articles 302 et 306, aucun appel ne peut être interjeté par une personne devant la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier une cotisation visant une question pour laquelle elle a renoncé par écrit à son droit d’opposition ou d’appel.

 

[8]     Il est utile de comprendre dans une certaine mesure les questions fiscales qui faisaient l’objet d’une opposition. À cette fin, je reproduis ci­dessous un résumé des questions, telles qu’elles sont énoncées dans le mémoire préparatoire à l’audience de l’appelant :

 

            [traduction]

a)                  La relation d’emploi de M. Taylor avec MacDonnell Group Limited (« MGL »);

 

b)                  La relation d’emploi de M. Taylor avec Advanced Metal Technology Limited;

 

c)                  Le traitement de certaines avances consenties sur une carte de crédit pendant que M. Taylor travaillait pour MGL;

 

d)                  Le traitement de pertes au titre d’un placement d’entreprise se rapportant à 1702182 Canada Ltd. (« Canway »);

 

e)                  Le traitement de pertes au titre d’un placement d’entreprise se rapportant à Service World Inc.;

 

f)                    L’imposition de pénalités pour faute lourde par l’ARC;

 

g)                  La déduction de dépenses d’emploi effectuée par M. Taylor;

 

h)                  La déduction de frais juridiques engagés par M. Taylor;

 

i)                    Les montants exacts de TVH dus par M. Taylor pour les périodes allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001 et du 1er octobre au 31 décembre 2006.

 

Faits et procédures

 

[9]     À l’audience, ont témoigé les quatre personnes qui ont assisté à la réunion en vue de la transaction : (1) M. Taylor; (2) Anne Marie Long, chef régional des appels; (3) Richard AuCoin, chef d’équipe des appels; (4) Loren Itterman, agent des appels. La preuve documentaire comprenait les notes que M. Itterman avait prises au stade de l’opposition et les notes que Mme Long avait prises au cours de la réunion en vue de la transaction.

 

[10]    M. Taylor vit à Lower Sackville (Nouvelle­Écosse). Il a le titre de comptable général accrédité et a une grande expérience en matière de finances et d’administration, acquise dans le milieu des affaires.

 

[11]    Le 5 mai 2005, des agents de la GRC et de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») ont procédé à une perquisition et à une saisie à la résidence de M. Taylor à l’égard d’infractions soupçonnées à la LIR

 

[12]    Le mandat autorisant la perquisition a par la suite été annulé compte tenu du fait que les renseignements fournis à l’appui du mandat étaient erronés et qu’ils n’avaient pas été adéquatement vérifiés. Il a également été conclu que l’agent enquêteur avait eu une conduite inacceptable et oppressive : R. v. Taylor, 2006 NSSC 280; 2007 NSSC 56; 2008 NSCA 5.

 

[13]    Aucune accusation criminelle n’a été portée, et les cotisations ont par la suite été établies sans vérification.

 

[14]    M. Taylor a préparé un avis d’opposition aux cotisations d’une centaine de pages. L’avis a été déposé au mois de décembre 2006. Il a prit un avocat, M. Gerard Tompkins, été quelques mois plus tard, qu’il a changé de le représenter dans le processus d’opposition.

 

[15]    Les observations qui suivent exposent certains des principaux événements qui se sont produits dans le cadre de processus d’opposition, selon les éléments de preuve. Ils ne visent pas à être exhaustifs.

 

[16]    M. Itterman est l’agent des appels à qui le dossier a été confié. Il a entrepris son examen de l’avis d’opposition vers le mois de juin 2007 et il a communiqué à plusieurs reprises avec M. Tompkins au cours des quelques mois qui ont suivi.

 

[17]    Ces communications ont abouti à la réunion du 22 août 2007 entre M. Itterman et M. Tompkins, à la fin de laquelle, M. Tompkins s’est engagé à chercher à obtenir des documents justificatifs supplémentaires. Il était entendu que les renseignements devaient être produits au plus tard le 30 septembre 2007.

 

[18]    Juste avant la date limite du 30 septembre, une autre réunion a eu lieu. Cette fois, M. Taylor et M. Tompkins ont tous deux rencontré M. Itterman. La date limite à laquelle les renseignements justificatifs devaient être reçus a été reportée au 4 octobre 2007.

 

[19]    Le 30 septembre 2007, M. Taylor a envoyé une lettre de 14 pages adressée au directeur régional de l’ARC, M. Donald Gibson. D’une façon générale, l’auteur de la lettre alléguait que le processus d’opposition n’avait pas été mené d’une façon appropriée par l’ARC. Des personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’ARC étaient désignées comme ayant reçu une copie de la lettre, notamment des députés fédéraux et la vérificatrice générale du Canada.

 

[20]    M. Itterman a répondu à la lettre le 17 octobre 2007. Il a déclaré qu’après avoir discuté de l’affaire avec M. Gibson, il avait été décidé que M. Itterman produirait les documents appuyant la position prise par l’ARC et que M. Taylor disposerait d’un délai de 30 jours pour répondre. M. Itterman a envoyé une lettre détaillée le 22 octobre 2007 et M. Taylor a répondu dans le délai de 30 jours.

 

[21]    Outre cette correspondance, M. Taylor a envoyé, le 19 novembre 2007, une lettre adressée à M. Gibson, à M. Itterman et à M. AuCoin. Cette lettre indiquait qu’une copie avait été envoyée à un certain nombre de hauts fonctionnaires, y compris les cabinets du premier ministre du Canada et du premier ministre de la Nouvelle­Écosse.

 

[22]    La teneur générale de la lettre ressort de l’extrait suivant :

 

[traduction]

 

L’ARC sera tenue responsable envers le public et l’ARC devra payer pour ses abus et sa négligence. À moins qu’une vérification appropriée ne soit effectuée, ou que la Division des appels n’accepte tout simplement mon appel, je garantis à l’ARC qu’on entendra parler d’elle dans les nouvelles et qu’elle sera contrainte de payer pour sa négligence et pour le préjudice causé! Il en ira de sa réputation et elle sera contrainte de payer pour ses abus, ses erreurs, ses omissions et sa négligence. Je garantis également que les personnes à l’origine de ces décisions négligentes de l’ARC seront tenues responsables.

 

[23]    Le ministre du Revenu national a assuré le suivi de la plainte et une réponse a été envoyée par son cabinet le 14 mars 2008. Celle-ci n’a pas été produite en preuve.

 

[24]    Dans l’intervalle, M. Itterman a poursuivi son examen de l’opposition pendant plusieurs mois et il a tenté d’obtenir des renseignements additionnels de diverses sources. Il semble que cet examen ait été achevé vers le mois d’août 2008 et qu’une rencontre avec M. Taylor ait été organisée pour lui en communiquer les résultats.

 

[25]    M. Tompkins a été mis au courant de la réunion à venir par M. AuCoin, le chef d’équipe, au cours d’une conversation qu’ils ont eue au sujet d’un autre dossier. M. Tompkins a indiqué qu’il ne voulait pas assister à la réunion parce qu’il ne voulait pas être appelé à témoigner si l’affaire était déférée au tribunal.

 

[26]    La réunion a eu lieu le 7 octobre 2008, en présence de M. Taylor, de M. Itterman et de M. AuCoin. Vers la fin de la réunion, M. Taylor a abordé la question d’une éventuelle transaction. Il a été convenu que l’ARC fournirait à M. Taylor la ventilation des montants en litige afin de l’aider à évaluer étudier la possibilité d’une transaction et que M. Taylor soumettrait une offre de transaction dans les dix jours suivants. Cette ventilation a été envoyée par M. Itterman le lendemain.

 

[27]    Des prorogations du délai de dix jours ont par la suite été accordées lorsque M. Tompkins a commencé à intervenir dans le processus. M. Itterman a laissé un message dans la boîte vocale de M. Tompkins pour lui communiquer la prorogation finale. La transcription du message a été produite en preuve (pièce A­1) et un extrait est reproduit ci­dessous :

 

[traduction]

 

Je m’excuse d’avoir pris tant de temps pour vous répondre, mais j’ai finalement eu à rencontrer le chef des appels, Anne Marie Long, ainsi que Richard AuCoin, mon superviseur, et ils ont convenu d’accorder une prorogation jusqu’au 19 décembre, mais ils ont demandé que l’offre de transaction soit sérieuse.

 

[28]    Une réponse a été envoyée avant la date limite du 19 décembre 2008 par une lettre de M. Tompkins.

 

[29]    Celle-ci a été la goutte qui a fait déborder le vase pour Mme Long, le chef des appels, parce qu’aucune offre de transaction sérieuse n’y figurait.

 

[30]    Mme Long a conclu qu’il y avait eu abus du processus d’opposition. Le processus s’était prolongé sans que M. Taylor soumette grand­chose à l’appui de sa position. D’autre part, Mme Long était d’avis que M. Itterman avait accompli énormément de travail. Elle a conclu qu’il convenait de clore le dossier.

 

[31]    Lorsque M. Taylor a été mis au courant de la chose le 20 janvier 2009, il a immédiatement envoyé plusieurs communications à l’ARC en vue de tenter de garder le dossier ouvert. Il a demandé à rencontrer M. Itterman et M. AuCoin aussi à rencontrer Mme Long. Il a écrit : [traduction] « Finissons­en avec le processus de négociation et réglons l’affaire comme nous en avons convenu. » Certaines communications disaient ce qui suit : [traduction] « Veuillez me répondre directement et à personne d’autre. »

 

[32]    L’ARC a convenu d’une rencontre, qui a eu lieu le 22 janvier 2009 au matin. M. Taylor y a assisté sans son avocat. Mme Long, M. AuCoin et M. Itterman représentaient l’ARC.

 

[33]    C’est Mme Long qui a dirigé la réunion pour le compte de l’ARC. Elle a indiqué que le dossier était sur le point d’être clos, mais elle a invité M. Taylor à présenter une offre. M. Taylor a soulevé plusieurs points à négocier, mais sans grand succès.

 

[34]    Lorsque M. Taylor a soulevé la possibilité de régler l’affaire s’il était renoncé aux pénalités et aux intérêts, on l’a informé que la renonciation aux intérêts faisait l’objet d’un processus distinct, mais que l’ARC était prête à annuler les pénalités s’il renonçait de son côté à son droit de faire opposition ou d’interjeter appel. M. Taylor a accepté.

 

[35]    On a ensuite demandé à M. Itterman de rédiger un projet de transaction, conformément à l’entente. M. Itterman a quitté la salle pendant quelque temps afin de le faire et Mme Long a également quitté la salle à ce moment­là. Lorsque M. Itterman est revenu, les documents ont été brièvement expliqués par les agents de l’ARC et ils ont ensuite été signés. La réunion, qui avait duré environ deux ou trois heures, a alors pris fin.

 

[36]    Quatre jours après la réunion, le 26 janvier 2009, M. Taylor a fait savoir à l’ARC que la transaction n’était pas valide ni exécutoire parce que, lors de la réunion, de fortes pressions avaient été exercées sur lui et qu’il n’avait pas pu être conseillé par un avocat.

 

[37]    L’ARC a pris pour position que la transaction était valide. M. Taylor a par la suite essayé sans succès de faire rouvrir le dossier.

 

[38]    Des cotisations ont par la suite été établies et des appels ont ensuite été formés devant la présente cour. Le présent renvoi a été formé avant que l’intimée dépose des réponses.

 

Principes de droit invoqués

 

[39]    On m’a renvoyée à plusieurs jurisprudences de notre cour dans lesquelles il était question de renonciations telles que celles qui sont ici en cause : Pearce c. La Reine, 2005 CCI 38; Nguyen c. La Reine, 2005 CCI 697, 2008 DTC 2880; McGonagle c. La Reine, 2009 CCI 168; 2009 DTC 1120; et Bauer c. La Reine, dossier du greffe 2007­4421(IT)G (décision rendue verbalement le 9 septembre 2009). Dans tous les cas, il avait été conclu que les renonciations étaient valides.

 

[40]    Récemment, la décision que la Cour de l’impôt a rendue dans l’affaire McGonagle a été confirmée en appel (2010 CAF 108).

 

[41]    Dans la décision Nguyen, le juge Dussault a formulé ainsi, au paragraphe 33, le principe pertinent :

 

Il m’apparaît clair qu’une renonciation au droit d’opposition et d’appel signée par un contribuable ne peut être annulée que par une preuve prépondérante qu’il n’y a pas librement consenti ou qu’il a été victime de pressions indues.

 

[42]    L’avocat de l’appelant a également soutenu que la jurisprudence relative au consentement en matière de droit matrimonial et de droit du travail pourraient éclairer la Cour. Étant donné qu’aucune jurisprudence précise n’a été cité, des observations écrites ont été reçues, à ma demande, après l’audience.

 

[43]    En matière d’emploi, il a été fait mention de l’affaire Farmer v. Foxridge Homes Ltd., [1992] AJ no 1040 (B.R. Alb.); [1994] AJ no 177 (C.A. Alb.), dans laquelle un employé avait conclu une transaction avec son employeur peu de temps après avoir été congédié sommairement. Le tribunal a décidé que la transaction n’était pas valide, en faisant remarquer que l’employé n’avait reçu aucun préavis et qu’il n’avait pas eu la possibilité de se préparer ou de consulter un conseiller juridique.

 

[44]    En réponse, l’avocate de l’intimée a cité une jurisprudence dans laquelle il avait été jugé qu’une transaction conclue avec un employé congédié était valide, et ce, bien que l’employé ait eu fort peu de temps pour l’étudier : Sapieha v. Intercontinental Packers Ltd., [1985] SJ no 66, 10 CCEL 87 (B.R. Sask.).

 

[45]    En matière de droit matrimonial, l’avocat de l’appelant a cité un passage de l’arrêt Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, paragraphe 83 :

 

[…] Le tribunal doit [...] être réticent à intervenir. En revanche, lorsque le déséquilibre des forces a effectivement vicié le processus de négociation, l’accord ne doit pas être interprété comme exprimant l’idée que se font les parties d’un partage équitable, dans leur situation, et il n’a donc que peu de poids.

 

[46]    Il est utile d’examiner l’enseignement de l’arrêt Miglin. Toutefois, il faut se rappeler que, en matière de droit matrimonial, le législateur est intervenu en vue d’accorder expressément aux tribunaux le droit d’écarter des transactions.

 

[47]    L’avocat de l’appelant a également mentionné le principe des marchés iniques. L’arrêt Klassen v. Klassen, 2001 BCCA 445 enseigne que ce principe comporte les deux éléments suivants : (1) la preuve d’une inégalité dans la position des parties qui résulte de l’ignorance de la partie la plus faible ou de l’indigence ou du désarroi dans lequel se trouve celle-ci, et qui l’a mise à la merci de la partie plus forte; et (2) la preuve que l’achat avait été effectué d’une personne ignorante à un prix bien inférieur à la valeur de l’article (paragraphe 59).

 

Analyse

 

[48]    Dans une large mesure, la thèse de l’appelant repose sur son propre témoignage.

 

[49]    Certains exemples du témoignage de M. Taylor, tirés d’une transcription de l’audience, sont donnés ci­dessous :

 

·                    M. Taylor a déclaré que, lorsqu’il a appris, le 20 janvier 2009, que le dossier allait être clos, la chose l’a déchiré et l’a bouleversé et que cela l’a désorienté complètement (transcription, pages 19 et 20);

 

·                    M. Taylor a déclaré avoir été complètement désorienté lors de la réunion et sentir qu’il était à la merci de l’ARC lorsqu’on l’a informé que le montant en litige s’élevait à 261 000 $ (transcription, page 28);

 

·                    M. Taylor a témoigné avoir [traduction] « eu une peur bleue » lorsque Mme Long l’a informé qu’il serait établi devant les tribunaux qu’il avait détourné des fonds et qu’il aurait à subir les conséquences (transcription, page 30);

 

·                    M. Taylor a témoigné que Mme Long avait refusé de lui accorder plus de temps. Il a déclaré (transcription, page 31) :

 

[traduction]

 

En fait, j’ai été acculé dans un coin. J’étais dans une impasse. J’étais dans une impasse ce jour­là. J’ai expressément demandé deux ou trois semaines pour soumettre toute l’affaire à mon avocat, Gerard Tompkins, de façon que nous puissions l’étudier et faire une offre, que j’essayais de faire. J’ai essayé de remettre la question sur la table et [Mme Long] a dit qu’on ne m’accorderait pas plus de temps. Il fallait le faire ce jour­là avant de quitter le bureau. On me l’a dit une fois, on me l’a dit deux fois, on me l’a dit trois fois. Je devais donc prendre immédiatement une décision au sujet de centaines de milliers de dollars.

 

·                    M. Taylor a également soutenu qu’il ne comprenait pas complètement les incidences de la transaction. Ainsi, il a décrit un tableau qui lui avait été présenté à la réunion (transcription, page 45) :

 

[traduction]

 

Je me rappelle avoir vu une feuille de calcul électronique avec un tas de chiffres. Mais, ai­je eu – ai­je eu le temps de l’examiner ou de l’apporter à un autre comptable pour la comprendre? Non.

 

·                    Lorsqu’on lui a présenté la lettre de transaction, M. Taylor s’est senti obligé de la signer (transcription, page 35) :

 

[traduction]

 

[…] à mon sens, Anne Marie Long a tellement réussi à me convaincre que peu importe jusqu’à quel point nous croyons être intelligents ou jusqu’à quel point nous pouvons être expérimentés, nous sommes en fin de compte des humains, et lorsque trois personnes s’en prennent à vous et vous acculent dans un coin, on est bien obligé de signer. Je n’avais pas le choix.

 

[50]    Le témoignage susmentionné, qui est un témoignage intéressé, sonne faux, lorsqu’il est considéré à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve. On ne saurait tout simplement pas croire que M. Taylor se sentait [traduction] « désorienté » ou [traduction] « bouleversé » lors de la réunion de discussion d’une éventuelle transaction.

 

[51]    M. Taylor a affirmé s’être senti complètement désorienté lorsqu’il a découvert que le montant à payer s’élevait à 261 000 $. Il a également témoigné qu’il ne comprenait pas complètement la feuille de calcul électronique qui lui avait été présentée lors de la réunion.

 

[52]    Ce témoignage est contraire au bon sens. M. Taylor était un homme d’affaires chevronné qui s’y connaît dans le domaine de la finance. Il connaissait également fort bien les questions fiscales qui étaient en litige et il était au courant depuis un certain temps des montants en cause, y compris des pénalités. La feuille de calcul électronique qui lui a été présentée à la réunion lui avait déjà été fournie à sa demande. Elle n’était pas difficile à comprendre.

 

[53]    M. Taylor a déclaré avoir eu une peur bleue lorsqu’on l’a informé qu’il aurait à subir les conséquences du détournement auquel il s’était livré.

 

[54]    Cela n’a également aucun sens. Plusieurs mois auparavant, on avait fourni à M. Taylor des renseignements détaillés au sujet de la position que prenait l’ARC. M. Taylor n’aurait pas été pris par surprise en apprenant que le présumé détournement ferait partie de la preuve si l’affaire était déférée au tribunal.

 

[55]    En outre, le témoignage de M. Taylor contredit le témoignage des trois témoins de l’ARC. En effet, selon leurs témoignages, la réunion de discussion d’une éventuelle transaction s’était déroulée amicalement et M. Taylor était calme. Lorsqu’il a appris que l’ARC allait clore le dossier, M. Taylor a indiqué qu’il voulait également mettre un point final à l’affaire. Il a immédiatement accepté la transaction lorsqu’elle lui a été présentée, et il n’a pas demandé plus de temps pour l’étudier.

 

[56]    Je retiens cette version des faits.

 

[57]    Les témoignages de M. Itterman et de M. AuCoin en particulier semblent sincères et impartiaux. Les deux hommes se rappelaient assez bien ce qui était arrivé à la réunion, ce qui n’est pas surprenant étant donné les relations empreintes d’animosité dans le dossier.

 

[58]    Quant au témoignage de Mme Long, il semble également généralement digne de foi. Son témoignage a semblé à quelques reprises orienté, mais dans l’ensemble, Mme Long est, il me semble un témoin crédible. Son témoignage est généralement corroboré par M. Itterman et par M. AuCoin.

 

[59]    Il reste à rechercher si la transaction est invalide compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve. La transaction a­t­elle été librement conclue? Des pressions indues ont­elles été exercées sur M. Taylor?

 

[60]    Premièrement, je conclus que la transaction a été librement conclue. M. Taylor comprenait ce à quoi il consentait, et il a amplement eu la possibilité d’étudier les choix dont il disposait et de consulter son avocat avant la réunion. Les circonstances sont fort différentes de celles de l’affaire Farmer, soit l’affaire de congédiement citée par l’avocat de l’appelant.

 

[61]    Je conclus également qu’aucune pression indue n’a été exercée sur M. Taylor lorsqu’il s’est agi de conclure la transaction. Des pressions ont été exercées, mais elles n’étaient pas indues.

 

[62]    Le contexte de la réunion en vue de la transaction est important. La réunion a eu lieu à la demande de M. Taylor, qui effectuait une dernière tentative après que l’ARC eut conclu, pour ce qui semble une bonne raison, que le dossier devait être clos. La Division des appels avait déjà procédé à un examen exhaustif et les conclusions tirées avaient été communiquées dans leurs moindres détails à M. Taylor.

 

[63]    Lors de la réunion, Mme Long a fait savoir à M. Taylor qu’elle n’était pas prête à prolonger le processus, mais M. Taylor a répondu qu’il voulait lui aussi mettre fin sans délai à l’affaire. Lorsque l’offre a été faite, M. Taylor s’est empressé de l’accepter. Je rejette le témoignage de M. Taylor lorsqu’il affirme avoir demandé plus de temps pour étudier l’affaire.

 

[64]    Eu égard aux circonstances, les pressions qui ont été exercées n’étaient pas indues.

 

[65]    L’avocat de l’appelant soutient également qu’il s’agit d’une affaire dans laquelle il convient d’appliquer le principe des marchés iniques.

 

[66]    Je rejette cette thèse. Le principe des marchés iniques exige : (1) que l’ARC ait dominé M. Taylor dans les négociations en vue de la transaction en raison de l’ignorance de celui-ci ou de l’indigence ou du désarroi dans lequel il se trouvait; et (2) que la transaction soit clairement favorable à l’administration gouvernementale.

 

[67]    Aucun de ces deux éléments n’est présent en l’espèce.

 

[68]    Quant à la disparité des pouvoirs de négociation, la preuve n’établit pas qu’il y ait eu iniquité des pouvoirs de négociation attribuable à l’ignorance, à l’indigence ou au désarroi.

 

[69]    Pour ce qui est du caractère équitable de la transaction, l’avocat de l’appelant soutient que la renonciation au droit d’appel vaut beaucoup plus que la réduction du montant dû. Je rejette cet argument. Il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve me permettant de conclure que la transaction était plus favorable à l’administration gouvernementale qu’à M. Taylor.

 

[70]    Enfin, j’aimerais faire de brèves remarques au sujet de la lettre de renonciation. M. Taylor a témoigné qu’il ne comprenait pas très bien les dispositions législatives dont il était fait mention dans cette lettre. Ces dispositions sont reproduites ci­dessus.

 

[71]    La lettre de renonciation était apparemment un formulaire type utilisé par M. Itterman. Je conviens que M. Taylor ne comprenait probablement pas très bien toutes les mentions de la loi qui étaient faites dans la lettre, mais cela ne rend pas pour autant la transaction invalide. Ce qui est pertinent, c’est que M. Taylor comprenait suffisamment bien les dispositions législatives se rapportant à sa situation. Or, je conclus qu’il les comprenait.

 

Conclusion

 

[72]    Je conclus que la transaction en cause est valide et qu’il faut répondre par l’affirmative aux questions soumises dans le cadre du présent renvoi. L’intimée a droit aux dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de novembre 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 246

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009­1297(IT)G

                                                          2009­1299(GST)G

 

INTITULÉ :                                       TERRY E. TAYLOR

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle­Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 17 et 18 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Gerard Tompkins, c.r.

Me Dennis J. James

Me Melissa P. MacAdam

 

Avocate de l’intimée :

Me Amy Kendell

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Gerard Tompkins, c.r.

 

                   Cabinet :                         Patterson Law

                                                          Halifax (Nouvelle­Écosse)

 

       Pour l’intimée :                            Myles Kirvan

                                                          Sous­procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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