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Dossier : 2008-22(IT)G

ENTRE :

ALLEN HAYTER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 26 et 27 avril 2010, à London (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul Downs

Avocate de l’intimée :

Me Suzanie Chua

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2005 est accueilli, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant a le droit de déduire une perte autre qu’en capital de 905 785,45 $ à l’égard de l’opération concernant les ordinateurs portatifs et une perte en capital de 161 250 $  à l’égard de l’opération concernant les téléviseurs.

 

          Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

        


 Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2010.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2010 CCI 255

Date : 20100507

Dossier : 2008-22(IT)G

 

ENTRE :

ALLEN HAYTER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]              Il s’agit d’un appel inhabituel interjeté par l’appelant contre l’inclusion d’un montant de 864 000 $ au titre d’un autre revenu d’emploi dans sa déclaration de revenus de 2005, telle que celui‑ci l’avait produite. L’appelant s’est opposé à la cotisation que le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait établie en se fondant sur la déclaration de revenus, telle qu’elle avait été produite, pour le motif que son comptable avait erronément imputé des investissements effectués par sa société, A.G. Hayter Contracting Ltd. (la « société »), s’élevant en tout à 574 045 $, à son compte d’actionnaire et avait ensuite établi une gratification de 864 000 $ en vue de ramener à zéro le compte débiteur des prêts aux actionnaires, ce montant comprenant un montant de 383 704 $ à titre de majoration en vue de couvrir l’impôt et les engagements relatifs à la paie. Par conséquent, pour l’année 2005, la déclaration de revenus de l’appelant s’élevait en tout à 893 400 $, montant composé de la gratification ou de frais de gestion de 864 000 $, selon la façon dont on veut caractériser ce montant, ainsi que du salaire normal de l’appelant, de 29 400 $. Il importe au départ de noter qu’il y avait des contradictions dans les montants susmentionnés et que des rajustements s’imposent compte tenu de la preuve. Il importe de noter que l’appelant soutient, à titre subsidiaire, que, si la Cour conclut qu’il a personnellement investi les fonds, il devrait avoir le droit de déduire une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise à cet égard étant donné qu’il s’agit de pertes au titre d’un placement d’entreprise, ou encore subsidiairement, de pertes d’entreprise ordinaires et ensuite de pertes en capital, par ordre décroissant. Les investissements en question se rapportent à l’achat proposé à prix réduit et à la revente, moyennant un bénéfice, d’ordinateurs portatifs, sur lesquels nous reviendrons ci‑dessous d’une façon plus détaillée, et que j’appellerai l’« opération concernant les ordinateurs portatifs »; l’appelant allègue que les fonds ont été avancés au moyen d’un prêt consenti à FLC Holdings Ltd. (« FLC »).

 

[2]              L’appelant affirme également avoir investi dans FLC un montant de 361 104 $ provenant de ses fonds personnels pour l’opération concernant les ordinateurs portatifs et demande la déduction d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise, ou subsidiairement, d’un autre type de perte, à cet égard, ce que l’intimée conteste également.

 

[3]              Enfin, dans le cadre d’un investissement distinct, l’appelant affirme avoir investi un montant de 148 000 $ dans une coentreprise avec une autre personne en vue d’acheter des téléviseurs à prix réduit et de les revendre dans le but de réaliser un bénéfice, coentreprise qui a échoué lorsque l’associé ou le coentrepreneur a été arrêté pour fraude et que les téléviseurs n’ont jamais été livrés. J’appellerai ci‑après cette opération l’« opération concernant les téléviseurs ».

 

L’opération concernant les ordinateurs portatifs

 

[4]              L’appelant était un agriculteur et un entrepreneur. Il a témoigné avoir terminé sa huitième année. Il possédait à cent pour cent la société, comme l’intimée l’a plaidé et admis, ou bien il contrôlait la société, dont certaines actions avaient été attribuées à ses deux fils. Toutefois, l’appelant a témoigné qu’il était l’âme dirigeante ou le responsable de la société, de sorte que la question de savoir à qui exactement appartenait la société n’est pas pertinente dans le présent appel, en soi. La société s’occupait de conduites d’écoulement, d’égouts collecteurs et de conduites d’eau maîtresses, ainsi que de travaux de démolition en plus d’investir des fonds dans des sociétés liées. L’exercice de la société prend fin le 31 mars.

 

[5]              La preuve montre qu’au début de l’été 2004, un certain Robert Solleveld a communiqué avec l’appelant afin d’obtenir des fonds et de les injecter dans une entreprise dans le cadre de laquelle 1 000 ordinateurs portatifs devaient être achetés à prix réduit et être revendus dans le but de réaliser un gros bénéfice. L’opération d’achat devait être effectuée par l’entremise d’un certain Kanti Bahl, qui a été décrit comme un spécialiste des services de banque d’investissement, qui avait organisé le contact avec SCQ Enterprises (« SCQ »), le vendeur. Il importe également de noter ici qu’un individu appelé Steven Venditello semble avoir encouragé M. Solleveld à participer à l’opération et que c’était lui qui devait organiser la vente des ordinateurs portatifs. M. Venditello semble avoir eu un rôle ou avoir été présent pendant toute la durée de l’opération concernant les ordinateurs portatifs et de l’opération concernant les téléviseurs. M. Solleveld a témoigné avoir au départ investi plus de 1 000 000 $ dans l’opération, à compter du mois de janvier 2004; étant donné que le vendeur exigeait encore plus d’argent, il a demandé à l’appelant de participer à l’opération. L’appelant voulait se procurer des fonds pour acheter du matériel et il considérait l’opération concernant les ordinateurs portatifs comme un moyen d’arriver à cette fin. L’appelant a admis ne pas s’y connaître en matière d’ordinateurs, qu’il ne connaissait pas les autres parties et qu’il faisait entièrement confiance à M. Solleveld pour s’occuper de son argent. Il importe de noter que, dans son avis d’appel, l’appelant décrit les fonds qu’il a fournis comme un prêt, avec des intérêts au taux de 5 p. 100 qu’il s’attendait de recevoir, mais aucun élément de preuve n’a été soumis à l’appui du prêt allégué ou du paiement d’intérêts. La preuve donnait à entendre que l’investissement était davantage de la nature d’un investissement dans une coentreprise dans le cadre de laquelle l’appelant s’attendait à partager les bénéfices tirés de la vente et à récupérer les fonds initialement investis, mais l’intimée soutient qu’il s’agissait davantage pour l’appelant d’aider un ami, M. Solleveld, qui faisait face à des difficultés.

 

[6]              Selon la preuve, du 5 juillet au 7 décembre 2004, l’appelant a remis des chèques, des traites bancaires et des avances en argent au moyen de retraits effectués sur des cartes de crédit, lesquels s’élevaient en tout à 544 681,45 $. Ces sommes ont été versées à diverses personnes, notamment à M. Bahl, à la Banque Nationale du Canada, au Casino de Montréal, à l’avocat de M. Solleveld et à d’autres personnes, tout cela, selon l’appelant, conformément aux ordres et aux instructions de M. Solleveld, qui a émis un grand nombre des chèques qui ont été remis ou qui a organisé la remise de tous les fonds à M. Bahl ou à SCQ et même à M. Venditello qui, selon la preuve, acceptait personnellement les paiements pour le compte de SCQ. Tous les fonds provenaient des comptes bancaires ou de cartes de crédit de la société. Il semble extraordinaire que l’appelant ait à ce point eu confiance en M. Solleveld, mais la preuve montre de fait qu’à un moment donné, le vendeur a accusé réception de tous les fonds, dans une entente signée par M. Solleveld en sa qualité de fiduciaire, de sorte qu’il semble que les fonds sont indubitablement arrivés à destination, à valoir sur le prix d’achat des ordinateurs portatifs. Les ordinateurs portatifs n’ont jamais été livrés et la preuve donne à entendre que l’appelant et M. Solleveld ont été victimes de fraude.

 

[7]              Il importe de se rappeler que les fonds initialement investis s’élevaient censément à 574 000 $, mais selon la preuve soumise par l’appelant, un montant de 24 000 $ représentait des frais de gestion d’Oakland Acres Ltd., la société d’exploitation agricole liée de l’appelant, de sorte que le montant réduit s’élèverait en fait à 550 000 $. Étant donné que l’appelant a prouvé avoir effectivement versé 544 681,45 $ et qu’il a pris la position selon laquelle c’est le montant qui est déclaré, je retiens ce montant et c’est le montant dont je ferai dorénavant mention. D’autres rajustements ont été apportés à ce montant, soit des rajustements négatifs de 91 691,60 $ et des rajustements positifs de 3 306,48 $, représentant des prêts personnels et divers montants versés par l’appelant à l’aide des fonds de la société, de sorte qu’il reste environ 456 296 $, ce qui, avec la majoration déjà mentionnée de 383 704 $, indiquerait une erreur de 840 000 $ dans la gratification globale, ce que confirment les rajustements de fin d’exercice effectués par le comptable de la société.

 

[8]              Selon la position prise par l’appelant, les fonds s’élevant en tout à 544 681,45 $ ont été avancés par la société et non par lui personnellement et, par conséquent, la présumée gratification erronée de 840 000 $ a été inscrite d’une façon inappropriée dans les états financiers et dans la déclaration de revenus de la société pour l’exercice ayant pris fin le 31 mars 2005 ainsi que dans la déclaration de revenus personnelle de l’appelant pour l’année 2005. L’appelant a témoigné que son aide‑comptable, qui travaillait pour lui depuis environ 28 ans, préparait tous les registres et les renseignements et enregistrait les paiements effectués par la société dans le registre des investissements de la société et transmettait les registres au comptable pour que celui‑ci prépare les états financiers et les déclarations de revenus à l’aide de ces registres. L’appelant a témoigné qu’aucuns frais de gestion ni aucune gratification n’avaient été approuvés par le conseil d’administration ou n’avaient de fait été payés et que c’était le comptable qui avait commis l’erreur. De plus, la preuve montrait que la société n’avait jamais par le passé versé de gratifications ou de frais de gestion, du moins depuis l’année 2001, quoique, compte tenu des rajustements ci‑dessus mentionnés, il est clair que la société l’a fait en 2005 en ce qui concerne les frais de gestion d’Oakland Acres Ltd. et les autres rajustements au compte débiteur des prêts aux actionnaires. En outre, l’appelant a témoigné n’avoir aucune connaissance en matière comptable et que sa déclaration avait été produite par voie électronique, comme elle l’était depuis plusieurs années, et qu’il s’était tout simplement fié à son comptable et n’avait jamais regardé sa déclaration ni même la déclaration de la société lorsqu’il les avait signées lors d’une brève rencontre avec son comptable. L’appelant a uniquement découvert l’erreur lorsqu’il a reçu sa cotisation, indiquant un gros montant au titre des impôts qui étaient dus, et il a immédiatement renvoyé son comptable et a retenu les services d’un nouveau comptable, qui lui a recommandé d’avoir recours à un avocat fiscaliste. Étrangement, la preuve montre d’une façon concluante qu’aucune déclaration de revenus ni aucun état financier modifiés n’ont été produits par la société ou par l’appelant en vue de corriger l’erreur. L’appelant a témoigné s’en être simplement remis aux spécialistes et avoir effectivement supposé que l’appel réglerait la question.

 

[9]              La première question à trancher, une question cruciale, est de savoir si la gratification était erronée étant donné qu’elle ne correspondait pas à l’opération réelle, comme l’affirme l’appelant. Aux dires de l’appelant, les paiements effectués par la société indiquent que l’investissement a été effectué par la société dans FLC, ou en faveur de certaines personnes pour le compte de FLC. Je suis d’accord pour dire que la preuve montre fortement que les paiements ont été effectués par la société, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’ils ont été effectués en faveur de FLC. Un seul chèque, parmi tous les chèques, a été établi en faveur de FLC; quant aux autres, ils indiquent que les fonds ont été en bonne partie versés à M. Solleveld, à M. Bahl, à SCQ, à la Banque Nationale, ou au Casino de Montréal, pour le compte de SCQ. La société FLC appartenait à M. Bahl, et ses déclarations de revenus de 2005 et de 2006 n’indiquaient aucun revenu. En outre, une entente produite en preuve montre que SCQ a effectivement accordé à l’acquéreur, M. Solleveld en fiducie, représenté par George Monoyios, un plein crédit pour tous les fonds. Dans le témoignage qu’il a lui‑même présenté lors de l’interrogatoire préalable, l’appelant a reconnu avoir su que les fonds allaient à SCQ. Étant donné qu’aucun autre élément de preuve documentaire n’a été soumis, je ne puis accepter que les sommes aient été prêtées à FLC ou qu’elles aient par ailleurs été investies dans FLC. Il semble que les paiements devaient être effectués à toute personne désignée par M. Solleveld et le témoignage de l’appelant, selon lequel il laissait M. Solleveld s’occuper de l’investissement, laisse entendre qu’il s’agissait plutôt d’une coentreprise ou d’une société de personnes dans le cadre de laquelle M. Solleveld devait acheter les ordinateurs portatifs et les revendre, ce sur quoi nous reviendrons également ci‑dessous, par opposition à un investissement dans FLC.

 

[10]         Il s’agit ensuite de savoir si les fonds ont été investis par la société ou par l’appelant. L’appelant a fourni certains éléments de preuve montrant que des fonds étaient retirés du compte de la société, mais la preuve montre également qu’aucune tentative n’a été faite pour redresser les états financiers de la société, en inversant les frais de gestion ou la gratification, ou pour produire des déclarations de revenus modifiées pour le compte de la société ou de l’appelant. Selon la preuve, le comptable de la société, qui avait imputé ces paiements au compte débiteur des prêts aux actionnaires de l’appelant, avait préparé les états financiers et les déclarations de revenus sur cette base et avait envoyé à la société une lettre de rajustement accompagnée d’un DVD contenant les rajustements à faire, ce que l’aide‑comptable a témoigné avoir fait sans les regarder. Compte tenu de l’importance du compte débiteur des prêts aux actionnaires et de la lettre, je conclus qu’il est incroyable que l’aide‑comptable n’ait pas soulevé la question à ce moment‑là. Certains éléments de preuve montrent également que d’autres rajustements ont été apportés au compte débiteur des prêts aux actionnaires pour des investissements personnels qui sont compatibles avec le fait que l’investissement effectué dans l’opération concernant les ordinateurs portatifs était également un investissement personnel effectué par l’appelant, qui avait retiré de l’argent de la société et l’avait porté à son crédit aux fins des paiements. Étant donné que la société a obtenu une déduction pour les frais de gestion ou la gratification, il serait tout simplement inapproprié d’inverser la gratification, selon le point de vue de l’appelant, et de laisser la société bénéficier du même traitement fiscal, soit une déduction pour les frais de gestion ou la gratification, qui ont donné lieu à des pertes élevées cette année‑là. Je ne puis constater aucune erreur dans la façon dont l’opération a été enregistrée et je conclus que la réalité économique était en fait qu’une gratification de 840 000 $ a été accordée à l’appelant afin de ramener à zéro son compte des sommes dues par un actionnaire, comme il en a ci‑dessus été fait mention, et que l’appelant a personnellement investi les fonds dans l’opération concernant les ordinateurs portatifs.

 

[11]         L’appelant soutient que, selon la réalité économique sous‑tendant l’opération, c’était la société qui était l’investisseur, mais je suis d’accord avec l’intimée lorsqu’elle affirme que, dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, la Cour suprême du Canada a clairement dit que la réalité économique d’une situation, telle qu’elle est plaidée par l’appelant, ne devrait pas être utilisée pour modifier la qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au paragraphe 39, la juge McLachlin (tel était alors son titre), a dit ce qui suit :

 

39        […] Au contraire, nous avons décidé qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe‑l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale.  Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables :  […]

 

[12]         En l’espèce, le contribuable a produit une déclaration de revenus de société ainsi que des états financiers préparés par son comptable, lesquels étaient signés par l’appelant à titre d’administrateur, indiquant des frais de gestion de 840 000 $, et malgré tout désaccord ultérieur entre eux, aucun effort n’a été fait pour que la déclaration soit modifiée ou pour que les états financiers soient redressés. Quant à la position prise par l’avocat de l’appelant, à savoir qu’en réalité, la société n’a pas versé les frais de gestion ou n’a pas remis la part des frais de gestion majorés afin de refléter l’engagement de l’appelant relatif à la paie y afférent, l’appelant a de fait reçu un crédit à valoir sur son compte débiteur des prêts aux actionnaires et il a donc bénéficié des frais de gestion. Quant au fait que la société n’a pas versé l’impôt et les retenues à la source pour le compte de l’appelant, l’appelant, en particulier en sa qualité d’âme dirigeante, peut assurer l’exécution de cette obligation. Il semble que la désignation des opérations par le contribuable lorsque les opérations ont été enregistrées donnait de fait lieu aux conséquences qui s’y rattachaient. L’appelant veut maintenant donner une nouvelle qualification à l’opération en vue de bénéficier d’un traitement fiscal privilégié par suite de cette nouvelle désignation.

 

[13]         L’investissement personnel de l’appelant inclut donc le montant de 544 681,45 $, qui a été porté à son crédit par l’entremise de la société, dont il a ci‑dessus été question, ainsi que l’investissement personnel que l’appelant a admis avoir effectué, de 361 104 $, dont il a fourni la preuve au moyen de chèques ou de mandats ou encore du paiement par l’entremise du compte en fiducie de son avocat provenant d’une avance sur prêt hypothécaire, montants qui, comme je le reconnais, ont été versés directement ou indirectement à M. Bahl à valoir sur l’opération concernant les ordinateurs portatifs. Le montant que l’appelant a personnellement investi dans l’opération concernant les ordinateurs portatifs s’élève donc en tout à 905 785,45 $. L’intimée a souligné que le total des montants investis était incompatible avec divers éléments de preuve soumis par l’appelant, mais à mon avis, les montants que j’ai acceptés reflètent bien les paiements qui ont été établis par la preuve, et pour lesquels l’appelant a donné suffisamment de détails et une preuve documentaire suffisante.

 

[14]         Il s’agit ensuite de savoir quel est le traitement fiscal de la perte que l’appelant a subie à l’égard de l’opération concernant les ordinateurs portatifs. L’appelant affirme qu’il s’agit d’une perte au titre d’un placement d’entreprise et, subsidiairement, d’une perte d’entreprise ordinaire, ou encore d’une perte en capital. L’intimée adopte un point de vue tout à fait contraire, à savoir que la perte est nulle puisqu’elle n’a pas été subie en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

Le droit applicable

 

[15]         La perte au titre d’un placement d’entreprise est définie comme suit à l’alinéa 39(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») :

 

39(1)    Pour l’application de la présente loi :

 

            [...]

 

c)         une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977 :

 

(i)         soit à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique,

 

(ii)                soit en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance,

 

d’un bien qui est :

 

(iii)       soit une action du capital‑actions d’une société exploitant une petite entreprise,

 

(iv)       soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

 

(A)       une société exploitant une petite entreprise,

 

(B)       un failli, au sens du paragraphe 128(3), qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où il est devenu un failli pour la dernière fois,

 

(C)       une personne morale visée à l’article 6 de la Loi sur les liquidations qui était insolvable, au sens de cette loi, et qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où une ordonnance de mise en liquidation a été rendue à son égard aux termes de cette loi,

 

sur le total des montants suivants :

 

(v)        dans le cas d’une action visée au sous‑alinéa (iii), le montant de l’augmentation, après 1977, en vertu de l’application du paragraphe 85(4), du prix de base rajusté, pour le contribuable, de l’action ou de toute action (appelée une « action de rechange » au présent sous‑alinéa) pour laquelle l’action ou une action de rechange a été remplacée ou échangée.

 

(vi)       dans le cas d’une action visée au sous‑alinéa (iii) et émise avant 1972 ou d’une action (appelée « action de remplacement » au présent sous‑alinéa et au sous‑alinéa (vii)) qui a remplacé cette action ou une action de remplacement ou qui a été échangée contre l’une ou l’autre, l’ensemble des montants dont chacun représente un montant reçu après 1971, mais avant la disposition de l’action ou lors de cette disposition, ou un montant à recevoir au moment de cette disposition, à titre de dividende imposable sur l’action ou sur toute autre action pour laquelle l’action est une action de remplacement, par :

 

(A)       le contribuable,

 

(B)       son époux ou conjoint de fait si le contribuable est un particulier,

 

(C)        une fiducie dont le contribuable ou son époux ou conjoint de fait était bénéficiaire;

 

toutefois, le présent sous‑alinéa ne s’applique pas à une action ou action de remplacement acquise après 1971 auprès d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance,

 

(vii)      dans le cas d’une action à laquelle le sous‑alinéa (vi) s’applique et lorsque le contribuable est une fiducie visée à l’alinéa 104(4)a), le total des montants dont chacun est un montant reçu après 1971 ou recevable au moment de la disposition par l’auteur (au sens du paragraphe 108(1)) ou par l’époux ou conjoint de fait de l’auteur à titre de dividende imposable sur l’action ou sur toute autre action à l’égard de laquelle elle est une action de remplacement,

 

(viii)      le montant calculé à l’égard du contribuable en vertu du paragraphe (9) ou (10), selon le cas.

 

[16]         Comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’arrêt Abrametz v. Canada, 2009 DTC 5083 (C.A.F.), le contribuable doit établir qu’il a été satisfait aux exigences de la définition de « perte au titre d’un placement d’entreprise », à l’alinéa 39(1)c), à savoir qu’il a acquis une créance; qu’il y a eu disposition réputée ou réelle de la créance, donnant lieu à une perte en capital; et que le débiteur (qui doit également être une société privée sous contrôle canadien) était admissible à titre de société exploitant une petite entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi au moment de la disposition réputée ou réelle. Il importe de noter comme ci‑dessus que l’alinéa 39(1)c) de la Loi prévoit qu’il y a eu disposition réputée pour un produit nul, à condition que le contribuable fasse un choix en vertu de l’alinéa 50(1)a) de la Loi et que la preuve soumise dans les actes de procédure montre que le choix effectué par le contribuable a été présenté, ce qui n’a pas été contesté par l’intimée.

 

[17]         Quant à la première exigence, je ne suis pas convaincu que l’investissement effectué par l’appelant ait été un prêt consenti à FLC, comme il a été plaidé. Aucun élément de preuve indiquant l’existence d’un prêt n’a été produit, ni aucun élément indiquant les intérêts exigés ou payés, et il n’y a aucun autre document à l’appui de la position selon laquelle il existait une créance à l’égard de FLC. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, je conclus que les fonds n’ont pas été avancés à FLC, mais qu’ils l’ont plutôt été en faveur de SCQ ou pour le compte de SCQ et qu’il ne s’agit pas d’un prêt, mais d’un soi‑disant paiement pour les ordinateurs portatifs.

 

[18]         Comme il a été dit au paragraphe 9 de la décision Mountwest Steel Ltd. v. Canada, 1994 CarswellNat 74, [1994] G.S.T.C. 71, au paragraphe 9 :

 

9          […] Pour qu’une créance devienne une créance irrécouvrable, il faut d’abord qu’une créance existe. […]

 

[19]         De plus, la perte ne peut tout simplement pas être une perte au titre d’un placement d’entreprise en vertu de l’alinéa 39(1)c) étant donné que, comme je l’ai dit, elle n’est pas admissible à titre de dette contractée envers le contribuable par quelque personne que ce soit, et encore moins par une société privée sous contrôle canadien qui est une société exploitant une petite entreprise. Je conclus que l’investissement n’était pas un bien qui était une créance, mais je tiens également à ajouter qu’aucun élément de preuve n’a été soumis quant à la question de savoir qui étaient les actionnaires de FLC en vue de démontrer qu’il s’agissait d’une société privée sous contrôle canadien au sens du paragraphe 125(7) de la Loi, et qu’il n’a pas non plus été établi que la société exerçait quelque activité commerciale la rendant admissible à titre de société exploitant une petite entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. De fait, l’intimée a présenté une preuve forte montrant que FLC n’avait pas indiqué de revenus dans ses déclarations de revenus de 2005 et de 2006, soit les seules années pour lesquelles elle a produit des déclarations, et que FLC n’exerçait donc pas d’activités commerciales. Il n’est satisfait à aucune des exigences confirmées dans l’arrêt Abranmetz, précité, et énoncées à l’alinéa 39(1)c).

 

[20]         L’appelant a plaidé, subsidiairement, que les fonds investis qui ont été perdus devaient être traités comme une perte d’entreprise ordinaire au titre d’avances consenties à une société de personnes ou à une coentreprise. Sous le titre [traduction] « Moyens invoqués et conclusions recherchées » de sa réponse, l’intimée a pris la position selon laquelle l’appelant n’avait pas subi de perte d’entreprise au cours de l’année d’imposition 2005, dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise ou d’une affaire de caractère commercial, mais je souligne qu’elle ne s’est fondée sur aucune hypothèse, dans ses actes de procédure, à ce sujet.

 

[21]         Quant à la nature de l’opération, la preuve montre clairement que, lorsqu’on a communiqué avec l’appelant pour qu’il participe à une opération que M. Solleveld avait entamée, mais qu’il n’avait pas achevée parce qu’il avait besoin de fonds additionnels, l’appelant a accepté d’y participer afin de faire de l’argent, le bénéfice devant être alloué à un projet qu’il avait en tête. Les deux hommes savaient que, dans le cadre de l’opération initialement portée à leur connaissance par M. Venditello, il y aurait des conteneurs renfermant 1 000 ordinateurs portatifs Toshiba provenant d’une entité, à Montréal, et que grâce aux efforts et aux contacts de M. Venditello, ces ordinateurs seraient revendus moyennant un bénéfice. Au moment où l’appelant a commencé à participer à l’opération, le prix d’achat des ordinateurs avait déjà augmenté par rapport au prix initialement mentionné à M. Solleveld, d’où la raison pour laquelle l’appelant a participé à l’opération. La preuve donnait à entendre que le prix des 1 000 ordinateurs portatifs, lorsque l’appelant a accepté de participer à l’opération, était d’environ 1 502 000 $, montant qui, selon la tendance qui s’est manifestée pendant toute la durée de l’opération, a augmenté pour atteindre 1 875 000 $, plus les taxes. La preuve montrait en outre que M. Venditello avait déclaré pouvoir revendre ces ordinateurs moyennant un bénéfice, et de fait, l’appelant a fourni une preuve selon laquelle un magasin Future Shop de la région de Toronto et un acquéreur étranger avaient manifesté leur intérêt à l’égard de l’achat des ordinateurs. Il n’existait aucune entente écrite entre l’appelant et M. Solleveld, mais selon la preuve, ils avaient agi en commun en ce sens qu’ils avaient tous deux contribué des fonds, qu’ils avaient tous deux assisté à quelques reprises à des rencontres avec M. Bahl, le spécialiste des services de banque d’investissement qui avait apparemment organisé le marché, à la maison de celui‑ci et dans un restaurant, que l’appelant avait parfois rencontré M. Venditello, et que les deux hommes s’étaient rendus à Montréal pour essayer, sans succès, de voir les conteneurs et qu’ils avaient également rencontré l’avocat du vendeur en présence de George Monoyios, de Tascan Financial Inc., auquel on avait eu recours pour qu’il prête des fonds additionnels à l’appelant et pour qu’il aide à mener l’opération à bonne fin. En fait, l’opération n’a jamais eu lieu étant donné que, même si les fonds ont été versés, les ordinateurs portatifs n’ont jamais été livrés et que les personnes concernées se sont rendu compte qu’elles avaient été fraudées.

 

[22]         Le paragraphe 248(1) de la Loi définit l’« entreprise » comme suit :

 

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises, les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et [...] les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, [...]

 

[23]         Dans l’arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit (page 679) :

 


61        […] la question de savoir si l’activité exercée par un contribuable constitue une source de revenu est tranchée en se demandant si le contribuable a l’intention d’exercer cette activité en vue de réaliser un profit et s’il existe des éléments de preuve étayant cette intention. […]

 

[24]         L’intimée a soutenu qu’aucun élément de preuve ne montrait qu’il était satisfait aux exigences ou aux conditions permettant à un tribunal de déduire l’existence d’une société de personnes ou d’une coentreprise. Avec égards, je ne partage pas l’avis de l’intimée. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, les parties se sont clairement engagées dans l’opération et se sont acquittées des obligations y afférentes en payant les ordinateurs portatifs au complet. Certains éléments de preuve montrent qu’elles ont directement participé à des rencontres entre elles, avec le vendeur ultime des ordinateurs, avec les avocats du fournisseur des ordinateurs, avec un tiers financier auquel on avait eu recours pour qu’il aide à conclure l’opération, et qu’elles avaient emprunté des fonds de tiers et de sociétés en vue d’effectuer les paiements. Je suis d’accord pour dire qu’il n’existe aucune preuve concluante au sujet du pourcentage des bénéfices que chacun devait toucher, mais certains éléments de preuve, bien que vagues, montrent que l’appelant aurait obtenu au moins 25 p. 100 des bénéfices.

 

[25]         Je souscris à l’avis de l’intimée lorsqu’elle affirme que rien ne montre que l’appelant et M. Solleveld avaient l’intention de constituer une société de personnes puisqu’aucun élément de preuve n’a été soumis au sujet de la création d’une société de personnes en vertu de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario, qu’aucun contrat de société de personnes n’a été conclu et que rien ne montre que l’entreprise envisagée devait être exploitée dans le cadre d’activités continues, comme le propose l’arrêt Backman c. Canada, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367, sur lequel s’appuie l’intimée. Je note qu’un grand nombre des éléments nécessaires énoncés dans l’arrêt Backman susmentionné pour établir l’existence d’une société de personnes étaient présents, à savoir une entreprise exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice, mais il reste que les éléments nécessaires n’étaient pas tous présents.

 

[26]         À mon avis, l’entreprise était davantage assimilable à une coentreprise, soit une affaire de caractère commercial, au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. L’appelant et M. Solleveld ont souvent qualifié l’opération d’entreprise, et il est clair qu’ils y participaient en y investissant chacun des fonds et en ayant l’objectif commun de mener l’opération à bonne fin. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’appelant a émis des chèques ou a fourni des fonds principalement aux personnes concernées, suivant les instructions de M. Solleveld, auquel il faisait entièrement confiance, comme il l’a affirmé.

 

[27]         L’intimée a pris la position selon laquelle, étant donné que l’opération n’a jamais été menée à bonne fin, c’est‑à‑dire que les ordinateurs portatifs n’ont jamais été livrés, cela prouve qu’il n’y avait pas d’entreprise, et elle invoque l’arrêt Vankerk c. Canada, 2006 CAF 96, [2006] 3 C.T.C. 53 (C.A.F.). Toutefois, dans cette dernière affaire, les investisseurs avaient acheté des unités de sociétés de personnes qui, selon ce qui a été conclu, n’avaient pas exercé d’activités commerciales, et les deux individus qui avaient ourdi un stratagème en vue de frauder les investisseurs et le gouvernement en sollicitant des fonds pour de fausses sociétés de personnes avaient détourné les fonds investis. Au paragraphe 3 de ses motifs, la juge Sharlow s’est exprimée en ces termes :  

 

3          […] Il s’agit d’une affaire où, en fait, il n’y avait pas d’entreprise. Il n’y avait pas de dépenses d’entreprise. Il n’y a aucun fondement factuel pour les déductions que demandaient les appelants. […]

 

[28]         En l’espèce, on n’a pas utilisé les fonds pour les investir dans une soi‑disant société de personnes existante. Il n’y avait aucune société de personnes à laquelle SCQ et les personnes dirigeant SCQ participaient. Les fonds ont été avancés à un associé dans une coentreprise, qui a versé ces fonds en vue d’acquérir des ordinateurs portatifs, mais qui n’a pas détourné les fonds.

 

[29]         L’intimée a également invoqué la décision Kleinfelder v. The Minister of National Revenue, 91 DTC 913, dans laquelle l’appelant, qui s’occupait de l’achat et de la vente d’immeubles, avait accepté de participer à une coentreprise avec une autre personne et avait avancé des fonds en vue de lancer une entreprise dans le cadre de laquelle on devait acheter des voitures de marque Mercedes de successions et les revendre en faisant un bénéfice, ce bénéfice devant être partagé moitié‑moitié. Au paragraphe 28, le juge Hamlyn a affirmé ce qui suit :

 

 

28        L’opération d’achat des automobiles n’a jamais eu lieu, leur vente ne s’est jamais réalisée et les éléments de preuve portant sur la façon dont l’entreprise devait concrètement être exploitée sont vagues et imprécis. L’injection de capitaux qu’a effectuée l’appelant visait à lancer l’entreprise, mais cette opération commerciale n’a jamais vu le jour. L’argent n’a pas été dépensé par la société dans le but de gagner ou de produire un revenu parce que l’autre associé, M. Gee, a mal employé les fonds.

 

[30]         La décision Kleinfelder est un précédent qui peut être écarté puisque, dans la présente affaire, les fonds qui ont été avancés à la coentreprise visaient en fait à payer le prix d’achat des ordinateurs portatifs et que M. Solleveld ne s’était pas approprié les fonds. La coentreprise a de fait pris toutes les mesures voulues pour s’acquitter de ses obligations en vue d’acquérir les ordinateurs portatifs, et seuls le vendeur ou ses dirigeants s’étaient approprié les fonds. Certaines lettres et certaines ententes montraient également les conditions de l’achat, bien que celles‑ci eussent de temps en temps changé par suite du stratagème du vendeur de soutirer un prix d’achat de plus en plus élevé.

 

[31]         L’intimée a également mentionné la décision Longerich c. Canada, 2004 CCI 485, 2004 DTC 2980, dans laquelle on avait refusé à un contribuable une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise pour le motif qu’il ne pouvait pas prouver que la société débitrice exploitait une entreprise active au Canada, de sorte qu’elle était une société exploitant une petite entreprise. En plus, dans cette affaire‑là, la société ne s’était pas conformée aux autres exigences énoncées à l’alinéa 39(1)c) de la Loi et avait notamment omis de faire le choix voulu pour qu’il soit présumé que le produit de la créance irrécouvrable était nul en vertu du paragraphe 50(1). Cette décision‑là ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si l’appelant lui‑même exploitait une entreprise.

 

[32]         L’intimée a également attiré l’attention de la Cour sur l’arrêt Johnston c. Canada, 2001 CAF 122, 2001 DTC 5300 (C.A.F.), dans lequel la Cour d’appel a reconnu que le contribuable avait été victime d’un stratagème frauduleux qu’une société avait ourdi en vue de chercher des personnes qui participeraient à une coentreprise pour acheter des stocks ou des marchandises excédentaires provenant de faillites et de les revendre en réalisant un bénéfice, et avait accordé au contribuable une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise. Dans cette affaire‑là, l’appelant avait consenti des prêts, qui n’ont jamais été remboursés puisque l’associé dans la coentreprise avait détourné les fonds, et la Cour d’appel a conclu que cet associé s’était livré à des activités criminelles puisqu’il s’occupait de frauder des investisseurs, de sorte qu’il était reconnu que l’investisseur avait engagé des fonds dans une entreprise. De toute évidence, cet arrêt est un précédent qui peut être écarté étant donné que la Cour d’appel a rendu une décision favorable à l’appelant en lui accordant une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise, ce qui n’est pas ici le cas puisque j’ai déjà refusé une telle perte en l’espèce.

 

[33]         Ce qui ressort de la décision Johnston v. Her Majesty the Queen, 2000 DTC 1864, est que la Cour canadienne de l’impôt a conclu conclusion de toute évidence acceptée par la Cour d’appel fédérale que le contribuable lui‑même n’avait pas le droit de déduire ses pertes à titre de pertes d’entreprise pour le motif qu’il n’exploitait pas une entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. Au paragraphe 57, le juge Bell a exprimé la préoccupation selon laquelle l’appelant, dans cette affaire‑là, avait simplement investi des fonds sans demander de renseignements et qu’il n’avait pas eu de rôle actif dans l’entreprise :

 

57        […] L’appelant n’a pas posé de questions au sujet de l’acquisition, du coût d’acquisition, du prix de vente ou, en fait, de tout autre aspect de la présumée entreprise. Il n’était pas au courant de la contribution de WSL [l’associée dans la coentreprise] et n’a pas cherché à savoir pourquoi l’entente ne faisait pas mention du montant de cette contribution. [...] L’appelant n’a pas demandé les états financiers de WSL, il n’a pas apporté son appui à la coentreprise et il n’a pas cherché à savoir pourquoi il n’avait pas été appelé à le faire. [...]

 

[34]         Cette décision est un précédent qui peut être écarté, et ce, pour au moins deux raisons. En premier lieu, dans la présente espèce, ce n’est pas l’associé de l’appelant dans la coentreprise qui a fraudé l’appelant étant donné que les fonds ont été versés au vendeur du produit. En second lieu, l’appelant et son associé n’étaient pas des participants passifs. Ils étaient au courant de leurs apports mutuels, ils avaient assisté à des réunions avec les représentants du vendeur, avec l’avocat et avec le vendeur ultime, de sorte qu’ils n’étaient pas de simples investisseurs passifs.

 

[35]         J’aimerais également faire certaines remarques au sujet de la question de la fraude. Dans son argumentation, l’intimée a mentionné que, si la Cour concluait que l’appelant avait perdu tous les fonds investis, rien ne montrait que FLC Holdings s’occupait de fraude. Elle se référait à la décision Johnston précitée dans laquelle la Cour avait admis la demande que le contribuable avait faite à l’égard d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise pour le motif que la société débitrice exploitait une entreprise active, à savoir l’entreprise criminelle de frauder des investisseurs. Cette conclusion serait uniquement pertinente si j’avais conclu que l’appelant avait acquis une créance en vertu de l’alinéa 39(1)c) susmentionné, conclusion que je n’ai pas tirée.

 

[36]         Toutefois, la question de la fraude s’applique pour ce qui est de trancher si l’appelant a perdu les fonds investis. Selon moi, la preuve est concluante sur ce point étant donné qu’il n’est pas contesté que les ordinateurs portatifs n’ont pas été livrés. D’autre part, l’appelant a prouvé que des paiements avaient été effectués et que les fonds qu’ils avaient investis ont été utilisés pour effectuer ces paiements. De fait, selon la prépondérance des probabilités, il semble que la fraude ait été commise par Steven Venditello, ou du moins avec l’aide de celui‑ci. En effet, c’est lui qui a porté le marché à la connaissance de M. Solleveld, c’est lui qui devait être le vendeur ultime, une fois les ordinateurs portatifs acquis, et selon certains éléments de preuve, c’est lui qui a reçu au moins un paiement directement remis par M. Solleveld, au montant de 83 250 $, lequel a été accepté pour le compte de SCQ. De plus, la preuve montre qu’il avait des problèmes liés au jeu et que certains des paiements ont été remis au Casino de Montréal pour être crédités à une carte de joueur platine. Selon le témoignage de l’appelant lors de l’interrogatoire préalable, les ordinateurs portatifs étaient sous le contrôle de M. Venditello. L’appelant s’était rendu compte de la chose. Même l’intimée a reconnu le rôle de l’appelant en disant, au paragraphe 21 de ses observations écrites, que ce dernier n’avait pas fait preuve de prudence :

 

[traduction]

 

21        […] Pendant la période en cause, il savait que l’argent avait été remis au Casino de Montréal et que Steve avait des problèmes liés au jeu. […]

 

[37]         Compte tenu de ce qui précède et du fait que l’appelant a témoigné qu’il ne recouvrera probablement pas d’argent de M. Venditello, je reconnais que toute autre tentative pour recouvrer cet argent aurait été futile et je suis convaincu que les fonds investis ont été perdus.

 

[38]         En résumé, je conclus que l’appelant exploitait une entreprise valable, une affaire de caractère commercial, en vue d’acquérir les ordinateurs portatifs et de les revendre en faisant un bénéfice, et qu’il est donc autorisé à traiter tous les fonds investis, s’élevant à 906 785,45 $, qu’il a perdus au titre d’une perte ordinaire autre qu’en capital, comme il l’a demandé.

 


L’opération concernant les téléviseurs

 

[39]         Quant à l’opération concernant les téléviseurs, l’appelant prend la position selon laquelle il exploitait, à parts égales, une coentreprise avec M. Venditello, en vue d’acheter 1 250 téléviseurs haute définition Panasonic d’un fournisseur, en Europe, et de les revendre en vue de réaliser un bénéfice. Selon la preuve qu’il a soumise, l’appelant a avancé un montant de 175 000 $ à M. Venditello et il n’a jamais vu les téléviseurs. L’appelant a témoigné que M. Venditello était entièrement responsable de l’opération, qu’il exerçait un contrôle à cet égard et qu’il devait tenir les livres, s’occuper de la comptabilité, organiser l’achat et la livraison des téléviseurs et les vendre. Aucun élément de preuve ne montre que l’appelant a eu un rôle en sus de celui de fournir des fonds à son associé dans la coentreprise ou pour le compte de cet associé. La seule preuve documentaire que l’appelant a fournie est une facture qu’une personne inconnue avait établie à l’intention de la société de l’appelant, A.G. Hayter Contracting, en date du 20 décembre 2005, indiquant un coût unitaire de 5 000 $ et un coût global de 6 750 000 $, y compris la TPS, et des frais supplémentaires au sujet desquels aucune explication n’a été donnée. Il y a également un document qui est censé être une entente entre Tascan Financial en fiducie, l’appelant et M. Venditello, que ce dernier n’a pas signée, dans laquelle des espaces sont laissés en blanc et qui vise censément à retenir les services de Tascan Financial pour qu’elle aide à financer l’achat des téléviseurs, le bénéfice devant être distribué dans une proportion de 33 p. 100 chacun entre l’appelant et M. Venditello. Le contenu de cette entente était par ailleurs fort vague. L’appelant a témoigné que cette dernière entente n’a de toute façon pas été conclue. Il a témoigné que M. Venditello avait été arrêté pour fraude par la police en sa présence et que cela a de fait mis un point final à l’opération concernant les téléviseurs. Celle‑ci n’a bien sûr jamais été menée à bonne fin. L’appelant a donc perdu son investissement.

 

[40]         Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la preuve montre que, sur les 175 000 $ qui ont été avancés, un montant de 13 750 $ a été avancé à un certain M. Cribari, sans qu’aucune explication ne soit donnée, et ce montant ne peut donc pas être considéré comme ayant été avancé dans le cadre du marché ici en cause. L’appelant a affirmé avoir avancé [traduction] « au moins 148 000 $ », de sorte que, si la preuve établit qu’il a de fait avancé un montant plus élevé, il lui était loisible de prouver la chose. Étant donné qu’il a affirmé avoir avancé [traduction] « au moins » 148 000 $, l’appelant ne sera pas limité à ce montant s’il a gain de cause.

 

[41]         Dans son argumentation, l’intimée a signalé la preuve incohérente soumise par l’appelant sur ce point, en ce sens que l’appelant demandait à déduire une perte, mais qu’il avait également convenu, lors de l’interrogatoire préalable, que les fonds avaient été avancés par sa société, A.G. Hayter Contracting Ltd., qui constituait sa source de fonds. Lors du réinterrogatoire, l’appelant a témoigné que la société n’avait rien à voir avec le marché et qu’il ne sait pas pourquoi la facture a été établie au nom de la société. Il n’existe aucun élément de preuve, comme dans le cas de l’opération concernant les ordinateurs portatifs, montrant que la société a remis les fonds à l’appelant à titre de gratification ni même aucune preuve d’une cotisation y afférente, ce qui se serait produit au cours de l’année d’imposition 2006. Bien sûr, étant donné que, dans ses actes de procédure, l’appelant affirme avoir personnellement consenti ces avances, la seule explication logique est que les fonds, tel qu’en font foi les documents relatifs à l’opération, provenaient des comptes personnels de l’appelant ou que l’appelant s’était servi des fonds de la société dans l’opération concernant les ordinateurs portatifs, lorsqu’il a retiré de l’argent de son compte débiteur des prêts aux actionnaires, de sorte qu’il aura à subir les conséquences fiscales y afférentes.

 

[42]         À supposer que les fonds investis proviennent de l’appelant, il s’agit uniquement de savoir si l’appelant a subi une perte autre qu’en capital par suite de la perte des fonds investis.

 

[43]         Contrairement à ce qui était le cas dans l’opération relative aux ordinateurs portatifs, l’appelant n’a fourni aucune preuve montrant qu’il existait une entreprise. Le seul élément de preuve est que l’appelant a remis son argent à son associé dans la coentreprise qui, selon la preuve qu’il a soumise, l’a fraudé.

 

[44]         Dans la décision Kleinfelder susmentionnée, où les faits étaient semblables à ceux de la présente espèce, la Cour a décidé que les fonds n’avaient pas servi à l’achat des véhicules de marque Mercedes, que l’associé de l’appelant dans la coentreprise avait détourné les fonds et que l’entreprise n’avait donc jamais été lancée. Au paragraphe 28, le juge Hamlyn a dit ce qui suit :

 

 

28        […] L’argent n’a pas été dépensé par la société dans le but de gagner ou de produire un revenu parce que l’autre associé, M. Gee, a mal employé les fonds.

 

[45]         De même, dans l’arrêt Vankerk, la Cour d’appel fédérale a conclu, dans une affaire de fraude où un coentrepreneur avait détourné des fonds, qu’il n’y avait pas d’entreprise et qu’il n’existait aucun fondement factuel justifiant les déductions demandées.

 

[46]         De plus, comme il en a été fait mention dans les décisions Johnston et Kleinfelder susmentionnées, le fait que l’appelant n’avait aucun rôle actif ou qu’il n’avait pas connaissance des détails de l’opération donne également à entendre qu’il n’existait aucun indice de l’existence d’une entreprise.

 

[47]         Je ne doute aucunement que l’appelant ait lui aussi été victime des activités frauduleuses de M. Venditello, mais je ne puis conclure qu’il a avancé les fonds en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

 

[48]         Enfin, étant donné que les fonds étaient des dépenses en capital qui n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, le traitement fiscal qui doit être accordé à l’appelant est celui d’une perte en capital conformément au traitement accordé par le ministre dans l’affaire Kleinfelder susmentionnée.

 


Conclusion

 

[49]         L’appel est accueilli, compte tenu du fait que l’appelant aura droit de déduire une perte autre qu’en capital de 905 785,45 $ à l’égard de l’opération concernant les ordinateurs portatifs et une perte en capital de 161 250 $ à l’égard de l’opération concernant les téléviseurs. L’affaire est déférée au ministre pour nouvelle cotisation sur cette base. L’appelant a en partie eu gain de cause dans la présente affaire, mais son argument principal n’a pas été retenu, de sorte que ni l’une ni l’autre des parties ne devrait, selon moi, avoir droit aux dépens. Aucuns dépens ne seront adjugés dans la présente affaire.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2010.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 255

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-22(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ALLEN HAYTER

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 26 et 27 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable F. J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul Downs

Avocate de l’intimée :

Me Suzanie Chua

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Paul Downs

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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