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Dossier : 2009­2088(EI)

ENTRE :

 

ABSOLUTE LEADERSHIP DEVELOPMENT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 avril 2010, à Hamilton (Ontario).

 

 

Devant : L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

Christopher Wignall

Avocate de l’intimé :

Me Samantha Hurst

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Toronto, Canada, ce 2e jour de juin 2010.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice


 

 

Référence : 2010 CCI 282

Date : 2 juin 2010

Dossier : 2009­2088(EI)

ENTRE :

 

ABSOLUTE LEADERSHIP DEVELOPMENT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Weisman

[1]  L’appelante, Absolute Leadership Development Inc. (« Absolute »), est une organisation à but non lucratif enregistrée qui poursuit des fins caritatives et dont les pratiques en matière d’emploi sont inhabituelles. Elle comporte deux divisions opérationnelles, soit « Think Day » et « Hero Holiday ». La première est formée de voyageurs employés et bénévoles répartis en équipes volantes qui visitent les écoles participantes pour effectuer des présentations aux étudiants rassemblés sur la motivation et l’autonomisation. Les sujets abordés comprennent l’estime de soi, l’intimidation et les moyens de changer le cours des choses dans le monde. Les écoles payent pour ces présentations, ce qui constitue une partie importante du modeste revenu d’Absolute. « Hero Holiday » est un programme humanitaire dans le cadre duquel des étudiants bénévoles recueillent eux‑mêmes des fonds pour se rendre dans les pays en développement afin d’aider à construire des maisons et des écoles.

 

[2]  Michelle Wood (« Michelle ») était chef d’une équipe volante, charge qu’elle a occupée à titre bénévole de septembre 2004 à juin 2007. Son époux, Ryan, ancien pasteur en Saskatchewan, travaillait sur la route avec elle. Il conduisait des autobus et effectuait des présentations dans les écoles. Il était toutefois un employé d’Absolute, qui lui versait un salaire de 40 000 $ par année sous forme de paiements de 1 538,46 $ toutes les deux semaines.

 

[3]  En juin 2007, Michelle, enceinte de trois mois, a commencé à trouver les déplacements sur la route trop ardus. Elle et Ryan ont donc rencontré Vaden Earle, directeur général de l’appelante et membre sans droit de vote du conseil d’administration, à son bureau principal situé à Hamilton (Ontario). Ils ont ensemble convenu de la solution suivante : Michelle serait promue au poste nouvellement créé de responsable des réservations du programme « Think Day » et recevrait un salaire annuel de 40 000 $, payable sous forme de versements de 1 538,46 $ toutes les deux semaines, tandis que Ryan se joindrait à Vaden Earle au sein de la haute direction. Ces derniers dirigeaient ensemble les activités quotidiennes de l’appelante et ils prenaient toutes les décisions importantes, y compris l’embauche et le renvoi de travailleurs. Comme l’organisation n’avait pas les moyens de payer à la fois Michelle et Ryan, la rémunération de ce dernier n’est devenue, en réalité, qu’une simple écriture qui, pour les besoins de comptabilité, figurait comme un prêt qu’il aurait consenti à Absolute. Ce prêt, moins les déductions au titre des cotisations au Régime de pensions du Canada et des cotisations d’assurance‑emploi, a été remboursé par chèque à la fin de l’année. Ryan a dûment encaissé le chèque et il a remis la somme à ses parents, lesquels s’étaient engagés à donner la totalité de cette somme à l’appelante. Michelle est ainsi apparemment devenue admissible à des prestations de maternité de 21 750 $ suivant la Loi sur l’assurance‑emploi[1] (la « Loi »); Ryan pouvait demander des prestations d’assurance‑emploi sous le régime du même texte législatif et ses parents pouvaient déduire un important don de bienfaisance de leur revenu imposable.

 

[4]  Dans son témoignage, Ryan a déclaré qu’Absolute avait souvent ajouté des bénévoles à son livre de paye ou modifié leur rémunération, selon leur situation financière personnelle. Par exemple, Charles Roberts, gestionnaire du programme « Hero Holiday », a vu son salaire passer à 50 000 $ par année parce qu’il avait trois jeunes garçons à élever et des dettes à payer. On a allégué que sa rémunération approchait, mais sans l’atteindre, la juste valeur marchande de son poste, qu’il avait besoin de cette somme pour survivre et que c’était la somme nécessaire pour permettre à l’appelante de continuer à bénéficier des services d’une [TRADUCTION] « personne irremplaçable ».

 

[5]  En ce qui concerne Michelle, Ryan a mentionné que son travail était très exigeant; elle n’agissait pas uniquement comme agente de réservations. Elle avait entre autres dû apprendre à planifier et à coordonner les horaires des déplacements, à organiser des assemblées scolaires, à envoyer les contrats et à recevoir les paiements, à communiquer avec les chefs d’équipe volante et les écoles de même qu’à superviser le service des réservations et les autres agents de réservations. Grâce à sa diligence et à son expérience antérieure à titre de chef d’une équipe volante, les réservations dans les écoles ont augmenté de façon spectaculaire du mois de juin 2007, lorsque ce poste lui a été confié, au 21 décembre 2007, moment où elle a quitté pour mettre son enfant au monde. Selon Ryan, son salaire de 40 000 $ par année correspondait à la juste valeur marchande de son emploi. Avant que Michelle n’occupe ce poste, personne n’était responsable des activités opérationnelles du programme. Lorsqu’elle a quitté, elle n’a pas été remplacée et les réservations dans les écoles ont chuté de façon tout aussi spectaculaire. Les personnes qui l’ont précédée ou suivie gagnaient 18 000 $ et 27 675,44 $ par année, mais toutes deux n’agissaient que comme agents de réservations et, contrairement à Michelle, aucune d’elles n’était responsable des tâches ardues liées aux activités opérationnelles du programme.

 

[6]  Michelle et Ryan étaient tous deux ouverts et francs pendant leur témoignage. À titre d’exemple, lorsqu’on lui a demandé pourquoi Michelle recevait son salaire pendant qu’il travaillait, à toutes fins utiles, bénévolement, Ryan a spontanément répondu ce qui suit : [TRADUCTION] « Nous n’avions pas besoin de plus d’argent, nous avions besoin de prestations de maternité ». Michelle a ajouté qu’elle savait que les nouvelles modalités visaient à lui permettre d’être admissible à ces prestations. Ryan a en outre précisé que le stratagème de remboursement du prêt et de don de bienfaisance avait été élaboré pour fournir une [TRADUCTION] « trace écrite » à la commission des relations de travail dans l’éventualité où cette dernière procéderait à une vérification de son apparent changement de situation d’employé à travailleur bénévole.

 

[7]  Dans ce contexte, le ministre a décidé que Michelle n’exerçait pas un emploi assurable puisqu’elle et Absolute avaient un lien de dépendance au sens des alinéas 5(2)i) et 5(3)a) de la Loi, lesquels sont ainsi rédigés :

 

Restriction

 

5. (2) N’est pas un emploi assurable :

 

[…]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[…]

 

Personnes liées

 

5. (3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu; […]

 

[8]  L’alinéa 251(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu[2] prévoit ce qui suit :

 

Lien de dépendance

 

251. (1) Pour l’application de la présente loi :

 

[…]

 

251. (1)c) […] la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

[9]  En conséquence, le facteur déterminant dans ce genre de situations tient à la question de savoir si des parties qui ne sont pas liées entre elles ont un lien de dépendance. Elles peuvent être liées sans avoir un lien de dépendance et, inversement, ne pas être liées et avoir un lien de dépendance[3].

 

[10]         Pour m’aider à résoudre cette question de manière juste à la lumière de la jurisprudence, on m’a renvoyé à l’affaire Canada (Procureur général) c. Rousselle[4], laquelle intéresse une situation de fait analogue. La Cour y tient les propos suivants :

 

Il est clair que les frères Rousselle étaient en chômage et que pour être éligible à des prestations d’assurance-chômage il leur fallait 10 semaines d’emploi assurable dans le cas de Placide et Ludger et sept semaines dans le cas de Jean‑Claude.

 

            M. Didler Chiasson qui est entrepreneur en coupe de bois a consenti à engager ces trois personnes pour leur permettre de se qualifier aux prestations d’assurance‑chômage (sic). Il n’avait pas besoin de bois immédiatement, même il n’était pas pressé pour en obtenir […]

 

            Ce n’est pas d’exagérer je crois, à la lumière de ces faits, que de dire que si les intimés ont exercé un emploi, il s’agissait bien d’un emploi « de convenance » dont l’unique but était de leur permettre de se qualifier pour des prestations d’assurance‑chômage. Certes, ces circonstances n’empêchent pas nécessairement que les emplois soient assurables mais elles imposaient à la Cour canadienne de l’impôt l’obligation de scruter avec un soin particulier les contrats en cause; il est clair que la motivation des intimés était plutôt le désir de profiter des dispositions d’une loi de portée sociale que de participer dans le jeu normal des forces économiques du marché.

 

[11]         Comme elle a conclu que les trois travailleurs en cause étaient des entrepreneurs indépendants, la cour n’a pas tranché la question de savoir dans quelles situations un contrat de convenance empêchera un emploi d’être assurable. L’arrêt Rousselle a été suivi dans l’arrêt Charbonneau c. M.N.R.[5], où la cour a également décidé que l’intimé, M. Charbonneau, était un entrepreneur indépendant. Malheureusement, la position de la cour en ce qui touche les contrats de convenance demeure vague :

 

Les constatations que nous venons de faire, cette Cour les avait déjà faites, à quelques nuances près, dans Rousselle. Il est vrai qu’il s’agissait alors d’un contrat de convenance, mais la Cour ne pouvait pas s’arrêter à ce seul aspect et se devait, ce qu’elle fit, d’examiner en détails les relations entre les parties. L’intimé ne nous a pas convaincus qu’il était permis, en l’espèce, d’écarter la conclusion de cette Cour dans Rousselle.

 

[12]         Dans la présente affaire, un contrat de convenance est intervenu entre des parties qui n’ont pas de lien de dépendance entre elles. Il n’y avait pas de volonté commune dirigeant les négociations à la fois pour Absolute et Michelle[6]; les parties au contrat de travail n’agissaient pas de concert, sans intérêts distincts[7]; et ni l’une ni l’autre des parties à l’opération n’exerçait un contrôle de fait sur l’autre[8].

 

[13]         Conformément aux directives formulées par la cour dans l’arrêt Rousselle, j’ai examiné le contrat en cause avec un soin particulier. Même si je ne doute pas que Michelle a rendu des services en contrepartie de la rémunération qui lui était versée – à l’instar des bûcherons dans l’affaire Rousselle –, je conclus que la motivation des parties tenait à leur désir de tirer avantage des dispositions législatives à caractère social plutôt que de participer au jeu normal des forces économiques du marché. J’arrive à cette conclusion en raison des aveux sans équivoque de Michelle et de Ryan sur ce point, et du fait que personne n’ait occupé le poste de gestion censément important de Michelle ni avant, ni après elle.

 

[14]         Dans ce genre d’affaires, il incombe à l’appelante de réfuter ou de démolir les hypothèses énoncées au paragraphe 8 de la réponse à l’avis d’appel produite par le ministre. Je signale que la preuve a établi que les alinéas c) et u) n’étaient exacts qu’après novembre 2007, lorsque Ryan s’est joint à Vaden Earle au sein de la direction; que l’alinéa v) identifie, à tort, Michelle comme l’appelante et suppose que son salaire de base à l’embauche s’élevait à 32 000 $ par année. Or, la preuve a montré que cette somme n’était qu’approximative et qu’elle se fondait sur une échelle salariale théorique; on a établi l’exactitude de l’alinéa x), mais sous réserve de la preuve selon laquelle la rémunération annuelle de 40 000 $ de Michelle correspondait à la juste valeur marchande; et l’alinéa z) a été réfuté puisque la paie de Ryan n’avait pas été réduite à néant, qu’elle avait en définitive été reçue par ce dernier et qu’elle était retournée à Absolute au moyen du stratagème de prêt et de don de bienfaisance, comme il est mentionné plus haut. Les autres hypothèses suffisent amplement à étayer la décision du ministre[9].

 

[15]         J’ai examiné tous les faits avec les parties et les personnes appelées à témoigner pour la première fois pour le compte de l’appelante et, même si de nouveaux faits ont été mis au jour – comme les aveux de Michelle et de Ryan selon lesquels il s’agissait d’un contrat de convenance –, ils étayaient la décision du ministre. En outre, rien ne permet de penser que les faits inférés ou invoqués par le ministre n’étaient pas réels ou qu’ils ont été incorrectement appréciés ou mal compris, compte tenu du contexte dans lequel ils se sont produits. La conclusion du ministre est objectivement raisonnable. Absolute et Michelle avaient entre elles un lien de dépendance pendant la période en cause.

 

[16]         En conséquence, la décision du ministre sera confirmée et l’appel sera rejeté.

 

 

Signé à Toronto, Canada, ce 2e jour de juin 2010.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 282

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009­2088(EI)

 

INTITULÉ :                                       Absolute Leadership Development Inc. et Ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Hamilton (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 27 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Christopher Wignall

Avocate de l’intimé :

Me Samantha Hurst

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Me Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L.C. (1996), ch. 23, dans sa version modifiée.

[2] L.R.C. (1985) (5e suppl.), dans sa version modifiée.

[3] Petrucci c. M.R.N., [1998] A.C.I. no 492, au paragraphe 13 (C.C.I.).

[4] [1990] A.C.F. no 990 (C.A.F.).

[5] [1996] A.C.F. no 1337 (C.A.F.), au paragraphe 14.

[6] M.N.R. v. Estate of Thomas Rodman Merritt, 69 D.T.C. 5159 (C. de l’É.).

[7] Swiss Bank Corporation et al v. M.N.R., 71 D.T.C. 5235 (C. de l’É.).

[8] Robson Leather Co. Ltd. v. M.N.R., 77 D.T.C. 5106 (C.A.F.).

[9] Jencan Ltd. c. M.R.N., [1997] A.C.F. no 876 (C.A.F.).

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